La Première Guerre mondiale (partie II) : début de la guerre à l’Ouest, de la bataille des frontières à la course à la mer (1914)

La Première Guerre mondiale (partie II) : début de la guerre à l’Ouest, de la bataille des frontières à la course à la mer (1914)

Rappel : Au lendemain de la guerre franco-allemande (1870-1871), le tout naissant Kaiserreich allemand craignait – à juste titre – l’esprit revanchard de la IIIe République française. Bismarck, fin politicien et chancelier allemand, mit dès lors en place le système bismarckien en Europe. L’Allemagne de Guillaume Ier se rapprocha ainsi de l’Autriche-Hongrie de François-Joseph Ier et de la Russie tsariste d’Alexandre II. Ladite Entente des trois empereurs, signée en 1873, faisait pourtant coopérer deux puissances aux intérêts contradictoires vis-à-vis des Balkans. La crise d’orient (1875-1878) fit éclater au grand jour ces différends. Du reste, l’Empire allemand organisa le congrès de Berlin (1878) pour régler la crise. Une neutralité fut assurée entre les trois empires en 1881 mais l’Allemagne se rapprocha secrètement de l’Autriche-Hongrie en formant la Duplice en 1879, tournée contre la Russie dont Berlin se méfiait. En 1882, elle devint la Triplice, faisant entrer l’Italie dans l’alliance défensive. Les stigmates de la crise d’orient et de son imparfait règlement déclenchèrent la guerre serbo-bulgare (1885-1886). La Russie et l’Autriche-Hongrie ne se menaient plus seulement une guerre d’influence mais une guerre par procuration. Si la conférence de Berlin (1885) pour le partage de l’Afrique détourna les tensions et si l’Allemagne signa un nouveau traité de neutralité avec la Russie (1887), la démission de Bismarck (1890, lors de l’accession au pouvoir de Guillaume II), fit s’écrouler son fragile système. Le traité de 1887 n’étant pas renouvelé par l’Allemagne, la Russie, pourtant germanophile, humiliée, s’allia défensivement avec la France en 1893, mettant fin à deux décennies d’isolement pour la IIIe République. Cette alliance fut davantage tournée contre l’Empire britannique, qui empêchait l’expansion des empires français et russe. La crise de Fachoda, intervenant lorsque Français et Britanniques revendiquèrent en même temps ce bout du Soudan du Sud en 1898, manqua de dégénérer en guerre ouverte. Mais les deux pays avaient mieux à faire et Londres ne se trompait pas d’ennemi : c’est l’Allemagne qui l’inquiétait. Depuis plus de deux siècles, le Royaume-Uni cherchait à maintenir une balance de puissances moyennes en Europe. Si une puissance devenait prépondérante, Londres lui déclarait la guerre. Ceci explique pourquoi le Royaume-Uni fut souvent l’ennemi de la France. Mais depuis la chute du Second Empire en 1870, c’est l’Allemagne qui devenait prépondérante, elle qui développait en plus une flotte capable de concurrencer la Royal Navy et dont l’industrialisation allait bientôt prendre le pas sur celle des Britanniques. Alors, en 1904, une alliance franco-britannique fut signée pour faire face à la Triplice. En 1907, cette alliance fut étendue à la Russie, alliée de la France mais devenue moins menaçante pour Londres depuis qu’elle avait perdu une guerre contre le Japon (1905) et abandonné ses velléités expansionnistes en orient. La Triple Entente était née. En face, la Triple Alliance se lézardait, l’Italie signant un accord secret avec la France en 1902 pour rester neutre en cas d’agression allemande. C’est que la France contrôlait la majorité de la dette extérieure italienne. En 1905 et 1911, les crises de Tanger et d’Agadir, entre la France et l’Allemagne, concernant le Maroc, firent grimper les tensions. Il en allait de même de la guerre italo-turque (1911-1912) qui motiva plusieurs pays indépendants depuis peu à affronter l’Empire ottoman, trop faible pour lutter. Les deux guerres balkaniques (1912 et 1913) en résultèrent et aggravèrent les tensions dans les Balkans. La Serbie devint le pivot de la politique russe dans cette région. Le début du XXe siècle fut une paix armée, chacun préparant un conflit à grande échelle. Chose inédite, l’Allemagne comme la France préparèrent des plans de guerre, alors même que les hostilités n’étaient pas déclenchées. Guerres balkaniques, alliances européennes, plans préventifs de guerre, course à l’armement et tensions coloniales ; le tout sur fond de revanche française et de tensions austro-russes : c’est dans ce contexte explosif que se déroula la crise de 1914, provenant des Balkans, la poudrière de l’Europe. L’archiduc François-Ferdinand, héritier du vieil empereur François-Joseph d’Autriche-Hongrie, fut assassiné à Sarajevo par Princip, un Serbe. L’Autriche-Hongrie lança un ultimatum à la Serbie, accusée d’avoir fourni les armes. Vienne obtint le soutien de Berlin, poussant le tsar à soutenir la Serbie qui, de ce fait, rejeta l’ultimatum. L’Autriche-Hongrie mobilisa, la Serbie également, suivie de la Russie (partiellement d’abord). Puis, par jeux d’alliances, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (suite à la violation de la neutralité belge par l’Allemagne). La Première Guerre mondiale venait de débuter.

La guerre débuta par l’offensive allemande contre la France. Mais celle-ci devait passer par le territoire belge dont, on l’a dit, elle viola la neutralité. Pour autant, le roi belge, Albert Ier, qui était un exemple pour son pays, dans sa vie privée comme publique, n’était pas homme à se laisser faire. L’armée belge, du reste, en tout point inférieure à l’armée allemande, ne faisait pas le poids. La lacune d’expérience fut pourtant remplacée par une farouche détermination. Les Belges ralentirent fortement l’avance allemande. Pays nanti de somptueux et solides forts, dont les plus éminents étaient ceux de Liège et de Namur, ils donnèrent du fil à retordre aux agresseurs. Mais le XXe siècle fit son œuvre : le temps des forts était dépassé. Les Allemands, munis de quelques canons Krupp allemands et Skoda austro-hongrois de 350 à 400 mm, vinrent à bout des forteresses belges. Après avoir été ralentis, les Allemands se couvrirent de honte en incendiant la bibliothèque de Louvain le 25 août, un trésor culturel. Eux qui estimaient se battre pour la survie de la civilisation, avaient désormais l’opinion mondiale contre eux. Albert Ier tenta de résister à Anvers mais se trouva vite dépassé. Il décida alors d’ouvrir les vannes, inondant le terrain. Il tiendra, jusqu’à la fin du conflit, l’extrémité ouest de la Belgique et luttera.

Albert Ier (1875-1934), roi de Belgique (1909-1934).

L’aile droite puissante vint alors au contact des armées françaises. Ces dernières avaient mis en application le Plan XVII. Elles s’étaient enfoncées en Alsace-Moselle sans rencontrer de grande résistance dans un premier temps. L’heure était à la bataille des frontières. Les Allemands répliquèrent en Alsace et firent irruption depuis la Belgique. Le British Expeditionary Force (BEF) débarqua le 14 août en France pour prendre part aux combats. Si le BEF ne représentait qu’une seule armée, elle était au moins une armée de métier. Qui plus est une armée rompue aux batailles de tranchées car composée de nombreux vétérans des guerres des Boers d’Afrique du Sud. Les armées françaises, comme les armées allemandes par ailleurs, étaient, elles, remplies de réservistes ou de volontaires non préparés aux combats et qui pensaient terminer la guerre « avant les moissons ». Ils étaient partis la fleur au fusil pour être fauchés dans la fleur de l’âge.

Détail stratégique de la bataille des frontières (août 1914).

Au nord, la 5e armée de Lanrezac allait subir la poussée de la puissante aile droite allemande. Flanquant le BEF d’une part et la 4e armée de Langle de Cary d’autre part. Face aux Français, von Kluge (Ire armée), von Bülow (IIe armée) et von Hausen (IIIe armée) avancèrent rapidement pour respecter le timing prévu par le plan Schlieffen. Positionnées en échelons, les 3e et 4e armées françaises étaient menacées d’effondrement si d’aventure elle subissait une forte pression au nord de la part des Allemands. C’est exactement ce qui se produisit le 22 août. La 3e armée rencontra soudainement une forte opposition allemande et vit son artillerie réduite au silence, ce qui fit paniquer et décrocher l’infanterie. La 4e armée, privée de l’appui de la 3e, fit face au Kronprinz (Ve armée) durant la bataille de Rossignol. Le corps colonial français, seul élément de métier de la 4e armée, avança avec plus d’enthousiasme que les appelés et s’isola. Seul, le corps chargea à la baïonnette pour s’en sortir mais subit de très lourdes pertes (11 000 tués ou blessés sur 15 000 hommes). Le 22 août, notamment avec la bataille de Rossignol, reste le jour le plus meurtrier de l’histoire de France avec 27 000 morts, soit autant que pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). Le plan XVII venait d’être mis en échec dans un secteur crucial, sur 120 km. Joffre refusa d’y croire.

Détail stratégique de la bataille des frontières (août 1914).

La bataille des frontières fut globalement remportée par les Allemands. Alors que la 5e armée française se retirait en bon ordre, le BEF soutint, seul, toute la puissante aile droite allemande et la tint en échec durant la bataille de Mons sur les rives de la Sambre, pendant un jour, le 23 août 1914. Les Français de Lanrezac ayant été vaincus sur la Sambre, le BEF se vit obligé de battre en retraite le 24 au matin. Et pour cause, Joseph Joffre, chef d’état-major français aux pouvoirs étendus, avait ordonné une retraite ordonnée et générale du front. Début septembre, les Allemands arrivèrent sur la Marne, non loin de Paris. Là, ce furent les Allemands qui firent une faveur à leurs ennemis. La question de Paris, obstacle conséquent mais également objectif principal de l’aile droite allemande dans le plan Schlieffen, restait insoluble. Si l’aile droite passait à l’ouest de Paris, une dangereuse brèche se créerait entre les Ire et IIe armées de von Kluge et von Bülow. Si elle se brisait dessus, l’offensive allemande ne pourrait envelopper les Français comme elle le souhaitait. Si elle passait à l’est, elle exposait son flanc droit à une contre-attaque. Ce dernier cas sera pourtant retenu car il permettait de séparer les Français de Paris, principal nœud de communication. Moltke, chef d’état-major allemand, accorda à von Bülow de pousser à l’est de Paris et même de poursuivre la 5e armée de Lanrezac qui paraissait faible et se repliait. A l’autre bout de la ligne, Ferdinand Foch souffrait également avec sa 9e armée sur l’est du front. Il aurait alors envoyé un message devenu célèbre : « ma droite vacille, mon centre recul, situation excellente. J’attaque. » Les Allemands pensaient arriver à leurs fins en séparant les Français de Paris mais allaient subir une cruelle désillusion.

Contre-offensive franco-britannique, bataille de la Marne et course à la mer (septembre – novembre 1914).

En réalité, ce choix était désastreux, il exposait non seulement le flanc de la puissante aile droite mais créait en plus une énorme brèche entre les deux armées allemandes de von Kluge et von Bülow. Joffre ne se priva pas d’exploiter cette faiblesse. Il limogea le défaitiste Lanrezac et désigna à sa place Franchet d’Espérey, qui s’était distingué il y a peu en attaquant en personne avec la cavalerie pour relever la situation au centre du front. Puis, il lança sa grande contre-offensive, dite première bataille de la marne, le 6 septembre 1914. Les taxis de la Marne, dépêchés par Gallieni (gouverneur militaire de Paris), amènent des soldats sur le front, fait largement exploité par la propagande française. En réalité, ce furent majoritairement les trains qui furent utilisés. Les Allemands se trouvaient à proximité de Paris mais leurs positions étaient intenables. Pour ne rien arranger, le quarantième jour de guerre était passé et la Russie entrait désormais en jeu. Moltke, constatant la précarité de ses positions et l’épuisement trop conséquent de ses soldats pour porter un coup fatal aux armées franco-britanniques, ordonna un retrait sur la Somme. Le but était alors de s’enterrer et tenir les positions. Les premières tranchées furent creusées. Les Français et les Britanniques, buttant sur les défenses allemandes, firent de même. Cet ordre de retrait fut le dernier de Moltke le jeune, remplacé par Erich von Falkenhayn le 14 septembre 1914.

Helmuth Johann Ludwig, comte von Moltke (1848-1916), chef d’état-major de l’armée allemande (1906-1914).

Pourtant, la guerre de mouvement ne laissa pas encore place à celle de position. La « course à la mer » qui n’était pas une course et dont le but n’était encore moins d’atteindre la mer, débuta. L’objectif, de part est d’autre, était d’envelopper l’adversaire, de l’attaquer sur les flancs et le déborder pour provoquer une réaction en chaîne. C’était là le dernier espoir d’échapper à une guerre défensive pour les Allemands. La ligne de tranchées s’étendit ainsi jusqu’à la Manche par à-coups. La première bataille d’Ypres se déroula durant cette « course ». De fin octobre à fin novembre, le BEF de John French majoritairement, mais aussi les Français de Foch et les Belges d’Albert Ier, défendirent la ligne proche d’Ypres contre les Allemands. Ces derniers étaient des volontaires levés parmi les populations jeunes. Leurs attaquent en masse ne furent brisées que par l’adresse au fusil des fusiliers britanniques. Les tranchées n’existaient pas encore à proprement parler, les Britanniques devaient donc tenir la ligne contre des Allemands supérieurs en nombreux comme en artillerie avec leur seul fusil. Des fusils que les Allemands confondirent avec des mitrailleuses, tant la cadence de tir était élevée. Les Allemands découvrir ainsi les « mad minutes » durant lesquelles les Britanniques tiraient le plus rapidement possible, au détriment de la précision, pour briser les vagues d’attaques allemandes. Ainsi advint le « massacre des innocents d’Ypres » : les volontaires allemands furent fauchés, l’illusion de la guerre courte et romantique périssant avec eux. Le nombre de leurs morts, deux fois plus importants que les morts britanniques, s’éleva à 50 000.

Source (texte) :

Keegan, John (2005). La Première Guerre mondiale. Paris : Perrin, 570p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Ier_(roi_des_Belges) (Albert Ier)

https://www.populationdata.net/cartes/france-bataille-frontieres-1914/ (carte bataille des frontières)

https://www.histoire-passy-montblanc.fr/histoire-de-passy/de-la-prehistoire-au-xxie-s/la-guerre-de-1914-1918/les-soldats-de-passy-en-1914/un-marsouin-de-passy-ernest-marechal-tue-dans-les-ardennes-en-aout-1914/ (carte plans Schlieffen et XVII + contre-offensive franco-britannique et course à la mer)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Helmuth_Johannes_Ludwig_von_Moltke (von Moltke)

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