La Révolution française et les guerres révolutionnaires (partie IV) : la montée en puissance de Robespierre (1794)

La Révolution française et les guerres révolutionnaires (partie IV) : la montée en puissance de Robespierre (1794)

La terrible année 1793 terminée, 1794 s’annonçait meilleure. Le soulèvement fédéraliste était vaincu : la guerre de Vendée ne faisait plus que de rares remous, Lyon, Marseille et Toulon étaient rentrées, par la force, dans les rangs. La Terreur ne prenait pas fin pour autant en 1794 et prenait même un nouvel essor. Robespierre devenait assurément de plus en plus puissant et la situation nationale était sensiblement plus enviable en cette nouvelle année. Le pays, en effervescence, alignait 600 000 hommes répartis dans onze armées au début de l’année. La Corse avait entretemps été livrée aux Anglais par Pascal Paoli. Toujours face à la Première Coalition, l’action principale se déroulait, une fois de plus, sur la frontière nord-est. La priorité était toujours la conquête de la Belgique. Pichegru, à la tête de l’armée du Nord, devait s’emparer en premier lieu d’Ypres. Restreint par les directives d’hommes non informés de la réalité du terrain, il n’y avait pas de place pour les réactions réfléchies au front. Les représentants du comité de Salut Public, présents sur le terrain, aggravaient la situation.

A l’arrière, la dictature jacobine incorpora les idées, qu’on pourrait qualifier de communistes aujourd’hui, d’Hébert. Paris criait famine, août 1793 faisant écho à août 1792. Alors la réquisition des denrées fut ordonnée, le mercantilisme aristocratique abandonné, la propriété privée affaiblie, la Bourse fermée, les sociétés anonymes supprimées, les banques fermées. Collot d’Herbois, hébertiste convaincu, siégeant désormais au Comité de Salut public, l’action – communiste avant l’heure – fut rapide. La loi de l’accaparement des denrées de première nécessité poussait à la dénonciation et punissait de mort tout écart. Le 29 septembre 1793, la taxation générale des denrées prit la forme du « maximum », instaurant un prix plafond équivalent à la moitié du prix réel, peu importe l’inflation délirante. L’Etat venait, en quelque sorte, d’exproprier les Français. Après avoir saisi le commerce intérieur, l’Etat s’empara de celui de l’extérieur le 30 mai 1794 : la flotte commerciale appartenait désormais à l’Etat, les biens étaient contrôlés, les exportations saisies. Le contrôle s’étendit aux hommes avec les levées de masses ponctuelles.

Le maximum, bradant artificiellement les prix, poussa la population à se jeter sur des denrées qui manquèrent rapidement. Les paysans cachaient les ressources, développant le marché noir. Personne ne vendait plus et la Convention se perdait dans l’administratif, créant des commissaires de tout et n’importe quoi.

Général Jean-Charles Pichegru (1761-1804)

Au front, Pichegru et ses 165 000 hommes, faisaient face à 150 000 Coalisés. Sur l’ensemble du front nord-est, 300 000 Français affrontaient 310 000 Coalisés. Les Français voulaient faire pression sur les ailes coalisées, surtout vers la Belgique ; alors que les Coalisés voulaient eux faire effort sur le centre, c’est-à-dire sur le Rhin. Les deux plans étaient, somme toute, parfaitement contraires. Le 29 mars 1794, les Français attaquèrent sans réellement progresser. Pour autant, l’initiative prise par Pichegru eut un fort retentissement : les Coalisés changèrent leurs plans, Paris n’était plus la cible, la Flandre devenait le théâtre d’opération prioritaire, il fallait protéger la Belgique et détruire l’armée française du Nord. Le feld-maréchal Cobourg prenait le rôle principal.

Les Coalisés recherchaient une bataille d’anéantissement. Les forces convergèrent vers Tourcoing. Malgré un ennemi en supériorité numérique, les Français, notamment la division de Moreau, repoussèrent les Coalisés. Parmi eux, les Anglais du duc d’York qui, non loin de Waterloo, subissaient un revers. Ypres était assiégée par Moreau. Le manque de coordination fut fatal au plan des Coalisés. Le général Jourdan, avec son armée de Moselle, devait aider l’armée du Nord de Pichegru. Pour ce faire, il avait 45 000 hommes. Pendant tout le mois de mai, les Français ne parvinrent pas à franchir la Sambre et à s’emparer de Charleroi. Jourdan arriva, franchit la Sambre et s’empara de Charleroi début juin. Le 14, Cobourg contre-attaqua vers Charleroi. Jourdan et Kléber cédèrent : l’aile droite plia. Jourdan repassa la Sambre dans l’autre sens.

Général Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833)

Pourtant, Cobourg devait rediriger ses efforts vers Ypres pour contrer l’action de l’armée du Nord, lâchant de fait la pression sur Jourdan et Kléber. Il n’eut pas le temps d’aider Clerfayt à rompre le siège d’Ypres. Le général français Macdonald repoussa les Autrichiens le 17 juin et Ypres capitula le 18 avec ses 6 000 hommes. A vouloir être à Ypres et devant Charleroi à la fois, Cobourg perdait sur tous les tableaux : Jourdan passait de nouveau la Sambre, prenant Charleroi dans la foulée. Cobourg, constatant la reddition de Clerfayt et la chute d’Ypres, changea de tactique, prenant Jourdan et Charleroi pour cible principale. Les 63 500 Autrichiens du feld-maréchal de Saxe-Cobourg et les 40 000 Hollandais du prince d’Orange convergeaient vers Charleroi. Cobourg ne savait pas la ville déjà prise par les Français. Jourdan devait ainsi faire face à deux armées, néanmoins séparées par le terrain, qui attaquaient chacune un pan de sa ligne défensive autour de Charleroi. Pour sa défense, Jourdan disposait de 80 000 hommes dont l’aile gauche dirigée par Kléber. Les deux généraux étaient géographiquement proches, écourtant significativement les délais de transmission d’ordres : un facteur clé de réussite à la guerre où le temps perdu ne se rattrape jamais.

Général François Joseph Lefebvre, ici représenté en maréchal d’Empire (1755-1820)

Kléber gardait des hommes en réserve, ce qui fut décisif. Le prince d’Orange attaqua le 26 juin 1794 l’aile gauche française et la fit reculer. Kléber répondit en engageant sa réserve, dont sa propre division, sur le flanc nord du prince d’Orange qui, pris entre deux feux, ne pouvait vaincre. Les Hollandais étaient vaincus mais l’action principale se jouait autre part. Au centre, Cobourg s’empara de la redoute* française principale mais une contre-attaque de Jourdan permit aux Français d’en reprendre le contrôle. L’action principale de Cobourg n’était pourtant pas celle-là mais celle de toute son aile gauche, faisant mouvement contre l’aile droite française. L’archiduc Charles d’Autriche y menait le combat contre la division du général Lefebvre. Cette dernière recula tout en menant des contre-attaques énergiques, jusqu’à Fleurus. L’artillerie occasionna bien des pertes chez les Autrichiens. La situation de Lefebvre s’aggrava lorsque la division de Marceau, qui la rattachait au centre français, partit en déroute. Marceau manqua de se tirer une balle de honte mais le général Soult lui intima de les rallier pour soutenir Lefebvre, ce qu’il fit. Jourdan envoya des renforts sur sa droite en délitement. Du reste, la division Lefebvre vivait un enfer mais tenait ferme à Fleurus face à de courageux Autrichiens. Ces derniers attaquèrent, encore et encore, jusqu’à la fin de la journée. Ils laissèrent 10 000 des leurs sur le champ de bataille, pour 6 000 Français. Cobourg, voyant son offensive principale en échec, retraita. Jourdan remportait la bataille dite de Fleurus.

*Une redoute est une fortification militaire sans angle rentrant, complètement fermée.

A l’arrière, loin des champs de bataille, une longue liste de potentiels condamnés à mort était constituée. Au demeurant, nul besoin de preuve pour écoper de la peine capitale : « La notoriété publique accuse un citoyen de crimes… dont la preuve est dans le cœur de tous les citoyens indignés. » Les riches sont coupables, les talentueux également, car ils pourraient s’enrichir ! La guillotine œuvrait : 149 personnes étaient guillotinées à Cambrai et 392 à Arras en six mois. A Paris, 2 581 personnes furent guillotinées d’octobre 1793 à juillet 1794, dont 1 376 du 10 juin au 27 juillet (9 Thermidor). « La République n’a pas besoin de chimiste, ni de savant. » jugea la justice, condamnant l’un des plus brillants scientifiques du siècle à l’échafaud : Lavoisier. Du reste, ouvriers, artisans et commerçants étaient les plus visés. Paris, gagnée par la misère, voyait de vertigineuses queues se former devant les boucheries et boulangeries, à 2h ou 3h du matin alors que l’ouverture était à 8h. Les premiers étaient servis et parfois massacrés à la sortie par plus fort qu’eux.

Georges Jacques Danton (1759 1794)

Robespierre, lui, entrait au Comité de Salut public pour mener la politique générale et la direction de l’esprit public. Ancien avocat banal, il n’aimait rien : ni l’argent ni les femmes, faisant de lui un dévoué Jacobin. Il suivait les vainqueurs, comprenait la Révolution, maîtrisait la correspondance avec la province, excellent moyen d’influencer les idées en France pour aider le mouvement parisien. Simple, digne, honnête, sans ambition particulière, Robespierre serait l’Incorruptible. Il accusa son ami Danton car il s’écartait du chemin et devait être éliminé, lui qui, usé par la vie politique, s’était retiré à Arras. On vint chercher Danton pour l’obliger à lutter dans une dernière joute politique. C’est que la Convention commençait une chasse aux traitres. Les 14 et 15 mars 1794, Hébert et les hébertistes furent arrêtés, jugés du 21 au 23, guillotinés le 24. Le 30, Danton et Desmoulins (qui se voulait successeur de Marat) furent guillotinés. D’autres députés suivirent le 5 avril. Danton était l’ami de Robespierre et ce dernier fut le témoin de mariage de Desmoulins. Ça n’empêcha par Robespierre de les condamner à mort. Danton dira, sur l’échafaud : « Tu te caches Robespierre, mais tu vas me suivre ! » puis, au bourreau « Tu montreras ma tête au peuple, il n’en voit pas tous les jours de pareilles ! »

Maximilien de Robespierre (1758-1794)

Depuis octobre 1793, la Convention avait imposé le nouveau calendrier républicain pour faire disparaitre le dimanche (les années, mois et même jours changeaient de nom), ce qui achevait les religieux réfractaires (traditionnels). Mais une fois ceux-ci à terre, on relativisait leur différence avec les constitutionnels : on décida d’achever la religion. Fouché, par exemple, obligea les prêtres à se marier, détruisit les croix et signes religieux, flanqua l’entrée des cimetières de l’inscription « La mort est un sommeil éternel » blasphème refusant aux chrétiens le paradis, les enfers et le purgatoire. Biens des constitutionnels, ayant renié Dieu pour la Convention, furent guillotinés. La Convention instaura sa propre religion, celle de l’Etre Suprême, dont la fête fut organisée le 20 Prairial an II (8 juin 1794, dimanche de Pentecôte). Robespierre, qui en présida la cérémonie, devint l’être divin, adulé par le peuple. L’Incorruptible devint vaniteux, ayant pouvoir de vie ou de mort. Certains dénonçaient déjà sa dictature. Robespierre était à son zénith mais des nuages, déjà, s’amoncelaient à l’horizon.

Sources (texte) du double dossier sur la période 1789-1815 :

Gaxotte, Pierre (2014). La Révolution française. Paris : Tallandier, 529p.

Marill, Jean-Marc (2018). Histoire des guerres révolutionnaires et impériales 1789-1815. Paris : Nouveau Monde éditions / Ministère des Armées, 544p.

Lentz, Thierry (2018). Le Premier Empire. Paris : Fayard / Pluriel, 832p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Charles_Pichegru (Pichegru)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Jourdan (Jourdan)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Joseph_Lefebvre (Lefebvre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Jacques_Danton (Danton)https://fr.wikiquote.org/wiki/Maximilien_de_Robespierre(Robespierre)

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