La Première Guerre mondiale (partie VIII) : l’année de la rupture des armées de l’Entente (1917)
Rappel : Au-delà de la chasse aux navires allemand sur les océans lointains, plusieurs batailles navales se déroulèrent en mer du Nord, dans l’espace séparant le Danemark et le Royaume-Uni. Parmi celles-ci, les plus importantes furent la bataille d’Heligoland (1914), la bataille du Dogger Bank (1915) et la bataille du Jutland (1916), toutes des victoires britanniques, bien que celle du Jutland – la plus grande bataille navale de la Première Guerre mondiale – soit une victoire à la Pyrrhus. Ces batailles se déroulèrent dans le même secteur. La raison en était le blocus maritime de l’Entente avec ses barrages de mines (du Nord, de Dover et d’Otrante) bloquant l’accès à l’Atlantique et à la Méditerranée aux empires allemand et austro-hongrois. Ce blocus (1915-1919) causa la mort d’au moins 400 000 civils en les privant de biens de première nécessité. A la jonction des deux empires allemands se trouvait le front italien. En 1916, Cadorna s’y acharnait toujours sur l’Isonzo, en vain et au prix fort. Or, l’Autriche-Hongrie décida, sans en avertir son allié allemand, de transférer des forces du front Est vers celui d’Italie. Si les Italiens en souffrirent, les Russes ne manquèrent pas d’en profiter. L’économie tsariste tournait enfin à plein régime et était en capacité de relancer ses troupes vers l’avant, après le conséquent recul de l’année 1915. Ses troupes étant correctement équipées, le meilleur général russe, Broussilov, lança contre les Austro-Hongrois, sur la partie sud du front de l’Est, une offensive portant son nom (juin-septembre 1916). Si les Russes déplorèrent 850 000 à 1 000 000 de pertes, les Austro-Hongrois perdirent 600 000 à 975 000 hommes et les Allemands 350 000 environ. Les Russes avaient progressé de 100 km, en faisant la plus efficace offensive de la guerre. La démesure de ces chiffres est à mettre en perspective de ceux des batailles de Verdun et de la Somme, infligeant quelque 900 000 pertes aux Allemands entre février et septembre 1916 (pour l’essentiel). Cette impressionnante progression russe convainquit la Roumanie d’entrer en guerre du côté de l’Entente. Pourtant, contrairement à ce que crut Bucarest, les forces des empires centraux n’étaient pas fixées sur les fronts et aucune aide n’était à attendre des Russes depuis le front Est ou des Franco-Britannique depuis Salonique. Même les promesses faites par la Russie et la France pour convaincre la Roumanie n’étaient qu’illusions ; Paris et Petrograd s’étaient secrètement entendues pour ne pas honorer ces promesses à la fin des hostilités. Entrée en guerre à la mi-août 1916, la Roumanie subit une offensive conjointe des forces allemandes, austro-hongroises, bulgares et ottomanes entre novembre 1916 et janvier 1917. Bucarest tomba début décembre 1916 et l’armée se replia dans le nord-est du pays, sous protection russe. Du reste, l’empereur austro-hongrois François-Joseph expira fin novembre 1916 après 68 ans de règne, laissant le trône à Charles, opposé à la guerre. Pendant ce temps, les Franco-Britanniques commençaient à souffrir de la maladie à Salonique et les Russes continuaient d’avancer sur le front caucasien, entrant en Anatolie où ils furent contenus par le général Kemal, affecté en urgence. Plus au sud, les Ottomans assiégèrent une force britannique, qui se rendit, à Kut al-Amara. Dans le sud de l’Afrique, le brillant général Lettow-Vorbeck continuait à résister aux attaques de l’Entente.
Sur le front Ouest, Nivelle avait remplacé Joffre en tant que généralissime et prévoyait non pas une nouvelle offensive sur la Somme comme l’aurait voulu Joffre, mais une double offensive sur les deux saillants de la Somme. Nivelle et Haig préparèrent ainsi des offensives respectivement vers le Chemin des Dames, sur l’Aisne, et à Vimy, proche d’Arras. Un imprévu survint pourtant : les Allemands se retirèrent le 15 mars sur ladite ligne Hindenburg. Le secteur de la Somme fut ainsi totalement abandonné par les Allemands. La raison était simple : raccourcir le front pour pouvoir le tenir avec moins de soldats. Heureusement pour Nivelle, ce recul impacta le secteur qui se trouvait exactement entre le Chemin des Dames et Vimy. La double offensive franco-britannique était encore possible. Début avril 1917, les Britanniques attaquèrent à Vimy.
Les Allemands avaient sous-estimé leur capacité à tenir la ligne et furent surpris. Trop peu de défenseurs occupaient les tranchées. Deux raisons à cela : la préparation d’artillerie britannique fut plus courte que d’habitude et les Allemands avaient détecté les signes avant-coureurs d’une offensive française, et avaient, en conséquence, renforcé le secteur de l’Aisne uniquement. L’offensive britannique précéda de peu celle des Français, suivant en cela les plans, et parut balayer les Allemands sur ce premier jour. La progression de cinq km se fit au prix de pertes minimes et 9 000 Allemands furent faits prisonniers. Pourtant les problèmes fonctionnels et structurels habituels rattrapèrent les assaillants : l’infanterie dut s’arrêter pour attendre les ordres, ce qui l’empêcha d’exploiter la percée. Les réserves allemandes comblèrent la brèche et le succès laissa place à l’habituel échec. Un mois plus tard, l’offensive prit fin sans avoir plus progressé. Pour les Allemands et les Britanniques, seul le chiffre des pertes avait bondi : 150 000 victimes environ, de part et d’autre. Les Français, eux, avaient attaqué le 16 avril. Après cinq jours d’offensives catastrophiques, malgré quelques gains de terrain allant jusqu’à 7 km et une moisson de 28 815 prisonniers Allemands, la bataille prit fin. La France compta 130 000 pertes, dont 29 000 morts, alourdissant le sombre tableau des Britanniques. Nivelle fut limogé le 29 avril. Pétain le remplaça.
Dès l’échec de la bataille du Chemin des Dames débuta ce que l’on nomme les mutineries françaises de 1917. En réalité, ni ce nom, ni celui de « actes d’indiscipline collective » que lui attribuèrent alors les généraux, n’est juste. Indiscipline sous-entend que l’ordre ne règne plus, mutinerie signifie souvent des actes de violence à l’encontre des supérieurs. L’armée française conserva l’ordre et ne violenta pas les supérieurs, bien au contraire, étant donné qu’ils subissaient les mêmes épreuves que les soldats, les officiers étaient très respectés. Les armées françaises, comme l’arrière du pays, tombèrent en réalité dans une grève militaire. Par ailleurs, cette grève toucha la moitié de l’armée et non son ensemble. Cette crise nationale fut prise très au sérieux. Les soldats ne voulaient plus prendre part à ces offensives inutiles et criminelles et n’attaqueront, de fait, plus pendant une année. Par ailleurs, toutes les revendications, ou presque, furent satisfaites : meilleure qualité de nourriture et plus de permissions, pour citer les deux principales. Pour pallier le manque de soldats qui en découla, la défense en profondeur mise en œuvre par les Allemands fut également adoptée par les Français. Le gouvernement et les militaires cherchèrent néanmoins les responsables de ce mouvement : 3 427 soldats comparurent devant une cour martiale, 554 furent condamnés à mort, 49 effectivement exécutés, d’autres condamnés à la prison à vie. Etonnement, les Allemands ne discernèrent pas cette crise et n’en profitèrent pas.
A l’est, une crise bien plus grave secoua la Russie. La guerre engendra de l’inflation, qui fit monter les prix sans que les salaires ne suivent, les grands propriétaires terriens refusant de payer davantage leurs salariés. La pénurie de nourriture fut une conséquence logique de cet enchainement. En Russie, l’économie s’écroula totalement. En janvier, la pénurie alimentaire commença à se faire sentir, bien qu’elle n’atteignît jamais un niveau de famine. En réalité, les récoltes de 1917 furent bonnes, voire très bonnes. Mais les paysans, qui voyaient l’inflation monter, refusèrent de vendre, surtout à l’armée, qui pratiquait un maximum (prix plafond). Un soulèvement populaire s’ensuivit. Les contestataires devinrent plus nombreux et la police commença à tirer dans la foule. Fin février, la crise prit de l’importance et atteignit des sommets le 27. La première révolution russe prit ce nom lorsque les forces de l’ordre se joignirent aux protestants. Une offensive fut envisagée sur Petrograd pour rétablir l’ordre mais Nicolas II la refusa. Finalement, le 2 mars, le tsar abdiqua.
La Russie se retrouva sans gouvernement. C’est Alexandre Kerenski, un homme apte à diriger et de gauche, qui prit le pouvoir. Le gouvernement provisoire s’installa mais la guerre ne se termina pas pour autant. D’ailleurs, même l’Ispolkom et le soviet qu’il représente, c’est-à-dire des rassemblements d’ouvriers ou de paysans, souhaitaient continuer l’effort. Il ne faudrait pas que la révolution tombe entre les mains allemandes qui mèneraient immédiatement une contre-révolution ! Seuls les Bolchéviks voulaient la paix mais n’agissaient pas parce que leurs dirigeants se trouvaient en exil (Lénine et Boukharine l’étaient, tout comme Trotski, bien que ce dernier n’ait pas encore adhéré au parti). L’« offensive Kerenski » fut ainsi décidée à l’encontre de l’ennemi allemand.
Cette offensive était soutenue par un enthousiasme fort et surtout renouvelé. Broussilov fut nommé chef d’état-major. Le 18 juin 1917, l’offensive commence au sud du front, contre les Austro-Hongrois. Si les Russes avancèrent bien pendant deux jours, ils s’arrêtèrent ensuite net car les soldats de première ligne refusaient d’avancer davantage, considérant leur devoir accompli. Or, les soldats de deuxième ligne refusèrent de les remplacer. Les Allemands réagirent en contre-attaquant et reprirent tout le terrain perdu. En juillet déjà, les fondements du gouvernement provisoire vacillèrent. Lénine rentra par ailleurs d’exil avec l’aide expresse des Allemands, qui voyaient en lui le moyen de faire sortir la Russie de la guerre. Arrivé en train spécial que les Allemands firent voyager de Zurich à Petrograd, Lénine allait effectivement mettre à bas Kerenski et la révolution « bourgeoise » de février 1917. Suite aux « évènements de juillet », Broussilov fut remplacé par Kornilov, plus populaire mais moins compétent. Kerenski, avec cette nomination, venait de crucifier son propre pouvoir.
Les Allemands progressèrent et prirent Riga le 20 août, menaçant sérieusement Petrograd. Pourtant, Kornilov, champion des modérés, souhaitait mater l’extrême gauche qui occupait Petrograd en lançant une offensive sur la capitale russe, plutôt que de repousser les Allemands. Kerenski s’efforçait de rassembler tout le monde mais vit son autorité spoliée par la popularité de Kornilov. Ce dernier échoua dans son entreprise. Kerenski démit alors Kornilov de ses fonctions et perdit, de ce fait, non seulement le soutien de la gauche mais aussi celui des modérés : son pouvoir périclitait. Dans la nuit du 24 au 25 octobre 1917, Lénine mena la deuxième révolution russe en prenant les points clés de Petrograd. Le 26 octobre, Lénine forma son gouvernement et sortit de fait la Russie de la Première Guerre mondiale. Un armistice tacite fut accepté par les Allemands.
En Italie, la situation évolua. L’infanterie italienne partit pour la 11e bataille de l’Isonzo qui, du 19 août au 12 septembre 1917, fit 100 000 victimes dans leurs rangs. Il est ici à rappeler que sur ce front, du fait du sol en pierre, les obus faisaient 70% de pertes supplémentaires. Les Autrichiens s’estimèrent incapables de tenir face à une douzième attaque. Pourtant, les Italiens tenaient là une position plus dangereuse qu’avant leur offensive. Les Allemands envoyèrent en Italie plusieurs de leurs meilleures divisions. Cadorna, le chef d’état-major italien, n’était pas habitué à défendre : ce front n’avait guère connu que les assauts répétés des Italiens. Le 24 octobre 1917, alors que Lénine s’apprêtait à prendre le pouvoir en Russie, les Austro-Allemands attaquèrent en Italie.
En passe d’être encerclés, les Italiens ne tinrent plus. Le front s’écroula. Des obus à gaz furent utilisés alors que les masques à gaz des Italiens étaient inutiles. En onze jours, les Austro-Allemands progressèrent de 130 km, firent 275 000 prisonniers et tuèrent 10 000 Italiens. Cette offensive, dite bataille de Caporetto et pouvant être considérée comme la douzième bataille de l’Isonzo, fut l’une des victoires les plus nettes de la guerre. Le 8 novembre, Cadorna fut enfin limogé, remplacé par Armando Diaz qui, à l’instar de Pétain quand il remplaça Nivelle, céda devant les revendications des soldats : plus de permissions furent accordées. Cadorna aura fait fusiller, pour l’exemple, 750 soldats italiens durant la guerre. L’armée italienne, comme l’armée française, ne repartira pas à l’attaque pendant un an.
Sources (texte) :
Keegan, John (2005). La Première Guerre mondiale. Paris : Perrin, 570p.
Sumpf, Alexandre (2017). La Grande Guerre oubliée. Paris : Perrin, 608p.
Marie, Jean-Jacques (2015). Histoire de la guerre civile russe 1917-1922. Paris : Tallandier, 430p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Arras_(1917) (bataille d’Arras)
https://www.14-18hebdo.fr/journal-de-la-grande-guerre-de-quelques-ancetres-des-familles-farret-cambon-et-broquisse-33-avril-1917 (bataille du Chemin des Dames)
https://www.lhistoire.fr/entretien/mutineries-de-1917-sortir-des-id%C3%A9es-re%C3%A7ues (mutineries françaises de 1917)
https://www.sutori.com/en/story/russian-revolution-timeline–c4gAFSUVTcX57ZEfPQarwRAw (révolution de février 1917)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Kerenski (Kerenski)
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_russe#/media/Fichier:1917petrogradsoviet_assembly.jpg (soviet de Petrograd)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Offensive_Kerenski (offensive Kerenski)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lavr_Kornilov (général Kornilov)
https://les-meandres-de-lhistoire.fr/1917-enlisement-et-revolutions-2-2/ (offensive de Caporetto)