Règne de Louis XIV (partie IV) : la Fronde des princes (1650-1653)
Rappel : Alors que les traités de Westphalie étaient en négociation, Mazarin décida de lever davantage de fonds en saisissant des loyers illégaux et en vendant de nouvelles charges, provoquant la colère de Paris et le soulèvement du Parlement en janvier 1648. Mazarin tenta de le soudoyer, corrompre, ou d’y créer des dissensions mais la magistrature resta soudée, déclarant l’arrêt d’Union le 13 mai. Le peuple soutenait le Parlement, alors Mazarin fit mine de céder. Le 9 juillet, la Chambre Saint-Louis, ébauche d’assemblée constituante, rédigea 27 articles mettant l’Etat sous tutelle en donnant le pouvoir judiciaire à la noblesse robine. Le plus inquiétant était que ce contre-pouvoir avait un droit de surveillance sur les impôts. La bataille de Lens (21 août 1648), remportée par l’armée royale de Condé, changea la situation. Mazarin et Anne d’Autriche décidèrent alors de fuir Paris pour l’assiéger. Paris prit les armes et Condé refusa d’assiéger la ville, faute de moyens. Devant cette impasse, Mazarin décida de négocier et signa le traité de Saint-Germain le 23 octobre, donnant force de loi aux 27 articles de la Chambre Saint-Louis. Les accords de Westphalie tombant le 24, la régente décida d’à nouveau fuir Paris pour en faire le blocus, en janvier 1649. Le Parlement souleva à nouveau Paris, exigeant l’exil de Mazarin, déclaré « ennemi du roi et de l’Etat » (les deux camps disaient lutter pour le roi), mais aucune province n’aida la capitale. Conti, petit frère de Condé, fut nommé généralissime dans le camp adverse mais fut bien incapable de se mesurer à son aîné. Anne d’Autriche convoqua les états généraux en mars. Mazarin tenta à nouveau à diviser ses ennemis. Tandis que certains, comme Gondi et Bouillon (frère de Turenne, ce dernier rejoignant d’ailleurs la Fronde), cherchaient le soutien de l’Espagne pour le plus grand plaisir de Philippe IV, toujours en guerre contre la France, d’autres, plus modérés, négociaient. Un accord de paix fut trouvé avec Molé, parlementaire modéré. Mazarin débaucha alors une partie significative des soldats de Turenne pour amener Gondi et Bouillon à signer l’accord. Le 1er avril, à Saint-Germain, la paix réduisit les articles de la Chambre Saint-Louis de 27 à 11 et garantie l’amnistie aux frondeurs. Condé, véritable vainqueur, devint trop puissant et trop exigeant, prétendant diriger le pays avec la régente. Au premier faux pas, Mazarin et Anne d’Autriche se rapprochèrent de Gondi et Gaston. En janvier 1650, Condé, son frère Conti et son beau-frère Longueville furent arrêtés à Paris. Ce ne fut pas du goût de certaines hautes personnalités. Alors que prenait fin la Fronde parlementaire, s’ouvrait la Fronde des princes.
Mazarin et la régente comprirent qu’il fallait agir vite en remplaçant les gouvernements dans les provinces par de plus fidèles et en se rendant sur place avec le jeune roi pour convaincre la gentilhommerie. Mazarin et Anne d’Autriche luttèrent pour la Normandie puis placèrent Monsieur en Bretagne pour partir reprendre Bordeaux. Mais Monsieur sapa le travail royal en laissant les opposants s’exprimer. Fin 1650, Mazarin reprit Bordeaux. À l’est, les forces des princes ne surent se coordonner pour réellement menacer Paris. De fait, la Fronde ne parvenait à l’emporter parce que chaque parti craignait de rendre le voisin trop fort, empêchant toute coordination.
À Paris, le paysage politique était partagé entre Mazarin, Gondi et Condé. Les deux premiers étaient alliés de circonstance mais se méfiaient l’un de l’autre. Gondi, par son alliance avec la reine, avait perdu en popularité et demandait sa récompense, que Mazarin différa avec peu de tact le 25 novembre 1650. Il n’en fallait pas plus pour pousser de nouveau le coadjuteur dans le camp adverse. Gondi se rapprocha des princes et, ce faisant, rapprocha l’ancienne et la nouvelle Fronde. La cause des princes gagnait du terrain : une partie des soutiens naturels du trône (Molé, Châteauneuf) était convaincue de la nécessité de libérer les trois prisonniers, retenus sans chef d’accusation clair (Condé, Conti et Longueville). Monsieur rejoignit, pour cette raison, Gondi. À la méfiance envers Condé, superbe et arrogant, s’était substituée la crainte de l’Italien et sa « tyrannie » ministérielle. Mazarin avait désormais face à lui la pire conjoncture possible : les deux princes les plus puissants du royaume luttaient ensemble (Condé et Gaston d’Orléans, dit Monsieur). En décembre, le Parlement exigea la libération des princes. En janvier 1651, Molé, qui avait sauvé la régence deux ans plus tôt, insista auprès de la reine. Mazarin préféra la fuite à la prison et prit le chemin de l’Allemagne début février 1651. Châteauneuf alerta Gaston d’Orléans du projet du ministre. Mazarin parti, Monsieur s’assura que la régente et le roi ne bougeraient pas de Paris. Celle-ci, effectivement sur le départ, recoucha à la hâte son fils tout habillé pour prétendre n’avoir aucune intention de fuir. Les Parisiens s’étaient massés dehors et Gondi, qui les menait et échauffait leur esprit, permit à la foule de venir vérifier que le roi était dans son lit, défilant par dizaines devant la royale couche dans la nuit du 9 au 10 février 1651. Celui-ci en fut marqué à vie.
Le 30 janvier 1651 fut signé un traité d’union des Frondes. Gaston était l’homme fort et promit de faire libérer ses cousins. Monsieur pensait ainsi s’attacher la reconnaissance des princes en question. Gaston d’Orléans convoqua une assemblée de la noblesse qui accoucha d’un projet devant faire de la monarchie française un régime « mixte » contrôlé par l’aristocratie et ne laissant au roi qu’un pouvoir symbolique. Ce libéralisme était fort déplaisant pour la gentilhommerie qui était fidèle à la couronne ; celle-ci s’opposa à cette idée, ne souhaitant pas voir les Grands contrôler le royaume. Le Parlement refusa aux gentilhommes la convocation des états généraux. Une troisième fronde se préparait. La tension grimpant, les états généraux furent convoqués à Tours pour le 8 septembre 1651. Mais la date fut plusieurs fois repoussée, à vrai dire jusqu’au 5 mai 1789. Heureusement pour le gouvernement, le clergé restait fidèle. Une opposition des trois ordres aurait pu condamner le régime, tout comme la convocation des états généraux. C’est d’ailleurs ce qui se produisit en 1789. Pour l’heure, la régente était placée sous la férule de Condé, M. Le Prince.
Mazarin, depuis l’Allemagne, tout en entretenant une correspondance quasi quotidienne avec Anne d’Autriche, repoussa les avances du roi d’Espagne. Le cardinal savait qu’il ne pourrait revenir tant que Condé serait puissant. La seule solution était de renouer avec Gondi, de nouveau brouillé avec M. le Prince. Mazarin savait qu’en se rapprochant de Châteauneuf et Mme de Chevreuse, il pourrait atteindre Monsieur et le convaincre du nécessaire revirement. Comme par le passé, la régente trouva Gondi et lui promit le titre de cardinal, dont il rêvait, pour se l’attacher. Le prince de Condé passait à nouveau pour l’homme à abattre. Le 31 juillet 1651, le carrosse de Condé avait croisé celui du roi sans s’arrêter. Ultime insolence pour un homme qui méprisait le jeune Louis. Il avait bien tort, le jeune homme gagnait en majesté et aiguisait finement son sens politique de jour en jour. Le 17 août, Anne d’Autriche contre-attaqua par une déclaration au Parlement : elle acceptait certes l’éloignement de Mazarin mais dénonçait les manœuvres subversives de Condé, accusé de vouloir prendre le pouvoir. Pour autant, elle dut, le 5 septembre, demander aux magistrats une amnistie pour M. le Prince et un bannissement « à perpétuité » de Mazarin. Ce fut la dernière humiliation. Ce même jour, Louis fêtait ses 13 ans, soit l’âge auquel Charles V avait fixé la majorité des rois de France par une ordonnance au XIVe siècle.
Le 7 septembre 1651, une cérémonie fut organisée en grande pompe pour célébrer la majorité du roi et la fin de la régence. Condé ne daigna pas venir. Louis XIV ne perdit pas une seconde : il ignora les menaces de Gaston d’Orléans qui perdit ses titres et, par là même, sa puissance. Le 8 septembre, conformément au traité signé avec les Gondi-Chevreuse, Louis XIV nomma Châteauneuf premier ministre, Mathieu Molé garde des sceaux et le marquis de Vieuville surintendant des finances. Après quoi, le roi dut partir à la reconquête de son royaume : si la majorité du roi avec eut de l’effet à Paris, il n’en allait pas de même dans le reste du royaume. Louis de Bourbon, le Grand Condé, s’allia avec l’Espagne pour lutter contre Louis XIV. Il luttait pour ses propres intérêts, loin de l’esprit initial de la Fronde. Louis XIV prit la tête de 4 000 hommes et se basa à Poitiers. Au nord, la défection des régiments condéens affaiblissait le roi, tout comme la défection de Marsin au sud, qui condamnait par son choix la poussée française en Catalogne. Cependant, les La Tour d’Auvergne, se sentant pas assez considérés par les Condé, changèrent de camp. Bouillon reçut des terres, le titre de prince et la fonction de ministre d’Etat au conseil ; tandis que son petit frère, Turenne, satisfait quand son aîné l’était, se contenta du commandement de la moitié des troupes royales.
La situation se serait améliorée si la reine mère n’avait pas rappelé, en décembre 1651, Mazarin. Son retour souleva le Parlement qui, après avoir été un exemple de lenteur pour déclarer Condé, Conti, Mme de Longueville, Nemours et La Rochefoucauld criminels de lèse-majesté, s’empressa de mettre la tête du cardinal à prix (150 000 livres). Gaston d’Orléans signa de suite un manifeste avec Condé réclamant l’expulsion de l’Italien, tout en précisant que Monsieur était en désaccord sur « l’union avec les Espagnols » de Condé. Orléans leva des hommes. L’association d’un Fils de France et du premier prince du sang était plus légitime que celle d’un jeune roi prisonnier de sa mère et d’un étranger tyrannique. Nombreux furent ceux qui suivirent les illustres Gaston d’Orléans et Louis de Bourbon.
Louis XIV disposait, pour lutter, d’une armée certes peu nombreuse (comme toutes les armées impliquées dans la Fronde) mais professionnelle, ainsi que d’un excellent maréchal : Turenne. De plus, les meneurs de la Fronde se brouillèrent à nouveau. Au nord, Beaufort et Nemours, deux beaux-frères ennemis, n’arrivaient pas à s’entendre ; au sud, Bordeaux était divisé entre plusieurs partis, le Parlement lui-même était divisé entre « petite » et « grande » Fronde. Conti, qui avait autrefois adoré sa sœur la duchesse de Longueville, nourrissait désormais à son encontre une haine viscérale. La semaine de Pâques 1652 (24 au 31 mars) fut cruciale pour la Fonde. Anne Marie d’Orléans, duchesse de Montpensier, Grande Mademoiselle, fille de Monsieur, âgée de 25 ans, était critiquée pour son manque de beauté mais voulait montrer qu’elle existait : elle s’équipa, leva une troupe et s’en alla remporter un triomphe dans Orléans, chef-lieu de l’apanage de son père. Condé et Rochefoucauld quittaient, eux, Agen, déguisés en domestiques, et traversaient la France du sud vers le nord pour rejoindre Beaufort et Nemours afin d’y rétablir l’ordre. Le jour de Pâques, le Parlement tenta de contraindre Louis XIV à honorer sa parole en bannissant Mazarin ; le roi s’emporta et congédia ses interlocuteurs. L’affrontement décisif s’annonçait. Les 6 et 7 avril 1652, l’armée des frondeurs fonça sur Bléneau où se trouvait l’infanterie royale. Condé disposait de 12 000 hommes, Turenne de 4 000. Pourtant, Turenne fut le seul à ne pas envisager une retraite sur Bourges. Une fuite aurait décrédibilisé le roi. Alors, Turenne, bon tacticien, appréciant les lentes et savantes manœuvres, choisit son champ de bataille face à Condé, homme fougueux, hardi et se précipitant trop souvent. Turenne choisit un bois, des marécages et une étroite chaussée ; il simula une retraite et cacha son artillerie jusqu’au dernier moment, lui assurant la victoire. Le maréchal venait de sauver l’Etat. Le 11 avril, Condé s’empara néanmoins de Paris. Mais le Parlement préférait le voir loin, Gondi le haïssait et Orléans ne voulait pas partager le pouvoir. Sa position était intenable.
C’est le 2 juillet 1652, un jour de canicule, que se joua le dernier grand épisode de la Fronde. 12 000 hommes de Turenne affrontèrent 5 000 hommes de Condé dans le faubourg Saint-Antoine. Louis XIV et Mazarin s’installèrent sur les hauteurs de Charonne et firent charger l’infanterie et la cavalerie. Lorsque les condéens allaient être écrasés, la porte Saint-Antoine s’ouvrit : la Grande Mademoiselle avait convaincu les magistrats municipaux. Celle-ci se rendit ensuite à la Bastille et ordonna à l’artillerie de faire feu sur la cavalerie royale et de lancer une salve sur les hauteurs de Charonne. Le 4 juillet, une foule s’attaqua à l’Hôtel de Ville et massacra une assemblée favorable au roi. Le bâtiment fut incendié. Condé, maître de Paris, fit de Broussel le prévôt des marchands et rendit à Monsieur son titre de lieutenant général du royaume.
À Pontoise, le 6 août, le roi ordonna au Parlement de le rejoindre, ce que ce dernier refusa. Alors, Louis XIV rassembla un semblant de parlement avec quelques personnalités (dont Molé et Fouquet) qui votèrent en première séance le renvoi de Mazarin. C’était une ruse imaginée par Mazarin lui-même pour dépouiller le Parlement parisien de son seul argument. Le cardinal prit à nouveau la route de l’exil, cette fois le cœur léger. Le roi disposait de Turenne et de grands commis d’Etat (Abel Servien, Michel Le Tellier et Henri Auguste de Loménie de Brienne). À Paris, on espérait de nouveau le retour du roi, si bien que Condé prit la fuite et prit le commandement de troupes espagnoles en Flandres. Le 21 octobre 1652, Louis XIV rentra dans sa capitale en liesse. S’en était fini de cette guerre civile.
Le roi s’installa au Louvre, insalubre mais mieux protégé que le Palais-Royal ; exila Monsieur et la Grande Mademoiselle ainsi que les meneurs de la Fronde : Beaufort, La Rochefoucauld, Rohan et le président Viole ; condamna à mort Condé qui perdit son nom de Bourbon et son titre de prince du sang. Conti s’en tira en épousant une nièce de Mazarin. Louis XIV donna un lit de justice au Louvre, ce qui n’était pas arrivé depuis 1527, humiliant le Parlement mais amnistiant les frondeurs, à l’exception des meneurs. En octobre, le roi rappela Mazarin qui demanda au préalable l’arrestation de Gondi, devenu cardinal de Retz. Ce fut chose faite en décembre 1652. Le 3 février 1653, Mazarin fit un retour triomphal sous les acclamations des Parisiens. Dernier bastion de la fronde condéenne, le Bordelais fut pacifié en juillet 1653 avec la défaite et la capitulation du prince Conti, de Mme de Longueville et de Madame la Princesse (la femme du Grand Condé). Le pays, dévasté, les caisses de l’Etat vides, 60 000 mendiants à Paris, tout cela fut en partie balayé par les bonnes récoltes des années suivantes. La région parisienne, la Picardie et la Champagne, plus touchés, se relevèrent plus lentement. La démographie française tomba vraisemblablement de 20 à 18 millions d’habitants. Si la bourgeoisie s’enrichit sur le dos des ruraux en leur prêtant puis en saisissant leurs biens du fait de défauts de paiements, nombreux furent les mouvements de charité qui aidèrent : Vincent de Paul, les Filles de la Charité, des prêtres de la Mission, les Compagnie du Saint-Sacrement et de nombreux jansénistes de la bourgeoisie ou de la robe apportèrent une aide précieuse aux plus démunis. Les ports français (notamment Bordeaux) et le commerce reprirent avec la baisse du prix du blé subséquente aux bonnes récoltes et en profitant aussi bien des difficultés socio-politiques de l’Angleterre en pleine révolution que de la torpeur de la flotte espagnole. La France, bien plus riche que les autres royaumes, était le seul pays parvenant à drainer, même les mauvaises années, environ 1 000 tonnes d’argent fin par an avec son régime fiscal. Du reste, la guerre ne fit qu’aggraver le marasme économique provoqué par la chute du volume de métaux précieux arrivant du Nouveau Monde. Louis XIV, pour sa part, sortit endurci de cette épreuve de force traumatisante. Les leçons de la Fronde pousseront le roi à l’absolutisme.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_de_France (Gaston d’Orléans)
https://en.wikipedia.org/wiki/Charles_de_L%27Aubespine (Châteauneuf)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Marie-Louise_d%27Orl%C3%A9ans (Grande Mademoiselle)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_faubourg_Saint-Antoine (bataille du faubourg Saint-Antoine)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathieu_Mol%C3%A9_(1584-1656) (Molé)