Rappel : Malgré la sortie de guerre de la Russie, l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 promettait un bouleversement de l’équilibre des forces sur le front Ouest en 1918. Ludendorff en avait conscience et échafauda alors l’offensive « Micheal », en mars 1918. C’était l’offensive de la dernière chance, destinée à annihiler l’armée britannique et créer une percée dans le front. Il fallait faire vite, car une autre menace pesait. En 1918 se répandit la « grippe espagnole » dans les tranchées. Elle faucha les vies par centaines de milliers. L’offensive de Ludendorff, en trois temps, fut redoutable mais ne perça pas le front. Les Alliés, unis sous la direction du généralissime Foch, contre-attaquèrent avec l’offensive des Cent Jours (18 juillet – 11 novembre 1918). Les Allemands furent rejetés sur leur ligne Hindenburg puis repoussés sur tout le front. Pendant ce temps, l’Empire ottoman pliait en Palestine et en Mésopotamie, tandis que les Italiens, renforcés par un contingent franco-britannique de 100 000 hommes, lançaient leur offensive décisive avec la bataille de Vittorio Veneto (24 octobre – 3 novembre 1918). L’Empire d’Autriche-Hongrie capitula et s’effondra, donnant naissance à plusieurs nations ; l’Empire ottoman et la Bulgarie signèrent également la paix. Début novembre 1918, seul restait l’Empire allemand. Le 9 novembre, le kaiser abdiqua. Le 11, l’Empire capitula malgré les conditions très sévères imposées par les Alliés.

La Première Guerre mondiale fut d’un nouveau type : les soldats y mourraient de manière industrielle, c’est-à-dire massivement. L’horreur, atteignant un niveau inédit, marqua à jamais les hommes. Les médecins firent des prouesses, mais pas des miracles. Nombreux furent ceux qui échappèrent à la mort, mais si les médecins sauvèrent leur vie, ils ne purent rien ni pour leur esprit, ni pour leur visage. Beaucoup sortirent de la guerre traumatisés. Les « gueules cassées » furent des soldats défigurés et dont l’apparence fut juste assez sauvée par les prothèses pour préserver leur dignité. Les prothèses se développèrent toute la guerre durant, tout comme la chirurgie, apparue pour répondre à un besoin que la guerre moderne avait engendré. De fait, les sociétés furent militarisées en 1914 et déployèrent un effort considérable pendant quatre années. La Grande Guerre intervint à une époque où l’on parvenait à créer des armes aux capacités de destruction impensables et qu’on ne savait pas juguler. Ce dérèglement faucha les vies par millions. Le meilleur exemple que l’on puisse donner concerne l’arme qui fit le plus de victimes dans cette guerre : l’artillerie. Le canon le plus utilisé (mais pas le seul), fut celui de 75mm. Durant la guerre, pas moins de 200 millions d’obus de 75 furent tirés par les belligérants : soit 100 000 obus par jour en moyenne. Ces obus connaissaient des formes variées : classiques au début, ils furent rapidement remplis de shrapnels ou de gaz. Par obus à shrapnels, on entend un obus est rempli de petites billes de métal destinées, lors de l’explosion, à être projetées partout alentour, emportant des mâchoires dans le meilleur cas, des vies dans le pire. On ne s’étonnera pas, dès lors, que l’artillerie, responsable de 75% des victimes de la guerre, ait enfantée 6,5 millions d’invalides.

La violence inédite de ces armes aurait dû empêcher les généraux de même envisager des offensives frontales de masse. L’acharnement et l’offensive à outrance furent malheureusement les maîtres mots. Bien des critiques furent formulées contre les généraux de la Première Guerre mondiale pour ces attaques inutiles et criminelles. On les accuse notamment de nos jours d’être restés loin à l’arrière, vivant dans des châteaux, mangeant des festins et en demeurant insensibles aux pertes pourtant alarmantes. Ces accusations sont légitimes. Et rien, que ce soit leurs écrits, leur expression faciale sur les photos ou leurs paroles, ne peut leur insuffler l’humanisme qu’on les accuse d’avoir égaré.

Pourtant, il est trois remarques que l’on se doit de formuler pour nuancer le tableau entièrement noir qui est dressé. Les généraux n’étaient tout d’abord pas tous loin derrière : la preuve en sont les 56 généraux britanniques morts sur le front, par exemple. Ensuite, le fait que les généraux les plus importants, ceux qui coordonnaient les attaques, soient loin derrière était une nécessité. Nous étions alors loin d’un affrontement de deux armées réduites. Pendant la Première Guerre mondiale, plusieurs armées attaquaient sur un front large de plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres. En réalité, plus un général se trouvait proche de l’action, moins il était utile : il lui fallait rester en arrière pour se nantir d’une vision globale de la bataille et surtout pour être au centre des multiples lignes de communications qui partaient de l’ensemble du front. Par ailleurs, les généraux ne bénéficiaient pas encore des moyens de communications permettant de diriger, tel que la radio pour ne citer qu’un exemple. Les généraux étaient aveugles, sourds et muets. Comme nous l’avons vu, une fois l’offensive commencée, ceux-ci devenaient inutiles. Par ailleurs, les généraux qui décidaient de la conduite de la guerre ne voyaient pas leurs hommes mourir au combat et tombaient dans les travers des statistiques ; desquelles la démesure devenait supportable et habituelle. La guerre était devenue plus grande que les hommes qui la menaient.

Un aspect important de cette guerre inhumaine fut le moral des combattants. Celui-ci resta élevé bien plus longtemps qu’on aurait pu l’imaginer. Concernant la France, le moral s’avéra très élevé de 1914 à 1917 : un moral dut d’abord au naïf espoir d’une guerre courte, les soldats pensant partir pour une guerre rapide et romantique en 1914, prévoyant un retour avant Noël. La désillusion fut surmontée par la nécessité de reprendre le territoire français et par l’esprit de camaraderie. Les Britanniques furent également optimistes de 1914 à 1917, les volontaires des « armées Kitchener » furent légions puis, les volontaires venant à manquer, la conscription obligatoire prit place. Les Britanniques aussi se rebellèrent en 1917, mais sans commune mesure avec les « mutineries » françaises. Les Allemands sont à saluer. L’armée allemande fut la seule armée qui ne craqua pas. Pourtant elle était comme seule face au monde : l’Autriche-Hongrie était faible et ne vécut que sous assistance respiratoire prodiguée par les Allemands dès 1915 ; l’Empire ottoman, après Gallipoli et Knut, déclina et ne détourna de toute manière pas beaucoup de troupes adverses. Ainsi, l’Allemagne fut presque seule à supporter l’effort au moins à partir de 1916. Les soldats allemands, mais surtout les civils, subirent pourtant le blocus de le Triple Entente. La pénurie alimentaire frappa durement l’arrière, mais les protestations n’apparurent réellement qu’en 1918. Cela peut s’expliquer par la victoire contre la Russie et la Roumanie, qui entretinrent un espoir.

Il faut également et malheureusement saluer la créativité allemande : l’utilisation militaire du gaz, le perfectionnement du masque à gaz, l’invention du lance-flammes et les tactiques militaires sans cesse renouvelées et améliorées firent bien du mal à l’Entente. L’une des seules innovations qui marquèrent la guerre et qui ne fut pas allemande fut cependant redoutable : le char d’assaut. Le fait que l’Allemagne n’ait pas adopté cette nouvelle arme est aujourd’hui considéré comme la pire décision allemande de la guerre. Pourtant ce fait ne fut pas tant dû à la volonté des dirigeants allemands qu’à une pénurie de fer, empêchant le IIe Reich de produire ces monstres blindés. Les Allemands ne purent que récupérer les chars de leurs adversaires et les remettre en état. L’aviation fut également un domaine dans lequel l’Allemagne fournit un bel effort, mais ce fut la France qui assembla la première division de chasse aérienne en mars 1916.

Concernant l’Italie, le moral des soldats fut tout bonnement incompréhensible. Ceux-ci étaient pourtant souvent originaires du sud du pays et peu patriotes alors que les soldats d’artillerie ou supérieurs étaient du nord. Les Italiens du sud ne se sentaient pas Italiens et ne furent pas formés. Ils luttèrent pourtant dans les montagnes, accomplissant des prouesses telles que monter des canons sur les hauteurs. Ils se montèrent à l’offensive toujours au même endroit, sans progresser. Le terrain rocailleux occasionna de terribles blessures. Pourtant le moral ne flancha pas. Les Italiens furent soumis à une discipline de fer, émanant du chef d’état-major : Cadorna. Jusqu’en 1917 et la terrible défaite de Caporetto, les Italiens ne cédèrent pas. Concernant les Austro-Hongrois, le caractère pluriethnique de l’Empire annonçait un effondrement inéluctable. L’armée, mal dirigée et connaissant des pertes effroyables dès les premiers mois, continua pourtant de se battre jusqu’en 1918. Cette union, pourtant si précaire, force l’admiration. François-Joseph, vieil empereur, vu comme stabilisateur pour l’Empire car respecté, joua un rôle fondamental dans cette équation jusqu’à sa mort, fin 1916. Mais le meilleur facteur resta l’aide allemande, qui permit à l’Autriche-Hongrie de garder si longtemps son intégrité.

Si les Turcs furent impressionnants au début de la guerre, ils s’engagèrent rapidement dans un déclin irrésistible. Leur moral, insufflé par un chef charismatique, Mustafa Kemal, leur permit pourtant de tenir à Gallipoli face à l’excellent ANZAC. Dans le Caucase, les Turcs furent balayés mais ils le furent autant par le froid que par les Russes. Et puis les Jeunes Turcs rendaient les coups. La Russie tsariste enfin, regroupa par millions des paysans qui ne savaient pas pourquoi ils combattaient. La promesse de l’alcool (qui coulait à flot dans toutes les armées) et de repas leur suffit pour monter au combat, traversant le no man’s land malgré les balles. Après le recul de 1915 et malgré les gains de 1916, le soldat russe atteignit également ses limites en 1917. Les espoirs d’une victoire s’éteignirent et la stupidité du sacrifice se révéla… D’autant plus qu’ils ne savaient pas réellement pourquoi ils se battaient. Le fait que, pendant les révolutions russes, l’armée luttait encore, montre que la rupture ne vint pas tant du front que de l’arrière, malmené par la crise économique.

Ce ne fut qu’en juin 1919 que fut signée une paix bien difficile à établir. Le 28 juin 1919, cinq ans jour pour jour après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand qui déclencha la machine infernale, les puissances signèrent le traité de Versailles. Par ce traité, l’Allemagne fut indument considérée comme la principale responsable de la Grande Guerre et fut châtiée en conséquence. Elle vit son armée limitée à une puissance symbolique – 100 000 hommes – ; n’avait plus de flotte (les navires ayant été sabordés par les marins en rébellion en 1918) et ne pouvait en bâtir une nouvelle ; 25 000 avions et 5 000 canons furent cédés, et ce alors que l’Allemagne subissait encore, en 1919, le blocus des Alliés et criait famine. L’Empire allemand fut démantelé et perdit 25% de sa superficie (13% de son territoire européen, la perte des colonies faisant le reste) soit la perte, en Europe, de 70 000 km² et de 6.5 à 7 millions d’habitants. Une partie du territoire fut cédées à la Pologne, créant le fameux couloir de Dantzig qui plongera le monde dans la Seconde Guerre mondiale vingt ans plus tard, le 1^er septembre 1939 ; les sudètes furent cédées à la nouvelle Tchécoslovaquie ; l’Alsace-Moselle rendue à la France et tous les territoires conquis (Belgique, Roumanie et surtout Russie) rétrocédés. A ces concessions territoriales lourdes s’ajoutèrent des réparations de guerre insupportables pour un pays en crise et gouverné par la faible république de Weimar. La Rhénanie, région industrielle primordiale de l’Allemagne, ainsi que le stratégique bassin de la Ruhr furent occupée par les Alliés. L’empire coloniale allemand disparut également. Une formule fumeuse est inventée pour faire passer ces colonies sous responsabilité de la toute nouvelle Société des Nations (SDN), mettant en avant le terme voué à prendre de l’importance de « liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes » si chère à Wilson, le président américain. En réalité, ce furent les puissances occidentales et le Japon qui administrèrent ces zones, ce qui était un autre style de pouvoir colonial. Si ces conditions étaient si dures, c’est que la France voulait faire payer à l’Allemagne.

Le traité de Versailles fut signé dans la galerie des Glaces à Versailles, l’endroit-même où avait été proclamé, en janvier 1871, le Deuxième Reich allemand qui venait de tomber. Ce traité fut une humiliation et fut perçu comme tel par de nombreux allemands ; en particulier un jeune soldat ayant combattu en 1914-1918 du nom d’Adolph Hitler. Pour lui, le traité de Versailles fut un dictat : dicté par les vainqueurs, un « coup de poignard dans le dos ». De tous les empires engagés dans la première déflagration mondiale (Empire allemand, Empire britannique, Empire russe, Empire d’Autriche-Hongrie et Empire ottoman), seul l’Empire britannique traversa la guerre, tous les autres s’effondrèrent.

Le traité de Versailles, inégal et humiliant, mit fin à une guerre horrible et meurtrière. Les pertes atteignirent des sommets jamais atteints. Parmi les morts militaires (et totaux, comptant les civils, entre parenthèse), on compte 18 050 Néo-Zélandais (-), 42 987 Belges (104 987), 61 928 Australiens (-), 64 944 Canadiens (-), 87 500 Bulgares (187 500), 116 708 Américains (117 465), 250 000 Roumains (430 000), 275 000 Serbes (725 000), 651 010 Italiens (plus de 1,2 million), 800 000 Ottomans (5 millions), 885 138 Britanniques (994 138), 1,1 million d’Austro-Hongrois (plus de 1,5 million), 1,4 million de Français (1,7 million), 1,8 million de Russes (3,3 millions) et plus de 2 millions d’Allemands (plus de 2,4 millions). Le total militaire se hisse à 70 millions de soldats mobilisés, dont 9,7 millions de morts ; le total civil est lui estimé à quelque 9 millions de morts. En tout, la guerre fit ainsi 20 millions de morts et autant de blessés, soit 6 221 tués par jour de guerre.

La Première Guerre mondiale fut non seulement horrible mais également qu’un commencement. La « Der des der » ne marqua pas la fin des guerres mais celle d’un temps. A l’opposé de ce qu’elle devait être, la Première Guerre mondiale fut la graine de tous les autres conflits d’Europe au XX^e siècle. Sa conclusion marqua le début de nouvelles tensions dans les Balkans (guerre gréco-turque de 1919-1922), en Europe de l’est (guerre civile russe, guerre russo-polonaise), des futures guerres au Moyen-Orient par son découpage approximatif fait par l’Occident, mais aussi des mouvements extrémistes dont les totalitarismes découleront et qui aboutiront à la Seconde Guerre mondiale.

Keegan, John (2005). La Première Guerre mondiale. Paris : Perrin, 570p.

Sumpf, Alexandre (2017). La Grande Guerre oubliée. Paris : Perrin, 608p.

https://yearpads.blogspot.com/2021/06/allemagne-traite-de-versailles-1919.html (traité de Versailles)

https://www.kartable.fr/ressources/histoire/cours/la-premiere-guerre-mondiale-1914-1918/5401 (Europe 1914 vs 1923)