Alexandre le Grand (partie I) : l’émergence de la Macédoine (Ve-IVe siècles av. J.C)

Alexandre le Grand (partie I) : l’émergence de la Macédoine (Ve-IVe siècles av. J.C)

En une génération, l’Empire perse achéménide fut bâti par Cyrus le Grand au VIe siècle*. Cet empire, s’étendant de l’Asie centrale, touchant aux frontières chinoise et indienne actuelles à l’est et englobant la Turquie et l’Egypte actuelles à l’ouest, rencontrait ainsi le monde grec. La Grèce semblait être la voie d’expansion naturelle de l’Empire achéménide au Ve siècle. Des tensions émergèrent entre ces deux civilisations foncièrement différentes. La Grèce, morcelée en une myriade de cité-Etats antagonistes, semblait une terre propice à l’invasion. Rien ne serait plus facile que de jouer des profondes dissensions grecques pour s’accaparer tout le territoire. Darius Ier, roi des Rois, dirigeant l’Empire achéménide, décida de lancer une invasion en 490 pour laver un affront. La Première Guerre médique (490 av J.C) fit peser une telle menace sur la Grèce que les cité-Etats les plus profondément antagonistes, Athènes et Sparte, parvinrent bon gré mal gré à s’entendre pour repousser ensemble l’envahisseur. De fait, ce furent surtout les soldats d’Athènes qui repoussèrent l’invasion perse durant la bataille de Marathon en 490. Là où Darius Ier avait échoué, Xerxès Ier, son fils, voulait réussir. Du moins était-il poussé à relever le défi par les princes de son empire. Il lança une invasion bien plus sérieuse : la Seconde Guerre médique (480-479 av J.C). A nouveau, les Grecs lui opposèrent une ligue, répondant ensemble à la menace, résistant aux escadres achéménides par la bataille de l’Artémision puis les vainquant carrément par la bataille de Salamine en 480. Les Grecs résistèrent également sur terre aux Thermopyles en 480 mais cédèrent avant de vaincre définitivement par la bataille de Platées en 479. Du moins ce récit est-il celui qui est le plus connu, se départissant de la complexité.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.

Carte récapitulant les guerres médiques, en bleu les états de la ligue (le royaume de Macédoine se trouve plus au nord)

La réalité ne montre pas une Grèce aussi unifiée qu’on le pense souvent. La Grèce centrale, particulièrement l’Attique (Athènes) et la Grèce du Péloponnèse (principalement Lacédémone, autrement dit Sparte), luttèrent. Elles luttèrent d’ailleurs d’autant plus ardemment qu’elles étaient menacées de destruction totale car catégoriquement désignées comme les ennemies. Les autres cité-Etats grecques pouvaient bien se soumettre à Xerxès sans autre conséquence que la générosité de ce souverain très réfléchi et pas plus cruel qu’un autre. Les Grecs, il est vrai, montraient une certaine mauvaise humeur à enrayer leurs libertés. Pourtant, tout le nord de la Grèce et une partie significative du centre collabora allègrement avec l’envahisseur. C’était un calcul politique tout à fait objectif : ils étaient en première ligne et n’avaient pas de motivation particulière à combattre. C’est ce détail qui nous intéresse. La Macédoine, comme la Thessalie et bien d’autres, fit soumission devant les Perses. Alexandre Ier, le roi d’alors, tenta même de faire plier les autres cité-Etats en négociant pour le compte de Xerxès. Pourtant, ne retient-on pas de lui qu’il était le « Philhellène » ? Alexandre Ier était un opportuniste, il se rangeait du côté vainqueur. Après la défaite navale perse à Salamine, Xerxès se retira du pays et laissa à son cousin Mardonios la charge de continuer la lutte avec une armée bien réduite et fortement composée de grecs. Enfin vint l’affrontement final, à Platées, entre la ligue grecque et le Vice-Roi Mardonios. Alexandre de Macédoine délivra aux Grecs le plan de Mardonios, permettant la victoire grecque durant la bataille.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cet événement. Avant les guerres médiques, le royaume de Macédoine, pour sa forme politique (une monarchie) et parce qu’il était situé au nord de la Grèce à proprement parler, celle constituée de cité-Etats, était considéré comme un royaume barbare. Le mot est à prendre au sens littéral : un royaume hors de la civilisation grecque. En 496, déjà, Alexandre Ier de Macédoine parvint à faire accepter sa participation aux sacro-saints Jeux Olympiques. Voir un barbare participer à ces jeux était inhabituel ; alors voir un roi barbare … La participation d’Alexandre à ces jeux fit rentrer son royaume dans le monde grec. Mais la trahison de ce même roi en faveur de la ligue grecque en 479 fut l’élément décisif : le royaume de Macédoine devenait grec aux yeux des Grecs. Du reste, le souvenir de ces guerres médiques s’ancra si profondément dans le cœur des Grecs (du moins certains d’entre eux) qu’on verra que l’action d’Alexandre III, dit Alexandre le Grand, qui prend pourtant place 145 ans plus tard, en sera largement imprégnée.

Alors que dans l’Empire perse achéménide, Xerxès Ier laissait son trône à Artaxerxès Ier (465-424), qui lui-même le laissa à Darius II (424-405) puis à Artaxerxès II, la Grèce renouait avec ses intempestives guerres intestines. Athènes, après les guerres médiques, rayonna, notamment avec la Ligue de Délos. Puis Sparte, son éternelle rivale, triompha d’elle durant la guerre du Péloponnèse (431-404). La Macédoine ne manqua pas de profiter de ces tensions, intervenant d’un côté comme de l’autre. Ces intrusions dans la vie politique et militaire de la Grèce montrent à quel point la Macédoine était désormais incorporée dans cette civilisation. Alexandre Ier, qui avait fait le premier pas de géant, expira en 454 et Perdiccas II lui succéda (454-413). Puis le trône passa au fils illégitime de ce dernier : Archélaüs. Roi éclairé, Archélaüs rapprocha la capitale du monde grec, l’établissant à Pella, tout en réformant l’armée et l’Etat. Il fut également le protecteur des arts durant la guerre du Péloponnèse. Voilà donc le roi de Macédoine gardien des arts grecs alors que le monde grec sombre un instant avec la guerre du Péloponnèse. En 399, Archélaüs fut assassiné, laissant place à l’anarchie. La Macédoine ne recouvra sa stabilité qu’en 389, lorsque Amyntas III monta sur le trône.

La situation avant la guerre du Péloponnèse (431 av. J.C)

Il épousa la sanguinaire Eurydice avec qui il eut quatre enfants : Alexandre, Perdiccas, Philippe et une fille dont on ne connait pas le nom. Amyntas connut des temps difficiles, perdant un temps Pella et reconquérant son pouvoir en 379. Sa fille épousa l’ambitieux Ptolémée d’Aloros. Amyntas III mourut, peut-être de la main de sa femme, en 369. Alexandre II monta alors sur le trône et fut assassiné par Ptolémée, époux de la sœur du roi mais amant de l’ancienne reine Eurydice. Des prétendants lorgnaient sur le trône mais Eurydice, avec l’aide d’un général athénien (Iphicrate), parvint à faire de son fils Perdiccas III le roi et de son amant Ptolémée, accessoirement mari de sa fille, le régent. En 367, le grand général thébain Pélopidas obligea les Macédoniens à lui donner Philippe en otage. Depuis les grandeurs passées d’Athènes puis Sparte, c’est Thèbes qui avait repris le flambeau et était alors au zénith de sa puissance. Fin 365, Perdiccas III se libéra de son régent Ptolémée qui fut tué et de sa mère qui prit la fuite. Philippe, après 3 ans à Thèbes, put retrouver sa Macédoine. Eurydice provoqua une révolte contre le pouvoir de son fils et soit fit tuer le roi soit provoqua une bataille où il succomba, faisant d’Eurydice la meurtrière éventuelle de son mari, de ses deux fils aînés et probablement de sa fille à qui elle avait pris le mari. Quatre prétendants au trône se révélèrent alors et les Macédoniens choisirent Philippe II de Macédoine (le même qui avait été otage à Thèbes) et non le fils en bas âge de Perdiccas III. Le père d’Alexandre le Grand monta ainsi sur le trône en 359.

Philippe II, roi de Macédoine (359-336)

Philippe réforma son armée selon le model thébain et en fit rapidement une force professionnelle de 10 000 hommes ; avec une cavalerie agissant en corps tout comme les fantassins agissaient en phalanges, ne laissant plus de place à l’individualisme pourtant généralement favorisé par ce peuple macédonien encore légèrement barbare. Philippe se fit aimer de ses troupes en étant rude mais en partageant leur rythme de vie et en luttant avec eux dans les batailles. Cela ne l’empêcha pas de former une aristocratie macédonienne, les Hétairoi (« Compagnons » du roi), des troupes d’élite. Homme aux immenses ambitions, Philippe devait avant tout se procurer de l’or. Pour cela, il annexa tout bonnement une petite cité sous le joug athénien (Amphipolis) qui exploitait mal une mine du mont Pangée. Il attaqua quand Athènes fut occupée, se répandit en excuses devant Athènes pour cette malheureuse action mais n’en garda pas moins la colonie et sa précieuse mine d’or.

Représentation du temple d’Artémis en flammes en 356 av. J.C

Philippe, âgé de 24 ou 25 ans, rencontra Olympias, fille du roi d’Epire, très religieuse et libertine, servant le dieu Zeus-Ammon (mélange gréco-égyptien). Philippe épousa Olympias qui lui donna un fils : Alexandre. Bien des signes et des mythes entourent cette naissance comme le fait que deux aigles aient assisté à l’accouchement qui se déroula lors d’une tempête, les aigles signifiant que l’enfant règnerait sur deux empires. Philippe était en campagne militaire lorsque naquît son fils en octobre 356 (selon les récentes recherches, il serait plutôt né le 21 juillet 356). On dit qu’il reçut la nouvelle d’une grande victoire de Parménion, l’un de ses généraux, sur les Illyriens qu’il attaquait mais également qu’une colonie grecque s’était rendue à ses forces le jour même de la naissance. On dit également que le temple d’Artémis à Ephèse, merveille du monde antique, brûla ce même jour. Bref, bien des « signes » annonçant le destin de l’enfant. Par ailleurs ses parents étaient persuadés qu’il était le fils du dieu Ammon, qui se serait matérialisé dans le corps du serpent domestique que possédait Olympias.

Philippe étendit son royaume en Bulgarie actuelle en 355. Il approcha ensuite sa frontière de Salonique, prenant un an plus tard, au prix d’un œil, la ville de Méthone, assujettie à Athènes, sans qu’une guerre n’éclate pourtant entre la Macédoine et les Athéniens. Après un bref repos durant lequel Philippe et Olympias eurent leur fille Kléopatra, le roi s’aventura en Thrace puis, en 353, en Thessalie. Cette guerre se présenta comme une invitation : les Phocidiens (de Phocide) ayant pillé l’oracle de Delphes pour financer des guerres contre Thèbes, s’attirèrent une « guerre sacrée » à leur encontre pour avoir touché à Delphes, oracle la plus respectée de Grèce. Philippe subit d’emblée une dure défaite face aux Phocidiens puis fanatisa ses hommes par le prétexte religieux et retenta sa chance : ce fut un triomphe. La bataille s’était déroulée vers le golfe de Pagase (de Volo aujourd’hui). Le chef ennemi fut crucifié, 3 000 prisonniers pendus. Philippe se fit tagos (chef) de Thessalie, c’est-à-dire qu’il annexa le territoire, lui donnant une assise en Grèce-même et une frontière commune avec l’Epire alliée, peuple de sa femme. Passer le défilé des Thermopyles pour atteindre Delphes, toujours au nom d’Apollon, divinité de Delphes, aurait assuré son prestige. Mais les Athéniens, désormais effrayés par la puissance montante de Philippe, occupèrent les défilés. Ce n’était pas encore un acte de guerre mais la tension venait de monter d’un cran.

Alexandre avait Lysimaque comme paidagogos (pédagogue) et Léonidas comme tuteur pour son éducation. Léonidas lui apprit à refuser le luxe et la mollesse tandis que sa mère insistait sur le côté religieux. Le roi, absent, ne put lui enseigner la chose militaire et l’accoutumer à la boisson du milieu de la soldatesque. En 349, Philippe retourna vers Salonique pour soumettre la colonie d’Olynthe et les autres « pionniers » grecs présents sur ce qu’il estimait être son territoire. Athènes fit entendre qu’elle soutenait Olynthe mais n’eut pas le temps d’acheminer les renforts. Philippe agrandit la Macédoine presque jusqu’à l’Hellespont, donc non loin de l’Empire perse. Il fit savoir à Athènes qu’il préférait la paix à la guerre, motivant l’envoi en 346 d’une ambassade athénienne dont Démosthène, auteur des Philippiques (discours contre Philippe II de Macédoine), faisait partie. Toujours en 346, dès l’alliance avec Athènes conclue, Philippe entra de nouveau en Thessalie. Il acheta avec de l’or l’armée de mercenaires servant les Phocidiens qui occupait les Thermopyles et poussa cette fois jusqu’à Delphes où il reçut l’un des sièges de président au Conseil amphictyonique (delphique), celui perdu par les Phocidiens pour leur pillage. Ce, malgré les protestations d’Athènes et Sparte. Le roi de Macédoine n’était plus un barbare mais désormais le plus illustre des Grecs. Phillipe s’assura de son emprise, après 346, en Epire, en Illyrie (Albanie), en Thrace et atteignit cette fois l’Hellespont ; apaisa Athènes par diplomatie, se montra généreux envers tous dont Sparte qu’il couvrit d’or, réorganisa la Thessalie et rêva dès 346 à l’unification des Grecs pour mener une croisade contre les Perses. Mais il était un roi à moitié barbare, les Cité-Etats se méfiaient de la monarchie.

Représentation d’Alexandre domptant Bucéphale

Alexandre, lui, grandissait. On peut ici citer le fameux épisode du vendeur de cheval Philonicos qui présenta Bucéphale (« tête de bœuf ») à Philippe et son fils. Il se montra indomptable jusqu’à ce qu’Alexandre le monte : il avait compris que l’animal était effrayé par sa propre ombre qui suivait ses mouvements et le tourna face au soleil. Philippe demanda Aristotélès (Aristote) pour éduquer son fils après ses 13 ans, craignant qu’il ne devienne trop efféminé et qu’il verse dans le mysticisme et l’occultisme que lui apprenait sa mère. Aristote, élève de Platon (mort en 347) à Athènes, avait passé son enfance avec Philippe, tous deux étaient devenus amis. Il ne croyait qu’en la raison et la logique, les sciences, l’exact opposé d’Olympias. Alexandre profita durant deux années de l’enseignement d’Aristote. Alexandre était bon en tout, impressionnant les autres, mais il était un peu hautain et persuadé d’être né demi-dieu. La vraie inquiétude du couple royal résidait dans ce que Alexandre, destiné à être roi, ne semblait pas du tout intéressé par les femmes.

Philippe fit campagne en 342 en actuelle Bulgarie mais surtout vers Périnthe et Byzantion (Byzance), partie européenne de la Turquie actuelle. Les Athéniens, craignant qu’il prenne encore l’une de leurs colonies (à Gallipoli), conseillèrent aux Perses de se méfier du roi macédonien. Philippe mit le siège sur Périnthe et amena son fils voir pour la première fois la chose militaire. Alexandre impressionna tellement son père que Philippe lui ordonna de retourner comme régent du royaume macédonien à Pella : il n’avait que 16 ans. Philippe butta néanmoins devant Périnthe et Byzance sur la mer de Marmara. Les Athéniens n’y étaient pas pour rien, eux qui aidaient désormais sans retenue et massivement les assiégés. Philippe trouva alors une solution diplomatique honorable et s’en alla prendre des territoires plus au nord (Bulgarie et Roumanie actuelles) jusqu’au Danube pour occuper le littoral de la mer Noire et empêcher un éventuel débarquement perse sur ces terres.

Alexandre reçut une ambassade perse à Pella qu’il impressionna grandement par ses questions et son accueil. Puis une révolte éclata au nord (au sud de la Sofia actuelle). Alexandre, 16 ans, décida d’aller mater la révolte lui-même en tant que régent. Il le fit avec brio, faisant de lui un homme aimé de la troupe. Philippe, plus au nord, passé la surprise de cette intervention, lui demanda de le rejoindre. Les forces macédoniennes tombèrent dans une embuscade durant laquelle Alexandre sauva la vie de son père qui s’en sentit vexé. Philippe avait déjà un œil en moins, un bras et une épaule endommagés et boitait désormais.

Sources (texte) :

Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.

Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.

Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.

Sources (images) :

https://www.historia.fr/carte-blanche-%C3%A0-franck-ferrand/lhistoire-bascule-%C3%A0-salamine (carte résumé des Guerres médiques)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Royaume_de_Mac%C3%A9doine (situation avant la guerre du Péloponnèse)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_(roi_de_Mac%C3%A9doine) (Philippe II de Macédoine)

https://www.arretetonchar.fr/les-7-merveilles-4-le-temple-dartemis/ (temple d’Artémis)

http://lesitedelhistoire.blogspot.com/2011/08/alexandre-domptant-le-grand-bucephale.html (Alexandre domptant Bucéphale)

Les commentaires sont clos.