La guerre de Sécession (partie XX) : élection de 1864, traitement des prisonniers et marche à la mer (octobre 1864 – février 1865)

La guerre de Sécession (partie XX) : élection de 1864, traitement des prisonniers et marche à la mer (octobre 1864 – février 1865)

Rappel : Sur le théâtre oriental, Grant força Lee à la retraite jusqu’à Petersburg, qu’il assiégea. Richmond n’était plus qu’à une poignée de kilomètres, mais Petersburg tenait. A l’ouest, autre front, même réalité : le général Sherman fit progresser les Fédéraux en Géorgie jusqu’à achopper devant les défenses d’Atlanta. Le général confédéré Johnston, jugé trop prudent, fut alors remplacé par le général Hood sur ordre du président Davis. Ce dernier craignait que Johnston n’abandonne la capitale de la Géorgie sans combattre. C’était remplacer la prudence par l’impulsion. Lincoln, qui allait bientôt devoir faire face à l’élection présidentielle, souffrait de ce que les fronts ne progressaient plus du fait des sièges de Petersburg et d’Atlanta. Pourtant, les pertes s’accumulaient, surtout sur le front oriental. Pour espérer l’emporter aux élections, Lincoln avait besoin d’une victoire. Il l’obtint grâce à Sherman, en septembre 1864, qui emporta Atlanta tandis que le général Sheridan, sur ordre de Grant, annihilait la force du général Early qui menaçait Washington.

Les agents confédérés du Canada, pendant ce temps, tentèrent des soulèvements en Indiana, à New York et à Chicago mais les groupes furent systématiquement noyautés par le gouvernement. Les Fils de la liberté, l’une des plus importantes organisations de ce type et ayant prétendument une grande armée prête à se soulever, était très facile à infiltrer. Certains spécialistes qualifient de « conte de fées » le « grand mythe des complots et des sociétés secrètes subversives de la guerre de Sécession ». C’est négliger une part de vérité. Ces mythes n’étaient pas sans fondements mais leur puissance présumée était très exagérée. Les républicains ne se privèrent pas pour monter le mythe en épingle.

Dans le Missouri, des bandes armées faisaient régner la terreur malgré les tentatives de l’Union pour y imposer l’ordre. Ces bandes de francs-tireurs et résistants multiplièrent les massacres et les exécutions sommaires. La bande de Quantrill était l’une des pires en la matière et l’une des mieux organisées. Le général confédéré Price, en envahissant le Missouri avec 12 000 cavaliers en septembre 1864, espérait réunir la résistance armée et provoquer un soulèvement de la population pour reprendre tout l’Etat. Le soulèvement de la population ne fut pas d’actualité. Price fut en revanche rallié par la bande de Quantrill avec des grands noms tels que Frank et Jesse James ou encore l’horrible William Anderson, dit « Bill le Sanglant ». L’expédition de Price fut matée par les Fédéraux entre le 20 et le 28 octobre, ce qui mit fin à la résistance partisane organisée au Missouri. Cela ne mit cependant pas fin aux troubles. Même après la guerre, les frères Younger et les frères James continuèrent à entretenir des bribes de chaos. Lincoln s’imposa au Missouri pendant les élections et l’esclavage y fut aboli en janvier 1865.

Les démocrates, perdant pied, se rabattirent sur le racisme pour gagner des voix. D’ailleurs, ils repoussèrent le vote du 13e amendement qui devait rendre universelle l’abolition de l’esclavage. Les démocrates inventèrent le néologisme « mixtogénétique » pour prêter à Lincoln une volonté de fusionner les races. « Abraham Ier l’Africain » fut la cible de nombreuses attaques telle que celle d’un hebdomadaire catholique : « Même si on laisse de côté la question du sang noir qui souille ses veines, Abe Lincoln […] est un être brutal dans toutes ses habitudes. […] Il est obscène […]. Il est bestial […]. D’immondes nègres d’un noir profond, dégoulinants de graisse et de sueur, parfaitement répugnants, coudoient à présent les Blancs et même les Dames partout, fut-ce aux réceptions présidentielles. » le Président était également le « faiseur de veuves » qui aimait « moins son pays et davantage les nègres. » Mais la question raciale ne pouvait convaincre autant que les victoires militaires.

Au début de la guerre, les échanges officiels de prisonniers étaient courants entre les deux camps. L’Union avait rechigné à signer un accord officiel qui aurait donné à la Confédération le statut de belligérant mais accepta finalement d’en signer un avec une « armée belligérante » le 22 juillet 1862. Les prisonniers devenaient trop nombreux. Mais c’est surtout les Confédérés qui ne voulaient pas nourrir toutes ces bouches. En 1863 pourtant, les échanges cessèrent car les Confédérés refusaient de reconnaitre les Noirs comme des prisonniers. Étant leur propriété qu’on leur avait volée, ils comptaient bien les remettre en esclavage ou les exécuter. Grant avait libéré sur parole 30 000 prisonniers de Vicksburg, tout comme Banks avec 7 000 prisonniers de Port Hudson. Ces libérations sur paroles sous entendaient une promesse de la part du prisonnier de ne pas se réengager dans l’armée adverse : une pratique commune depuis bien longtemps dans les guerres occidentales. La Confédération en remobilisa une bonne partie, ce qui scandalisa le Nord. Grant exigea du Sud une politique d’égalité raciale pour que les échanges reprennent, en plus d’un dédommagement pour les prisonniers réutilisés de Vicksburg et Port Hudson. La Confédération refusa. Ces raisons expliquent la cessation définitive des échanges de prisonniers.

Du reste, les deux camps se rendirent coupable d’un bien mauvais traitement des prisonniers. Dans les camps du Sud, les prisonniers n’avaient parfois aucun abri et très peu de nourriture. Le pire d’entre eux fut celui d’Andersonville, proche d’Atlanta en Géorgie où furent parqués 33 000 soldats de l’Union (en août 1864) pour une capacité initialement trois fois moindre. Pourtant, ce n’était pas la pire prison sudiste concernant le taux de mortalité. Car alors que 29% des détenus d’Andersonville trouvèrent la mort de maladie, malnutrition etc, 34% des détenus (sur 10 321 hommes) succombèrent dans celle de Salisbury. La comparaison avec le Nord est de mise : la pire des prisons nordistes, celle d’Elmira, fit 24% de morts parmi ses détenus. En règle générale, les conditions d’incarcération étaient meilleures au Nord et les rations bien plus généreuses. Du moins le furent-elles jusqu’en 1864 où le ministre de la Guerre de l’Union réduisit la ration des prisonniers confédérés à celle qui était théoriquement accordée aux prisonniers de l’Union (rations qui, en pratique, était encore moindre dans le Sud).

Pour la dureté de ses camps et de ses manières, il ne faut pas imputer au Sud un plan intentionnel. La Confédération manquait simplement de tout. Les Confédérés ne parvenaient pas même à nourrir leur population et leurs armées, le bois était utilisé pour rétablir les kilomètres de rails que les Fédéraux arrachaient, on manquait de toute façon de clous pour bâtir des baraquements et le Sud ne possédait pas les usines permettant de travailler le coton pour en faire des tentes. Richmond accusa souvent Washington de ne plus accepter les échanges de prisonniers mais n’acceptait pas non plus d’accéder aux conditions nordistes. Se basant sur une déclaration de Grant en 1864, certains disent également que l’Union ne voulait pas échanger des soldats mieux portants qui pourraient se battre contre des soldats mal nourris. Cette hypothèse ne s’appuie sur aucune preuve tangible. La question de l’émancipation justifia la politique de Lincoln même quand des prisonniers squelettiques furent envoyés par le Sud, déclenchant une vague de fureur au Nord.

19 Etats permirent le vote des soldats (majoritairement républicains) en 1864. Quelques autres comme l’Indiana, l’Illinois et le New Jersey, sous législature démocrate, ne l’autorisèrent pas, sans surprise. Lincoln fit son possible pour tout de même obtenir ces voix en demandant aux généraux d’accorder le plus de permissions possibles aux soldats de ces Etats. Dans les 12 Etats qui comptabilisèrent de manière séparée les votes des soldats, Lincoln obtint 119 754 des votes et McClellan 34 291. Dans ces Etats, le Président obtint 78% des suffrages des soldats contre 53% des suffrages civils. En réalité, Lincoln aurait gagné sans les soldats, mais ceux-ci l’aidèrent à obtenir une victoire écrasante avec 212 grands électeurs contre 21 pour McClellan. Lincoln s’imposa et instaura une législature républicaine dans tous les états sauf le Kentucky, le Delaware et le New Jersey. Le Congrès allait être aux 3/4 républicain.

Résultats de l’élection présidentielle de novembre 1864.

Alors que Davis faisait une tournée pour monter le moral dans la Confédération, Hood contourna Sherman pour attaquer ses arrières et progresser vers le Tennessee au nord. Sherman le pourchassa un temps avec de décider de prendre la direction opposée. Il persuada Grant et Lincoln de le laisser progresser au sud, vers la Caroline du Sud pour couper une nouvelle fois en deux le morceau oriental de la Confédération. Il laissa 60 000 hommes sous les ordres de Thomas pour pourchasser Hood et marcha avec 62 000 hommes vers la Caroline du Sud en ne rencontrant presque aucune résistance. L’armée de l’Union devint une armée de « rafleurs », dévastant tout sur son passage.

Pendant ce temps, Forrest avait repris du service. Il accompagnait Hood et ses 40 000 hommes. Le commandant confédéré comptait recruter 20 000 hommes sur son passage et ensuite abattre l’armée de l’Union de Thomas. Il eut l’occasion, fin novembre, de lutter contre seulement la moitié des Fédéraux, dirigés par Schofield. Il en résulta une attaque frontale des Confédérés contre de solides positions fortifiées. Les protestations des généraux n’y firent rien, la bataille de Franklin fut un terrible gâchis : Hood perdit 7 000 hommes le 30 novembre 1864, occasionnant trois fois moins de pertes aux 30 000 hommes de Schofield. Ce dernier recula néanmoins pour rejoindre Thomas à Nashville. Hood, ayant peur qu’une retraite ne fasse déserter ses hommes, décida de planter son armée devant Nashville.

Vision tactique de la bataille de Franklin (30 novembre 1864).

Les politiques et les militaires, dont Grant, pressèrent Thomas d’agir. Celui-ci prit son temps. Il se mit en route alors que Grant s’apprêtait à le relever de son commandement pour son attentisme. Le 15 décembre, 50 000 Fédéraux fondirent sur 25 000 Confédérés. La stratégie de Thomas était de donner des coups de butoir avec son aile gauche et de frapper fort avec son aile droite. Les combats, acharnés, firent reculer Hood. Le lendemain, Thomas appliqua la même stratégie et fit enfin céder l’armée adverse : la gauche confédérée s’effondra, emmenant le reste de l’armée à sa suite. Le 19 décembre, de l’autre côté de la Confédération, Sherman prit Savannah et rejoignit l’Océan.

« Marche à la mer » de Sherman (Atlanta – Savannah) ainsi que sa marche vers Goldsboro.

La Confédération était épuisée. Le dollar atteignit 2% de sa valeur de 1861. C’est que le blocus était désormais géré par 671 navires de l’Union et que tout le littoral était sous domination fédérale : le plan anaconda venait de devenir réalité. De surcroît, le Nord mobilisait un million d’hommes et pouvait en enrôler d’autres. L’industrie nordiste atteignit des sommets après des difficultés en 1861-1862 – dues à la sécession du Sud – : la production de charbon était à son pic, celle de fer était de 29% plus élevée en 1864 que le précédent record du pays entier en 1856 ; la production houillère était 21% supérieure aux meilleures années de production du pays entier avant-guerre ; davantage de navires étaient produits pour la marine marchande qu’avant-guerre ; le trafic ferroviaire avait augmenté de 50%. En 1864, l’Union produisait largement assez de fusils et d’artillerie pour équiper ses troupes et n’achetait plus à l’étranger. La production de beurre augmenta, celle de blé fut plus forte en 1862 et 1863 que l’année record la plus récente du pays entier (1859). L’Union doubla ses exportations de blé, de maïs, de porc et de bœuf pendant la guerre.

Dans le Sud, l’industrie se développa très rapidement également en partant pourtant de rien ; mais la guerre en annihila tous les progrès par ses destructions systématiques dans les grandes villes confédérées. La guerre fit naître un tissu économique sudiste et transforma ensuite ce même Sud en désert économique. Pour la Confédération, la guerre tua 1/4 des hommes blancs en âge de servir, 2/3 des troupeaux, détruisit la moitié des machines agricoles ainsi que des milliers de kilomètres de voies ferrées, dévasta les fermes et le système de main-d’œuvre. Pas moins de 2/3 des richesses de la Confédération disparurent au cours de la guerre. D’après les calculs de recensement, le capital agricole et industriel du Sud chuta de 46% (74% si on compte les esclaves comme capital) entre 1860 et 1870 tandis que celui du Nord augmentait de 50%. En 1860, les Etats du Sud possédaient 30% de la richesse nationale, en 1870 plus que 12%. Alors que la demande de biens de consommation par habitant était égale avant la guerre, celle du Nord supplantait celle du Sud de 56% après la guerre. Le revenu moyen des sudistes passa de 2/3 de la moyenne nordiste avant la guerre aux 2/5 après la guerre. Les conséquences économiques de la guerre furent terribles pour le Sud.

L’automne 1864 venu, les nordistes se préparèrent enfin à prendre le fort Fisher. Celui-ci permettait aux forceurs de blocus de ravitailler l’armée de Lee en ralliant le port de Wilmington. Cette opération, sans cesse repoussée, était enfin la priorité de l’Union depuis la chute du fort Sumter. Si le Nord avait tant tardé, c’est que ce fort était l’un des plus puissants de la Confédération. Fait de terre et de sable, pour des murs de huit mètres d’épaisseur, et protégé par de la végétation le rendant peu vulnérable à l’artillerie, défendu par 2 000 hommes, 47 gros canons et un champ de mines, le fort Fisher était difficilement prenable. L’amiral David P. Porter rassembla près de 60 navires de guerre et de transport – la plus grande flotte du conflit – avec quelque 6 500 hommes. Benjamin Butler était le plus haut gradé et dirigeait l’opération. Ce général politique fut, jusqu’à la réélection de Lincoln, impossible à relever de ses fonctions. L’échec de Butler devant le fort Fisher en décembre 1864 et la réélection de Lincoln permirent à Grant de le limoger et de le remplacer par le brillant général Alfred Terry le 8 janvier 1865. Terry mena à bien l’opération terrestre tout en faisant pilonner le fort par la flotte le 13 janvier ; l’écrasant sous 800 tonnes de projectiles et sectionnant les fils permettant le déclenchement des mines. Terry en profita pour attaquer la face nord du fort le 15 janvier avec 4 500 hommes et la face sud avec 2 000 marins et fusiliers marins. Au prix de 1 000 des siens, il s’empara de la place.

Vision tactique de l’attaque du général Terry (1827-1890) – représenté en haut à gauche – sur le fort Fisher confédéré en janvier 1865.

Entre l’action de Sheridan dans la vallée de la Shenandoah et la chute du fort Fisher, Lee perdit une part importante de son ravitaillement. C’était pourtant la dernière force armée tangible de la Confédération. Le seul ravitaillement restant était celui en provenance des deux Caroline. Wilmington tomba à son tour, tout comme la dernière partie du littoral de Caroline du Nord. Les désertions dans l’armée de Lee, soit du fait d’une volonté de protéger sa famille pour les Caroliniens, soit du fait du désespoir, se chiffraient en centaines par jour. En février 1865, l’armée de Lee perdit 8% de ses effectifs par les désertions. Jefferson Davis ne savait que faire. Certains estimaient, au Congrès confédéré, une dictature militaire exercée par Lee nécessaire. De fait, Davis accepta de le nommer général en chef, titre qui réduisait les pouvoirs du Président. Davis n’en souffrit pas trop car les deux hommes s’entendaient bien.

Une délégation fut envoyée pour rencontrer les nordistes et discuter de la paix. Lincoln, accompagné de Seward, rencontra Alexander Stephens (vice-président), Robert M. T. Hunter (président provisoire du Sénat) et John A. Campbell (adjoint au ministre de la Guerre et ancien juge de la Cour suprême des États-Unis) sur le navire de l’Union River Queen, au large de Hampton Roads, le 3 février 1865. Lincoln ne lâcha rien, ses conditions ne changeaient pas : seule la capitulation, le rétablissement de l’Union et l’abolition de l’esclavage pouvaient mener à la paix. Lincoln se montra conciliant en évoquant une possible indemnisation pour les possesseurs d’esclaves, mais le budget pour un tel projet fut refusé par le Congrès nordiste qui venait d’adopter le treizième amendement sur l’abolition universelle de l’esclavage. Lincoln promit en revanche de pardonner et amnistier les différents dirigeants de la Confédération s’ils se rendaient.

Davis se montra outré et déclara haut et fort que dans moins d’un an, la situation aura été renversée par la glorieuse armée confédérée. Pourtant, celle-ci était réduite comme peau de chagrin et cantonnée dans Petersburg, incapable de défendre le reste du territoire.

Source (texte) :

McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_am%C3%A9ricaine_de_1864 (résultats de l’élection présidentielle de 1864)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Franklin (bataille de Franklin)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marche_de_Sherman_vers_la_mer (marche vers la mer)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fort_Fisher (attaque sur le fort Fisher)

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