Les Guerres médiques (partie VI) : Platées et Mycale, derniers affrontements (479 av J.C)
Ainsi, après la victoire navale grecque de Salamine en 480* avant J.C, Xerxès ne pouvait plus maintenir son armée et sa flotte en Grèce. Le Grand Roi décida de rentrer, ne laissant en Grèce pour moitié occupée que 30 000 guerriers d’élite sous la férule du vice-roi Mardonios. Ce dernier tenta de délier l’alliance grecque, courtisant en particulier les Athéniens dont la ville était la plus exposée. La ligue, plutôt que de se fissurer, sembla se solidifier malgré une crise provoquée par la prise, à nouveau, d’Athènes par les Achéménides. Mais déjà l’armée de la ligue se formait, commandée par le jeune général spartiate Pausanias. Mardonios parvint à attirer l’armée de la ligue par-delà l’Isthme fortifié. Cependant, alors que Mardonios établissait son camp sur une rive de l’Asopos, l’armée de la ligue se positionna en hauteur, sur les pentes du Cithéron, surplombant l’Asopos. La situation semblait ne pas pouvoir se débloquer.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ
Un Platéen se présenta alors à Pausanias, lui annonçant que Zeus lui était apparu dans un rêve, promettant le succès à l’armée grecque si elle avançait : c’était là un moyen d’amener le commandant de la ligue à mieux protéger la ville de Platées. On consulta les dieux et la décision fut approuvée. Seulement, cette décision ne convenait guère aux Athéniens qui s’étaient vu promettre la victoire uniquement s’ils luttaient sur leurs terres. Pour y remédier, Platées fit don d’un bout de terre à Athènes. Au demeurant, la position proposée par le Platéen était munie de superbes défenses naturelles. Mardonios, lui, devait inciter l’armée de la ligue à avancer davantage encore. A vrai dire, si les Grecs attaquaient les positions Perses, ils seraient non seulement gênés pour franchir l’Asopos mais se trouveraient en plus en terrain favorable aux actions de la cavalerie perse. Pausanias était bien conscient de ce fait et d’autant plus déterminé à garder ses positions en hauteur sur les pentes basses du Cithéron conférant un avantage certain à ses hoplites par ailleurs surentraînés.
Mardonios tenta la provocation : il envoya sa cavalerie harceler la ligne grecque. Les cavaliers ne pouvaient attaquer de front la ligne de piquiers : une manœuvre militaires éminemment dangereuse et fortement déconseillée. A la place, la cavalerie accabla les Grecs de traits et se focalisa rapidement sur le contingent mégarien plus exposé. Pausanias dépêcha 300 archers et fantassins légers athéniens pour les soutenir. Les Grecs visèrent les chevaux pour tuer les cavaliers perses, faisant fi de leur armure. Mardonios perdit dans cette manœuvre bien des cavaliers mais surtout leur très compétent commandant : Masistios. Après ce premier engagement, Pausanias avança sa ligne jusqu’aux abords de l’Asopos mais tout en restant en hauteur. Les jours passèrent sans que les armées ne bougent. Les prédictions n’étaient pas bonnes des deux côtés. Mardonios voulait que les Grecs attaquent pour pouvoir user convenablement de sa cavalerie, Pausanias n’y avait clairement pas intérêt. Huit jours passèrent suite au redéploiement de Pausanias. Pour Mardonios, cela n’augurait rien de bon, ses vivres se raréfiaient. Le vice-roi décida alors d’employer sa cavalerie à nouveau pour couper les ravitaillements grecs : il parvint à priver l’armée grecque de nourriture, mais pas des nombreux combattants qui ne cessaient d’affluer pour renforcer l’armée de Pausanias. Étrangement, Pausanias ne fit rien contre la cavalerie perse, il laissa son armée se rationner. Mardonios n’en pouvait plus d’attendre. Pour ne rien arranger, le vice-roi avait peut-être eu vent du fait que la flotte grecque agissait en Égée orientale, menaçant l’empire d’une vaste révolte des peuples grecs soumis. Dans tous les cas, il n’y avait rien à attendre de la flotte perse. Surtout, les Grecs pouvaient à tout moment décider de se replier plus haut dans le Cithéron, auquel cas Mardonios n’aurait plus aucun recours et ne pourrait vaincre.
Tout n’allait pas pour le mieux pour autant chez les Grecs. Le temps se faisait long et un complot à l’encontre de Pausanias se fit même jour chez les Athéniens. Ce complot fut habilement démantelé par Aristide. Alors que 11 jours s’étaient écoulés depuis le redéploiement de Pausanias, une ruse fut tentée. Alexandre de Macédoine, au rôle toujours aussi ambigu, vint trouver Aristide. Il lui révéla que Mardonios allait l’attaquer à l’aube le lendemain et lui conseilla d’absolument rester sur sa position. Ce conseil était empoisonné : pourquoi ne pas simplement se retirer dans le Cithéron pour être à l’abri ? On imagine bien là un ordre de Mardonios à Alexandre de Macédoine. Ce stratagème, finement pensé, possédait cependant une faille de taille : Alexandre de Macédoine n’était pas digne de confiance et jouait constamment un double jeu. De ce fait, Alexandre dévoila tout bonnement la totalité du plan de Mardonios, qui comptait attaquer le lendemain, à Aristide qui lui-même en informera Pausanias.
Le lendemain, effectivement, à l’aube, Mardonios mena ses troupes en avant : il trouva des Grecs en formation et en armes, l’effet de surprise ne serait pas de la partie. Si le plan est connu de l’ennemi, la meilleure stratégie reste encore de surprendre par l’improvisation : c’est exactement ce que fit Mardonios. Avec sa cavalerie, il harcela les Grecs et parvint même à enfoncer la ligne en un point stratégique, lui permettant de souiller le puit qui donnait de l’eau en abondance aux Grecs. Le combat principal attendra encore un jour. Et pour cause, Mardonios n’avait pas les stocks de vivres suffisants mais Pausanias, dont les ravitaillements étaient retenus par la cavalerie perse et dont l’eau était désormais non potable, n’était pas dans une meilleure position. Pausanias savait que la situation était idéale pour la ruse. A la faveur de la nuit, il fit reculer son centre qui se perdit en chemin et finit devant les murs de Platées. Ne restaient alors que les Spartiates (et les Tégéates) de l’aile gauche et les Athéniens de l’aile droite. Ce choix n’était pas un hasard, tout comme le fait de commencer la retraite de ces unités d’élite à l’aube. Pausanias voulait être vu. Usant de la fausse fuite comme le font souvent les Spartiates, comme le firent d’ailleurs Léonidas au Thermopyles et Thémistocle à Salamine ; Pausanias savait qu’après toute cette attente, la tentation serait trop grande pour Mardonios. Et puis, comme répété plusieurs fois, la manœuvre de la fausse fuite, militairement parlant, nécessite une discipline de fer et beaucoup d’audace.
Les Athéniens devançaient de peu les Spartiates qui, eux, fermaient la marche. La cavalerie perse arriva rapidement sur les arrières de l’armée de la ligue. Immédiatement, Pausanias forma la ligne avec ses Spartiates et les Tégéates et appela les Athéniens à l’aide. Ceux-ci reçurent l’ordre et rebroussèrent chemin pour venir au contact. Seulement voilà, ils furent interceptés par les Grecs de l’armée perse : les Macédoniens, les Boétiens, les Thessaliens et surtout la redoutable cavalerie thébaine. Accrochés comme ils l’étaient, les Athéniens ne pouvait plus prêter main forte à Pausanias. Prenant des allures de défaite pour Pausanias, la bataille ne devait maintenant son issue qu’à la qualité des invincibles spartiates. L’armée perse avait attaqué en désordre, croyant à une véritable fuite qu’il aurait fallu transformer en déroute. Du reste, Pausanias aurait bien aimé user de ses archers athéniens pour soulager ses Spartiates des traits adverses. Le commandant spartiate, étonnement, se reposa totalement sur la supériorité de valeur de ses soldats et consulta les présages jusqu’à ce que l’un d’entre eux l’intime de se départir de son attitude défensive pour passer à l’offensive.
Ce début de bataille, mené en terrain favorable aux Grecs mais loin d’être gagné, requérait un moral d’acier de la part des combattants de Pausanias. Les Spartiates en étaient nantis. En tout et pour tout, Pausanias faisait là face à l’aile droite perse avec 11 500 guerriers (et quantité d’hilotes aux capacités guerrières inexistantes). Pourtant, il restait à Pausanias et Mardonios un atout qui pouvait changer l’issue de la bataille. Pausanias disposait de son centre qui était encore à Platées. Seulement, il n’avait aucun moyen de les contacter, il devait attendre qu’ils se décident à venir d’eux-mêmes. Mardonios, lui, pouvait user d’un atout à priori plus prometteur mais en réalité à double tranchant : Artabaze. Mardonios ordonna ainsi à Artabaze de passer par la montagne, au milieu des deux engagements de la bataille, avec ses quelque 13 000 soldats d’élite. Artabaze, prudent et sournois, s’exécuta mais ne se pressa pas. Du côté de Pausanias, les Tégéates, moins disciplinés que les Lacédémoniens, rompirent les rangs pour enfin passer à l’offensive. Le commandant spartiate, par chance (ou manipulation du récit), reçut enfin des présages favorables à l’offensive, il ordonna donc aux Spartiates d’imiter les Tégéates et de se porter en avant. Arrivé en un point élevé, Artabaze put observer les deux engagements, constatant que les Spartiates avançaient désormais de manière irrésistible mais également que les contingents du centre grec revenaient de Platées, au loin. Sur la base de ces éléments, Artabaze décida de ne pas intervenir.
En effet, les Mégariens et d’autres contingents plus petits arrivaient au pas de course pour soutenir les Athéniens : ils étaient au nombre de 7 000 environ. Leur arrivée fut salvatrice par leur sacrifice : la cavalerie thébaine, sous le commandement d’Asopodore, lâcha les Athéniens pour se ruer sur les Mégariens qui se firent hacher menu. Rapidement, 600 d’entre eux gisaient au sol. Les Mégariens s’enfuirent alors dans les montagnes, poursuivis par la cavalerie thébaine. Or, les Athéniens, grâce à ce sacrifice, pouvaient reprendre le dessus dans leur lutte contre les autres Grecs de l’armée perse. Un second contingent, plus conséquent, mené par les Corinthiens, accouru pour aider les hoplites d’Aristide, flanquant l’aile gauche perse.
Finalement, l’aile droite, sous les coups des Spartiates, vacilla. Mardonios était désormais en première ligne avec ses unités d’élite. Lorsque le vice-roi tomba à son tour, la ligne perse se délita et l’aile droite partit en déroute. Sur l’aile gauche perse, les Boétiens et les Thessaliens comprirent alors que la bataille était perdue et s’enfuirent également. La cavalerie thébaine, qui revenait à la charge, couvrait leur retraite. Alors qu’Atrabaze fuyait vers le nord sans avoir combattu, quelque 10 000 Perses se réfugièrent dans la redoute* construite juste derrière l’Asopos. Pausanias en appela aux Athéniens dont l’expérience des sièges était bien établie. Ces derniers ouvrirent une brèche : le massacre fut de mise, 7 000, au moins, des 10 000 Perses périrent. Ainsi prenait fin la bataille de Platées en cette mi-août 479 av J.C. Le bilan de cette bataille peut être estimé à environ 1 360 morts dans l’armée de la ligue pour au moins 10 000 morts dans celle des Achéménides. Artabaze fut par ailleurs remercié par Xerxès d’avoir sauvé quelques unités d’élite de cette fournaise : la présence perse en Grèce était révolue, à jamais.
*Une redoute est une fortification militaire sans angle rentrant, complètement fermée
Pourtant, il reste un dernier affrontement à mentionner : la bataille de Mycale. Léotychidès, amiral spartiate commandant de la flotte de la ligue, était parti de Délos pour rejoindre Samos qui se rebellait (côte est de la mer Égée, sous contrôle Achéménide). La flotte perse ne pouvait plus faire opposition, alors les amiraux perses, Artaÿntès et Ithamitrès, rejoignirent la côte et posèrent pied à terre, entreprenant de construire une palissade pour se défendre sur terre et non sur mer (non loin de Samos). De plus, le général Tigrane était en route avec 6 000 hommes pour les renforcer. Avec les 4 000 hommes qu’ils avaient déjà, les Perses rassemblés seraient forts de 10 000 hommes. Face à cette armée, Léotychidès ne disposait au mieux que de 5 000 hommes dont maximum 1 000 archers. Il trouva Samos vide, lui offrant une base navale. Léotychidès apprit la victoire de Platées par signal lumineux, ce qui galvanisa les Grecs. Il décida alors de livrer bataille et tenta, comme Thémistocle à Salamine, d’attirer les Grecs de l’armée perse dans son camp, ce qui eut pour effet d’obliger Tigrane à désarmer ses troupes grecques par crainte de trahison.
Athéniens, Corinthiens, Sicyones et Trézènes attaquèrent de front tandis que les Spartiates faisaient le tour pour prendre les Perses de flanc. Les Grecs étaient bien inferieurs en nombre au front mais les Samiens et les Ioniens trahirent les Perses comme ces derniers le craignaient. Les Athéniens, trop heureux de pouvoir l’emporter sans le concours des Spartiates, redoublèrent de zèle. La bataille fut gagnée et les Spartiates prirent à revers les derniers éléments résistants. Les Perses laissèrent 4 000 hommes sur le terrain mais les pertes grecques, bien qu’inconnues, furent lourdes.
La Seconde Guerre médique, dernière du nom, prenait ici fin. A part une défaite honorable aux Thermopyles, véritable victoire à la Pyrrhus pour Xerxès, la ligue grecque avait remporté tous ses engagements face aux Achéménides : Marathon, l’Artémision (victoire morale, égalité tactique), Salamine, Platées et Mycale. Pourtant, les disparités refaisaient déjà surface, les Athéniens pensaient au commerce lorsque la ligue s’attaqua à Byzance pour libérer la route commerciale du blé. Les tensions politiques endémiques au monde grec devaient bientôt déboucher sur la guerre du Péloponnèse puis une domination macédonienne permettant à Alexandre le Grand de mettre un point final à la menace achéménide en 330 av J.C.
Source (texte) :
Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.
Sources (images) :
https://www.historia.fr/carte-blanche-%C3%A0-franck-ferrand/lhistoire-bascule-%C3%A0-salamine (carte résumé des Guerres médiques)