La Première Guerre mondiale (partie VII) : batailles navales, blocus maritime, fronts Est, italien, ottoman et colonial (1916)
Rappel : Les économies belligérantes, non préparées à une guerre totale et ayant de ce fait déjà atteint leurs limites en 1915, durent verser dans l’économie de guerre pour que leur puissance militaire ne s’en trouve plus restreinte. En France, les femmes, notamment, furent embauchées à tour de bras pour un salaire peu attractif et des horaires étendus : les munitionnettes. Il était temps que les économies se mettent à jour pour tenir la cadence et répondre aux ambitions des généraux : l’année 1916 fut celle des grandes batailles. Or, si celles-ci furent des gouffres à vies humaines, elles furent également gourmandes en matériel. Sur le front Ouest, la première fut celle de Verdun. Déclenchée le 21 février, l’offensive allemande bouscula l’armée française dans ce secteur du front considéré comme « calme », malgré les multiples avertissements du lieutenant-colonel Driant. Après un déluge de métal et de feu, les Allemands avancèrent, notamment munis de lance-flammes. Driant tint la ligne au prix de sa vie. Le général Castelnau fut dépêché sur place pour assurer la relève et décida de résister : il en allait de la réputation des armées françaises. Or, le chef d’état-major allemand, von Falkenhayn, s’il aurait préféré percer le front, souhaitait surtout saigner à blanc l’armée française. Castelnau lui offrait exactement ce qu’il voulait, alors qu’il aurait été nettement plus aisé de défendre la ligne en l’établissant derrière Verdun. Après Castelnau vint le général Pétain, chantre de la défensive, qui mit en place le tourniquet (tous les soldats français passèrent dans l’enfer de Verdun, une rotation que les Allemands ne mirent pas en place) et la voie sacrée, route destinée à acheminer à un rythme d’un camion toutes les cinq secondes les hommes, le ravitaillement et le matériel nécessaires à Verdun. Il opta également pour la défense active : les Français devaient contre-attaquer dès que du terrain était perdu. Enfin, ayant compris l’importance de l’aviation, Pétain fonda la première division de chasse aérienne en mars 1916. En juin, le général Nivelle, expert en artillerie, remplaça Pétain. En juillet, l’intensité des combats retomba et Nivelle récupéra une partie du maigre terrain perdu avant que la bataille de Verdun ne prenne fin en décembre 1916. Si le généralissime Joffre fit la sourde-oreilles aux avertissements de Driant quant à Verdun et que l’intensité de la bataille qui s’y déroula retomba en juillet, ce ne fut pas par hasard. Début 1916, Joffre et Haig (commandant britannique remplaçant French) avaient préparé une grande offensive sur la Somme pour le 1er juillet. Si Verdun empêcha une partie des forces françaises initialement allouée à l’offensive de la Somme d’y participer, celle-ci eut tout de même lieu. Lancée le 1er juillet 1916, elle fut davantage le fait de l’armée britannique, qui, depuis qu’elle avait reçu des renforts significatifs, voulait montrer sa capacité à s’occuper d’une plus grande partie du front. Les vagues britanniques se brisèrent sur les défenses allemandes. Si l’engagement des premiers chars d’assaut (les Tank Mark I) surprirent et effrayèrent les Allemands, ce ne fut que pour un temps. Von Loβberg, un officier allemand expert de la défense, tint la ligne. Le 18 novembre 1916, lorsque la bataille de la Somme prit fin, les Britanniques avaient avancé au maximum de onze kilomètres. Ce fut la bataille la plus meurtrière de l’histoire britannique. La France perdit 380 000 hommes à Verdun (morts, blessés, disparus) et 195 000 sur la Somme ; les Britanniques déplorèrent 420 000 pertes sur la Somme ; tandis que les Allemands comptaient 340 000 pertes à Verdun et certainement plus de 600 000 sur la Somme (officiellement 440 000). Une bonne partie des Britanniques servait dans les armées « K » (Kitchener) de volontaires, pour lesquels la Somme fut le baptême du feu et bien souvent également la tombe.
Dans la mer du Nord, l’affrontement principal se préparait également. En 1914, la Hochseeflotte (« flotte de haute mer ») de la Kaiserliche Marine allemande (« Marine impériale allemande ») et la Royal Navy britannique s’étaient déjà accrochées à Helgoland le 28 août. Beatty, amiral d’une flotte de croiseurs britanniques, avait alors attaqué une patrouille allemande. Les renforts allemands avaient permis à Beatty d’envoyer par le fond un destroyer et trois croiseurs avant de se retirer. Le 23 janvier 1915, un second accrochage eut lieu. La bataille de Dogger Bank vit s’affronter les croiseurs cuirassés de Beatty et des éclaireurs allemands. Il est à préciser que le Bureau 40, c’est-à-dire les renseignements britanniques (40 OB), avait bien aidé dans l’affaire. Ce dernier avait trouvé, par trois coups du hasard incroyables, trois manuels de codes navals allemands. Avec ces codes, les Britanniques connaissaient presque tous les signaux des Allemands, ce qui leur permit de déchiffrer des messages parfois en « temps réel » donc aussi rapidement que le peut le réel destinataire du message. Les Allemands s’en rendirent compte mais crurent que l’espionnage avait permis cette fuite ; il n’en était rien.
La Royal Navy bénéficiait une hégémonie indiscutable sur mer mais la Hochseeflotte de la Kaiserliche Marine se classait en bon deuxième en Europe. La Royal Navy, de plus, devait également s’occuper de la Méditerranée. La charge en fut allégée lorsque la marine italienne apporta son concours aux Franco-Britanniques. Les Allemands avaient bien peu d’espace de manœuvre, du fait de l’embargo de l’Entente. Le but des Allemands, dès lors, était de représenter un constant danger pour les Britanniques. En 1916 pourtant, l’amiral Reinhart Scheer, fit preuve de zèle. Il reprit les bombardements côtiers proches de ses bases, lui permettant de se replier avant qu’une quelconque opposition n’apparaisse. Scheer multiplia les sorties. Toujours grâce au 40 OB, la Royal Navy rassembla une importante force, dirigée par les amiraux Jellicoe et Beatty, puis convergea vers la flotte de Scheer. Beatty, à la tête des croiseurs, fut l’auteur du premier contact avec l’ennemi. Le 31 mai commença une bataille colossale qui regroupa 250 navires de guerre : 16 dreadnoughts, 6 pré-dreadnoughts, 5 croiseurs, 11 croiseurs légers et 61 destroyers allemands firent face à 28 dreadnoughts, 9 croiseurs, 8 croiseurs blindés, 26 croiseurs légers, 78 destroyers, un porte-hydravions et un dragueur de mines britanniques. De part et d’autre, des sous-marins furent également déployés, mais leur rôle fut limité.
Beatty tint la dragée haute aux croiseurs allemands dans un premier temps puis, voyant les renforts ennemis affluer, se retira pour attirer les Allemands contre la flotte de Jellicoe. Un engagement de dreadnoughts suivit durant lequel les Allemands opérèrent à leur tour une retraite. Scheer décida pourtant de revenir à la charge. Il tomba de nouveau sur Jellicoe. Scheer se trouvait en position de « barrer le T à l’ennemi », ce qui était extrêmement désavantageux : les navires britanniques formaient la barre horizontale du « T » tandis que les Allemands en formaient la barre verticale. Fatalement, les Britanniques avaient tout le loisir de bien plus tirer sur les Allemands que ces derniers ne le pouvaient sur les Britanniques. Après dix minutes d’affrontement, Scheer se retira de nouveau. Les sous-marins allemands décidèrent Jellicoe à ne pas le poursuivre, ce qui lui fut par la suite reproché. Les combats continuèrent pendant la nuit entre les croiseurs. Scheer déplora la perte d’un croiseur, un pré-dreadnought, quatre croiseurs légers et cinq destroyers. Jellicoe perdit trois croiseurs, quatre croiseurs blindés et huit destroyers. Concernant les marins, 6 094 Britanniques périrent contre seulement 2 551 Allemands. La victoire fut revendiquée des deux côtés. En réalité, cette bataille navale, dite du Jutland, fut une victoire à la Pyrrhus pour les Britanniques. Ce fut également, en 1916, la plus grande bataille navale de l’Histoire. Pour autant, la Hochseeflotte n’était pas encore vaincue.
Loin du front de l’ouest, d’autres combats faisaient rage. En Italie, la ligne restait désespérément immobile. Cadorna s’acharna sur l’Isonzo. Conrad lui, décida de punir les Italiens contre l’avis des Allemands. Les Autrichiens renforcèrent alors leur front italien au détriment de celui de l’est. Le 15 mai, les Autrichiens prirent l’offensive mais ne gagnèrent pas plus de 15 km. Pour autant, les pertes italiennes s’élevaient à 147 000 tandis que celles des Autrichiens n’atteignaient que 80 000. Du reste, le front de l’est souffrit de cette perte d’effectifs. La stavka, état-major russe, après la grande retraite de 1915, comptait bien reprendre du terrain. De fait, son économie de guerre tournait désormais à plein régime, ce qui permit d’équiper les soldats et de leur fournir une artillerie satisfaisante. Au nord du front, comme au centre par ailleurs, les Russes bénéficiaient d’une large supériorité numérique mais ne parvenaient pas à avancer. Les Allemands restaient solidement implantés en Pologne et dans les Etats baltes, menaçant la capitale russe : Petrograd. C’est au sud du front que les Russes gagnèrent du terrain. La balance des effectifs y était équilibrée, environ 500 000 soldats de part et d’autre, mais les soldats face aux Russes étaient des Austro-Hongrois – moins redoutable que les Allemands – et le russe qui menait l’attaque était le meilleur des généraux russes : Broussilov.
Celui-ci prépara son attaque, dotant l’artillerie de larges réserves, attaquant sur un front large et multipliant les travaux de sapes consistant à creuser vers les tranchées ennemies pour raccourcir le no man’s land qui, à l’est, était très large. L’offensive débuta le 3 juin 1916 et surprit totalement les Austro-Hongrois. Début septembre, 400 000 Austro-Hongrois étaient déjà partis en captivité, à quoi s’ajoutaient 200 000 à 500 000 hommes perdus (morts, blessés ou disparus) ; les Allemands perdirent quant à eux 335 000 hommes pour essayer d’enrayer l’avance russe. Si Broussilov s’arrêta finalement, c’est uniquement parce que la logistique ne pouvait plus suivre, le privant notamment de renforts. Malgré 850 000 à un million de pertes humaines russes, Broussilov tenait ici la plus grande victoire des batailles des tranchées : il avait progressé de plus de 100 km.
Falkenhayn avait le plus grand mal à s’imposer face à Hindenburg, à qui le prestige donnait beaucoup de cachet. Après la défaite de Verdun et la percée russe, le premier, à qui les revers furent attribués, perdit sa place de chef d’état-major en août 1916 au profit du second, vainqueur de Tannenberg.
Du fait d’une si éclatante victoire russe, la Roumanie, qui restait jusque-là intelligemment neutre, s’engagea dans la guerre du côté de l’Entente. Le 27 août 1916, elle déclara la guerre à la Triplice. Cette décision était irréfléchie : la Serbie venait d’être définitivement écrasée le 17 août, les Franco-Britanniques à Salonique n’avaient pas l’intention d’aider, pas plus que les Russes qui pensaient à juste titre que défendre la Roumanie serait un poids pour eux. Ajoutons que la Roumanie était entourée d’ennemis : la Bulgarie, aigrie depuis la Seconde Guerre balkanique et l’Autriche-Hongrie. La Roumanie pensait les divisions allemandes et austro-hongroises fixées à l’est, l’aide russe acquise et la menace bulgare contenue par les Franco-Britanniques à Salonique. Il fallut rapidement déchanter. D’autant que la Roumanie, loin de logiquement attaquer la Bulgarie pour se rapprocher de Salonique, fit feu sur l’Autriche-Hongrie. Pire, Français et Russes avaient promis bien des territoires à la Roumanie pour la faire entrer en guerre mais s’étaient secrètement accordés pour ne pas honorer leur parole le temps venu : tout cela pour rien donc. Or, la Roumanie allait payer cher sa naïveté et son imprudence : Austro-hongrois, Bulgares mais également Allemands et Ottomans fondirent immédiatement sur la Roumanie et envahirent son territoire. Le 5 décembre, Bucarest tomba. Les Roumains avaient perdu 310 000 hommes (dont la moitié constitués prisonniers) et se retranchèrent à l’est, sous protection russe.
Toutefois, le 21 novembre 1916, François-Joseph, l’empereur d’Autriche-Hongrie, expira à 86 ans alors qu’il allait fêter ses 68 ans de règne. Il était un symbole de stabilité dans l’empire affaiblit. Son successeur, le jeune Charles Ier, détestait la guerre et chercha la paix. L’empire vacillait déjà sur ses bases du temps de François-Joseph, il menaçait désormais sérieusement de péricliter. Pour ne rien arranger, les puissances centrales souffraient pleinement du blocus de l’Entente, entrainant toutes sortes de pénuries. Durant la guerre, on estime à 400 000 le nombre de civils allemands ayant succombé de malnutrition, du fait de ce blocus.
En Afrique, le général allemand Lettow-Vorbeck, avec ses 16 000 Askaris africains, persistait à résister face aux 40 000 hommes de Smuts, pourtant un talentueux chef Boers. Lettow-Vorbeck ne se battait que si on l’obligeait et trouvait toujours un moyen de se sortir des mauvais pas. Il détruisait les infrastructures derrière lui et descendait vers le sud. Accompagné d’Africains, sa force ne tombe pas malade, contrairement aux Européens et Indiens qui composaient les forces assaillantes. Dans le Caucase, les Russes progressèrent. Le 16 février, Erzeroum tomba enfin. En août, les Russes avancèrent du lac Van à Trébizonde sur la mer Noire. Bitlis était menacée et formait dernier obstacle avant l’Anatolie. Seulement voilà, l’Empire ottoman disposait encore d’un excellent général : Kemal prit la tête de l’armée et stabilisa le front jusqu’en 1917. En Mésopotamie, les Britanniques de Townsend, encerclés de janvier à mars 1916, furent écrasés par les Ottomans à Kut al-Amara. Les quatre offensives des forces assiégés et de secours n’y avaient rien changé : les Ottomans avaient tenu leur siège. Townsend se rendit le 29 avril avec 10 000 hommes, une terrible humiliation pour Londres. Il faudra 200 000 Britanniques et Indiens pour reprendre Kut à 10 000 Ottomans et Allemands en fin d’année. A Salonique, aucune réelle action ne fut tentée par les Franco-Britanniques qui restèrent dans un camp désormais infesté de maladies décimant les effectifs.
Sources (texte) :
Keegan, John (2005). La Première Guerre mondiale. Paris : Perrin, 570p.
Sumpf, Alexandre (2017). La Grande Guerre oubliée. Paris : Perrin, 608p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Heligoland_(1914) (bataille d’Heligoland)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Dogger_Bank_(1915) (bataille du Dogger Bank)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Jutland (bataille du Jutland)
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Beatty (amiral Beatty)
https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Jellicoe (amiral Jellicoe)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Reinhard_Scheer (amiral Scheer)
http://87dit.canalblog.com/archives/2013/07/12/27625364.html (offensive de Broussilov)
https://minornationsmilitaries.blogspot.com/2015/05/conquest-of-romania-1916.html (campagne d’invasion de la Roumanie)
https://www.blabliblu.pl/2016/11/27/dlaczego-szwajcaria-nie-zostala-zaatakowana-w-trakcie-i-wojny-swiatowej/ (carte résumant les fronts terrestres et le blocus maritime de l’Entente)