Brièvement : la Carthage antique (814-146 av. J-C)
Descendante directe de la Phénicie, Carthage avait dès le départ pour vocation la sauvegarde des routes commerciales phéniciennes en Méditerranée. Pendant occidental de Tyr, Carthage était destinée à devenir une puissance maritime et commerciale. Le déclin progressif de la cité mère orientale, constamment soumise à de nouvelles puissances (Assyriens, Babyloniens, Perses achéménides) poussa la cité fille à s’élever. Les relations phénico-puniques n’en demeurèrent pas moins excellentes. Carthage, fondée à la fin du IXe siècle, entama une expansion territoriale au VIe siècle. Reprenant en main les comptoirs commerciaux phéniciens, Carthage s’établit en Ibérie, Sicile et Sardaigne. Ses alliances avec les Etrusques et les Phéniciens lui permirent d’affaiblir la concurrence grecque. En Sicile, les Grecs s’installèrent néanmoins dans la partie orientale. La situation était alors profitable pour tous car des échanges commerciaux avaient lieu en Sicile.
Pourtant, Carthage, qui maitrisait désormais sa chôra africaine, se confronta aux Grecs dans une première guerre gréco-punique en 480* et fut vaincue. L’ennemi principal était déjà Syracuse, alors dirigée par le tyran Gélon. Après s’être désintéressée un temps des affaires siciliennes, Carthage se vit obligée d’intervenir de nouveau en 410 contre Sélinonte et Syracuse. Le général syracusain Hermocrate déclencha la Deuxième Guerre gréco-punique par des provocations. Pour la première fois, Carthage intervint en Sicile sans y être invitée par une puissance locale.
Cette guerre siculo-punique* déclencha une instabilité politique à Syracuse. Un certain Denys (plus tard dit « l’Ancien ») en profita pour prendre le pouvoir en 406 av. J-C. Les deux principaux belligérants avaient épuisé leurs ressources et une trêve fut conclue en 405. Carthage profita de cette accalmie pour se rapprocher de Rome, puissance montante, au détriment de l’alliance avec des Etrusques sur le déclin. La paix en Sicile ne surmonta pas l’épreuve du temps.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.
**Le terme « siculo » renvoie à Syracuse, de la même manière que « punique » renvoie à Carthage.
Les hostilités reprirent entre Carthage et Syracuse de 398 à 362, entrecoupées environ une fois par décennie de trêves ou de paix humiliantes pour l’une des parties. Ces affrontements virent notamment s’opposer les alliances punico-italiote et gréco-gauloise. Denys l’Ancien expira en 367 alors qu’une énième paix, défavorable à ses intérêts, se négociait. Son fils, Denys le Jeune, prit sa suite dans un climat de tensions internes. La guerre se ralluma avec Carthage et Denys le Jeune fut vaincu en 362. Son pouvoir vacillait. Après ses succès face aux syracusains en Sicile, Hannon le Grand renforça son prestige en établissant plus solidement l’influence carthaginoise en Afrique en 360-350 av. J-C. Ces succès n’empêchèrent pas Hannon, après une tentative de coup d’Etat échouée, d’être crucifié. Le Sénat gardait l’ascendant chez les Puniques. En Italie, Rome affirmait sa puissance au détriment de celle des Etrusques.
En Sicile, les difficultés de Denys le Jeune se soldèrent par son renversement par le corinthien Timoléon, qui mit fin à la tyrannie. Celui-ci triompha des Carthaginois, notamment lors de la bataille de Crimisos en 340. Gisco ben Hannon, fils d’Hannon le Grand et le seul membre de la famille n’ayant pas été massacré sur ordre du Sénat carthaginois, car militairement compétent, fut appelé à l’aide par celui-ci. Il prit la tête d’une armée punique et offrit à Carthage, par ses succès, une paix plus avantageuse en 338 en Sicile. La Méditerranée orientale vit alors Alexandre III de Macédoine mettre à genoux l’Empire perse achéménide. Ce même Alexandre, dit « le Grand », assiégea et massacra les habitants de Tyr sur son passage. De nombreux phéniciens se réfugièrent dans Carthage.
Avec la mort d’Alexandre (323), l’Empire macédonien se brisa entre les Diadoques. Ptolémée hérita de l’Egypte et en devint le roi. L’influence macédonienne commença à inquiéter Carthage lorsque Ophellas, lieutenant de Ptolémée, prit le pouvoir en Cyrénaïque. Une union personnelle fut formée entre l’Egypte ptolémaïque et Cyrène et commença à empiéter sur les possessions puniques en Libye. Pourtant, la métropole africaine ne pouvait réagir : elle se confrontait à Agathocle en Sicile. Sur le point d’être vaincu en Sicile par Carthage, ce dernier se déroba à son destin par un coup audacieux. S’échappant du siège de Syracuse, il débarqua avec une armée en Afrique en 310. Agathocle s’empara du territoire africain faiblement défendu et menaça directement Carthage. Il obtint l’aide d’Ophellas, gouverneur de la Cyrénaïque. Mais il n’obtint pas celle de Ptolémée, devant qui Ophellas devait théoriquement toujours répondre de ses actes.
Ptolémée avait abandonné la politique expansionniste macédonienne et cherchait à consolider l’empire lagide. Surtout, Ophellas trouvait des mercenaires en Grèce auprès de Cassandre, rival de Ptolémée, faisant craindre à ce dernier l’émancipation de son lieutenant. Ptolémée ne voulait pas d’un empire grec d’Occident flanquant son Egypte. Ophellas, qui appuya Agathocle en Afrique, fut tué par ce dernier en 308. Le Syracusain ne partageait pas le commandement. Il récupéra de surcroît les mercenaires du Macédonien. Agathocle dut pourtant laisser son armée d’Afrique à son fils pour retourner en Sicile mater ses ennemis. Bien rapidement, Agathocle dut rembarquer pour secourir son fils en Afrique. Mais il ne parvint pas à redresser la situation. Le tyran de Syracuse s’embarqua alors à nouveau pour la Sicile où il fit enfin la paix avec Carthage en 306. Profitant de la paix, il mata l’opposition en Sicile.
Agathocle souhaitait débarquer à nouveau en Afrique pour faire la guerre à Carthage. C’était sans compter sur la mort, qui le rattrapa en 289. Carthage prit alors largement l’ascendant en Sicile en 280-279. Dans la péninsule italienne, Rome se faisait menaçante. Ses guerres contre les Etrusques puis les Samnites semblaient présager d’une domination totale sur l’Italie. Tarente, qui s’était déjà dressée contre Rome, appela alors Pyrrhos Ier*, roi d’Epire, à l’aide. Celui-ci se voulait Alexandre occidental et avait des ambitions sur la Grande-Grèce**. Il défit par deux fois les Romains : en 280 et 279. C’est alors que Syracuse l’appela à l’aide contre Carthage. Renonçant à trouver une issue à la guerre contre Rome, Pyrrhos débarqua en Sicile. Il défit Carthage jusqu’à maîtriser l’île entière. Seule Lilybée résistait encore. N’ayant pas de flotte, il se savait incapable de prendre la place et se retira.
*Pyrrhos est plus connu sous son nom latin : Pyrrhus.
**La Grande-Grèce désigne le sud de l’Italie et la Sicile.
Alors qu’il songeait à débarquer en Afrique, Pyrrhos perdit le soutient des Grecs en Sicile. Les soutiens d’hier lui étant désormais hostiles et Tarente l’appelant à nouveau à l’aide contre Rome, le roi épirote rebroussa chemin vers l’Italie. Il perdit une partie de son armée lors de la traversée du détroit de Messine à cause des Carthaginois puis fut battu par les Romains à Bénévent en 275. Pyrrhos, percevant des opportunités en Macédoine, se retria en Grèce. Rome, sur sa lancée, en profita pour soumettre toute la péninsule italienne en une décennie. Les mondes romain et carthaginois étaient désormais en contact. Malgré des accords sur les aires d’influences et une récente alliance aussi objective que froide contre Pyrrhos, la collision était inévitable. Les Mamertins, lassés du joug carthaginois, demandèrent l’appui de Rome. Le détroit de Messine, qui séparait les deux puissances, déclencha ainsi plus d’un siècle de guerres romano-puniques.
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Un conflit que Rome appelait de ses vœux et que Carthage, plus riche, ne souhaitait pas. Tout laissait imaginer que les Carthaginois auraient l’ascendant sur les mers et les Romains l’auraient sur les terres. En réalité, Rome s’adapta et tira profit des Grecs, expérimentés sur les mers, pour surclasser les Puniques dans leur domaine de prédilection. Ceux-ci se révélaient des marins chevronnés pour le commerce, moins pour la guerre. Les combats prirent d’abord place en Sicile. Les Romains y débarquèrent des légions en 264 et obtinrent des succès militaires et politiques. Syracuse, alliée de Carthage car effrayée par l’expansionnisme romain, rejoignit l’Urbs* par pragmatisme politique dès 263. Nombre de cités grecques de Sicile l’imitèrent. Simultanément, Carthage souffrait d’attaques sur la Corse et la Sardaigne et ne répondait que par de timides raids sur les côtes italiennes. Pour autant, les Puniques résistaient avec efficacité en Sicile.
*urbs signifie une ville en latin, avec une majuscule, le mot fait directement référence à Rome.
Alors les Romains, dans un excès de zèle, décidèrent de porter la guerre en Afrique. La voie fut ouverte pour le consul Regulus après la victoire navale du Cap Ecnome en 256. Regulus ne parvint pas à ses fins et fut repoussé devant Carthage (255) mais il laissa derrière lui un peuple africain révolté contre le joug punique. Cette expédition occasionna une guerre interne de six années en Afrique, grevant gravement l’effort de guerre carthaginois contre Rome. En Sicile, un talentueux général carthaginois, Amilcar Barca, redressa la situation punique sur terre dans les dernières années de la guerre. En 241, une flotte carthaginoise devant ravitailler la force d’Amilcar Barca en Sicile tomba dans une embuscade au niveau des îles Ægates. Le Sénat carthaginois, qui avait encore les capacités de se battre, opta pour la fin de la guerre et le retour de la prospérité marchande.
La Première Guerre punique (264-241) confirmait la supériorité romaine en Méditerranée centrale. Après le dur traité de Lutatius (241), les choses ne se déroulèrent pas comme Carthage l’avait escompté. Les mercenaires, si savamment utilisés contre les Romains, se rebellèrent une fois revenus en Afrique. Toute la région, soumise à de trop lourds impôts et toujours marquée par la répression carthaginoise du soulèvement ayant suivi le passage du consul romain Regulus, se dressa à nouveau contre la métropole africaine. L’échec des négociations déclencha, en 241, un conflit qui perdura jusqu’à 237. Soutenue par la population locale, l’armée mercenaire fut renforcée et, dirigée par Spendios et Mathô, mena la vie dure à Carthage. La cité d’Elyssa en vint même à subir un blocus terrestre puis un siège. Amilcar Barca, qui avait formé cette armée mercenaire, sut la vaincre. Il fut, pour cela, aidé par le stratège Hannon le Rab.
Simultanément, des mercenaires se soulevaient également en Sardaigne contre Carthage. Les insurgés appelèrent Rome à l’aide. Après hésitation, l’Urbs accepta d’intervenir. Elle qui avait déjà confisqué l’ouest de la Sicile à Carthage et qui avait imposé de lourdes indemnités de guerre à la métropole africaine par le traité de Lutatius, s’arrogeait le droit de s’emparer de la Sardaigne, puis de la Corse. En 237, Rome plaça Carthage devant les faits. La cité d’Elyssa n’ayant pas les moyens de débuter une nouvelle guerre contre Rome, s’écrasa. Après la guerre des Mercenaires en Afrique (241-237), la période de l’entre-deux-guerres puniques se poursuivit. La métropole africaine, par l’impulsion d’Amilcar Barca, soutenu par le peuple et par un Sénat pro-barcide, développa son activité en Ibérie. Barca mena personnellement les opérations et soumit le sud-est de la péninsule ibérique.
En parallèle, les Puniques menaient des campagnes en Afrique contre les Numides pour sécuriser la route reliant l’Ibérie à la Carthage. Asdrubal le Beau, le gendre d’Amilcar Barca, participa à cet effort. En 229-228, Amilcar, trop confiant, fut trahi et mourut noyé en sauvant ses deux fils ainés. L’armée acclama Asdrubal le Beau à sa suite et le Sénat pro-barcide entérina la décision. Asdrubal avait des compétences davantage politiques que militaires. Il affermit l’hégémonie carthaginoise sur l’Ibérie et fonda Carthagène sur le littoral du sud-est, véritable capitale de cet état barcide dans l’état carthaginois. L’expansion carthaginoise en Ibérie faisait peur aux Grecs et aux Romains. En 231, Amilcar Barca avait justifié cette expansion par la nécessité de payer les indemnités dues à Rome. En 226, les Romains et les Carthaginois établirent une frontière pour ces derniers sur l’Ebre, laissant aux Puniques la majorité de la péninsule.
Rome s’allia avec Massalia et les cités phocéennes de Catalogne, garantissant leur sécurité ; mais également avec Sagonte. Pourtant, Sagonte se trouvait en-deçà de l’Ebre, dans l’aire carthaginoise. En 221, Asdrubal le Beau fut assassiné, laissant le commandement au fils ainé d’Amilcar : Hannibal Barca, 25 ans, déjà en charge des interventions musclées dans la péninsule. Il ne fallut pas longtemps à Hannibal Barca, belliqueux et hostile aux Romains, pour assiéger Sagonte. Dès 219, Barca mena le siège de la ville, ce qui déclencha les hostilités entre Rome et Carthage en 218. Le Sénat carthaginois, belliqueux, accueillit la guerre avec enthousiasme. La métropole africaine était devenue plus puissante que lors du précédent affrontement. Hannibal Barca, en particulier, commandait à une armée professionnelle. Barca lui-même était un chef militaire accompli. Celui-ci comptait bien partir de l’Ibérie barcide pour porter la guerre directement en Italie, afin d’empêcher une action romaine en Afrique.
A peine la Deuxième Guerre punique était-elle déclarée qu’Hannibal partit de Carthagène, en Ibérie, pour l’Italie. Il espérait ainsi porter la guerre sur les terres romaines et remettre en cause les alliances italiennes de l’Urbs. Il souhaitait également empêcher Rome de tirer profit de l’emprise imparfaite que Carthage possédait sur ses terres africaines et hispaniques. Dès la première année de la guerre (218), Hannibal prit de court les Romains, traversa rapidement les Pyrénées puis les Alpes et déboucha sur la plaine du Pô au nord de l’Italie. Les Romains essayèrent alors de rapidement écarter ce danger. Seulement voilà, Hannibal remporta les deux batailles qui opposèrent les deux puissances en 218 : au Tessin et à la Trébie. Victorieux, Hannibal s’aventura en Italie-même. Suivi de près par l’un des deux consuls romains, il tendit une terrible embuscade au lac Trasimène en 217 qui fut un carnage pour l’armée romaine.
Si les Carthaginois dominaient sans conteste les débats en Italie, il n’en allait pas de même en Ibérie, laissée par Hannibal Barca aux bons soins de son frère Asdrubal. De fait, Hannibal avait laissé derrière lui une Ibérie faiblement défendue. Cornelius Scipion débarqua dans la Catalogne actuelle en 218 et remporta la bataille de Cissé. Scipion fut alors rejoint par son frère Publius et ensemble, ils défirent Asdrubal sur l’Ebre. Ce recul punique en Ibérie poussa le Sénat à renforcer Asdrubal plutôt qu’Hannibal. Sur les mers, Rome avait l’avantage de la qualité et de la quantité. Pourtant, les navires carthaginois parvenaient à créer le danger sur les côtes italiennes.
Après ses victoires décisives à la Trébie et au Lac Trasimène, le général carthaginois Hannibal Barca écrasa une imposante armée romaine à Cannes, le 2 août 216, dans le sud de l’Italie. Cette victoire de Cannes aurait dû pousser Rome à demander la paix, selon les règles tacites de la guerre. Pourtant, l’Urbs opta pour la résistance acharnée. Dans une situation politique et économique désastreuse, Rome parvint à encore lever des troupes en élargissant les critères de recrutement et en enrôlant des esclaves. Pourtant, le terrible revers de Cannes ne fut pas seulement militaire pour les Romains. Hannibal venait de prouver aux cités de Grande-Grèce sa capacité à vaincre le peuple qui avaient très récemment pris l’ascendant dans la péninsule. Carthage ne requérant pas la soumission, elle parvint à rallier une grande partie de la Sicile et du sud de l’Italie.
Schéma tactique de la bataille de Cannes (216 av. J-C)
Les ralliements de Syracuse, Capoue et Tarente (dont la citadelle restait cependant aux proromains) à Carthage représentaient les plus éloquentes conséquences de la bataille de Cannes. La Macédoine épousa également la cause d’Hannibal mais, ayant déjà beaucoup à faire en Grèce, n’apporta finalement pas son aide. En Ibérie, les Carthaginois d’Asdrubal ben Gisco, d’Asdrubal et de Magon Barca furent vaincus plusieurs fois, dont une fois gravement, en 214, par les Romains dirigés par les frères Scipion. C’est qu’Asdrubal Barca devait également gérer une campagne en Afrique. Avec l’allié massyles (dont le prince Massinissa), les Puniques défirent Syphax, roi des Massaesyles, qui s’était rapproché de Rome. La paix signée en 213, Asdrubal put se concentrer sur l’Ibérie. Sagonte tomba aux Romains en 212. Mais les trois chefs carthaginois défirent et tuèrent les frères Scipion dans ladite bataille du Bétis (en vérité plusieurs batailles) en 211.
En 214, deux officiers siculo-puniques d’Hannibal amenèrent Syracuse dans l’alliance punique et prirent même la direction de la ville. Le consul romain Marcellus débarqua en Sicile et assiégea Syracuse pendant 8 mois en 213-212. Carthage dépêcha des renforts qui ne purent briser l’encerclement. Les chefs puniques furent terrassés par la peste. Marcellus fit tomber Syracuse en 212. En 210, Marcellus parvint à expulser définitivement Carthage de Sicile. En Italie, les Romains évitaient désormais le combat avec Hannibal et n’engageaient que ses lieutenants, moins talentueux. Rome assiégea Capoue, qui tomba en 211. Alors que, la même année, l’armée des Scipion était décimée en Ibérie, Rome décida d’y envoyer une nouvelle armée sous le commandement du jeune Publius Cornelius Scipion fils. Général talentueux, Scipion fit tomber Carthagène, jugée imprenable, en 210.
De son côté, Hannibal n’arrivait plus à tenir le sud de l’Italie en 210-209, ses soutiens cherchaient désormais un prétexte pour déserter l’alliance punique. Tarente tomba aux Romains en 209. Syracuse, Capoue, Carthagène, Tarente, autant de riches villes qui furent pillées par les Romains à leur chute. Ce n’était pas de trop, Rome faisait face à une crise économique depuis Cannes (216), doublée d’une crise sociale en 210-209. En Ibérie, malgré une défaite d’Asdrubal Barca à Baecula en 209, celui-ci passa les Pyrénées fin 208 pour rejoindre l’Italie avec une armée. Scipion venait d’échouer dans sa mission principale : un autre frère Barca allait menacer Rome sur ses terres. Il fut plus rapide que prévu, traversant la Gaule en deux mois seulement, là où son frère avait mis six mois.
Les Romains interceptèrent un messager qu’il envoya à Hannibal pour le prévenir de son arrivée. Rome put ainsi, sur l’initiative normalement illégale du consul Néron, fixer Hannibal au sud tout en portant la majorité de ses forces contre Asdrubal Barca plus au nord. Celui-ci fut contraint au combat, en sous-nombre et dans une situation difficile, à côté du Métaure en juin 207. Vaincu, Asdrubal préféra mourir au combat. C’était le tournant de la Deuxième Guerre punique. L’Ibérie punique, vidée de ses forces vives, ne put faire face aux Romains de Scipion. La bataille d’Ilipa et ses suites marquèrent la chute de l’Ibérie carthaginoise. Magon Barca, qui était resté pour la défendre, la quitta en 206 pour débarquer vers Gênes en 205, sur ordre de Carthage qui voulait forcer les légions romaines à rester en Italie.
Alors qu’Hannibal, non renforcé, n’avait plus les moyens de faire peser une réelle menace sur Rome, l’Urbs put épuiser Magon au nord et finalement le vaincre et le blesser à la bataille d’Insubrie en 203. Hannibal, dans le sud de l’Italie, n’avait presque plus aucun soutien. Scipion, lui, débutait sa campagne en Afrique en 204. Il bénéficiait d’une alliance avec les Numides de Massinissa (roi massyle), ancien allié de Carthage. Le proconsul débarqua au Cap Bon, assiégea Utique, alliée de Carthage et affronta les Punico-numides par deux fois en 203. Asdrubal ben Gisco et Syphax furent vaincus une première fois par la ruse, leurs campements partant en fumée, comme leur armée ; puis une seconde fois lors de la bataille des Grandes Plaines. Pour l’occasion, Scipion avait utilisé une stratégie inspirée de celle d’Hannibal à Cannes (216). Carthage, vaincue, demanda la paix.
Préalable indispensable aux négociations, Carthage ordonna le rapatriement de Magon et Hannibal Barca en Afrique. Alors que les négociations progressaient, un incident étrange aurait précipité la reprise des hostilités : Carthage aurait attaqué des navires romains au large de la Sicile. Incident invraisemblable, on ne sait pas réellement ce qu’il s’est passé ; peut-être que Scipion, désirant une victoire éclatante, avait motivé une reprise de la guerre. Quoi qu’il en soit, Hannibal et Scipion se retrouvèrent sur le champ de bataille, dans la plaine de Zama, en 202. Scipion, dit « l’Africain », l’emporta de justesse. Des conditions de paix très dures furent acceptées par Carthage, mettant fin à la Deuxième Guerre punique.
Après le traité de paix signé en 201, Carthage prospéra dans l’ombre de l’hégémonie romaine. Ce rebond économique insolent fit craindre à Rome la recrudescence de sa puissance. Mais les Romains étaient pour le moment trop occupés à guerroyer en Grèce et en Ibérie. Une fois les Grecs soumis en 168, le ton changea. Massinissa, roi numide et allié de Rome, devint cupide dès la fin de la Deuxième Guerre punique. Il n’avait de cesse d’annexer des territoires carthaginois. La cité punique, suivant le traité de 201, demanda plusieurs fois l’arbitrage de Rome : Carthage n’avait plus le droit de faire la guerre sans l’aval de l’Urbs. D’abord neutre pour éviter une alliance gréco-punique, Rome devint franchement favorable à Massinissa après sa victoire en Grèce en 168. En 151, les troubles en Ibérie se turent. Rome avait les mains libres.
Massinissa annexa les Grandes Plaines puis posa le siège devant Oroscopa en 150. Echaudée par ces humiliations auxquelles elle ne pouvait répondre, Carthage leva une armée et attaqua Massinissa sans l’aval de Rome. Une ambassade romaine, dirigée par Caton l’Ancien, se montra à nouveau défavorable aux Puniques. Ayant constaté la prospérité économique carthaginoise, Caton martela à son retour « delenda Carthago » (il faut détruire Carthage). Le prétexte de la guerre punico-numide, déclenchée sans l’accord de Rome, fut utilisé et la guerre déclarée en 149 après qu’Utique, alliée de Carthage, se soit rangée du côté de l’Urbs. Carthage tenta de sauver la paix et livra, sur demande romaine toutes ses armes. C’est alors que Rome dévoila ses conditions : les Carthaginois devaient abandonner leur cité, qui serait rasée, et s’installer 15 km plus dans les terres. Pour les Carthaginois, c’était abandonner leur foyer, temples et nécropoles : c’était impensable.
Carthage, littéralement désarmée, accepta la Troisième Guerre punique en 149. Après deux ans de siège, Scipion Emilien, dit le « Second Africain » prit les choses en main et fit tomber la ville en 146. Il fallut s’adonner à de terribles combats de rues pendant plusieurs jours. Carthage fut brûlée (non rasée) et reconstruite à la romaine ; la province Africa était née. Rome, qui avait toujours dit, au travers de sa propagande, se défendre contre la fides punica (fourberie punique) avait démontré tout l’art de la fides romana.
Figures Historiques principales :
Gélon (v540-477) : tyran de Syracuse (484-477), vainqueur de la bataille d’Himère (480).
Denys l’Ancien (431-367) : tyran de Syracuse (406-367), ayant combattu Carthage durant la deuxième guerre gréco-punique.
Agathocle (361-289) : tyran puis roi de Syracuse (304-289), ayant lutté contre Carthage durant la troisième guerre gréco-punique.
Timoléon (v411-337) : stratège corinthien et dirigeant de Syracuse (343-337) ayant mis fin à la tyrannie de Denys le Jeune.
Pyrrhos Ier (v318-272) : roi d’Epire (306-302 puis 297-272 av. J-C), roi de Macédoine et de Thessalie (288-285 puis 274-272 av. J-C) ayant répondu à l’appel de Tarente contre Rome puis de Syracuse contre Carthage. Stratège grec de talent.
Marcus Atilius Regulus (v299-v250/45) : consul en 267 puis à nouveau (consul suffect) en 256, pendant la Première Guerre punique, il décide de porter la guerre en Afrique. Sa campagne n’est pas un succès à court terme mais l’est à long terme, ayant incité les peuples africains à se révolter contre Carthage.
Asdrubal le Beau (v270-221) : beau-fils d’Amilcar Barca, il prend la succession de son beau-père après sa mort en Ibérie. Son talent politique et diplomatique lui permet de faire prospérer l’Ibérie carthaginoise.
Amilcar Barca (v290-228) : stratège carthaginois de talent, il est le seul à parvenir à tenir tête aux légions romaines en Sicile, pendant la Première Guerre punique. Après la paix, son armée se révolte contre Carthage, débutant la guerre d’Afrique (241-237). Amilcar parvient à vaincre son ancienne armée et met fin à cette guerre, avec l’aide d’Hannon le Rab. Doté d’une grande influence à Carthage, il dirige l’expédition carthaginoise vers l’Ibérie et fonde un état dans l’état : une Ibérie barcide. Il est le premier à écoper du surnom « Barca ».
Hannibal Barca (247-183/1) : fils ainé d’Amilcar, il est un stratège carthaginois de grand talent. Il pousse à la Deuxième Guerre punique et conduit son armée au travers des Pyrénées, de la Gaule et des Alpes pour inquiéter Rome directement sur son territoire italien. Il sort victorieux des batailles du Tessin, de la Trébie et du lac Trasimène contre Rome avant d’écraser les Romains dans un bijou stratégique à la bataille de Cannes (216). Il parvient alors à se faire des alliés dans le sud de l’Italie et inquiète Rome pendant 15 ans. Il ne parvient toutefois pas à prendre Rome. Il est vaincu à la bataille de Zama (202) à son retour forcé en Afrique, devient suffète en 196, après la guerre, puis part en exil.
Asdrubal Barca (245-207) : deuxième fils d’Amilcar Barca, il tient l’Ibérie punique durant la Deuxième Guerre punique pendant que son frère Hannibal porte la guerre en Italie. Devant gérer une situation compliquée, il s’en sort admirablement et parvient même à rejoindre son l’Italie en 207. Il ne parvient pourtant pas à établir la communication avec son frère et combat en infériorité numérique les Romains à la bataille du Métaure, durant laquelle il meurt.
Magon Barca (243-203) : plus jeune fils d’Amilcar Barca, il aide son frère Hannibal en Italie au début de la Deuxième Guerre punique et jusqu’à la bataille de Cannes. Envoyé collecter des renforts et de l’argent à Carthage, il est cependant affecté en Ibérie, où aider son autre frère, Asdrubal, semble plus urgent. Il reste jusqu’en Ibérie jusqu’au bout (206) puis rejoint le nord de l’Italie, où il combat jusqu’à la bataille d’Insubrie (204), durant laquelle il est blessé. Il embarque pour l’Afrique sur ordre de Carthage et meurt pendant la traversée en 203.
Asdrubal ben Gisco (? – 202) : stratège aidant Asdrubal Barca puis Magon Barca à défendre l’Ibérie punique, jusqu’à sa chute en 206. Il tente ensuite de défendre l’Afrique contre Scipion mais est défait par la ruse puis sur le champ de bataille (bataille des Grandes Plaines, 203).
Quintus Fabius Maximus Verrucosus, dit Cunctator (le Temporisateur) (v275-203) : dictateur romain en 217 puis consul en 215, 214 et 209, l’un des plus efficaces ennemis d’Hannibal en Italie pendant la Deuxième Guerre punique.
Massinissa (v238-148) : prince numide massyles, fils de Gaïa, il lutte contre Syphax, roi des numides massaesyles. Il devient ensuite roi de son peuple. D’abord un allié des Carthaginois, il devient allié des Romains à la fin de la Deuxième Guerre punique et aide Scipion durant sa campagne d’Afrique. Puis, il ne respecte pas la paix et prend de plus en plus de territoire punique, poussant Carthage à la faute, ce qui déclenche la Troisième Guerre punique.
Syphax (v250-202) : roi massaesyles, il fait tour à tour alliance avec Rome et Carthage et reste un farouche ennemi de Massinissa. Il est finalement vaincu par ce dernier et échoue à contrer, avec les Carthaginois, la campagne de Scipion en Afrique.
Marcus Claudius Marcellus (v268-208) : général et héros de Rome, cinq fois consul (222, 215, 214, 210 et 208), il redresse la situation en Sicile et prend Syracuse (212) durant la Deuxième Guerre punique puis tient en respect Hannibal Barca en Italie. Alors consul en exercice, il meurt avec son autre collègue consul dans une embuscade tenue par Hannibal en Italie.
Scipion l’Africain (236/5-183) : fils d’un consul guerroyant en Ibérie, il prend la suite de son paternel lorsque celui-ci, avec son oncle, meurt face aux Carthaginois d’Asdrubal Barca, Magon Barca et Asdrubal ben Gisco. Ayant combattu à Cannes contre Hannibal Barca et étudié sa tactique, Scipion (fils) se révèle un excellent général romain. Proconsul en 211, il s’empare de Carthagène en Ibérie en 209. Consul en 205, il décide de porter la guerre en Afrique. Vainqueur des Carthaginois aux Grandes Plaines (203) puis contre Hannibal Barca lui-même à Zama (202), il écope du surnom « l’Africain ».
Asdrubal le Boétharque (? – ?) : stratège carthaginois envoyé contre Massinissa avant la Troisième Guerre punique, il a la charge de la défense de Carthage quand la guerre éclate.
Scipion Emilien, Second Africain (185-129) : alors que le siège de Carthage piétine durant la Troisième Guerre punique, Scipion Emilien, consul en 147, reprend les choses en main. C’est lui qui fait tomber la cité en 146 et met fin à la guerre.
Sources (texte) :
Melliti, Khaled (2016). Carthage. France : Perrin, 559p.
Ferrero, Guglielmo (2019, réédition de 1936). Nouvelle Histoire romaine. France : Tallandier, 509p.
Le Bohec, Yann (2017). Histoire des guerres romaines. Paris : Tallandier, 608p.
Vanoyeke, Violaine (1995). Hannibal. Paris : Éditions France-Empire, 295p.
Will, Edouard (1979-1982). Histoire politique du monde hellénistique 323-30 av. J-C (tome 1 et 2). Millau : Editions du Seuil, 1051p.
Sources (images) :
https://www.timemaps.com/civilizations/phoenicians/ (carte Levant de Timemaps)
https://www.franceculture.fr/emissions/les-hommes-aux-semelles-de-vent-itinerances-en-mediterranee-multidiffusion/episode-1 (Comptoirs et influence des Phéniciens)
http://explorethemed.com/SicilyClassFr.asp?c=1 (les zones d’influences et colonies siciliennes)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Timol%C3%A9on (Timoléon)
https://www.larousse.fr/encyclopedie/images/Lexp%C3%A9dition_dAlexandre/1009142 (Empire d’Alexandre)
https://de.wikipedia.org/wiki/Agathokles_von_Syrakus (Agathocle)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyrrhus_Ier (Pyrrhos Ier et son itinéraire en Grande-Grèce)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%C3%A8re_guerre_punique (carte à l’aube de la Première Guerre punique)
https://en.wikipedia.org/wiki/Hamilcar_Barca (Amilcar Barca)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathos (Mathô)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hasdrubal_le_Beau (Asdrubal le Beau)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Espagne_barcide#/media/Fichier:Punic_conquest_of_Iberia_before_the_second_Punic_war-fr.svg (carte conquête de l’Ibérie par les Carthaginois)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_punique (aires d’influences avant la guerre et représentation du passage des Alpes par Hannibal)
https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_the_Trebia (Schéma tactique de la bataille de la Trébie, 218)
https://leg8.fr/armee-romaine/bataille-cannes-216-av-jc/ (représentation de la bataille de Cannes)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_punique#Bataille_de_Cannes_(216_av._J.-C.) (schéma tactique de la bataille de Cannes)
https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Punic_War (carte des alliés d’Hannibal dans le sud de l’Italie en 213 av. J-C)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_punique (front ibérique 218-211 av. J-C)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcus_Claudius_Marcellus_%28consul_en_-222%29 (Marcus Marcellus)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hannibal_Barca (Hannibal Barca)
https://en.wikipedia.org/wiki/Hasdrubal_Barca (Asdrubal Barca)
http://westerhopewargames.blogspot.com/2012/09/battle-of-metaurus-207-bcplayed-9912.html (bataille du Métaure)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Scipion_l%27Africain (Scipion l’Africain)
https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_the_Metaurus (carte résumant la deuxième guerre punique)
https://forums.taleworlds.com/index.php?threads/research-carthage.247624/page-4 (conséquences du traité de 201 pour Carthage)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_guerre_punique (situation géopolitique en 149 av. J-C et cité de Carthage)