Règne de Louis XIV (partie III) : la Fronde parlementaire (1648-1650)
Rappel : Au XVIIe siècle, l’Etat français tendait vers l’absolutisme, c’est-à-dire la centralisation. Pour ce faire, celui-ci se structurait, récoltait mieux les impôts et imposait davantage, ce qui engendra des révoltes antifiscales répétées dans les milieux ruraux. Pourtant, ces impôts ne suffisaient pas à couvrir les coûts démesurés de la guerre, poussant l’Etat à emprunter non seulement aux banques italiennes, mais également aux « Grands ». Ces membres de l’aristocratie gardaient de ce fait une puissance significative. De par leur puissance, les « Grands » entretenaient une large clientèle, plus dévouée envers eux qu’envers le roi. Cette aristocratie profita des difficultés de la guerre pour s’opposer à cette structuration de l’Etat qui, en tendant vers la centralisation, rognait leurs prérogatives, notamment par le développement d’un clientélisme ministériel. Le surintendant des Finances, Patricelli d’Emery, décida dans les années 1644 d’imposer la bourgeoisie proportionnellement à leurs moyens par de nouvelles taxes. Une manière d’éviter d’écraser plus encore le monde rural qui s’était révolté à de multiples reprises déjà. La bourgeoisie s’indigna auprès du Parlement. Or, les parlementaires, qui appartenaient à la même classe sociale, ne se firent pas prier pour défendre ces contestataires. En 1848, la rente de l’Hôtel de Ville, du fait de l’argent qui rentrait mal, avaient trois années de retard, ce qui aggrava la grogne à Paris. Dans ce contexte explosif, trois « Grands » formèrent des clans : Orléans (l’oncle du roi, Gaston), Condé (Louis Bourbon) et Vendôme (César Vendôme) ; auxquels s’ajouta le parti dévot (Gondi), héritier de la Ligue catholique des guerres de Religion. La Fronde fut, ainsi, une réaction d’une partie de l’aristocratie et de la noblesse de robe contre la transformation en profondeur du royaume depuis un demi-siècle, en particulier une forte poussée centralisatrice sous Louis XIII ; elle fut une tentative infructueuse de mise sous tutelle de la monarchie, en mutation vers l’absolutisme, par les corps privilégiés ; une lutte des parlementaires pour garder leurs privilèges, des officiers contre les commissaires royaux et une conspiration des « Grands » contre la concurrence du clientélisme ministériel. La Fronde ne fut pas une révolution : dans un système où tous, propriétaires d’offices, courtisans et membres de l’élite militaire étaient unis par des intérêts communs, personne ne souhaitait aller jusqu’à la rupture complète. Toutefois, son ampleur la rendait incomparable aux épisodes de séditions, notamment antifiscales, secouant les campagnes depuis la fin du XVIe siècle. La Fronde fut une crise générale du régime et de la société, une guerre civile.
Du 7 au 9 janvier 1648, la moyenne bourgeoisie parisienne manifesta au Palais de Justice contre la saisie de ses loyers. Des décennies plus tôt, certains avaient construit sans autorisation, mais sans rencontrer d’opposition, sur des terrains royaux à Paris. Mazarin avait décidé de saisir les loyers pour faire rentrer de l’argent. Le 11 janvier, le pouvoir réagit par décret. La reine fut huée. Dans la nuit du 11 au 12, des mousquetades éclatèrent à Paris. La troupe rétablit l’ordre promptement. Les 13 et 14, manifestations et mousquetades reprirent. C’est dans ce contexte que l’Etat vendit de nouvelles charges au détriment d’officiers. Ceux-ci saisirent le Parlement. Les trésoriers exigeaient pour leur part la suppression des commissaires et intendants. Mazarin, occupé par le traité de paix (Westphalie), tenta de résoudre le problème par le chantage et la corruption, en vain. Le Parlement se souleva en refusant d’enregistrer des édits litigieux. Un lit de justice houleux prit place le 15 janvier. Le 16, le Parlement déclara l’enregistrement effectué sous la contrainte « une formalité sans valeur » : le bras de fer venait de commencer.
En avril, Mazarin favorisa le Parlement pour diviser la magistrature. Mais celle-ci ne tomba pas dans le piège et se montra unie en déclarant l' »arrêt d’Union » le 13 mai. Le pouvoir tenta de les intimider mais, soutenu par le peuple, le Parlement confirma l’arrêt d’Union et Mazarin fit mine de céder. Du 30 juin au 9 juillet 1648 furent rédigés les 27 articles des « broussellistes » dans la Chambre Saint-Louis. Cette ébauche d’assemblée constituante supprima intendants et commissaires extraordinaires, rétablit les impôts « en forme ancienne » (par l’intermédiaire des trésoriers et des élus), diminua le montant de la taille du quart (mesure purement populiste), donna à la cour souveraine le droit de consentir à la levée des impôts, sans possibilité d’y contrevenir par lit de justice, institua l’habeas corpus pour tous les sujets (personne ne peut être détenu plus de 24h sans être interrogé et rendu à son « juge naturel ») bien avant qu’il ne le soit par l’Angleterre (1679, appliqué en 1689), supprima le pouvoir de cassation des arrêts de la cours souveraine par le conseil du roi, instaura des mesures protectionnistes, autorisa la liberté de négoce dans le royaume, etc. En clair, la noblesse de « robe longue », c’est-à-dire la magistrature, prenait l’autorité judiciaire et entendait contrôler le gouvernement au moyen de ce contre-pouvoir. C’était une démarche assez éloignée de la Révolution française en cela que les magistrats n’étaient qu’une oligarchie de fonctionnaires propriétaires de leurs charges, non élus par le peuple. Les mesures les plus graves résidaient dans le droit de surveiller l’application des édits bursaux (c’est-à-dire les impôts), faisant du Parlement la force principale de l’Etat. Le Parlement, gardien des lois fondamentales du royaume, les violaient ici allègrement car la souveraineté en France n’était pas partageable. Mazarin sacrifia d’Emery, surintendant des Finances, et fit mine de se plier à ce diktat inacceptable. Les discours de Broussel et Blancmesnil redoublèrent d’insolence. Les Grands profitèrent de la faiblesse momentanée du régime pour réclamer des terres et du pouvoir.
La situation fut modifiée par la brillante victoire de Condé à Lens sur les Espagnols le 21 août 1648. Mazarin crut l’heure de la revanche arrivée et décida de déployer des troupes le 26 août. Broussel et Blancmesnil furent arrêtés. Alors, Paris s’éveilla et gronda. Quelque 600 barricades furent hérissées dans la capitale. Les émeutiers réclamaient la libération de Broussel. Le pouvoir céda le 28 août 1648 et Paris s’apaisa. L’opération de police avait été un fiasco. Le 12 septembre, prétextant l’assainissement du palais après que ses deux fils ont été touchés par la variole, la régente emmena ses enfants et Mazarin à Rueil, exila le garde des sceaux, Châteauneuf, et fit emprisonner Léon Bouthillier, comte de Chavigny (fils de Claude Bouthillier, membre du conseil de régence), tous deux soupçonnés de complicité avec les émeutiers. Anne d’Autriche fit converger 4 000 mercenaires allemands de l’armée de Condé vers la capitale. Alerté de l’arrivée de l’armée, le Parlement ralluma le soulèvement de Paris. Condé refusa d’assiéger la capitale, faute de moyens, et proposa de négocier. Mazarin approuva. Le 22 octobre 1648, Anne d’Autriche signa à regret le traité de Saint-Germain, donnant force de loi aux 27 articles de la Chambre Saint-Louis. Affaiblie, la monarchie était placée sous la tutelle de ses propres officiers. Mais ce n’était que trêve : le 24 octobre furent signés les traités de Westphalie, mettant fin à la guerre de Trente Ans. La situation extérieure s’améliorait, mais la guerre contre l’Espagne perdurait. Les premières mazarinades apparurent dans les rues de Paris.
Les adversaires du pouvoir tentèrent de se concilier le prince de Condé, en vain. Alors, ils se tournèrent vers son cadet, depuis toujours frustré de vivre dans l’ombre de son aîné. Celui-ci, répondant au nom de Conti, accepta de devenir le généralissime de l’opposition. Il était pourtant loin d’avoir les qualités militaires de son frère Louis. La Fronde se nourrissait du déchirement que subissait la famille Condé. La régente, elle, tenta de garder le soutien du prince de Condé tout en s’assurant de celui de la maison d’Orléans. Anne prévoyait une seconde fuite de Paris (cette fois vers Saint-Germain) pour assiéger Paris et briser la Fronde. Elle passa à l’action dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649. Paris prit immédiatement les armes mais les cours souveraines en province ne suivirent pas les Parisiens : la majorité des magistrats en France ne souhaitait pas la guerre civile. Le Parlement suivit Broussel et exigea, le 8 janvier, l’exil de Mazarin, déclaré « perturbateur du repos public » et « ennemi du roi et de l’Etat ». Mais Paris demeurait seule. La régente établit un blocus de la capitale mais convoqua en parallèle les Etats généraux le 15 mars, à Orléans, preuve que sa fermeté n’était qu’apparente. Rappelons que chaque camp œuvrait au nom du roi, les parlementaires souhaitant le libérer de l’influence de sa mère. L’aîné des Condé semait la terreur autour de Paris avec 12 000 hommes et le cadet était bien incapable de l’en empêcher.
À nouveau, Mazarin poussa la régente à la négociation. Le 9 février 1649, Charles Ier Stuart, oncle de Louis XIV et beau-frère d’Anne d’Autriche, avait été exécuté en Angleterre suite à la révolution. La cour de Saint-Germain en fut horrifiée. Henriette de France, sœur de Louis XIII et épouse du défunt Charles, ainsi que sa fille Henriette d’Angleterre (future belle-sœur de Louis XIV) et ses deux fils (le prince de Galles et le duc d’York, les futurs Charles II et Jacques II d’Angleterre) se réfugièrent en France. Il était à craindre que la Fronde prenne similaire chemin. Mazarin chercha à diviser ses ennemis : la Fronde n’était pas homogène, certains bourgeois et parlementaires modérés s’inquiétaient des pillages et de la politique aventureuse des meneurs du soulèvement, tandis que Bouillon et Gondi voulaient trouver le soutien de l’Espagne pour sauver la Fronde. Le maréchal Turenne, frère de Bouillon, qui tutoyait Condé au rang du plus talentueux général français, rejoignit par ailleurs la Fronde, excédé des vaines promesses de Mazarin de reconnaître sa famille, les La Tour d’Auvergne, comme princes étrangers (dignité revendiquée pour le duché de Bouillon et la principauté de Sedan). Les modérés pensaient la France perdue et tout ceci faisait bien les affaires d’un Philippe IV d’Espagne en menaçant de ruiner quinze années d’efforts de guerre. Le 11 mars 1649, Mazarin signa un accord de paix avec Molé, parlementaire modéré. Le 17, une partie significative de l’armée de Turenne fut débauchée pour 1,5 million de livres par le banquier munitionnaire de Mazarin. Réaliste, Gondi accepta de signer la paix de Saint-Germain le 1er avril, réduisant les articles de la Chambre Saint-Louis de 27 à 11 et garantissant une amnistie générale aux frondeurs, dont Turenne, pourtant coupable d’un crime de lèse-majesté.
Le vrai vainqueur était Condé, sans qui la monarchie aurait sombré. Mais celui-ci devint trop puissant et trop exigeant. Certains lui en voulaient d’avoir permis à Mazarin de rester, même affaibli, à la tête de l’Etat. Et Condé lui-même songeait désormais à diriger la France avec la régente. Il disposait de la puissance et de la popularité nécessaires. Dès lors, Mazarin et Anne d’Autriche attendirent sa première faute. Ils l’y amenèrent en accédant à une ancienne demande du prince de Marcillac, soutenu par Condé : que son épouse intègre le cercle de la reine (privilège du tabouret) et qu’il obtienne le droit d’entrer en carrosse dans le Louvre. Deux privilèges uniquement accordés aux princes du sang, aux ducs et aux pairs, à des hommes, donc, au-dessus de son rang. La bourgeoisie et la noblesse s’insurgèrent, demandant le même traitement ou du moins à ce que ne soit pas créée une nouvelle strate de bourgeoisie. Finalement, les ducs et pairs s’entendirent sur l' »acte d’Union » qui demandait l’affaiblissement de Condé mais surtout le retour de réunions fréquentes des états généraux pour réformer le royaume. Le futur Louis XIV pouvait ôter d’un coup de plume les articles de la Chambre de Saint-Louis une fois sa majorité atteinte ; il n’en allait pas de même pour un retour des états généraux contrôlant la monarchie. Condé recula, constatant ce que sa demande engendrait. En un automne, Mazarin continua la guerre avec l’Espagne, réprima des désordres dans le Midi, surveilla la frontière du Nord et créa des dissensions entre les partis frondeurs. Jamais il ne fut plus intelligent qu’en cet automne 1649.
D’ailleurs, Condé fut l’artisan de sa propre chute. Il revint à la charge en encourageant un de ses fidèles à courtiser la régente. Celle-ci, outragée, balaya l’homme en se moquant de lui. Condé exigea alors qu’elle pardonne son fidèle et le reçoive à nouveau, sans quoi « il y aurait bien du bruit ». Cette odieuse insolence et impardonnable atteinte à la dignité de femme de la régente poussa Anne d’Autriche à s’allier avec l’ancienne Fronde contre Condé. Elle se rapprocha ainsi de Gondi et des Orléans, en premier chef Gaston, en passant par Mme de Chevreuse et l’abbé de Rivière. Les rebelles se dissociaient. Le 18 janvier 1650, Condé, son frère Conti et Longueville furent convoqués et arrêtés au Palais-Royal. Les Parisiens allumèrent des feux de joie, pensant la guerre civile terminée. À vrai dire, elle ne faisait que commencer. Mazarin et Anne d’Autriche venaient de faire une erreur tactique majeure. Immédiatement, la duchesse de Longueville (sœur de Condé) et Marcillac s’enfuirent en Normandie, Turenne s’enferma dans Stenay (sur la Meuse), … La « Fronde des princes » venait de débuter.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Mazarin (Mazarin)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_II_de_Bourbon-Cond%C3%A9 (Grand Condé)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Armand_de_Bourbon-Conti (Conti)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Maurice_de_La_Tour_d%27Auvergne_(1605-1652) (Bouillon)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Paul_de_Gondi (Gondi)