La Première Guerre mondiale (partie IV) : front de l’Ouest, tranchées et vaines offensives (1915)

La Première Guerre mondiale (partie IV) : front de l’Ouest, tranchées et vaines offensives (1915)

Rappel : A l’est, les Russes passèrent à l’action plus rapidement que ne l’avaient prévu les Allemands. Toutefois, le manque de communication entre les deux armées russes dirigées contre la Prusse orientale et le retard que prit une des deux armées sur l’autre permirent aux Allemands, après une défaite sans lendemain à Gumbinnen, de remporter la bataille de Tannenberg fin octobre 1914. Alors que le front de l’ouest s’immobilisait et semblait se diriger vers l’impasse, les Allemands estimaient désormais qu’en défendant à l’ouest, ils pourraient l’emporter à l’est sur une Russie plus faible. Pour autant, ce calcul reposait en partie sur l’Autriche-Hongrie. Or, Conrad von Hötzendorf, le chef d’état-major austro-hongrois, comptait d’abord en finir avec la Serbie puis lutter contre la Russie. Des déconvenues contre un peuple serbe décidé dans un pays à la topographie extrême finirent par infléchir le commandement austro-hongrois qui dérouta la majeure partie de ses forces vers le front contre la Russie fin 1914. La pression allemande sur son allié et la menace que représenta rapidement la Russie participèrent également à ce revirement stratégique de Vienne. L’armée austro-hongroise résista aux assauts russes, voire progressa en fin d’année 1914 avec l’offensive Limanowa-Lapanow en décembre, mais uniquement avec le soutien allemand. Fin 1914, Allemands et Austro-Hongrois n’étaient pas parvenus à réduire le saillant polonais, encore moins à prendre Varsovie, et l’armée austro-hongroise, qui avait perdu ses meilleures unités, était déjà saignée à blanc. C’est alors que l’Empire ottoman, endetté envers l’Allemagne et dirigé de facto davantage par l’ambitieux Enver Pacha que par le sultan Mehmed V, décida d’entrer en guerre auprès des empires centraux. Il opta cependant pour une attaquer contre la Russie dans le Caucase, en plein hiver, fin 1914, et non en Ukraine comme le souhaitaient les Allemands. L’armée ottomane, décimée par le froid et les Russes, échoua largement à bousculer l’Empire russe. Le Royaume-Uni, qui s’était préparé à l’éventualité d’une entrée en guerre ottomane, déploya de suite des forces en Egypte et en Mésopotamie. Loin de l’Europe, Français, Britanniques et Japonais luttèrent pour s’emparer des colonies allemandes dans le Pacifique, en Chine et en Afrique. De toutes ces colonies, Tsing-Tao, prise par les Japonais, le Cameroun, le Sud-Ouest allemand (actuelle Namibie) et la colonie de l’Est allemand (actuelle Tanzanie, défendue par le brillant général von Lettow-Vorbeck), furent celles qui résistèrent le plus âprement. Enfin, des engagements navals complétèrent le tableau, les croiseurs allemands étaient traqués sur tous les océans.

Alors que le front s’immobilisait à l’ouest, un mot sur les tranchées est nécessaire. Si elles apparurent fin 1914, les tranchées furent améliorées au cours de la guerre. Côté allemand, la priorité à l’ouest était la défense. Falkenhayn savait qu’il devait envoyer de plus en plus de troupes à l’est. Son objectif était donc de tenir à l’ouest avec le moins de troupes possibles. Fort heureusement pour les Allemands, ils avaient opéré un retrait intelligent fin 1914, creusant leurs tranchées dans le calcaire, bien plus sec que la boue dans laquelle s’enterrèrent les armées françaises. Les tranchées allemandes devinrent peu à peu plus confortables, l’électricité y fut même installée à certains endroits. Des cloisons, des tableaux, des escaliers firent leur apparition. Côté français, il n’était pas question de se mettre à l’aise : il fallait récupérer le territoire perdu. Les Français s’enterrèrent ainsi dans la boue et ne bénéficièrent d’aucun confort. S’ils en voulaient, il faudrait pour cela prendre les tranchées ennemies. Joffre, du reste, menait une stratégie offensive et défensive, dépendant des secteurs et des avantages qu’offraient les terrains à l’un ou l’autre camp. Les tranchées, en règle générale, étaient fines et ne suivaient pas un tracé droit mais plutôt irrégulier, comme une fissure lézardant un mur, pour échapper aux bombardements de l’artillerie adverse ; il existait également un objectif secondaire : si les Allemands prenaient une partie de la tranchée, ils ne pouvaient tuer tous les soldats de l’Entente qui s’y trouvaient.

Exemple d’une tranchée au début de la guerre, 1915 (Pas-de-Calais).

Les tranchées de front furent très rapidement accompagnées de tranchées secondaires, pour assurer une seconde ligne, dite de « soutien », en cas de perte de la première. Une troisième ligne fut également creusée, dite de « réserve ». Ces lignes étaient distantes les unes des autres de quelque 300 ou 400 mètres. Côté allemand, une seule ligne très fortement fortifiée était tenue. Une seconde ligne apparut bien plus tard, à un millier de mètres derrière la première. Rupprecht, prince héritier, expliqua l’absence de seconde ligne par le fait que les soldats devaient se battre pour tenir sans pouvoir se reposer sur un soutien. La défense se devait ainsi d’être vigoureuse. Entre les lignes, des boyaux de communication perpendiculaires reliaient les tranchées. Au fur et à mesure que le front bougeait légèrement et que les tranchées se multipliaient, la présence d’un guide accompagnant les troupes devint nécessaire. Le no man’s land était large de vingt-cinq à trois ou quatre cents mètres à l’ouest, de trois à quatre mille mètres à l’est. Cette donnée explique les « coups de main » que les Britanniques et les Allemands mirent en œuvre à l’ouest : c’est-à-dire des irruptions brèves dans les lignes ennemies à la faveur de la nuit. Ceci explique aussi le fait qu’il existait des barbelées dites internationales car entretenues par les deux camps. Le front de l’est, bien plus vaste et mobile, ne répondait pas à la même logique.

Tranchée française à Verdun, 1915.

En 1915, le front de l’Ouest découvrit ce qui serait son habitude. Les premières réelles attaques de tranchée à tranchée eurent lieu. La bataille de Neuve-Chapelle, le 10 mars 1915, nous donne un parfait schéma de ce que furent, parfois dans de plus larges proportions, toutes les suivantes. Cette offensive fut menée par le BEF de John French. Ce dernier voulait surtout redorer le blason du BEF qui, aux yeux des Français, s’était montré décevant en fin 1914. French avait, pour cela, un plan simple : celui de prendre le village en ruine de Nouvelle-Chapelle, qui faisait face à la partie de front de l’Ouest tenue par les Britanniques.

Le 10 mars à 7h du matin, le bombardement d’artillerie s’abattit sur les lignes allemandes. Ces derniers furent surpris, ce qui sera rare dans la guerre. L’artillerie procéda alors à une préparation d’artillerie : un tir de barrage, c’est-à-dire bombarder massivement les lignes ennemis ainsi que le terrain juste derrière celles-ci pour écraser l’adversaire et le priver de tout renfort alors que les assaillants avançaient dans le no man’s land. Les Britanniques, nombreux et prêts, percèrent les lignes ennemies. Les Allemands étant pris au dépourvu, la percée pouvait être exploitée. Or, là venaient les problèmes. Les soldats britanniques s’arrêtèrent pour attendre les ordres. En 1915, la communication d’un message se faisait soit par signe, soit par estafettes ou, dans le meilleur des cas, par télégraphe. Le premier moyen était souvent inenvisageable, faute de visibilité ; le second était lent et vulnérable ; le dernier constamment coupé. Précisons que les lignes téléphoniques étaient bien installées entre les tranchées et les quartiers généraux. Seulement, lors d’une avancée, la ligne de téléphone était abandonnée derrière.

Alors, généralement, il fallait qu’une estafette parcourt la distance séparant la ligne de front du quartier général, délivre le message écrit, que le quartier général le transmette pour qu’il arrive finalement au général, souvent installé à une dizaine de kilomètres du front. Une fois le message arrivé, le général prenait une décision et le message devait faire tout le chemin inverse, passant par tous les quartiers généraux (de division, puis de brigade, puis de bataillon) pour enfin atteindre les compagnies au front. Pour ne rien arranger, les messages devaient constamment être réécris entre chaque étape. Concrètement, dans la bataille de le Nouvelle-Chapelle, la demande partit du front à 9h du matin. La réponse parvint au front vers 18h, 9h plus tard. Pendant ce délais, l’ennemi avait eu tout le loisir de reformer la ligne et les renforts nécessaires avaient été dépêchés. La percée n’avait plus aucune chance d’être un succès décisif. Pire, le temps que le message parvienne de nouveau au front, s’il n’avait pas été perdu en cours de route, la situation avait bien souvent complètement changé. L’ordre du général était dès lors obsolète dans le meilleur cas, suicidaire dans le pire.

Dans le cas de la bataille de la Nouvelle-Chapelle, les Allemands tinrent solidement les flancs de la percée pour ensuite colmater la brèche et contre-attaquer. Le 12 mars, les Allemands se lancèrent dans une offensive destinée à reprendre le terrain perdu. Une autre observation est ici importante. Au début de l’offensive, les Britanniques avaient l’avantage de la surprise (ce ne sera pas toujours le cas) et de la puissance de feu. Une fois dans la tranchée ennemie, le soldat britannique était perdu en terrain inconnu, pour ainsi dire. Les Allemands, eux, connaissaient par cœur leurs tranchées et se repliaient sur des lignes secondaires qu’ils connaissaient en suivant des lignes de téléphone intactes, le plus souvent. Et puis, l’artillerie britannique n’ayant pas établi de nouvelles positions derrière la nouvelle ligne de front, il lui était désormais impossible de soutenir les fantassins. L’avantage passait ainsi des assaillants aux défenseurs. Le lendemain, les Allemands répliquaient. Cette fois, ils étaient les assaillants. Les Britanniques avaient alors rétabli les lignes téléphoniques et s’étaient familiarisés avec leur nouvelle ligne de défense. L’avantage passait de nouveau aux Britanniques, occasionnant de lourdes pertes chez les Allemands. Ainsi, les batailles de tranchée à tranchée étaient souvent plus ou moins égales au niveau de ce que les généraux appelaient déjà le « taux de change ». En guise d’exemple, la bataille de la Nouvelle-Chapelle fit 11 652 tués, blessés, disparus et prisonniers côté britannique contre 8 600, côté allemand.

Falkenhayn, chef d’état-major allemand, savait qu’il devait transférer de plus en plus de troupes à l’est. Il chercha à dissimuler cette faiblesse par une attaque. Ainsi les Allemands attaquèrent vers Ypres le 22 avril. Cette seconde bataille d’Ypres fut particulière : les Allemands utilisèrent du chlore. Ce gaz était mortel en cela qu’il stimulait la création de fluides dans les poumons, provoquant l’étouffement. Les Français, notamment coloniaux, qui tenaient la ligne n’était en rien préparés à cette nouvelle arme chimique. Les Allemands trouvèrent ainsi des tranchées vides : tous les Français s’étaient enfuis, cherchant de l’air. L’offensive n’avait cependant pas assez de moyens pour être décisive. Si la première tranchée tomba, la ligne fut tenue. Les Allemands réitèrent l’opération plusieurs fois mais l’improvisation et la détermination inhumaine des soldats empêchèrent tout succès. Au cours de la guerre, le gaz sera utilisé mais les masques, d’abord un simple tissu imbibé d’eau, deviendront efficaces malgré la diversification des gaz (notamment le chlore et le phosgène dit « gaz moutarde »). De plus le gaz devait être lâché depuis les tranchées puis porté par le vent à travers le no man’s land, son utilisation n’était pas fiable car dépendante du vent.

Les premiers masques pour se protéger du gaz.

En mai, les Franco-britanniques lancèrent deux offensives dans l’Artois sans obtenir de gain territorial. Le 25 septembre, les offensives de Champagne et de l’Artois furent bien mieux préparées et déployèrent bien plus de soldats. Les Allemands, en face, comprirent qu’ils avaient affaire à des préparatifs et renforcèrent leurs lignes. Ces offensives comptaient des Français et des Britanniques dont, chez ces derniers, « l’armée Kitchener », c’est-à-dire des volontaires britanniques. Les défenses allemandes s’avérèrent redoutables et l’offensive franco-britannique vaine.

Les hommes se serrèrent simplement dans le no man’s land, avançant épaule contre épaule sous le feu des mitrailleuses allemandes. Pour ces dernières, rien de plus simple que de balayer le champ. Une mitrailleuse allemande tira environ 12 500 cartouches ce jour-là. A Loos comme en Champagne, le carnage inutile fut le même. Les Alliés attaquèrent comme Napoléon au siècle passé, la puissance de feu avait pourtant bien évolué. Les Allemands cessèrent même de tirer lorsque les soldats firent demi-tour dans le no man’s land, à Loos, par pure pitié. Les pertes affligeantes n’empêchèrent pas les généraux de réitérer les attaques, au même endroit, pendant trois semaines. Pour les seuls Français, c’est 143 567 pertes qui furent enregistrées du 25 septembre au 31 octobre 1915. L’offensive à outrance, si chère aux Français, démontrait ici toute sa stupidité. Pourtant, le patriotisme français à toute épreuve et la volonté des Britanniques de prouver leur valeur, concernant surtout les volontaires, demeura.

Source (texte) :

Keegan, John (2005). La Première Guerre mondiale. Paris : Perrin, 570p.

Sources (images) :

https://wikipasdecalais.fr/index.php?title=Fichier:Noeux-les-Mines_tranch%C3%A9es_1915.jpg (tranchées dans le Pas-de-Calais, 1915)

https://www.museedelagrandeguerre.com/histoire-grande-guerre/tranchees/ (tranchées à Verdun, 1915)

http://bleuhorizon.canalblog.com/archives/2007/05/18/4997577.html (premiers masques contre le gaz)

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