La guerre du Viêt Nam (partie XII) : intervention au Laos (1971)

La guerre du Viêt Nam (partie XII) : intervention au Laos (1971)

Rappel : Alors que les Etats-Unis s’inquiétaient de la situation laotienne, un renversement de pouvoir eut lieu au Cambodge. La république khmère fut proclamée et la guerre presque aussitôt déclarée à Hanoi. Washington et Saigon s’empressèrent de soutenir ce nouveau belligérant. Nixon alla jusqu’à annoncer des « incursions » américaines en territoire cambodgien en 1970. Lui qui, en parallèle, procédait au retrait américain au Sud-Viêt Nam. Ce changement de cap déclencha la fureur à l’intérieur des Etats-Unis. Des étudiants furent tués par la garde nationale, décuplant l’ampleur du mouvement. Nixon se ravisa finalement et rappela les unités américaines, laissant ce nouveau front à l’ARVN, pourtant incapable de le tenir seule. Les négociations de paix rythmèrent l’année 1970 mais échouèrent à nouveau. Les Etats-Unis avaient notamment demandé la libération des prisonniers. Or, ces prisonniers étaient désormais, après un vote du Congrès américain, le seul argument légitimant encore la guerre pour Washington. Hanoi aurait pu mettre Nixon dans l’embarras en libérant effectivement les prisonniers mais préféra garder ces prisonniers comme garantie par excès de prudence. L’année 1970 avait de nouveau démontré que l’ARVN était incapable de lutter seule contre le Nord-Viêt Nam et le FNL en subissant de durs sièges sur les Hauts Plateaux, uniquement brisés par une intervention américaine. L’ARVN avait plus de matériel mais ne savait le manier. Malgré la claire opposition interne, Nixon et Kissinger songeaient à une intervention d’envergure au Laos pour 1971.

Hélicoptères américains AH-1 Cobra au-dessus du Laos, 1971

Des bombardements au Cambodge s’accompagnèrent de « Lam Son 719 » : l’invasion du Laos. Les Américains devaient prendre la frontière et laisser les Sud-Vietnamiens pousser dans le territoire laotien pour bloquer la piste Hô Chi Minh. L’administration Nixon s’attendait à une forte réaction en politique intérieure. De faux efforts vers la paix furent entrepris par Thieu et Nixon car leur réélection était à venir (fin 1971 pour Thieu, fin 1972 pour Nixon). L’offensive allait pourtant clairement à l’encontre de la décision Cooper-Church entérinée par le Congrès. Les Américains voulaient justifier cette offensive par la nécessité de soutenir une initiative de Saigon. Est-il utile de rappeler ici que l’idée venait pourtant bien de Washington ? Thieu, finalement, refusa « Lam Son 719 » après consultation avec son astrologue … Parce que, pourquoi pas. La CIA soudoya l’astrologue pour qu’il revienne sur sa parole. Nixon et Kissinger sous-estimaient Hanoi et surestimaient l’ARVN. C’était envoyer des soldats peu expérimentés se battre contre un ennemi qui ne lâcherait rien dans un pays où Hanoi avait la supériorité logistique. L’accord de Nixon pour « Lam Son 719 » vint le 2 février 1971. L’entrée de 17 000 Sud-Vietnamiens au Laos suivit le 8. Ce fut le deuxième Nixon shock.

Offensive Lam Son 719 (février 1971)

De fait, après une avancée initiale, les troupes de l’ARVN s’arrêtèrent sur ordre direct de Thieu. L’objectif, Tchepone, n’était pas atteint. Thieu refusa simplement de laisser l’ARVN aller de l’avant. Nixon fut décrédibilisé et tenta de retenir les informations, en vain. Les presses étrangères ébruitèrent la nouvelle. Il reçut dès fin février l’annonce par les mouvements antiguerre d’une nouvelle grande manifestation le 1er mai : le May Day.

Une vue plus précise de l’opération Lam Son 719 (1971)

Finalement, la 1ere division de l’ARVN s’empara de Tchepone le 7 mars 1971 mais Thieu lui-même ordonna à son général d’y aller « le temps de pisser, et vous revenez en vitesse ». C’est que l’armée populaire de Hanoi contre-attaquait déjà et avec puissance, bien qu’essuyant de nombreuses pertes. Thieu craignait plus que tout une redite de Dien Bien Phu. Les renseignements américains avaient estimé à 20 000 le nombre de Nord-Vietnamiens dans la région. Il y en avait en réalité 60 000. La retraite de l’ARVN fut possible grâce au soutien aérien américain. La moitié des troupes de l’ARVN, environ, fut perdue au Laos.

Les 20 et 21 mars 1971, Nixon autorisa des bombardements sur le Nord-Viêt Nam et plus largement sur le Laos. Le 24 mars, les troupes de l’ARVN étaient sorties du Laos. Les Américains eurent alors la dure tâche de tenir la frontière. Certaines unités, dont celles d’artillerie, vécurent un enfer, écrasées par d’incessants tirs d’artillerie de l’armée populaire. Les Nord-Vietnamiens pilonnaient les positions américaines depuis des hauteurs, dans la jungle et hors de portée des canons américains.

L’opération Lam Son 719 entraîna autant de pertes américaines que le siège de Khe Sanh de 1968 alors que les Américains ne combattirent pas réellement durant Lam Son. Les pertes en hélicoptères furent écrasantes. Nixon fit passer Lam Son 719 pour une réussite, bien entendu, et assura avoir un plan pour mettre fin à cette guerre. De fait, restreint par la pression politique, il ordonna à Abrams un nouveau retrait de 100 000 hommes en 1971.

Les vétérans de la VVAW jetant leurs médailles et décorations de guerre vers le Capitole (23 avril 1971)
Les vétérans de la guerre du Viêt Nam (VVAW) manifestant

Aux États-Unis, les manifestations se multiplièrent, désormais portées par les vétérans du Viêt Nam Contre la Guerre (VVAW). Des centaines de vétérans jetèrent, le 23 avril 1971, leurs décorations de guerre vers le Capitole à Washington en signe de protestation. Le May Day rassembla 650 000 manifestants. C’était la conséquence directe de l’invasion du Laos qui avait déclenché une nouvelle vague d’adhérents aux mouvements antiguerre. Les ouvriers du bâtiment, approuvant toujours la politique présidentielle, ne purent cette fois faire contrepoids. Pour trouver ce contrepoids au VVAW, le gouvernement monta une association de vétérans pour la guerre qui ne parvint jamais à s’imposer. Le premier jour du May Day, la police procéda à 7 000 arrestations (chiffre le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis en un jour). Les mouvements antiguerre, et le VVAW tout spécialement, étaient de plus en plus infiltrés par le FBI. La surveillance s’en trouva également intensifiée.

La Maison-Blanche s’enfonçait dans la 3e Nixon shock, pour le moment peu visible, mais qui mènerait au Watergate. Un autre scandale éclata à la place : les Pentagon Papers. Le 13 juin 1971, 7 000 pages de documents confidentiels du Pentagone sur la guerre du Viêt Nam fuitèrent (par Daniel Ellsberg, un analyste considéré comme le premier lanceur d’alerte). Ces documents secret défense avaient été compilés à la demande discrète de McNamara pour éviter aux futurs décideurs politiques américains les erreurs commises au Viêt Nam. Nixon fit un ménage limité dans son cabinet en réaction à ce scandale.

L’affaire des Pentagon Papers en Une du New York Times avec le mariage de la fille du président Nixon (13 juin 1971)

Fin 1971, les élections tenaient places au Sud-Viêt Nam. Thieu fit campagne pour sa réélection et brisa l’élan de ses deux principaux opposants : Ky (s’étant par ailleurs proposé de nouveau comme vice-président) et le « grand » Minh que Thieu avait autorisé à revenir d’exil. Finalement, et malgré des propositions de financement par les Américains, Ky et Minh renoncèrent. Tant et si bien que Thieu fut le seul candidat. Il transforma alors l’élection en un référendum acceptant ou non sa réélection. Il incita fortement les Sud-Vietnamiens à venir voter, sans quoi ils n’auraient pas leur aide alimentaire.

Thieu recueillit 94% des voix avec 87% de participation. A bien des égards, ce résultat était similaire à ceux des élections dans les pays communistes qui, elles, étaient vivement moquées par Washington. Avoir une opposition, ou tout le moins un score moins tranché, aurait prouvé une forme de démocratie plutôt qu’un régime autocratique. Une telle preuve de démocratie aurait renforcé la légitimité du soutien américain. Au lieu de quoi ces élections la sapaient. Un changement à la tête de Saigon aurait également eu le mérite de relancer les espoirs de paix. Au moins peut-on signaler que les Bouddhistes étaient entrés en politique, avaient obtenu la majorité aux élections sénatoriales en août 1970 et venaient de remporter l’Assemblée nationale en 1971.

Suite à ces élections, la Maison-Blanche essaya de recourir au linkage avec le Kremlin en faisant entendre que leurs relations dépendraient de l’avancement en Asie du Sud-Est, tout comme les relations commerciales et la limitation des armes nucléaires. Washington fit également un pas vers la reconnaissance de la Chine communiste en ouvrant de nouveau les relations.

Les Etats-Unis négociaient par ailleurs de plus en plus directement avec Hanoi et sans le concours de Saigon. Ces tractations virent plusieurs propositions américaines être refusées par le Nord-Viêt Nam. Puis, Washington annonça publiquement accepter un cessez-le-feu en « peau de léopard » (surnom donné par les saïgonnais signifiant : en figeant les positions). Saigon s’empressa d’appuyer la proposition mais en y ajoutant l’éternelle condition d’un retrait de toutes les forces étrangères du Sud-Viêt Nam ; ce à quoi Hanoi répondit que ses soldats n’étaient pas des étrangers, étant eux-mêmes Vietnamiens. Le 26 juin 1971 des discussions secrètes aboutirent à une nouvelle proposition entre Washington et Hanoi, cette dernière échangeant les prisonniers américains contre un retrait rapide des Américains.

En septembre 1971, en prévision de la très prochaine venue de Nixon en Chine, Kissinger discuta avec Zhou Enlai (Premier ministre de la République populaire de Chine). Il donna à ce dernier plus d’informations sur la situation vietnamienne qu’il n’en donnait à Thieu. Pékin ne paraissait pas très au fait des avancements de la guerre. C’est que, en 1969, les rapports entre Pékin et Hanoi s’étaient froissés et les forces chinoises s’étaient totalement retirées du pays. Début 1972, la Maison-Blanche, enfin, proposa un accord global à Hanoi, laissant une force résiduelle américaine de 20 000 à 40 000 hommes au Sud-Viêt Nam, imposant un cessez-le-feu généralisé et surtout la démission de Thieu (non consulté sur le sujet), donc de nouvelles élections sous surveillance internationale à Saigon. Washington informa Thieu en lui promettant que Hanoi n’accepterait pas et que, quand bien même, aucune action ne serait entreprise à son encontre. De fait, Thieu ne fut informé que de cette clause (la démission), pas de l’accord global. Il accepta et mesura plus tard le risque auquel il avait consenti, en méconnaissance de cause.

Nous avons donc compris les positions de Washington, Pékin et Saigon dans ce subtil jeu politique. Il s’agit de préciser celles d’Hanoi. Depuis 1968, les rapports entre Hanoi et Pékin s’étaient raidis. C’est que, après l’offensive du Têt du début de 1968, une ouverture manifeste du Nord Viêt Nam aux propositions de paix fâcha la Chine communiste. C’est pour cette raison que la Chine retira aux Nord Vietnamiens toute assistance, tant aux défenses aériennes qu’à la préservation des réseaux de transport. Pour justement appréhender ce revirement chinois, il faut ici préciser que le pays se consumait dans la Révolution culturelle (1966-1976), décrétée par Mao Tsé-Toung et que cette même Chine manquait d’entrer en guerre avec l’URSS. C’est d’ailleurs parce que la Chine frôlait la rupture totale avec les Soviétiques que Nixon était enclin à venir en visite officielle à Pékin en 1972. Hanoi tenta en vain d’empêcher ce rapprochement sino-américain. Le Nord Viêt Nam craignait de totalement perdre l’appui chinois. Pour ne rien arranger, un sommet entre Washington et Moscou fut organisé, également pour 1972. Fin 1971, Hanoi savait ainsi que, début 1972, les tensions allaient sûrement s’apaiser entre Washington et Moscou et que la Chine et les Etats-Unis se rapprocheraient. Cela ne présageait rien de bon : les deux soutiens du Nord Viêt Nam se faisaient incertains. Le Duan se souvenait bien que Hô Chi Minh s’était vu imposer la paix de Genève par Pékin et Moscou en 1954.

Cette situation politique inconfortable poussa Hanoi à chercher un avantage militaire par l’offensive Nguyen Huê. Cette dernière fut mise sur pieds fin 1971, prévue pour l’année suivante. Le Duan voulait montrer que l’ARVN ne pouvait rivaliser. Il désirait également renforcer sa position aux négociations de paix en déstabilisant la balance des pouvoirs. C’était aussi montrer à la Chine et à l’URSS que la révolution valait la peine d’être encouragée. Pourtant, Mao rassura son voisin vietnamien en renouvelant son aide militaire à Hanoi, toujours fin 1971. Avertis de l’offensive prévue pour 1972, la Chine et l’URSS livrèrent respectivement des camions et des chars (pour la première fois, 80 en 1971 et 220 en 1972) concernant Pékin ; et quantité de roquettes SAM, d’avions, de blindés et de produits pétroliers concernant Moscou.

Les Nord-Vietnamiens étudièrent l’opération Lam Son, testèrent le matériel soviétique avec des munitions réelles, modifièrent les armes pour les rendre plus adaptées à l’environnement, tout comme des armes américaines récupérées. La piste Hô Chi Minh fut largement améliorée : une voie de 800km camouflée par la canopée, invisible depuis le ciel, fut construite en un temps record ; un oléoduc fut prolongé pour économiser les camions et le groupe 559 se vit renforcé de 2 000 camions. Les Nord-Vietnamiens menaient toujours des opérations logistiques en automne, celles de 1971 furent colossales.

Hanoi entraina ses troupes, notamment directement en territoire sud-vietnamien, criante défaite pour la pacification américaine. Quatre ans après Saigon, Hanoi proclama la mobilisation générale des 16-35 ans. Cette fois, le Nord-Viêt Nam ne compta pas sur la surprise et préféra garantir la puissance de l’offensive : les Américains virent les troupes s’amasser et le taux d’infiltration exploser. A Noël 1971, une offensive conjuguée nord-vietnamienne et du Pathet Lao frappa le nord du Laos. Début janvier 1972, tout était prêt pour l’offensive Nguyen Huê, les réserves se massèrent vers la DMZ et les troupes se mirent sur le pied de guerre. Le doute n’était plus possible et Hanoi entendait faire de cette offensive la dernière.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Lam_Son_719 (hélicoptères Cobra et 1ère carte Lam Son 719)

https://history.army.mil/books/AMH-V2/AMH%20V2/chapter11.htm (Lam Son, 2e carte)

https://www.reddit.com/r/HistoryPorn/comments/co3s8l/a_vietnam_veteran_throws_his_war_medal_at_the/ (VVAW jetant leurs décorations)

http://www.vvaw.org/gallery/1970s.php?which=143 (manifestation des VVAW)

https://bonniekgoodman.medium.com/otd-in-history-june-13-1971-the-new-york-times-publishes-the-pentagon-papers-about-vietnam-5a7af898930d (la Une du New York Times sur les Pentagon Papers)

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