La guerre de Sécession (partie VI) : de la sécession à la guerre (janvier – avril 1861)

La guerre de Sécession (partie VI) : de la sécession à la guerre (janvier – avril 1861)

Rappel : En 1857, une crise économique toucha tout le système financier américain dans les états du nord. Le Sud y resta assez insensible, grâce à l’exportation de coton. Le « Roi Coton », comme souvent, permettait au Sud d’éviter les récessions que le Nord subissait. Cette observation donnait de l’assurance aux sudistes sécessionistes. La crise, pourtant, fut rapidement surmontée. En 1858, Abraham Lincoln, républicain, affronta Stephen Douglas, démocrate du Nord, dans des joutes verbales pour devenir sénateur de l’Illinois. Douglas l’emporta finalement, mais de peu. Pour Lincoln, qui était encore peu connu, c’était une glorieuse défaite. En parallèle, les tensions parmi les politiciens de la Chambre atteignaient des sommets. Au même moment, John Brown, nordiste extrémiste abolitioniste, exécuta avec un petit commando un raid sur la fabrique d’armes d’Harper’s Ferry en Virginie en octobre 1859. Ce raid désespéré échoua mais il insuffla une peur dans le Sud d’une révolte d’esclaves. De ce fait, Brown fut dénoncé par les sudistes. Au contraire, il fut traité en héros par le Nord, ce qui ne manqua pas de scandaliser le Sud. Brown fut pendu en décembre 1859. En 1860, les élections présidentielles virent Lincoln et Douglas s’affronter pour les voix des nordistes tandis que Breckinridge et Bell s’affrontaient pour les voix des sudistes. Au niveau national, c’est finalement Lincoln, républicain modéré, qui l’emporta. Pour les sudistes, il était impossible d’accepter un « républicain noir » (favorable à l’abolition) comme président. Le Sud profond fit sécession fin 1860 – début 1861 (Caroline du Sud, Mississippi, Floride, Alabama, Géorgie, Louisiane et Texas).

Il fallait agir vite. Les états sécessionnistes ne s’attardèrent pas à ratifier leur décision auprès des électeurs, sauf le Texas. Ce fait aurait été un argument important si les représentants ayant voté la sécession ne venaient pas d’être élus sur des positions claires. Au Texas, le peuple vota à 3 contre 1 en faveur de la sécession, il en aurait été de même dans les autres états. La Constitution de 1787 avait été ratifiée par des conventions d’Etat, il en allait de même pour la sécession en 1861. Les états devinent indépendants un par un avant de s’unir : ils avaient retenu la leçon de 1850 où ils s’étaient retrouvés et n’avaient rien décidé ensemble. Pourtant, certains sudistes étaient « coopérateurs » et auraient préférés un front uni avant de faire sécession ; d’autres étaient « ultimatumistes » voulant poser un ultimatum à l’administration Lincoln, l’obligeant à céder aux demandes des esclavagistes et faire sécession en cas de refus ; d’autres enfin étaient « unionistes conditionnels », souhaitant laisser une chance à Lincoln de montrer qu’il était modéré et faisant sécession à la première action non-acceptable. Ils furent tous pris de vitesse par les événements.

Les Etats Confédérés lors de la première vague de sécession (avant la guerre) de décembre 1860 à avril 1861

Dans le Sud, 30 à 40% des délégués demeuraient opposés à la sécession finale mais ce n’était pas tant la preuve d’un unionisme du Sud que d’unionisme conditionnel. Cette mouvance ne souhaitait pas quitter l’Union mais considérait l’élection de Lincoln inacceptable. Les sudistes pensaient les nordistes lâches, ils ne pensaient pas qu’une guerre civile allait sanctionner leur sécession. D’ailleurs, personne ne voulait d’une guerre.

Une question demeurait : la sécession était-elle constitutionnelle ? La plupart des sécessionnistes le pensaient, surtout au travers du droit à la révolution. Les sudistes firent sécession pour le droit de posséder des esclaves, la liberté de les emmener dans d’autres territoires, la liberté de vivre hors d’atteinte d’un gouvernement centralisé et des « républicains noirs » (abolitionnistes). Néanmoins, l’esclavagisme en était la raison centrale. De ce fait, les sécessionnistes avaient, à raison, peur de la réaction des Blancs du Sud ne possédant pas d’esclaves. Allaient-ils rallier leur cause ? Ils étaient majoritaires. Les républicains pouvaient s’appuyer sur ce fait pour détruire le projet de sécession, notamment en offrant des postes importants aux non-possesseurs d’esclaves. Ce frein à l’élan sécessionniste était d’autant plus réel dans les états frontaliers possédaient peu d’esclaves. Pour convaincre ceux qui ne possédaient pas d’esclaves ainsi que d’autres états, les sécessionnistes reprirent leurs arguments habituels. Les sudistes voulaient-ils que le Nègre soit leur égal ? Qu’il prenne leur travail mais aussi les femmes et filles des Blancs ? Rester dans l’Union était s’exposer, disaient-ils, à ce péril. Les sécessionnistes se voyaient comme des contre-révolutionnaires plutôt que des révolutionnaires car ils luttaient pour garder intact l’ordre établi, protéger le vieux régime de ces républicains noirs qui voulaient le changer. Mais ayant agi avant même que la révolution n’ait eu lieu, avant même que Lincoln n’ait pris ses fonctions, les sudistes versaient dans la contre-révolution préventive.

Balance entre les états esclavagistes et libres lors de la Sécession (1861)

Buchanan, en décembre, avait nié au sudistes le droit de faire sécession dans son dernier discours. Pour certains, la sécession serait la preuve que l’homme ne pouvait se gouverner lui-même et ce serait un précédent qui mènerait à d’autres sécessions plus tard. Le maire de New York voulut que sa ville fasse sécession, seule, sans succès. Ces bouleversements de début 1861 arrivaient pendant la pire période, celle ou la politique américaine était frappée par le syndrome du « lame-duck » : après les élections présidentielles qui avaient lieu en novembre, le nouveau président ne prenait ses fonctions que le 4 mars suivant. Pire, les nouveaux représentants (également élus en novembre) ne pouvaient commencer à réellement prendre des décisions qu’en décembre de l’année suivante ! Les anciens représentants non réélus mais toujours au pouvoir n’avaient plus une légitimité suffisante pour gouverner. Alors, pendant plusieurs mois, les politiques étaient des « canards boiteux ». Ces règles changèrent en 1933 ; les représentants entrant au Congrès le 3 janvier et le président prenant ses fonctions au plus tard le 20.

Buchanan, lui, au pouvoir pendant la sécession, n’avait ainsi pas vraiment la capacité d’agir. De là aussi, en partie, la politique attentiste des républicains. Ceux-ci voulaient attendre sans provoquer pour que le doute lézarde les convictions des Confédérés quant à l’extrémisme du gouvernement à venir mais surtout pour convaincre les états frontaliers de rester dans l’Union. Une première question épineuse concernait les droits de douanes. Qui allait les récolter ? Lincoln était bien décidé à faire appliquer la loi, par la force s’il le fallait. D’autre part, bien des nordistes redoutaient un compromis avec le Sud. De là la politique du « partez-en-paix » de la majorité du Nord. C’était montrer au Sud qu’il n’obtiendrait rien. Et puis, peut-être que cette nonchalance ferait revenir les Confédérés dans le droit chemin. Buchanan, lui, demanda aux républicains de céder sur toute la ligne. D’autres songeaient à des compromis sur l’esclavage. Lincoln refusait fermement cette éventualité. Une tentative de compromis, dite « de Crittenden » revint plusieurs fois sur la table mais les républicains s’y opposèrent et les sudistes sécessionnistes n’en avaient cure.

Les confédérés se retrouvèrent à Montgomery le 4 février 1861. Sept états esclavagistes seulement y étaient représentés. Malgré des commissaires envoyés dans les états septentrionaux du Sud incitant à la sécession, ceux-ci refusèrent les conventions et élirent une majorité d’unionistes. Dans certains états les résultats furent plus équilibrés que dans d’autres. Ce refus de la sécession tenait à la part de l’esclavage dans la population. Les états sécessionnistes comptaient 47% d’esclaves dans leur population et 37% des familles confédérées en possédaient. Dans les états septentrionaux du Sud, la population comptait 24% d’esclaves et 20% des familles en possédaient. Mais toute action abusive (ou musclée, comme une intervention militaire) du Nord contre les Confédérés serait immédiatement punie de sécession de la part de plusieurs états limitrophes. Alors l’Union respecta sa politique d’inaction, surtout sous Buchanan. D’autre part, les Fédéraux (ce terme se réfère à l’Union, le Nord) étudièrent l’admission éventuelle du Nouveau-Mexique (contenant également l’Arizona actuelle), état du Sud avec quelques esclaves, comme nouvel état de l’Union. Mais une majorité républicaine s’y opposa. Cette manœuvre avait pour but de garder les états limitrophes dans l’Union et en cela, elle fut un succès. La Chambre approuva, le 27 février 1861, une recommandation obligeant le gouvernement à obéir à la loi sur les fugitifs et à abroger les lois sur la liberté individuelle. Le lendemain, un treizième amendement à la Constitution, visant à protéger l’esclavage des ingérences fédérales, faillit passer. L’évolution des événements l’empêchèrent d’aboutir. Un autre treizième amendement prendrait sa place en 1865 … Pour abolir l’esclavage.

En parallèle de la réunion confédérée, la conférence de la paix, motivée par Seward, se tint à Washington, également le 4 février. Cette conférence dura trois semaines et fut bien inutile, contrairement à la réunion des Confédérés. À Montgomery, en 6 jours, une Constitution temporaire fut rédigée, un Congrès provisoire fut désigné ainsi qu’un président et vice-président intérimaires. Les vraies élections, pour un mandat de six ans, seraient tenues en novembre 1861. Le président par intérim ne pouvait être ni Rhett ni Yancey, les sécessionnistes les plus éminents de la première heure car ceux-ci étaient tenus pour responsables par le Sud septentrional de cette obligation qu’ils avaient de choisir un camp. Or, les Confédérés avaient besoin des états septentrionaux du Sud. D’autres candidats furent écartés car ne faisant pas l’unanimité. Soudain, on entendit que les deux sénateurs de Virginie, état non sécessionniste pour le moment, Hunter et Mason, étaient favorables à Jefferson Davis. Austère, capable, sénateur et ancien ministre de la Guerre donc habitué à diriger, démocrate et sécessionniste mais pas boutefeu, il était tout désigné. Il ne s’était pas présenté : il fut élu à l’unanimité le 9 février. Davis accepta et donna les six postes ministériels clés à chaque état confédéré sauf le sien. Toombs reçut le plus important, celui de secrétaire d’Etat (Premier ministre) car il était frustré de ne pas avoir été choisi comme président.

Jefferson Davis (1808-1889), sénateur des Etats-Unis pour le Mississippi (1857-1861) puis président des Etats Confédérés d’Amérique (1861-1865)

De l’autre côté de la frontière, Lincoln avait le plus grand mal à désigner son gouvernement. Il donna des postes clés à ses quatre principaux rivaux de l’élection, ce qui n’était pas commun. Seward serait secrétaire d’Etat, Bates à la Justice, Cameron à la Guerre et Chase au Trésor. Cameron avait failli être nommé au Trésor mais sa réputation avait déclenché un scandale. Chase étant nommé au Trésor, Lincoln lutta pour garder Seward dans son gouvernement. Caleb Smith, de l’Indiana (état qui avait soutenu Lincoln de manière précoce), devint ministre de l’Intérieur ; Gideon Welles, du Connecticut, reçut la Marine ; Montgomery Blair devint ministres des Postes. Lincoln avait essayé, sans succès, de proposer ce dernier ministère à un non-républicain du haut Sud.

Lincoln devait voyager de Springfield à Washington, trajet durant douze jours. Il en profita pour faire des discours et parler aux Américains. Cependant, il fit le choix passer de nuit à Baltimore sans y faire un discours car un sérieux complot menaçait le président. Ce fait lui donna mauvaise presse avant même son discours d’investiture. Celui-ci fut, par ailleurs, très travaillé et adoucit. Il était question de ménager le Sud tout en ne reniant pas les principes républicains. Beaucoup approuvèrent ce discours d’investiture mais les sudistes y virent tout de même une déclaration de guerre. Lincoln voulait, pour le moment, gagner du temps. Or, du temps, il n’en avait plus. Dès son premier jour en tant que président des États-Unis, Lincoln reçut une lettre du commandant Robert Anderson qui lui fit savoir que le fort Sumter, sur une île située dans la baie de Charleston, n’avait plus que quelques semaines de provisions. Or, ce fort représentait l’autorité fédérale dans un territoire sécessionniste comme il en existait peu. Les autres étaient deux forts dans les keys en Floride et le fort de Pickens, sur un îlot dans la baie de Pensacola.

Anderson était un sudiste fidèle à l’Union. Sa garnison avait initialement tenu le fort Moultrie, bien plus vulnérable que celui de Sumter. Les Caroliniens pensaient ne même pas avoir à demander le départ de la garnison de leurs terres. Ils essayèrent de négocier la remise du fort Moultrie avec le Nord. Buchanan ne fut pas ferme mais ne lâcha pas prise non plus. Anderson voulait éviter la guerre. Parce que le fort Sumter, juste construit, était bien plus vaste et puissant, Anderson décida d’y transférer sa garnison le 26 décembre 1860, de nuit. De fait, Anderson avait remis Moultrie aux Confédérés … Mais uniquement pour déplacer le problème. Pourtant, Anderson manquait de vivres. Buchanan tenta d’y pallier avec un ravitaillement par navire mais prévint tout le monde sauf Anderson. Les Caroliniens du Sud tirèrent sur le navire civil. Anderson ne répliqua pas. Le navire fit demi-tour.

Aucun des deux camps ne voulait réellement d’une guerre. Mais la situation se cristallisa autour du fort Sumter qui avait toujours besoin de ravitaillement. Que devait alors faire Lincoln ? Devait-il lâcher le fort par manque de ravitaillement, donnant la victoire au Sud, divisant le Nord mais évitant la guerre ? Devait-il renforcer le fort qu’importe l’opposition carolinienne et certainement déclencher la guerre ? Ce serait diviser le Nord et unir le Sud. Il avait six semaines pour décider. Son Administration lui conseillait presque à l’unanimité de lâcher le fort. Seward insista, faisant valoir que c’était là un geste fort en faveur de la paix. Mais Seward, qui aurait voulu gouverner, jouait un double jeu. Il rencontra des Confédérés et leur dit que le fort leur serait bientôt remis. Il laissa également l’information fuiter vers les journaux. L’opinion publique était outrée. Lincoln n’avait, en fait, pas encore décidé. Blair, qui voulait absolument tenir le fort, présenta au président son beau-frère Gustavus V. Fox. Celui-ci proposa un plan : un ravitaillement par la mer, de nuit, en utilisant des remorqueurs pour dispenser les bâtiments militaires escortant ravitaillements et renforts d’entrer dans la baie de Charleston.

Seward, lui, continuait d’assurer aux Confédérés que le fort Sumter leur serait remis incessamment. Scott, commandant en chef de l’armée, proposa soudainement d’abandonner non seulement le fort Sumter mais également le fort Pickens pour préserver la paix. L’influence de Seward se faisait sentir. Lincoln, en colère, réunit son cabinet et ordonna le ravitaillement du fort Sumter ainsi que le renforcement du fort Pickens. Le président avait annoncé dans son discours inaugural qu’il allait « tenir, occuper et posséder les biens fédéraux » et était décidé à le faire. Seward proposa d’abandonner les forts et d’adresser des ultimatums à la France et à l’Espagne qui étaient intervenus à Saint-Domingue et au Mexique ; une manière, selon Seward, d’unir le pays contre un ennemi étranger. Le président n’en tint pas compte.

Fort Sumter en 1861 (à Charleston dans la Caroline du Sud)

Lincoln changea quelque peu le plan de Fox. Celui-ci entendait escorter les vivres et répliquer en cas d’attaque des Confédérés ainsi qu’amener dans renforts en hommes et munitions dans le fort lors d’une entreprise secrète. Lincoln au contraire souhaita envoyer uniquement des navires de ravitaillement sans défense pour donner le choix aux sudistes. S’ils attaquaient des navires sans défenses seulement destinés à « nourrir ceux qui mourraient de faim » alors le Nord s’unifierait, scandalisé, le Sud se diviserait, la guerre incomberait aux Confédérés et le capital politique de Lincoln serait maximal. Il envoya un message à Charleston pour prévenir le gouverneur de son intention.

Fort Sumter aujourd’hui

Jefferson Davis avait la main. Or, il subissait des pressions pour mettre fin à cet attentisme. On lui demandait d’agir pour maintenir la Confédération et y attirer les cruciaux états limitrophes du Sud septentrional. Davis choisit la guerre le 9 avril 1861. Le 12, à 4h30, le général Beauregard, originaire de Louisiane, ouvrit le feu sur le fort Sumter. Anderson capitula après 37h de pilonnage, le 14 avril. Lincoln appela 75 000 miliciens sous les drapeaux le 15. L’Union connut une réponse unanime et forte : le peuple était dans les rues, prêt à lutter contre le Sud ; même New York, quelques semaines auparavant favorable aux sudistes, devint farouchement unioniste. Stephens Douglas se rendit à Washington puis proclama qu’on ne pouvait qu’être pour ou contre les États-Unis. Les nordistes démocrates se rangeaient résolument derrière Lincoln. Douglas décéda un mois plus tard mais cette « union sacrée » des partis du Nord lui survécut plus d’une année. Les gouverneurs demandèrent au ministère de la Guerre d’augmenter le nombre de régiments demandés par le gouvernement à leur état. Il y avait trop de volontaires. L’Indiana offrit douze régiments au lieu de six ; l’Ohio demandait à fournir au minimum vingt régiments et non treize …

Source (texte) :

McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.

Sources (images) :

https://www.vox.com/2015/4/14/8396477/maps-explain-civil-war (balance des états libres ou non)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jefferson_Davis (Jefferson Davis)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fort_Sumter (fort Sumter)

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