La guerre du Viêt Nam (partie XIII) : l’offensive de Pâques (1972)

La guerre du Viêt Nam (partie XIII) : l’offensive de Pâques (1972)

Rappel : Début 1971, une opération d’envergure, nommée Lam Son 719, fut lancée. Cette opération conjointe des Américains et des Sud-Vietnamiens avait pour objectif de couper la piste Hô Chi Minh. Ce nouveau Nixon shock fut inutile : l’opération tourna court et occasionna de lourdes pertes. Les conséquences furent immédiates et peu étonnantes : les manifestations aux Etats-Unis se faisaient systématiques et violentes. Le scandale des Pentagon Papers accompagna le May Day. Cette fuite de documents secret défense fit craindre à Nixon l’éventualité d’une révélation sur les surveillances illégales qu’il exigeait du FBI. De l’autre côté du Pacifique, des élections furent organisées mais Thieu en demeura l’unique candidat. Fin 1971, Washington se rapprocha de Pékin (une visite s’organisait) et de Moscou (un sommet s’organisait). Hanoi n’était pas enchantée de voir ses deux soutiens apaiser les tensions avec les Américains. Le Duan opta alors, pour montrer que son combat valait la peine d’être soutenu, pour une nouvelle offensive de grande envergure début 1972. Cette fois, il n’essayait pas de cacher les préparatifs, il cherchait à faire mal.

Le fait que Washington repère ces mouvements de troupes aux frontières ne signifiait pas qu’elle en tirerait la bonne interprétation. Et pour cause, les retraits de troupes nord-vietnamiennes pour en perfectionner l’entrainement étaient perçus comme des signes de faiblesses par Saigon et Washington. Le mensonge d’une victoire au Laos était définitivement tenace. Les Américains ne pensaient pas les Nord-Vietnamiens capables de se relever si vite alors que ceux-ci n’avaient pas même courbé l’échine en 1971. Finalement, début janvier 1972, les preuves se firent accablantes, bousculant les assurances.

Pire, Américains comme Sud-Vietnamiens attendaient assurément une attaque sur les Hauts Plateaux, ce qui se révèlerait totalement faux. Au moins, une attaque étant désormais envisagée, sinon attendue, une active campagne de bombardements américains lâcha sur la piste Hô Chi Minh 12,5 kilotonnes de bombes (l’équivalent de 10 fois Hiroshima). Ces bombardements virent 28 appareils américains abattus et 50 autres endommagés. Mais les dégâts estimés furent de 10 689 camions de Hanoi détruits ou endommagés. Des estimations difficiles à croire dans le sens où cela représentait plus de camions que la totale capacité nord-vietnamienne. Washington devait alors forcément en conclure qu’Hanoi n’avait plus de capacité logistique. Au demeurant, il ne restait plus que 156 000 Américains au Viêt Nam, dont les 3/4 dans l’armée de terre, le 31 décembre 1971. De nouveaux retraits prévus par Nixon devaient abaisser ce nombre à 69 000 en mai 1972, 47 000 en juillet. Le soutien aérien, lui, s’intensifiait.

L’ARVN n’était absolument pas en mesure d’arrêter seule une offensive nord-vietnamienne d’envergure. L’équilibre tactique fut renforcé lorsque Thieu accepta de retirer ses troupes du Laos. Le soutien américain, au-delà de l’aviation, ne dépassait pas, au sol, le niveau régimentaire. En d’autres termes, les Américains ne soutenaient plus directement l’ARVN jusque dans ses opérations de détail. De son côté, Hanoi souffrant des bombardements aériens, craignait pour sa logistique et pour l’efficacité de ses soldats en combats urbains. Les Nord-Vietnamiens étaient en revanche assurés de leur supériorité en combats ruraux.

Le 30 mars 1972, alors que s’opérait une rotation entre deux régiments de l’ARVN au niveau de la DMZ, moment de faiblesse, Hanoi déclencha son offensive Nguyen Huê. Des tirs d’artillerie avaient déjà été entendus les jours précédents. Le Nord-Viêt Nam partait à l’assaut de sa version sudiste avec 120 000 hommes, jetant 14 divisions sur trois fronts différents. Cette offensive, bientôt surnommée « l’été des flammes » par les Sud-Vietnamiens, s’apprêtait à clairement dissiper l’illusion de la vietnamisation.

Offensive Nguyen Huê (dite de Pâques) au printemps 1972

Attaquant avec des chars, l’artillerie et des vagues de soldats, l’Armée populaire (APV) submergea rapidement la ligne McNamara. Des renforts, des Rangers de l’ARVN, furent envoyés depuis le sud à Loc Ninh vers le nord. Dès le 2 avril, les derniers éléments de la ligne McNamara tombaient. Quang Tri était sous attaque et manqua de tomber. L’attaque sur les Hauts Plateaux n’arriva jamais. En revanche, à peine les Rangers furent-ils déplacés vers le nord qu’une attaque cibla Tay Ninh (le 2 avril), proche de Saigon, au sud. C’était là une diversion du Bureau central : la véritable attaque, avec chars, artillerie et 3 divisions de soldats, fut déclenchée vers Loc Ninh et An Loc, juste au nord de Tay Ninh. Loc Ninh, privée des Rangers, vacillait. An Loc était quant à elle un verrou essentiel sur la route de Saigon. Loc Ninh tomba le 7 avril. An Loc fut, pour sa part, une sorte de Stalingrad de l’offensive Nguyen Huê : les deux camps y jetèrent leur acharnement mais la ville ne tomba pas malgré l’artillerie lourde déployée par Hanoi et les assauts d’envergure à partir du 13 avril. Le siège dura plusieurs semaines et le Nord-Viêt Nam y perdit 10 000 hommes, la plupart des tanks et des pièces d’artillerie lourde engagés.

Plus au centre du pays, les plaines côtières furent attaquées vers Binh Dinh. C’était à nouveau une diversion sur un appui crucial de l’ARVN. Celle-ci y rassembla des troupes pour tenir le lien entre le sud et le nord du pays et protéger un axe nécessaire vers Saigon. Le 13 avril, la véritable attaque sur cette zone débuta sur l’ensemble Dak To-Tan Canh, proche de Kontum. La base d’appui Delta tomba le 21 avril. Le 24 avril, Dak To et Tan Canh tombèrent.

Batterie d’artillerie 122 mm de l’Armée Populaire du Viêt Nam (APV) à Kontum en 1972

Au nord, le réapprovisionnement des Nord-Vietnamiens à Quang Tri donna un répit salvateur à l’ARVN qui put ainsi se regrouper et défendre efficacement Huê, l’ancienne capitale impériale. Quang Tri tomba finalement le 2 mai. Le Sud-Viêt Nam fut sauvé par l’intervention aérienne américaine. Les résultats de Hanoi sont d’autant plus impressionnants que cette force américaine faisait barrage. L’aviation ravitailla et soutint An Loc, permettant à l’ARVN de tenir le verrou précédent Saigon. La puissance aérienne parvint à assez ralentir l’APV pour permettre la défense de Kontum. Si les sorties aériennes contre des objectifs au Nord-Viêt Nam étaient au nombre de 400 en mars 1972, elles furent de 10 526 en avril.

C’était là la réponse américaine de Nixon : le retour des options de Duck Hook. Des bombardements systématiques tels qu’on n’en avait pas vus depuis le mandat du président Johnson. Le nombre d’avions passa de 600 en mars à 900 en avril. Ce nombre devait atteindre 1 400 en juillet. Si les troupes au sol s’amenuisaient, les ressources aériennes s’étoffaient. Le minage du port d’Haiphong et son bombardement furent autorisés. Puis Nixon étendit l’autorisation au pays entier. Autoriser le minage d’un port était un acte clair de guerre. Pourtant la guerre n’était toujours pas déclarée entre Hanoi et Washington.

Visite du président Nixon en Chine le 21 février 1972 (Mao Tsé -toung à gauche, Nixon à droite)

Maintenant que la justification de Nixon pour cette guerre ne tenait plus qu’aux prisonniers américains et se mordait donc la queue, le minage d’Haiphong représentait un acte dangereux. Washington craignait une réponse internationale, surtout avec le sommet américano-soviétique d’avril 1972. Car le rapprochement avec la Chine était entamé depuis la première visite d’un président américain (Nixon) en République Populaire de Chine le 21 février 1972. L’apaisement avec l’URSS dépendrait, lui, du sommet. Celui-ci devait initialement être orienté vers la neutralisation des armes nucléaires. Cependant, le problème vietnamien devint une priorité. Enfin, Nixon agissait de la sorte car 1972 était une année électorale et il voulait être réélu, quoi qu’il en coûte.

Le minage d’Haiphong représentait un 4e Nixon shock. Pourtant, celui-ci déclencha bien moins de manifestations aux États-Unis. Cela s’explique par 3 raisons : sa politique de retrait portait ses fruits avec notamment la disparition de la conscription ; le Congrès et les politiques étaient déjà contre Nixon, le peuple ressentait donc moins le besoin de descendre dans les rues et enfin 1972 étant une année électorale, l’espoir de voir un changement de président rassurait les mouvements antiguerre. De nombreuses manifestations se déroulèrent néanmoins dans les universités.

Pour Nixon, il y avait plus grave : les dégâts infligés à Haiphong avaient eu raison de 4 cargos soviétiques, provoquant des tensions qui pourraient avoir pour conséquence l’annulation du sommet entre les Deux Grands en 1972. Kissinger persuada Nixon, qui envisageait d’annuler d’emblée le sommet, d’attendre la réaction soviétique. Après de réelles hésitations d’escalade, Leonid Brejnev, le dirigeant soviétique, décida finalement de maintenir le sommet. Après tout, Moscou avait milité contre une offensive auprès de Hanoi : les conséquences de la ligne de conduite contraire entreprise par le Nord-Viêt Nam n’était pas le problème des Soviétiques. Du moins pas directement. La ligne modérée était privilégiée par Leonid Brejnev mais derrière ce voile se cachait un réel avertissement : plusieurs sous-marins de classe Echo-I et Echo-II, capables d’engager les porte-avions américains, furent déployés à proximité du Viêt Nam, permettant une réaction soviétique immédiate, pour la première fois depuis le début de la guerre.

Un B-52 américain larguant des bombes durant l’opération Linebacker en 1972

Ces avertissements soviétiques ne furent pas de nature à empêcher Nixon de mettre le paquet, notamment avec l’opération « Linebacker » consistant en des bombardements. Les sorties furent rapidement triplées. On dénombra, durant l’année 1972, 44 494 sorties de chasseurs-bombardiers et 16 413 de B-52 (bombardiers tactiques), larguant 240 000 tonnes de bombes. Pour une meilleure perspective, rappelons que les seuls B-52 larguèrent sur le Nord-Viêt Nam en 1972 un poids de bombes supérieur à tous les bombardements américains de 1966 réalisés en Asie du Sud-Est. L’arme nucléaire fut envisagée par Washington mais Nixon recula. Il ne recula pas, cependant, devant le bombardement des digues du delta du fleuve Rouge qui irriguaient une des plus grandes régions d’agriculture du Nord-Viêt Nam. Si elles avaient lâché, cela aurait provoqué la noyade d’environ 200 000 paysans. Washington nia toujours avoir bombardé le réseau de digues, Hanoi le prouva.

Une des photos les plus connues de la guerre, une petite fille brûlée au napalm après un bombardement sud-vietnamien au sud du Sud-Viêt Nam en août 1972 (elle ne s’est par ailleurs pas déshabillée, le feu a brûlé ses vêtements)

L’offensive Nguyen Huê, plus connue sous le nom d’offensive de Pâques, touchait à sa fin. En juin, le siège fut enfin brisé autour d’An Loc, non loin de Saigon. Le 15 septembre, l’ARVN récupéra Quang Tri. Elle ne poussa pas plus loin : la DMZ était désormais sous contrôle total de Hanoi, la ligne de front se situait désormais à Quang Tri. Washington coupa ses relations diplomatiques avec Hanoi puis les restaura avec l’aide de Moscou. Le fait que Nixon flanche le premier révèle combien il devenait nécessaire pour Washington de sortir de ce bourbier.

Le Sud-Viêt Nam et la progression militaire du Nord (1971-1973)

D’ailleurs, l’été 1972 vit Washington et Hanoi établir un accord-cadre. L’élection de 1972 que Nixon voulait impérativement remporter n’était plus bien loin et il ne restait alors que 12 000 Américains au Sud-Viêt Nam. La Maison-Blanche flancha en août et Hanoi accepta un accord de cessez-le-feu s’il était accompagné d’une démission de Thieu.

Tricky Dicky (surnom de Nixon) mit tout en œuvre pour sa réélection. Avec son équipe du CREEP (Comitee for the Re-Election of the President), Nixon écarta d’abord tous les candidats démocrates dangereux, ne laissant que le plus faible d’entre eux. Hubert Humphrey, son adversaire en 1968, soutenait la politique de Nixon au Viêt Nam. Le président l’encouragea dans ce sens pour ensuite mieux le briser avec ses conseillers politiques après chacun de ses soutiens publics. Edward Kennedy fut le suivant sur la liste : il aurait pu être un redoutable adversaire. Seulement il avait eu un accident en juillet 1968, sa voiture avait quitté la route pour se retourner dans un étang, tuant par noyade la femme qui occupait le siège passager. Des incohérences chronologiques, notamment, nourrissaient des doutes sur une action des « plombiers » qui auraient agi au service du président. Le gouverneur de l’Alabama, George Wallace, fut le suivant sur la liste. Conservateur, il privait Nixon d’un soutien des électeurs du sud et surtout des ouvriers. Mitchell, proche du président, ouvrit une affaire de corruption contre le frère de Wallace et une « fuite » de cette information fut émise par la Maison-Blanche. Nixon versa des fonds pour la campagne de l’adversaire de Wallace en 1970 au poste de gouverneur, ce qui n’arrêta pas ce dernier. Les poursuites contre le frère de Wallace furent abandonnées et Wallace s’inscrivit sur la liste présidentielle. Alors, le 15 mai 1972, il fut grièvement blessé dans une tentative d’assassinat qui aurait été manigancée par Nixon selon certaines enquêtes (comme l’insinue l’essai de Gore Vidal). Wallace abandonna la présidentielle et resta paralysé. Il ne restait plus, chez les démocrates, que le candidat George McGovern, ce qui convenait très bien à Nixon.

Signature du traité SALT-1 entre Nixon (à gauche, USA) et Brejnev (à droite, URSS) en mai 1972

Le président soigna son image. D’abord avec les accords SALT-1 (limitation des armes stratégiques offensives) entre les Etats-Unis et l’URSS, puis son complément avec l’accord sur les systèmes anti-missiles balistiques (dit accords ABM : Anti-Balistic Missile sur la limitation des armes stratégiques défensives) en 1972. Ensuite avec les pourparlers de paix. Enfin avec des bains de foule organisés évitant soigneusement les manifestants et des contrôles à l’entrée d’événements pour refouler les contestataires. Le président ordonna de multiples mises sur écoute, notamment de l’immeuble du Watergate, siège du Comité national du Parti démocrate. C’est ce qui provoqua d’ailleurs le scandale du Watergate de 1974 car c’est en 1972 que des « plombiers » furent interpellés dans l’immeuble du Watergate, lançant l’affaire du même nom. Mais n’allons pas trop vite.

Les VVAW entachèrent la campagne impeccable voulue par Nixon, notamment avec de vastes manifestations à Miami. Rien n’empêcha le président de briguer un second mandat : il écrasa McGovern le 7 novembre 1972 avec 60,7% des voix. Le lendemain, les bombes tombaient sur le Nord-Viêt Nam. C’était comme une deuxième « surprise d’octobre » : encore une déception dans les espoirs de paix.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://history.army.mil/books/AMH-V2/AMH%20V2/chapter11.htm (carte offensive de Pâques)

https://en.wikipedia.org/wiki/Easter_Offensive (batterie d’artillerie nord-vietnamienne)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Visite_de_Richard_Nixon_en_Chine_en_1972 (visite de Nixon en Chine)

https://www.afhistory.af.mil/FAQs/Fact-Sheets/Article/458990/operation-linebacker-i/ (B-52)

https://www.leparisien.fr/societe/guerre-du-viet-nam-la-petite-fille-au-napalm-de-la-photo-raconte-son-parcours-07-10-2019-8167875.php (fille brûlée au napalm en 1972)

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vietnam_war_1971-1973_map_fr.svg (carte du Viêt Nam de 1971 à 1973)

https://govbooktalk.gpo.gov/2012/05/18/four-decades-since-detente-and-salt/ (accords SALT)

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