Brièvement : le règne de Louis XIV (1/2), de l’aube au zénith (1643-1678)
En 1517, les 95 thèses de Martin Luther donnèrent naissance au protestantisme. Cette nouvelle religion, dérivée du catholicisme, considérée comme une hérésie par le pape, gagna de nombreux Etats allemands du Saint Empire romain germanique, puis plusieurs Etats du nord de l’Europe. Cette nouvelle « religion prétendue réformée » engendra nombre de guerres, dont les huit guerres de Religion en France (1562-1598). En Allemagne, la situation se stabilisa avec la paix d’Augsbourg de 1555, permettant au protestantisme d’exister. Seulement, au début du XVIIe siècle, Ferdinand, fervent catholique, fut désigné héritier du Saint Empire romain. Alors, juste avant qu’il ne monte effectivement sur le trône (1619), les protestants d’Allemagne se liguèrent contre lui en 1618. La guerre de Trente Ans (1618-1648), débuta. Depuis 1556, les Habsbourg s’étaient scindés en deux branches : celle d’Espagne et celle d’Autriche. Ferdinand II de Habsbourg fut donc aidé par la branche espagnole de sa maison, dirigée par Philippe III, roi d’Espagne. Les Pays-Bas espagnols, en révolte depuis 1568, brisèrent une trêve et affrontèrent de nouveau Madrid à partir de 1621.
En France, le début du règne de Louis XIII avait été perturbé par la révolte de la noblesse, opposée à la centralisation du pouvoir de l’Etat absolu amorcé par Henri IV. Le roi prit le cardinal de Richelieu pour principal ministre à partir de 1624. Celui-ci lutta contre le soulèvement des protestants en France (huguenots) et réprima les soulèvements de la noblesse. En politique extérieure, il en allait autrement. L’objectif principal de Richelieu était de desserrer l’étau que formaient les deux branches habsbourgeoises autour du territoire français. Qu’importe que Louis XIII soit surnommé le roi Très-Chrétien, que la France soit la « fille aînée de l’Eglise », que sa politique intérieure s’applique à combattre les protestants français (huguenots) et que le principal ministre, chef d’orchestre de cette politique, soit un cardinal catholique (Richelieu) : la France fit passer ses intérêts géopolitiques et stratégiques avant la logique religieuse. Richelieu souhaitant voir déchoir les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, tous deux catholiques, subventionna les ennemis protestants de Vienne (surtout la Suède protestante) et de Madrid (soutenant la révolte indépendantiste des Provinces-Unies calvinistes). Après une décennie de « guerre de renard » à subventionner les ennemis des Habsbourg, la France engagea ses armées dans la guerre de Trente Ans, mais surtout contre l’Espagne, en 1635.

A partir de 1643 et la bataille de Rocroi, remportée par le prince de Condé, la France enchaina les succès militaires jusqu’à la fin de la guerre et amena la majorité des belligérants à faire la paix par les traités de Westphalie (octobre 1648). Si celle-ci fut très bénéfique pour la France, elle ne fit plier que l’Autiche et les Etats allemands. L’Espagne de Philippe IV, elle, resta confiante et prolongea la guerre franco-espagnole pour onze années. Or, en France, les impôts avaient été décuplés dans les années 1630 pour financer la guerre, faisant monter un sourd mécontentement.
Car au XVIIe siècle, l’Etat français tendait vers l’absolutisme, c’est-à-dire la centralisation. Pour ce faire, celui-ci se structurait, récoltait mieux les impôts et imposait davantage, ce qui engendra des révoltes antifiscales répétées dans les milieux ruraux. Pourtant, ces impôts ne suffisaient pas à couvrir les coûts démesurés de la guerre, poussant l’Etat à emprunter non seulement aux banques italiennes, mais également aux « Grands ». Ces membres de l’aristocratie gardaient de ce fait une puissance significative. De par leur puissance, les « Grands » entretenaient une large clientèle, plus dévouée envers eux qu’envers le roi. Cette aristocratie profita des difficultés de la guerre pour s’opposer à cette structuration de l’Etat qui, en tendant vers la centralisation, rognait leurs prérogatives, notamment par le développement d’un clientélisme ministériel. Le surintendant des Finances, Patricelli d’Emery, décida dans les années 1644 d’imposer la bourgeoisie proportionnellement à leurs moyens par de nouvelles taxes. Une manière d’éviter d’écraser plus encore le monde rural qui s’était révolté à de multiples reprises déjà. La bourgeoisie s’indigna auprès du Parlement. Les parlementaires, qui appartenaient à la même classe sociale, ne se firent pas prier pour défendre ces contestataires. En 1848, la rente de l’Hôtel de Ville, du fait de l’argent qui rentrait mal, avaient trois années de retard, ce qui aggrava la grogne à Paris. Dans ce contexte explosif, trois « Grands » formèrent des clans : Orléans (l’oncle du roi, Gaston), Condé (Louis Bourbon) et Vendôme (César Vendôme) ; auxquels s’ajouta le parti dévot (Gondi), héritier de la Ligue catholique des guerres de Religion. La Fronde fut, ainsi, une réaction d’une partie de l’aristocratie et de la noblesse de robe contre la transformation en profondeur du royaume opérée depuis un demi-siècle ; elle fut une tentative infructueuse de mise sous tutelle de la monarchie en mutation vers l’absolutisme, par les corps privilégiés ; une lutte des parlementaires pour garder leurs privilèges, des officiers contre les commissaires royaux et une conspiration des « Grands » contre la concurrence du clientélisme ministériel. La Fronde ne fut pas une révolution : dans un système où tous, propriétaires d’offices, courtisans et membres de l’élite militaire étaient unis par des intérêts communs, personne ne souhaitait aller jusqu’à la rupture complète. Toutefois, son ampleur la rendait incomparable aux épisodes de séditions, notamment antifiscales, secouant les campagnes depuis la fin du XVIe siècle. La Fronde fut une crise générale du régime et de la société, une guerre civile.
Alors que les traités de Westphalie étaient en négociation, Mazarin décida de lever davantage de fonds en saisissant des loyers illégaux et en vendant de nouvelles charges, provoquant la colère de Paris et le soulèvement du Parlement en janvier 1648. Mazarin tenta de le soudoyer, de le corrompre, ou d’y créer des dissensions mais la magistrature resta soudée, déclarant l’arrêt d’Union le 13 mai. Le peuple soutenait le Parlement, alors Mazarin fit mine de céder. Le 9 juillet, la Chambre Saint-Louis, ébauche d’assemblée constituante, rédigea 27 articles mettant l’Etat sous tutelle en donnant le pouvoir judiciaire à la noblesse robine. Le plus inquiétant était que ce contre-pouvoir avait un droit de surveillance sur les impôts. La bataille de Lens (21 août 1648), remportée par l’armée royale de Condé, changea la situation. Mazarin et Anne d’Autriche (veuve de Louis XIII et régente) décidèrent de fuir Paris pour l’assiéger. Paris prit les armes et Condé refusa d’assiéger la ville, faute de moyens. Devant cette impasse, Mazarin décida de négocier et signa le traité de Saint-Germain le 23 octobre, donnant force de loi aux 27 articles de la Chambre Saint-Louis.

Les accords de Westphalie tombant le 24, la régente décida d’à nouveau fuir Paris pour en faire le blocus, en janvier 1649. Le Parlement souleva à nouveau la capitale, exigeant l’exil de Mazarin, déclaré « ennemi du roi et de l’Etat » (les deux camps disaient lutter pour le roi), mais aucune province ne soutint le mouvement. Anne d’Autriche convoqua les états généraux en mars. Mazarin tenta à nouveau à diviser ses ennemis. Tandis que certains, comme Gondi et Bouillon (frère de Turenne, ce dernier rejoignant d’ailleurs la Fronde), cherchaient le soutien de l’Espagne pour le plus grand plaisir de Philippe IV, toujours en guerre contre la France, d’autres, plus modérés, négociaient. Un accord de paix fut trouvé avec Molé, parlementaire modéré. Mazarin débaucha alors une partie significative des soldats de Turenne pour amener Gondi et Bouillon à signer l’accord. Le 1er avril, à Saint-Germain, la paix réduisit les articles de la Chambre Saint-Louis de 27 à 11 et garanti l’amnistie aux frondeurs. Condé, véritable vainqueur, devint trop puissant et trop exigeant, prétendant diriger le pays avec la régente. Au premier faux pas, Mazarin et Anne d’Autriche se rapprochèrent de Gondi et Gaston. En janvier 1650, Condé fut arrêté à Paris. Ce ne fut pas du goût de certaines hautes personnalités. Alors que prenait fin la Fronde parlementaire, s’ouvrait la Fronde des princes.

Mazarin et Anne d’Autriche s’appliquèrent à reprendre le territoire du roi de France. La Normandie, la Bretagne puis Bordeaux tombèrent sous la férule royale, tandis que les frondeurs, méfiants les uns envers les autres, ne parvenaient pas se coordonner pour prendre Paris. Mais le fait de tenir prisonnier Condé sans véritable raison poussa les princes à s’allier contre la « tyrannie » ministérielle de l’Italien. Ensemble, ils poussèrent Mazarin à l’exil début 1651, juste après l’adoption d’un traité d’union des Frondes, qui proposait un régime mixte, ne laissant qu’un pouvoir symbolique au roi. La gentilhommerie, qui n’avait rien à gagner à voir l’aristocratie prendre le pouvoir, s’y opposa. Condé fut libéré et déclaré tuteur de la régente. Mazarin depuis l’Allemagne et Anne d’Autriche en France s’échinèrent à brouiller les frondeurs entre eux, jouant sur la crainte de prépondérance de l’un d’eux et sur les récompenses. Le 5 septembre 1651, Louis XIV, fêtant ses 13 ans, devenait majeur selon l’ordonnance signée par Charles V au XIVe siècle. Le jeune roi neutralisa instamment son oncle le Grand Monsieur, nomma son gouvernement et partit à la conquête de son royaume. Le Grand Condé, lui, s’allia avec l’Espagne contre le roi de France, bientôt rejoint par Gaston d’Orléans, oncle du roi : la Fronde des princes s’éloignait de ses objectifs initiaux.

Turenne, mal considéré, passa dans le camp royal et sauva l’Etat en remportant une victoire stratégique sur Condé. Le 6 août 1652, le roi ordonna au Parlement de le rejoindre à Pontoise. Celui-ci refusant, Louis XIV forma un parlement de fortune qui vota le renvoi de Mazarin. Ceci était une ruse imaginée par le principal intéressé pour ôter au Parlement de Paris son principal argument. La capitale espérait d’ailleurs le retour de son roi ; obligeant Condé à fuir vers le nord pour prendre la tête de forces espagnoles. Le 21 octobre 1652, Louis XIV rentra sans Paris en liesse. Après avoir donné un lit de justice au Louvre – fait exceptionnel et humiliant pour les parlementaires – il amnistia les frondeurs, à l’exception des meneurs. Mazarin, rappelé par le roi, fit son retour le 3 février 1653. Le dernier bastion des frondeurs Bordeaux tomba en juillet. Le pays était dévasté mais la guerre civile terminée. De bonne récoltes effacèrent une partie des stigmates mais certaines cicatrices impérissables, marquant le jeune roi, poussèrent la France vers l’absolutisme.

Il fallait rattraper le terrain perdu face à l’Espagne. Dès la fin de la Fronde (juillet 1653), Louis XIV contre-attaqua. S’appuyant sur son meilleur général, le maréchal Turenne, et un jeune ingénieur du nom de Vauban, il dégagea Reims pour s’y faire sacrer (juin 1654) et repoussa les forces hispano-condéennes jusqu’aux frontières du royaume, reprenant les places une par une. La guerre franco-espagnole marqua le véritable déclin de la prépondérance hispanique en Europe. Pour autant, Louis XIV devait grassement payer ses fidèles pour qu’ils le restent. Entre 1654 et 1657, la France et l’Angleterre se rapprochèrent et conclurent plusieurs traités contre l’Espagne, tandis que le Portugal remporta l’importante victoire de Badajoz en 1656. La situation espagnole devenait intenable. Pendant ce temps, Ferdinand III d’Autriche passa l’arme à gauche en avril 1657. Louis XIV aurait alors pu poser sa candidature pour la succession à la tête du Saint Empire romain germanique, mais s’abstint, préférant profiter de cet instant de faiblesse du candidat de la maison habsbourgeoise pour sceller des alliances avec plusieurs Etats du Saint Empire dans l’optique de restreindre l’Empereur et donner davantage d’indépendance aux souverains germaniques. En 1658, Français et Anglais attaquèrent les Pays-Bas espagnols. Menacé sur tous les fronts, Philippe IV signa le traité des Pyrénées en 1659.

Si Philippe IV acceptait de faire la paix, il se refusait à rapprocher Louis XIV de sa succession, car le jeune fils unique du roi d’Espagne était chétif et fragile. Hésitant sur la question du mariage entre sa fille et le roi de France, il attendait également de Louis XIV qu’il pardonne son allié le Grand Condé. Mazarin, fin politique, organisa un faux mariage du roi de France avec la maison de Savoie pour faire réagir l’Espagne. Philippe IV imposa immédiatement le mariage franco-espagnol comme condition sine qua non. Louis XIV, amoureux de la nièce de Mazarin, Marie Mancini, fit des siennes mais accepta finalement le sacrifice pour raison d’Etat. Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne, abandonnait tout héritage sur les terres espagnoles en se liant au roi de France, moyennant le paiement d’une dot généreuse. Le mot « moyennant » balaya les efforts de Philippe IV d’Espagne pour protéger sa succession car l’Espagne étant ruinée, elle n’avait ni les moyens ni l’intention de payer la dot. Qu’importe, pour l’heure, le traité de Pyrénées était scellé. Il entérinait la prépondérance française sur le continent et le déclin de l’Espagne. La France gagna nombre de territoires, clarifia ses frontières, pardonna Condé et participa à l’organisation du mariage. L’Europe renouait réellement avec la paix et plongeait dans l’absolutisme (France, Angleterre, Danemark, Brandebourg). Les années 1660 et 1661 marquèrent ainsi un tournant politique. Mazarin, quant à lui, était au sommet de sa gloire et dirigeait presque seul la France, bien que le roi soit majeur. Le cardinal décéda le 9 mars 1661, paisiblement. Il disparaissait juste avant que Louis XIV n’ait à l’écarter du pouvoir pour régner seul.

Le roi de France prit la direction du pays, aidé par les ministres que feu le cardinal laissait à sa disposition. Pourtant, tout le monde pensait que le roi allait se désintéresser bien vite des affaires régaliennes. Il fallait au roi un exemple pour montrer son sérieux. Cet exemple serait un certain Fouquet.

Ayant servi Le Tellier puis Mazarin, Fouquet s’était imposé durant les difficiles années 1950 comme un bon surintendant des finances, dénichant des fonds malgré la guerre et la faiblesse de l’Etat. Pourtant, à la mort de Mazarin, celui-ci ambitionna la place de principal ministre et trouva sur son chemin Colbert. Ce dernier accusa Fouquet de malversations financières, usa de diffamation mais rapporta également de véritables éléments, comme le fait que le surintendant se bâtissait une véritable forteresse en Bretagne, en cas de disgrâce. Fouquet commit également de graves impairs en tentant de faire de la maitresse du roi une espionne ou encore en révélant qu’il avait pour informateur le confesseur de la reine mère. Persuadé des bons sentiments du roi, il lâcha son immunité de procureur, s’attendant à une promotion. Il fut alors arrêté sur ordre du roi et subit un procès largement inégal. Fait unique dans l’Histoire, Louis XIV usa finalement de son droit de grâce pour empirer la sentence prononcée par le tribunal après de longues années de procès. Fouquet fut emprisonné à vie et décéda en 1680. Si l’affaire Fouquet montra la détermination du roi, elle mit également fin à son état de grâce lorsque le peuple se mit à soutenir l’accusé.
Le règne de Louis XIV s’inscrivit dans la continuité de la monarchie absolue bourbonienne. Mais absolu ne signifiait pas sans limite : le pouvoir royal était limité par les lois fondamentales du royaume, la peur de la sanction divine si le roi se montrait sacrilège et la responsabilité de tout un peuple. Le souverain pouvait être condamné par ses tribunaux et était le garant d’un équilibre, une fragile hiérarchie que la sanction d’un individu pouvait briser en faisant craindre aux autres individus un sort similaire. L’Etat passait avant le roi, comme le laissait deviner la loi salique pour la succession. Louis XIV voulait régner seul, mais non sans l’aide de ses ministres : il se montra enclin à la collégialité, aux antipodes de nombre de souverains autoritaires. Le Roi-Soleil fut moins belliciste que Richelieu et Mazarin et chercha à protéger ses sujets. Par-là, il fut un précurseur du « despotisme éclairé » du XVIIIe siècle. Il fut aidé et même influencé par ses principaux ministres, au premier rang desquels se trouvaient Colbert, Le Tellier ou encore le fils de celui-ci : Louvois, deux familles rivales. Le pouvoir de Colbert devint considérable : il s’occupait des finances, de l’économie, du quart de l’administration générale, d’une bonne partie des affaires de justice, des bâtiments, des manufactures, de la maison du roi, de la cour, de Paris, de la marine, des colonies et de quelques missions spéciales du roi. Les Le Tellier s’emparèrent des non moins importantes prérogatives de la guerre, l’administration militaire et la diplomatie. Ainsi se formèrent deux des grandes dynasties ministérielles. Le pouvoir des parlementaires fut par ailleurs considérablement amoindri et le pouvoir des provinces tout à fait effacé, réduisant le risque de révolte.


Dès le début de son règne personnel, Louis XIV donna le ton par les préludes à la magnificence. Ces préludes furent différentes affaires sur lesquelles le roi de France se montra intraitable et obtint gain de cause. Ceux-ci revêtirent différentes formes : une altercation entre les ambassadeurs espagnol et français à Londres, la primauté du salut en mer entre les Français et les Anglais ou encore une exacerbation des tensions avec un Saint-Siège se montrant peu conciliant, menant à une fusillade à Rome contre l’ambassadeur de France. Philippe IV d’Espagne présenta ses excuses, tout comme le pape, tandis que Charles II d’Angleterre accepta de ne donner la primauté à aucune des deux nations. Louis XIV fit également rapidement transparaître sa puissance par la propagande, s’appuyant sur les bâtiments et le mécénat. Contrairement à une idée reçue, il n’abandonna jamais sa capitale et y construisit nombre d’édifices, parmi lesquels les Invalides ou les Tuileries. Il se fit enfin mécène de nombreux artistes, écrivains, musiciens ou chercheurs pour renforcer la gloire de la France. De nombreuses académies furent fondées sous son règne, assurant un rayonnement culturel. Gardons-nous de comparer cette propagande à celle des régimes autoritaires du XXe siècle : la propagande louis-quatorzienne, si elle mettait beaucoup en avant le roi, ne le faisait que pour la gloire de la France, car le roi la représentait. Il n’était pas question d’un culte de la personnalité différent de ses prédécesseurs ou semblable à celui mis en place par les régimes totalitaires.
Le règne de Louis XIV fut longuement occupé par la guerre, mais cela était tout à fait commun pour un souverain européen du XVIIe siècle ; ses voisins firent autant, voire plus la guerre que lui. D’ailleurs, la guerre n’était pas encore considérée comme horrible, ni la paix comme autre chose qu’une trêve. Chaque royaume étant le patrimoine du souverain, celui-ci faisait la guerre pour gagner quelques terres ou défendre des intérêts. Ce fut justement ce XVIIe siècle qui, avec des armées toujours plus massives et des guerres longues et ruineuses, amorça un changement des mentalités. La main passa alors plus encore à la diplomatie au XVIIIe siècle. Or, celle-ci jouait déjà un rôle clef dans le XVIIe siècle. La diplomatie française de Louis XIV fut supérieure en cela qu’elle profita de la conjoncture : l’Empereur était en retrait, l’Italie divisée, l’Espagne décadente, tout comme la Suède et le Danemark, tandis que la France était riche et prestigieuse, à la démographie forte et disposant d’une clientèle développée. Tellement riche que, jusqu’à Nimègue (1678), Louis XIV joua des subsides, payant en particulier l’Angleterre, la Suède et des princes allemands. Cela ne déboucha pourtant sur aucune alliance pérenne, notamment parce que Louis XIV était souvent seul à respecter la parole donnée. La diplomatie française fut efficace parce que des ministres talentueux la dirigèrent tout au long du règne et parce que le roi donna à la diplomatie, comme aux autres « domaines réservés » – la guerre, la marine – une attention particulière.
Sous le règne de Louis XIV, la famille Le Tellier s’occupa d’améliorer l’armée, en plus d’en accroître les effectifs. Une hiérarchie claire, la fin de la vénalité des charges, l’établissement d’une intendance et de magasins, Le Tellier, son fils Louvois et son petit-fils Barbezieux modernisèrent largement l’armée française, malgré une adoption assez tardive du fusil. Pour ses guerres, Louis XIV mobilisa 72 000 hommes en 1667, 120 000 en 1672, 280 000 en 1678 puis 380 000 pendant la guerre de Succession d’Espagne, bien que ces effectifs soient sûrement quelque peu surévalués du fait d’unités jamais au complet. Pourtant, l’armée de Louis XIV ne fut pas parfaite (un service de santé défaillant, la persistance du recrutement frauduleux, du pillage et des désertions). Les fortifications furent d’abord partagées entre Colbert et Louvois. Mais celui qui dota la France de sa « ceinture de fer » fut l’ingénieur Vauban, expert en poliorcétique qui porta les fortifications françaises à un haut degré de sophistication et devint un proche du roi. La Marine ne fut pas en reste. Entretenue par Richelieu mais abandonnée par Mazarin, Colbert et son fils Seignelay eurent alors la lourde tâche de relever la Royale. Ils dotèrent la France, en quelques décennies seulement, de nombreuses infrastructures navales et de la première flotte du monde. D’une dizaine de navires de guerre en 1661, la France passa à 194 bâtiments en 1671. Mais tout ceci coûtait cher à l’Etat, particulièrement en temps de guerre. En 1683, année de paix armée, sur les 115 millions de livres de dépenses, 65,28 millions allèrent aux dépenses militaires (56,7%), 80% en 1692, puis 50% en 1697, année de la paix de Ryswick. Avec la guerre de Succession d’Espagne, les dépenses militaires atteignirent 71% dès 1702. De la même manière, la dette financière passa de 8% en 1694 à 23% en 1695 puis à 76% en 1699. La France, contrairement aux Provinces-Unies en 1609 et l’Angleterre en 1694, ne disposait pas d’une banque nationale rendant l’endettement peu coûteux. Le pays n’était pas encore une monarchie administrative capable de faire face à une guerre longue sans endettement excessif, mais plutôt une monarchie militaire qui put survivre par ses investissements militaires (construction de la ceinture de fer, de ports, d’une flotte, politique d’armement donnant des emplois, etc.).


La France, pour renforcer sa frontière nord-est, devait s’emparer de quelques territoires des Pays-Bas espagnols. Or, Philippe IV d’Espagne, à l’article de la mort et disposant d’une succession chancelante, était tout à fait opposé à cette ambition. Refusant toute demande d’intégration de la France dans son testament, l’Espagne poussa Louis XIV à préparer une nouvelle guerre franco-espagnole dès la mort de Philippe IV survenue. Pour ce faire, le roi de France isola l’Espagne de l’Autriche grâce à des alliances en terres allemandes et en soutenant la rébellion hongroise contre Vienne. Cependant, les relations avec Etats germaniques se compliquèrent : Louis XIV voulait une souveraineté totale sur l’Alsace et la Lorraine, question laissée floue par les traités de Westphalie. Pire, le Roi-Soleil porta assistance à l’archevêque de Mayence pour réprimer une rébellion protestante en 1664, ingérence très mal perçue en terres allemandes. Le roi de France chercha ensuite la neutralité de l’Angleterre et cultiva l’alliance néerlandaise, Amsterdam étant un ancien ennemi viscéral de l’Espagne. La deuxième guerre anglo-néerlandaise (1665-1667) vint d’abord perturber le jeu diplomatique français, forçant Louis XIV à choisir un camp, mais devint bientôt une opportunité : celle-ci occupait deux grandes puissances maritimes tandis que Philippe IV d’Espagne venait de mourir (septembre 1665). Louis XIV était décidé à obtenir une partie de la succession espagnole.

Louis XIV mit en branle ses armées en 1667. Il ne déclara pas la guerre, car il était question d’entrer en possession de terres qui lui revenaient selon le droit de « dévolution » de son épouse. Turenne emmena l’armée en Flandre où il écrasa les Espagnols. En janvier 1668, inquiète de la puissance française, l’Angleterre forma la Triple Alliance avec la Suède et les Provinces-Unies, pourtant deux alliées de la France depuis des décennies. Cette Triple Alliance fit pression sur Louis XIV pour l’empêcher d’annexer les Pays-Bas espagnols. Le roi proposa une paix raisonnable.
Dès 1669, Louis XIV réfléchissait à remettre le couvert. Sa principale motivation était de châtier les Provinces-Unies, cet allié de longue date l’ayant trahi et restreint lors de la guerre de Dévolution. Pour cela, le Roi-Soleil devait isoler Amsterdam et séparer la Triple Alliance. Charles II d’Angleterre, bridé par sa cour, offrit dès 1669 de s’engager dans une « guerre contre inconnu » avec la France en échange de subsides. Enchanté, Louis XIV signa secrètement avec son cousin un accord en 1670. En parallèle, il envoya le seigneur de Pomponne, homme de paix, comme ambassadeur de France aux Provinces-Unies. Une manœuvre qui avait pour but d’endormir la vigilance néerlandaise. Louis XIV noua des traités avec plusieurs Etats allemands en 1669 et 1670 puis, cette même année, s’occupa d’un autre problème : le duc de Lorraine, qui, échaudé par les invasions françaises récentes, n’avait pas démobilisé. Le roi de France occupa alors tout bonnement la Lorraine de 1670 à 1697. La Diète du Saint Empire romain germanique protesta contre pareil coup de force en temps de paix. L’Empereur en fit autant. Mais ni Léopold Ier, ni Louis XIV n’avaient intérêt à aller jusqu’à la rupture ; le premier était menacé par la révolte hongroise et les armées ottomanes, le second ne souhaitait pas voir Vienne aider Amsterdam. Le 1er novembre 1671, Grémonville parvint à signer un accord de neutralité avec l’Empereur. La république batave ne parvint pas à déceler tous ces signes avant-coureurs et ne commença à se méfier qu’en janvier 1672. Amsterdam n’ayant pas respecté un accord passé avec la Suède, était en passe de perdre ce dernier appui. Stockholm se tourna vers son vieil allié français le 11 avril 1672. S’en était fini de la Triple Alliance. Il était temps : le 23 mars 1672, Charles II d’Angleterre, pressé de recevoir ses subsides, avait attaqué une soixantaine de navires marchands hollandais et déclaré la guerre le 28. Louis XIV suivit le 6 avril, juste avant de signer avec la Suède. Loin d’envoyer un héraut déclarer la guerre, comme le voulait la tradition, Louis XIV publia un manifeste déclinant ses mobiles.


Tout le sud du pays tomba en quelques semaines devant Turenne. Parvenu à proximité d’Amsterdam et alors qu’une offre de paix très généreuse, dépassant tous les objectifs de la France, lui était transmise, le Roi-Soleil eut l’hubris de la rejeter et de formuler des demandes hors-sol. Ce fut la seule et unique fois, durant le règne de Louis XIV, que celui-ci montra une ambition dépassant clairement son « pré-carré ». Agissant ainsi, il condamna le régime modéré de Jean de Witt et décrédibilisa toute issue négociée, favorisant l’émergence de Guillaume d’Orange. Déjà capitaine général (donc général en chef des armées hollandaises), celui-ci devint, à l’âge de 22 ans, stathouder le 8 juillet 1672, tandis que les frères de Witt étaient assassinés par une foule en colère en août. Louis XIV venait d’offrir le pouvoir à ce qui sera sans doute son ennemi le plus déterminé. Par désespoir, les Néerlandais brisèrent les digues, inondant une partie du territoire et faisant d’Amsterdam une île. L’occupation française stimula la résistance néerlandaise par ses excès. Surtout, l’Europe, craignant une hégémonie française, se réveilla. Durant l’été 1673 se forma la grande alliance de La Haye entre l’Empereur, la régente d’Espagne, le duc de Lorraine et le prince d’Orange, proposée par ce dernier. En 1674, les alliés de la France firent défection. Après avoir tenu tête, Louis XIV perdit ses deux meilleurs généraux en 1675 : Turenne (tué) et le Grand Condé (retraite) ; il opta dès lors pour une stratégie défensive. Du reste, le Saint Empire vit également son meilleur général, le maréchal de Montecuccoli, prendre sa retraite.



Pour financer la guerre, Colbert, qui avait vertement critiqué Fouquet dans sa gestion financière par le passé, eut recours aux mêmes expédients que lui, écrasant les sujets par la fiscalité. Il en résulta une nouvelle révolte paysanne qui ébranla l’arrière en France. En 1677, malgré les nombreuses victoires militaires françaises, les négociations piétinaient. Percevant avec inquiétude la possibilité d’une déclaration de guerre de l’Angleterre contre son ancien allié français, Louis XIV décida en 1678 de mener une grande offensive puis fit une offre de paix généreuse aux Provinces-Unies. Les marchands d’Amsterdam, las, acceptèrent volontiers et signèrent la paix de Nimègue le 10 août 1678. Progressivement, la paix fut conclue avec les différents belligérants. La France et les Provinces-Unies furent les grandes gagnantes de cette paix, tandis que l’Espagne en sortait grande perdante. Nimègue donna à la France la Franche-Comté et nombre de territoires au nord, formant une frontière homogène. L’Empereur tenta de récupérer l’Alsace mais se confronta à la fermeté française. Nimègue, zénith du règne de Louis XIV, coïncida avec le déménagement de la cour à Versailles. Le Roi-Soleil, malgré des finances mises à mal, avait finalisé la construction de ce château et poussa la noblesse à s’y installer, lui permettant de mieux la contrôler. La Fronde était loin.

Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Oury, Clément (2020). La guerre de succession d’Espagne, la fin tragique du Grand Siècle. Paris : Tallandier, 528p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.
Sources (images) :
https://www.lhistoire.fr/portfolio/carte%C2%A0-la-guerre-de-trente-ans-1618-1648 (carte récapitulative de la guerre de Trente Ans)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_d%27Autriche_(1601-1666) (Anne d’Autriche)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Mazarin (Mazarin)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_II_de_Bourbon-Cond%C3%A9 (Grand Condé)
https://www.photo12.com/fr/image/asi15a00_014 (sacre Louis XIV)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Th%C3%A9r%C3%A8se_d%27Autriche_(1638-1683) (Marie-Thérèse d’Autriche)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Fouquet (Fouquet)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Colbert (Colbert)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Le_Tellier_(homme_d%27%C3%89tat) (Le Tellier)
https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9bastien_Le_Prestre_de_Vauban (Vauban)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Michel_Le_Tellier_de_Louvois (Louvois)
https://www.youtube.com/watch?v=UY9P0QSxlnI&t=600s&ab_channel=Cottereau (carte de l’Europe en 1666)
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