Les Guerres médiques (partie V) : Salamine et ses conséquences (480-479 av J.C)
La ligne Artémision-Thermopyles était tombée en 480* avant J.C. Léonidas n’avait pu tenir indéfiniment les Portes chaudes et la trahison d’Ephialtès lui fut fatale. Les Thermopyles tombées, la position de l’Artémision ne pouvait être sauvegardée. Malgré la victoire, surtout morale, de la flotte grecque, il fallait retraiter à Salamine. Là, Thémistocle maintint la cohérence de la flotte de la ligue en déclarant que le contingent athénien resterait, quoi qu’il arrive, à Salamine. Les autres contingents, ne voulant pas se priver de la forte contribution athénienne, restèrent également.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ
De son côté, Xerxès devait bien se résoudre à livrer bataille car l’hiver approchait. Le Grand Roi rassembla alors ses amiraux, tous approuvèrent l’attaque frontale. Tous ? Tous les hommes, oui. Artémise d’Halicarnasse, seule amirale, s’opposa au projet. Elle mit en garde Xerxès, lui conseillant d’essayer d’attirer les Grecs en haute mer. Selon elle, les Grecs étaient bien trop doués en manœuvre navale pour que les Perses se risquent à une attaque frontale dans ce goulot où le nombre n’était plus seulement insignifiant mais même encombrant. Xerxès s’attela à la construction d’une chaussée pour attaquer la flotte grecque par la terre : un travail colossal caractéristique des Achéménides. Ce projet fut néanmoins abandonné car les archers crétois grecs faisaient pleuvoir des traits sur les pauvres perses attelés à la tâche. La flotte perse avança un peu plus encore vers Salamine, provoquant la panique chez les Grecs. Les Péloponnésiens, les Lacédémoniens (Spartiates) en tête, craignaient de ne pouvoir défendre leur pays en restant coincés ici. Pour ne rien arranger, les ravitaillements se faisaient rares. Thémistocle décida donc d’agir. Il envoya le tuteur de ses enfants : Sikinnos, voir les Perses avec un message. Celui-ci prévenait les Perses que des tensions gagnaient le camp grec et que Thémistocle était prêt à non seulement faire défection, avec la force athénienne, mais même à rejoindre la flotte de Xerxès. Cette offre peut paraître un piège évident aujourd’hui mais moins à l’époque : les Grecs entretenaient des alliances si fugaces et peu fiables qu’un tel retournement était probable, d’autant plus dans la panique de l’instant et avec une atmosphère telle que celle qui régnait à Salamine.
La ruse dite de Sikinnos fonctionna au-delà de toute espérance. Pour redonner un peu de crédit à Xerxès qui n’était pas homme à manquer de discernement, il est à rappeler que l’Ionie, satrapie grecque de l’Empire Achéménide, était sur le point de se rebeller. Xerxès avait tout intérêt à en finir rapidement avec les Grecs. Seconde raison, le Grand Roi se devait d’empêcher toute jonction (encore possible) entre la flotte et l’armée de la ligue. Quoi qu’il en soit, le matin suivant, à l’aube, les Grecs feignirent la fuite : chose tout à fait plausible. A vrai dire, c’était plutôt de mimer une fuite qui était peu probable car consistant en une manœuvre militaire particulièrement délicate. Par ailleurs, cette fuite devait être faite au bon moment. Les Perses commençaient justement à douter de la parole de Thémistocle. Les amiraux perses se jetèrent dans la bataille, l’heure n’était pas à l’hésitation : les amiraux craignaient bien trop Xerxès pour refuser le combat et laisser les Grecs s’échapper sous le prétexte peu convainquant que l’ennemi effectuait une fausse fuite.
Dès les Perses trop engagés pour reculer, les Grecs reformèrent la ligne et le contingent corinthien de l’amiral Adimante hissa les voiles et partit vers le nord avec ses 50 navires. Curieuse décision que voilà, interprétée comme une fuite par beaucoup de Grecs et difficile à évaluer pour les Perses. On ne hisse pas les voiles avant un combat. En réalité, on ne sait pas exactement ce que voulait faire Adimante mais on sait qu’il participa activement aux combats. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la bataille de Salamine, si elle est l’une des plus grandes batailles navales de l’antiquité est aussi l’une des moins documentées. Xerxès pensa immédiatement, depuis son trône d’or massif, surplombant toute la bataille, qu’Adimante ne savait pas qu’il se dirigeait dans un cul-de-sac. C’est d’ailleurs cette erreur de jugement qui le poussa à ordonner une attaque générale et frontale. Thémistocle, lui, n’était pas pressé de livrer bataille. Amiral et stratège averti, il savait que la brise légère laisserait bientôt place à un temps plus capricieux, provoquant une forte houle. Or, les navires perses, entièrement pontés, pouvaient accueillir plus d’hommes à bord mais étaient très instables et difficiles à manœuvrer par temps non clément.
Du reste, la flotte perse attaqua frontalement avec les Phéniciens sur la droite ; les contingents de Carie, Pamphylie, Lycie, Cilicie et Chypres au centre ; les contingents des Ioniens et de l’Hellespont sur la gauche. Les Eginetes, constituant l’aile droite grecque (cachée aux Perses) attaqua par surprise l’aile gauche de Xerxès (les Ioniens). De l’autre côté de la bataille, le combat s’engagea entre les Athéniens (aile gauche grecque) et les Phéniciens (aile droite perse). Immédiatement, un homme du nom d’Ameïnias de Phallène, amiral Athénien, tua d’un coup de javelot Ariabignès, l’amiral Phénicien un peu trop téméraire. Or, les Phéniciens étaient trop fiers pour avoir plus d’un amiral. Cette fierté coûtera la victoire à Xerxès. Dès le début de la bataille de Salamine, les meilleurs éléments de la flotte perse se retrouvaient sans amiral. De ce fait, plusieurs sous-officiers donnaient des ordres : les Phéniciens n’étaient plus commandés de manière cohérente. Certains commencèrent à se replier, créant des embouteillages.
Il était 9h du matin et la houle vint semer la panique dans la flotte perse désorganisée : un désastre. Les Grecs en profitèrent pour éperonner à cœur-joie leurs adversaires. Les Phéniciens finirent par totalement céder, déséquilibrant dangereusement le dispositif perse. Alors que certains Phéniciens tentaient de rejeter la faute sur les Ioniens, Xerxès ordonna qu’on décapite les premiers : Xerxès avait vu toute la bataille et pouvait constater sans peine l’acharnement avec lequel les Ioniens luttaient. Du reste, son jugement pour le moins expéditif le privait de ses meilleurs hommes, tuant certains Phéniciens et se mettant les autres à dos. Bien qu’ils aient, il est vrai, rompu la ligne, ils demeuraient nécessaires. Les Athéniens profitèrent de la fuite phénicienne pour s’engouffrer dans la brèche, provoquant le départ des Chypriotes. Les Athéniens, flanquant ainsi le centre perse, firent fuir tous les contingents un par un. Ces derniers se battaient vaillamment mais voyaient les meilleurs éléments de la flotte fuir, les incitant à faire de même. Ainsi il ne resta que l’aile gauche : les Grecs orientaux dont les Ioniens. Faisant preuve d’une grande discipline, les Athéniens ne pourchassèrent pas les navires en fuite mais flanquèrent les Grecs orientaux de côté et sur leurs arrières. Encerclés, ces derniers livraient un superbe mais vain combat. L’aile gauche défaite, les Grecs se jetèrent enfin à la poursuite de la flotte perse. De nombreux perses ne sachant pas nager se noyèrent. Globalement, on estime les pertes à 200 navires perses pour 40 vaisseaux grecs.
Si les Grecs ne réalisèrent pas immédiatement l’ampleur de leur victoire, Xerxès mesura lui la gravité de sa défaite. Immédiatement, il décida de retirer sa flotte. Or, le départ de sa flotte, il le savait, signifiait également la retraite terrestre : sans sa flotte, comment être sûr qu’il pourrait passer de nouveau en Asie ? Les Grecs pourraient bien détruire son pont de bateaux ! En réalité, les Grecs n’avaient aucune intention d’intenter aux moyens de retraite du Grand Roi, ce serait là acculer les Perses et les voir se battre avec l’énergie du désespoir ; autant les laisser partir ! Il n’était alors aucunement question de, pour reprendre Plutarque, « s’emparer de l’Asie en Europe ». De toute manière, la question du ravitaillement de l’armée perse, autrement importante, devenait complexe sans la flotte : forçant un repli terrestre.
Pour Thémistocle, le problème immédiat était plus de financer les équipages : le butin de la victoire de Salamine fut finalement bien mince. Sur le long terme, une autre menace était à considérer : si Xerxès rebroussait chemin pour gagner de nouveau son Asie plus accueillante, cela ne signifiait pas que les Perses désertaient l’Europe. Pourquoi le feraient-ils ? Le nord et le centre de la Grèce étaient encore sous leur contrôle, devenues une satrapie supplémentaire. Xerxès laissa ainsi derrière lui son belliqueux et ambitieux cousin en tant que vice-roi : Mardonios. Sa force n’était pas à sous-estimer, il garda avec lui en Grèce 30 000 guerriers d’élite (des Perses, des Mèdes, des Indiens, des Saces et des Bactriens).
Tout de suite après Salamine et avant même que Xerxès n’ait quitté la Grèce, les tensions reprirent de plus belle entre Athènes et Sparte. Déjà, Thémistocle était sur son déclin. Le vainqueur de Salamine, hautain et suffisant, fut accueilli à Sparte comme aucun étranger ne le fut et le sera jamais plus. Couvert de cadeaux, il se croyait inaccessible. Or, la tendance s’était inversée : lui s’échignait à promouvoir une stratégie maritime alors que le danger éminent était celui, bien terrestre, de la force de Mardonios. Le parti d’Aristide, lui en faveur de l’armée de terre, qui plus est ostracisé par Thémistocle il y a peu, gagna rapidement du terrain. Entre calomnies et mauvais choix politiques, Thémistocle ne fut pas réélu stratège dès février 479. Il ne participerait pas à l’ultime étape des Guerres médiques. Aristide prit sa place de leader et Xanthippe, le père de Périclès, se plaça à la tête de la flotte athénienne : deux hommes auparavant ostracisés par la volonté de Thémistocle. Sparte, de son côté, s’intéressa à sa puissance maritime : un débarquement perse dans le Péloponnèse et une attaque directe sur Sparte, dépourvue de muraille, n’était pas chimérique. De fait, les rôles s’inversaient entre Athènes et Sparte.
Plus au nord, Mardonios faisait désormais face à une petite rébellion de Potidée et quelques autres cités. La répression, menée par Artabaze, fut brutale. Mardonios tentait d’attirer les Grecs de la ligue au-delà de l’Isthme fortifié et s’intéressa alors à la situation politique de la ligue. Rapidement, il comprit que c’était Athènes qui devait être courtisée car plus exposée aux attaques perses. Mardonios envoya Alexandre de Macédoine, un personnage bien complexe. Alexandre se disait philhellène, donc proche de la ligue, mais ne pensait en réalité qu’à lui et « médisait » à cœur-joie. Les Athéniens n’avaient aucune intention de changer de camp mais cherchèrent à jouer de ces ouvertures diplomatiques pour faire ployer Sparte sur quelques sujets. Mardonios proposait une alliance et se montrait particulièrement généreux mais Sparte comprit vite le jeu que jouait Athènes. Finalement, Athènes n’obtint rien et déclara haut et fort que jamais ils n’accepteraient l’offre des Perses.
Mardonios passa de suite à l’action. Avec ses 30 000 hommes, renforcés de 20 000 Grecs « médisants », il lança une seconde invasion de l’Attique. Face à cette armée de 50 000 hommes, que pouvaient les Athéniens ? Une évacuation de la ville en direction de Salamine fut ordonnée : la seconde en moins d’un an. A la fin du printemps 479, les Perses entrèrent de nouveau dans Athènes, non défendue. Aussitôt, des ambassades athéniennes arrivèrent à Lacédémone, implorant le soutien des Spartiates. La première ambassade fut déboutée alors que Mardonios réitérait son offre aux Athéniens. Une seconde ambassade, menée par Aristide en personne, s’en alla pour Sparte. La tension était à son comble à Salamine.
En réalité, avant même qu’Aristide n’arrive à Sparte, les Lacédémoniens avaient décidé de finalement partir en guerre. Vraisemblablement, Sparte s’était mis sur le pied de guerre pour prévenir tout changement de camp d’Athènes et parce qu’il était préférable d’affronter Mardonios tant que l’Empire Achéménide n’avait pas de flotte opérationnelle. Le commandant en chef de la ligue fut à nouveau spartiate du fait du nombre conséquent de cités du bloc péloponnésien parmi les membres votants. Ce commandant, à peine âgé de plus de 20 ans, était Pausanias. Il était le régent de Sparte et s’en allait vers le nord avec 5 000 Spartiates et 35 000 hilotes. Rapidement rejoint par les contingents de Tégée et d’Orchomène, puis par 5 000 Spartiates supplémentaires et les 8 000 hoplites athéniens d’Aristide, Pausanias possédait déjà une belle force de frappe. Apprenant la formation de cette armée, Mardonios évacua rapidement l’Attique, terrain défavorable à la cavalerie, pour se retirer derrière l’Asopos. Dans sa retraite, Mardonios ne manqua pas de brûler ce qui ne l’était pas encore dans Athènes, achevant par-là l’œuvre commencée par Xerxès un an plus tôt ; et pratiqua la politique de la terre brûlée en Attique. Ce n’était pas tant une preuve de vengeance que d’intelligence : il s’agissait de dépourvoir l’armée de la ligue de toute ressource. Retranché derrière le fleuve Asopos, sa défense s’appuyait sur la ville de Thèbes à proximité. Mardonios construisit les premières défenses en l’attente de son adversaire.
L’armée de la ligue, puissante en apparence, voyait sa superbe lézardée de tensions. Pour y remédier, les cités-État jurèrent leur allégeance en acceptant le Serment de Platées, preuve s’il en fallait de la piètre confiance qui régnait. Pausanias ayant les prédictions des oracles avec lui, avança son armée jusqu’à la montagne du Cithéron, elle-même bordant l’Asopos. Le commandant spartiate se positionna en hauteur, relativement loin du fleuve. Les oracles lui avaient promis le succès dans la défense alors Pausanias resta en position défensive.
Source (texte) :
Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Art%C3%A9mise_Ire#/media/Fichier:Artemisia_I_-_Caria.png (Artémise)