La guerre de Sécession (partie XIV) : de Manassas à Antietam (août-septembre 1862)

La guerre de Sécession (partie XIV) : de Manassas à Antietam (août-septembre 1862)

Rappel : Durant la guerre de Sécession, la médecine n’avait pas encore connu la révolution bactériologique. De ce fait, la mortalité chez les soldats malades ou blessés était nettement plus élevée qu’aujourd’hui, bien que nettement moins élevée que celle du début du XIXe siècle. L’Union bénéficia du travail remarquable de Hammond et Letterman qui firent beaucoup pour prendre efficacement en charge les blessés sur le champ de bataille. Des deux côtés, des infirmières se révélèrent talentueuses pour soigner les hommes. Certaines finirent même par diriger les hôpitaux. Pendant ce temps, la bataille des Sept-Jours poussa le président Lincoln à ordonner une quasi-conscription qui déchaina l’opposition démocrate. Celle-ci était d’autant plus vive que les républicains et Lincoln faisaient progresser la question de l’esclavage. Le Président incita les Etats frontaliers unionistes à abolir l’esclavages contre de l’argent, sans succès. Pour les besoins de la guerre, Lincoln accepta de faire de la « contrebande » (les esclaves du Sud ayant fui vers le Nord) des hommes à tout faire dans l’armée. Ils ne furent pas nécessairement mieux traités dans l’armée nordiste qu’ils ne l’avaient été dans les Etats esclavagistes. A l’Ouest, la guerre continuait ; le général fédéral Halleck se démenait pour administrer les territoires conquis tandis que les généraux fédéraux Buell et Rosecrans s’échinaient à contrecarrer l’invasion confédérée du Tennessee et du Kentucky entreprise par les généraux Smith, Bragg et Polk.

Sur le front Est, après avoir repoussé les Fédéraux des environs de Richmond par la bataille des Sept-Jours, Lee avait bien l’intention de poursuivre son avancée. Côté fédéral, quittant le front occidental, Halleck fut nommé commandant en chef du front oriental. McClellan supporta mal d’être subordonné à un homme qu’il estimait moins capable que lui. Pour ne rien arranger, le général Pope prit la tête de l’armée protégeant Washington un peu plus au nord. McClellan n’aimait pas Pope non plus et voulait le voir échouer. Lee, qui avait parfaitement cerné McClellan, laissa une force réduite – 20 000 hommes – entre l’armée du Potomac et Richmond. Il comptait attaquer avec le gros de ses forces – 55 000 hommes – l’armée de Pope, faisant ainsi jeu égal avec ce dernier. C’était prendre un risque car McClellan, que Lee laissait sur ses arrières, disposait d’autant d’hommes que Pope. Lee, en infériorité numérique d’un pour deux, décida de tout miser sur une défaite de Pope. Et en effet, McClellan réclamait 50 000 hommes de plus à Lincoln pour attaquer. Plus audacieux encore et comme il l’avait déjà fait pour la bataille des Sept Jours, Lee scinda son armée en deux alors même qu’il était déjà en infériorité numérique face à Pope, allant à l’encontre des principes militaires.

John Pope (1822-1892), général de l’Union.

Ainsi, Lee envoya Jackson et son corps d’armée (24 000 hommes) faire un large crochet jusqu’à Manassas pour couper le ravitaillement de Pope. Celui-ci comprit trop tard ce que les Confédérés tramaient. Stonewall Jackson laissa ses hommes, affamés après avoir parcourus plus de 80 km en deux jours, manger sur les réserves fédérales de Manassas avant d’y mettre feu. Mais déjà, Pope était à portée. Ce que le général de l’Union ne savait pas, c’est que Lee et Longstreet n’étaient pas loin non plus. Le soir du 28 août 1862, une division de Pope tomba par hasard sur le camp de Jackson. Il y avait, dans cette division, la plus féroce brigade de l’Union : la « brigade de fer », composée d’hommes de l’Ouest (un régiment d’Indiana, trois du Wisconsin), qui sera celle qui souffrira les pires pertes de la guerre du côté de l’Union. En face, il y avait l’unité confédérée vouée au même triste record : la brigade Stonewall (uniquement des Virginiens).

Le combat fut acharné mais demeura un simple accrochage. Pope rassembla son armée et attaqua véritablement Jackson le 29 août 1862. En théorie, il y avait, pour soutenir Pope, des éléments de l’armée du Potomac (que Lincoln et Halleck avaient décidé de faire reculer, vu la situation). Ces renforts étaient sous les ordres de McDowell et Porter et comptaient 30 000 hommes. Mais en face, Jackson pouvait également compter sur le renfort de 30 000 hommes, dirigés par le général Longstreet. En fait, les deux forces de 30 000 hommes qui pouvaient soutenir chacun des camps se neutralisèrent et ne firent rien (ce qui valut la cour martiale à Porter, grand ami de McClellan qui détestait Pope). Le 29 août, Longstreet comme Porter et McDowell attendaient l’attaque de l’ennemi. Le véritable combat, la première journée de cette seconde bataille de Manassas (ou Bull Run), le 29 août, se déroula donc entre Jackson (22 000 hommes) et Pope (32 000 hommes).

Dans la nuit du 29 au 30 août, les Confédérés de Jackson se retirèrent de quelques postes avancés pour revenir sur leur ligne principale. Pope interpréta cela comme une retraite, cria victoire par télégraphe à Washington. Sa désillusion fut terrible lorsque, le lendemain, il constata que Jackson était encore là, ses hommes défendant leurs tranchées improvisées, comme la veille. Cette fois, cependant, Longstreet intervint dans l’affrontement, attaquant avec énergie l’aile gauche dégarnie de l’Union et déversant un efficace feu d’artillerie sur les Fédéraux qui, bien que luttant courageusement, reculèrent. Pope ordonna la retraite. Il avait perdu 16 000 hommes sur ses 65 000 en cinq jours. Les Confédérés déploraient moins de 10 000 victimes pour une armée de 55 000 hommes. Lee, avec deux fois moins d’hommes, était parvenu à inverser la tendance. En un mois, il avait troqué une ligne de front à 30 km de Richmond pour une nouvelle à 30 km de Washington.

James Longstreet (1821-1904), général des Etats Confédérés.

Dans la capitale de l’Union, Stanton, secrétaire d’Etat à la Guerre, demanda une aide civile pour soigner les blessés. Les infirmières, principalement, répondirent massivement présent sous l’égide de Clara Barton. Elles travaillèrent sans relâche. Pour cela, il fallait également un bon organisateur ferroviaire. Ça tombait bien, Herman Haupt : directeur de la construction et des transports pour les chemins de fer militaire de l’Union en Virginie, était incroyablement talentueux. Lui qui avait, en quatre jours, rebattît un pont essentiel à la logistique, détruit par Jackson, avec l’aide de soldats inexpérimentés sut mettre de l’ordre dans les convois. Toute la guerre durant, Haupt allait faire des merveilles dans le génie.

Clara Barton (1821-1912), infirmière de l’Union, fondatrice de la Croix Rouge américaine.
Herman Haupt (1817-1905), officier de l’Union dans le génie, ingénieur civil spécialisé dans la construction ferroviaire.

Concernant la situation militaire, Lincoln, mortifié, releva Pope de son commandement et demanda à McClellan de défendre Washington. C’est exactement ce que celui-ci avait souhaité. Si Lincoln agissait ainsi, c’est parce que les hommes étaient démoralisés. En deux jours, McClellan, léthargique quand il s’agissait d’attaquer mais exceptionnel quand il s’agissait de former et préparer les hommes, redressa l’armée du Potomac. Lee n’en avait pas idée. L’armée de ce dernier était dans un piteux état, marchant pieds nus sur les routes, les uniformes en haillons, affamés et manquant de munitions, mais enthousiastes. Pourtant, les gains politiques et stratégique éventuels que provoqueraient la poursuite de la marche vers Washington poussèrent Davis et Lee à opter pour cette alternative. Ils comptaient sur cette offensive pour attirer le Maryland dans la Confédération, effrayer assez le Nord pour pousser les électeurs à placer des politiciens pacifistes à la tête du pays et peut-être motiver les puissances étrangères à reconnaître les États Confédérés.

De fait, les Confédérés libérèrent la partie unioniste du Maryland et furent donc déçus de l’accueil qu’ils reçurent, de la même manière qu’ils l’avaient été au Kentucky. Une garnison fédérale placée à Harper’s Ferry empêchait Lee de s’approvisionner en munitions. Celui-ci décida, pour la troisième fois, de scinder son armée malgré un ennemi déjà supérieur en nombre lui faisant face (Lee avait 50 000 hommes, McClellan 80 000, bien que celui-ci estime les effectifs de Lee à 100 000 hommes). Lee envoya Jackson avec les deux tiers de son armée sur Harper’s Ferry. Pendant ce temps, le 13 septembre, McClellan trouva au hasard un cigare confédéré autour duquel se trouvait une copie de tous les ordres de Lee, laissés là par un officier négligeant. Cet immense coup de chance fit savoir à McClellan que Lee avait scindé son armée en quatre. Cette information lui conférait un avantage susceptible de provoquer l’annihilation de l’armée confédérée.

McClellan, fidèle à lui-même, prit soin d’établir un plan pendant 18 heures, laissant juste le temps à Lee de réagir et de sauver son armée. Car lorsque, enfin, McClellan daigna avancer le 14 septembre, un pro-confédéré du Maryland avait fait remonter l’information à Lee et celui-ci s’était hâté de bloquer un défilé de South Mountain avec les divisons de D. H. Hill et Longstreet. Lee s’économisait de la sorte une journée supplémentaire. Le général confédéré hésita à évacuer son armée vers la Virginie. Mais quelle défaite morale cela aurait été ! Simultanément, Jackson parvint à faire tomber la garnison d’Harper’s Ferry, terriblement mal commandée, le 15 septembre. Lee pensait de surcroît l’armée du Potomac démoralisée. Tous ces éléments en tête, il décida alors de faire converger ses hommes vers Sharpsburg et de faire face. Par cette décision, l’armée confédérée se trouvait acculé devant le Potomac avec un seul pont pour le traverser en cas de désastre. Une stratégie bien téméraire. McClellan, qui disposait de 60 000 hommes, à quoi s’ajoutaient 15 000 renforts, aurait pu attaquer les 25 à 30 000 hommes de Lee le 16 septembre. Mais le général fédéral ne voulait pas se montrer imprudent devant une armée qu’il imaginait encore forte d’effectifs délirants. De ce fait, il ne tenta aucune attaque ni n’envoya aucun éclaireur recueillir des informations. Le 17 septembre 1862, au matin, McClellan lança enfin son offensive. Seulement voilà, deux divisions confédérées supplémentaires avaient eu le temps de renforcer Lee grâce à ce jour de répit. Elles allaient se montrer décisives dans la bataille.

Pour attaquer, McClellan devait traverser l’Antietam. Le général de l’Union comptait attaquer sur toute la ligne simultanément tout en gardant des forces en réserves, sous Porter, afin d’exploiter une éventuelle brèche dans la ligne confédérée. Il attendait également du corps d’armée de Burnside, qui attaquait l’aile droite confédérée, qu’il enveloppe celle-ci et lui coupe par la même occasion l’accès au seul pont permettant une fuite à l’armée ennemie. Ce plan était excellent, mais fut mal appliqué. En vérité, les Fédéraux attaquèrent en trois temps : d’abord l’aile gauche des Confédérés puis, après une lutte acharnée, le centre de la ligne et enfin la droite. Cet état de fait permit à Lee de dégarnir les secteurs calmes pour renforcer ceux attaqués, tour à tour. Joe Hooker « le battant » attaqua le premier, sur l’aile gauche confédérée. Suite à ces combats acharnés, les Fédéraux se portèrent sur le centre et parvinrent, après un dur combat, à le faire craquer. C’était la brèche tant attendue. McClellan hésita et, persuadé que Lee organisait ses immenses réserves, ne fit rien.

Représentation de la bataille d’Antietam (Sharpsburg), 17 septembre 1862.

Sur la droite des Confédérés, le corps de Burnside prit un temps infini à traverser le pont au prix de lourdes pertes dans des unités expérimentées. En fait, un gué hors d’atteinte des défenseurs confédérés aurait permis d’arriver au même résultat immédiatement et sans pertes. Mais ce gué fut découvert alors que la percée était enfin effectuée. Une reconnaissance du terrain aurait pu s’avérer utile …. Toujours est-il que le corps d’armée de Burnside malmena une armée confédérée au bord du gouffre mais plus guère attaquée sur le centre ou la gauche, ce qui lui permit de tenir. Cette offensive de Burnside était une nouvelle occasion pour McClellan. S’il lançait ses réserves (Porter) maintenant, Lee se trouverait dans une terrible posture. McClellan hésita puis sembla accepter alors qu’un de ses officiers le pressait d’agir. Mais Porter fit remarquer « Rappelez-vous, mon général, que je commande l’ultime réserve et la dernière armée de la République. » McClellan se ravisa. Malgré tout, Burnside était en passe de l’emporter lorsque surgit, à 16h30, la division de A. P. Hill. Celui-ci revenait à marche forcée d’Harper’s Ferry, franchit le seul pont qui aurait permis à Lee de fuir et attaqua Burnside sur ses arrières. Ces Confédérés portaient des tuniques bleues, habit des Fédéraux, parce que tout valait mieux que leurs uniformes en haillons. L’hésitation qui prit les soldats de l’Union pendant quelques minutes fut fatale. Le corps de Burnside fut finalement repoussé.

Vision tactique de la bataille d’Antietam (Sharpsburg) le 17 septembre 1862.

La bataille de Sharpsburg (Antietam pour le Nord) fit 6 000 morts et 17 000 blessés, en une journée. Soit quatre fois plus de victimes que le 6 juin 1944 (débarquement de Normandie). Plus de victimes américaines que les guerres de l’Indépendance (1812) du Mexique (1847) et américano-espagnole (1898) réunies n’en firent. Lee, malgré son armée plus qu’entamée, resta sur place le 18 septembre. McClellan n’osa pas l’attaquer. Le 19, Lee s’en retourna en Virginie et ne fut pas vraiment poursuivi.

Enfin frappés par une pénurie de coton à l’été 1862, les Britanniques et les Français étaient en passe de reconnaître les Etats Confédérés ou d’intervenir. Ce penchant fut renforcé par les succès militaires du Sud à cette période. La Confédération pouvait fournir du coton et s’était de plus toujours montrée favorable aux plus bas tarifs douaniers, préfigurant un libre échange qui plaisait aux Franco-britanniques. Mais pour les Britanniques, soutenir l’esclavage n’était pas admissible. Quoique l’Union n’avait pas encore réellement agi contre l’esclavage non plus. Les ouvriers européens étaient pour partie hostiles à la Confédération. Pour eux, le Sud représentait l’aristocratie, les privilèges et l’asservissement alors que le Nord représentait la liberté, le gouvernement populaire de Lincoln qui venait d’en bas. Gardons-nous d’aller trop loin, contrairement à ce qu’avancèrent certains (dont un dénommé Karl Marx), tous les ouvriers n’étaient pas hostiles aux Confédérés, affaiblissant la thèse de la lutte des classes.

Quoi qu’il en soit, Napoléon III fut peut-être le plus tenté d’intervenir. Il s’était déjà engagé contre le Mexique pour contrebalancer la puissance protestante américaine avec un royaume catholique et proche de l’Europe. Napoléon III était intervenu, avec le Royaume-Uni et l’Espagne, au prétexte que le Mexique ne voulait plus rembourser ses dettes. Mais seuls les Français étaient restés. Aussi, l’Empereur des Français fut-il tenté de s’allier avec les Confédérés. Mais il ne voulait pas agir sans Londres : sa flotte était trop faible. Le Royaume-Uni, toujours méfiant de son voisin d’outre-Manche et pourtant nouvel allié, refusa de supporter les rêves mondiaux de Napoléon III. L’Europe proposa sa médiation aux Américains, l’Union la refusa. L’Europe attendait donc qu’un camp prenne le dessus.

Les Britanniques fournirent néanmoins à Bulloch (Confédéré) ses navires corsaires Florida et Alabama. Le premier détruisit 38 navires de la marine marchande américaine avant d’être capturé en octobre 1864 au Brésil. Le second, dirigé par le redoutable Raphael Semmes, détruisit ou captura 64 navires marchands américains avant d’être coulé par l’USS Kersage au large de Cherbourg en juin 1864. Bien que non décisifs, ils furent les deux meilleurs navires corsaires de la Confédération.

Lincoln profita de la victoire d’Antietam pour appliquer sa proclamation d’émancipation des Noirs le 22 septembre 1862… En dehors de l’Union. Le président fut critiqué des deux côtés : ce n’était pas assez pour les républicains radicaux et trop pour les démocrates conservateurs. Lincoln affirma que cette liberté serait appliquée à partir du 1er janvier 1863. Le Président promettait donc d’émanciper les esclaves qui n’étaient pas sur son territoire : tout le monde restait sceptique. Mais l’armée le soutenait, y voyant une intéressante source de nouveaux soldats.

Les démocrates refusaient de lutter pour l’abolition qui était désormais officiellement le but de guerre de l’Union. Le slogan démocrate n’était-il pas « La Constitution telle qu’elle est, l’Union telle qu’elle était » ? Complété par un électeur par « et les nègres où ils sont ». Les démocrates dépeignaient toujours « l’invasion des nègres » que provoquerait selon eux l’émancipation. Lincoln était traité de despote, surtout qu’il avait suspendu le décret d’habeas corpus pour imposer plus facilement la conscription et faire emprisonner les ennemis de la guerre, qui s’avéraient être surtout des démocrates. Ceux-ci se posèrent en victimes. Les élections intermédiaires offrirent aux républicains un résultat mitigé mais finalement positif. De ce fait, et pour ses tares militaires, Lincoln limogea McClellan le 7 novembre 1862.

Source (texte) :

McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.

Sources (images) :

https://en.wikipedia.org/wiki/John_Pope_(military_officer) (Porter)

https://en.wikipedia.org/wiki/James_Longstreet (Longstreet)

https://en.wikipedia.org/wiki/Clara_Barton (Clara Barton)

https://en.wikipedia.org/wiki/Herman_Haupt (Herman Haupt)

https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_Antietam (bataille d’Antietam/Sharpsburg)

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