Alexandre le Grand (partie II) : la soumission de la Grèce, de Philippe II à Alexandre III (338-334 av. J.C)

Alexandre le Grand (partie II) : la soumission de la Grèce, de Philippe II à Alexandre III (338-334 av. J.C)

Rappel : le royaume de Macédoine intégra la civilisation grecque sous le règne d’Alexandre Ier (498-454)* en aidant la ligue grecque contre la Perse lors de la Seconde Guerre médique (480-479). Puis, une ère de prospérité se présenta à la Macédoine sous le règne du roi éclairé Archélaüs (413-399) qui réforma l’Etat et l’armée, tout en profitant du fait que les Grecs s’enfoncent dans la guerre du Péloponnèse (431-404). Philippe II de Macédoine monta sur le trône en 359 et épousa Olympias qui donna naissance à Alexandre. Philippe réforma l’armée sur le modèle grec et agrandit le territoire du royaume de Macédoine, conquérant le territoire au nord, la Thrace à l’est et la Thessalie au sud. Sa puissance montait au détriment d’Athènes. Surtout, Philippe gagna un siège au Conseil amphictyonique et se confronta à Périnthe et Byzance, soutenues par Athènes. Il ambitionnait de rassembler la Grèce pour mener une guerre contre l’Empire perse achéménide. Alexandre, lui, impressionnait déjà et avait la confiance de son père pour exercer la régence du royaume malgré son jeune âge.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.

En 338, Delphes et le Conseil amphictyonique demandèrent à Philippe de punir des tribus montagnardes, les Amphissiens, qui, géographiquement proches de Delphes, revendiquaient du territoire et étaient soutenues en cela par les Thébains. Philippe ne s’en priva pas, de quoi faire oublier ses revers à Périnthe et Byzance aux abords de la mer Marmara. Philippe décida d’emmener avec lui Alexandre, 17 ans et demi, pour poursuivre son instruction militaire. Les Macédoniens s’installèrent non loin de la Boétie des Thébains et demandèrent à Thèbes de rester neutre. Athènes, craignant de voir une alliance entre Macédoniens et Thébains se former ou bien les Macédoniens vaincre les Thébains pour ensuite fondre sur Athènes, prépara la guerre. Les athéniens étaient persuadés que Philippe préparait sa vengeance pour punir l’aide athénienne octroyée aux assiégés de Périnthe et Byzance. Pourtant, Philippe s’échinait à nier une rupture de la paix.

Carte de la Grèce au Ve siècle av. J.C mais applicable du temps de Philippe II de Macédoine (pour situer les villes et régions)

Démosthène parvint à convaincre Athènes mais également Thèbes, pourtant leur ancienne ennemie et ancienne alliée de la Macédoine. L’alliance grossit encore avec Corinthe, Mégare, Byzance, Périnthe et bien d’autres alors que peu se déclaraient neutres comme Sparte, ou alliés de Philippe. Le roi de Macédoine eut à cœur d’accomplir la mission sacrée qu’il était venu mener. Mais des mercenaires athéniens et thébains renforcèrent les Amphissiens qu’il venait châtier. Philippe rusa en faisant fuiter un document prétendant qu’il devait se rendre au nord. Il attaqua ensuite par surprise les ennemis de Delphes puis retourna à Elatée où il fortifiait sa position. Philippe essaya de nouveau d’apaiser les tensions, faisant hésiter Thèbes, vite rappelée à l’ordre par Athènes.

Carte montrant le trajet de l’armée de Philippe jusqu’à Chéronée
Schéma tactique de la bataille de Chéronée (338 av. J.C)

Les armées s’affrontèrent à Chéronée. Les Athéniens déployèrent 10 000 hommes et 600 cavaliers (aile gauche), les différents alliés presque 10 000 hommes et 600 cavaliers au centre, avec le soutien de 5 000 mercenaires, enfin les Thébains alignèrent 12 000 hommes dont le Bataillon sacré et 800 cavaliers (aile droite). En face, les Macédoniens disposèrent 30 000 hommes et 2 000 cavaliers dont la redoutable cavalerie thessalienne. L’aile droite macédonienne, directement dirigée par Philippe, faisait face aux Athéniens ; tandis que l’aile gauche était commandée par Alexandre, ou du moins la cavalerie aristocratique d’élite, les Compagnons, l’était. Les Athéniens attaquèrent en hurlant, Philippe opéra une retraite stratégique de sa droite pour laisser les assaillants se fatiguer. Pendant ce temps, les Thébains subissaient l’assaut de la gauche macédonienne et le Bataillon sacré fut pris de flanc par la cavalerie d’Alexandre. Ainsi donc la bataille tourna pour former une nouvelle ligne perpendiculaire à l’ancienne ligne de front. Les ailes des alliés s’affaissèrent, le centre céda, le Bataillon sacré fut presque anéanti, lui qui avait pour ordre de mourir plutôt que de céder. Il est dit qu’Alexandre sauva de nouveau son père dans cette bataille en revenant sur l’aile droite pour contenir la force de poussée des Athéniens.

Philippe venait de se rendre maître de la Grèce. Il refusa de poursuivre l’armée alliée en déroute et libéra la majorité des 2 000 prisonniers qu’il avait fait en plus de 1 000 morts. Une alliance fut conclue avec Athènes (Alexandre menant l’ambassade) en échange de la colonie de Gallipoli. Philippe fit alors un tour de la Grèce pendant un an. Il fonda la ligue de Corinthe et imposa à toute la Grèce cette alliance. Seule Sparte demeura neutre et refusa de se soumettre au roi macédonien. Philippe pensait alors envahir la Perse et mit en place l’expédition avec toute l’Hellade. Il était sur le point de réaliser son rêve.

La Grèce sous la domination macédonienne avec la ligue de Corinthe (336 av. J.C)

Philippe avait déjà eu nombre d’enfants avec d’autres femmes et avait été infidèle toute sa vie. En fin 337, Philippe tomba amoureux d’une énième femme (qui sera sa septième épouse). Cette femme, âgée de moins de 18 ans, était et fille de son général Attale (en vérité sa nièce qu’il a adopté). Celle-ci, nommée Cléopâtre (à ne pas confondre avec la fille de Philippe), exigeait d’être la reine. Philippe accepta de répudier Olympias pour elle, usant du prétexte d’infidélité, sa femme revendiquant d’avoir enfanté Alexandre du dieu Zeus-Ammon lui-même, changé en serpent. Alexandre essaya bien de protester, surtout contre un futur hériter aussi légitime au trône que lui, mais rien n’y fit. Philippe épousa Cléopâtre et une altercation éclata lors de la soirée qui suivit durant laquelle Alexandre fut offensé par Attale et Philippe leva son épée contre son fils avant de tomber à cause de sa jambe boiteuse et de son état d’ébriété. Il fallut des négociations pour ramener Alexandre à la capitale.

Philippe bannit du royaume quatre amis d’enfance d’Alexandre qui, pensait-il, avaient un lien avec les difficultés dans sa famille. Ces quatre jeunes hommes étaient : Ptolémaïos (Ptolémée), potentiel fils illégitime de Philippe et futur roi d’Egypte ; Néarque, un Crétois futur amiral d’Alexandre ; Phrygius, futur chef macédonien et Harpale, futur traitre. Ayant écarté ces séditieux, il fallait encore apaiser Olympias. Pour cela, Philippe donna au frère d’Olympias, roi d’Epire, sa fille Cléopâtre (à ne pas confondre avec sa nouvelle femme), 17 ans, en mariage. C’était unir l’oncle et la nièce mais surtout raffermir les liens familiaux et occuper Olympias dans l’organisation d’un mariage. Philippe comptait partir en guerre contre la Perse ensuite, en automne 336. Pour cela, il envoya Parménion et Attale vers l’Hellespont pour former une tête de pont. Il était bien content de faire partir Attale, père de Cléopâtre, sa nouvelle femme. La dispute qui consumait le roi et le prince concernait la fille d’Attale mais aussi des paroles du général.

Représentation de l’assassinat de Philippe II de Macédoine en 336 av. J.C

Or Attale n’avait pas énervé qu’Alexandre. Il avait également humilié, par vengeance, un homme de l’armée : Pausanias. Ce dernier demanda justice à Philippe, qui n’en fit rien car Attale était désormais son beau-père. Il proposa un grade supérieur dans l’armée mais Pausanias ne s’en contenta pas. Tous, dont Alexandre et Olympias, qui en voulaient toujours au roi, mais aussi des émissaires perses ayant eu vent du projet d’invasion du roi, intimèrent à Pausanias de se venger d’Attale et/ou de le tuer. Pourtant, Attale était désormais parti pour l’Hellespont. Pausanias fixa sa rage sur Philippe. Lors du jour du mariage de Cléopâtre et du roi d’Epire, organisé à Aegée, ancienne capitale de la Macédoine, on s’attendait à une tentative d’assassinat sur Philippe. Toute la Grèce était venue assister au mariage et Philippe voulut montrer qu’il ne craignait pas d’attaque et avait confiance en son peuple. C’est précisément ce moment que choisit Pausanias pour le poignarder au cœur. L’assassin fut rattrapé et exécuté.

Les soupçons se portèrent sur Olympias mais comme son fils était prince héritier et très apprécié, tout fut oublié et la faute fut rejetée sur Philippe, infidèle et ayant répudié sa femme. D’ailleurs, plusieurs prétendants au trône furent éliminés sur ordre d’Alexandre. Olympias se chargea immédiatement d’ordonner à la jeune Cléopâtre, fille d’Attale et reine du feu roi, de se pendre, ce qu’elle fit. Elle venait d’accoucher d’un héritier mâle, bébé qu’Olympias s’empressa de jeter au feu en offrande aux dieux. Attale, qui était de l’autre côté de l’Hellespont, entra en fureur en apprenant la mort de sa fille et de son petit-fils. Une partie de l’armée était avec lui, c’était une menace pour la légitimité d’Alexandre.

Toute la Grèce fut soulagée de voir mourir Philippe II et nombreux furent ceux qui rompirent leur alliance avec la Macédoine. La Thessalie se souleva, on pouvait craindre un similaire mouvement de la part des belliqueuses tribus des montagnes, au nord dans le territoire macédonien. Athènes se moqua ouvertement du nouveau et jeune roi macédonien et adula le meurtrier Pausanias. Démosthène était le leader de cette dynamique. Athènes tenta une alliance avec Attale et son bout d’armée macédonienne. Mais Attale fut exécuté sur ordre d’Alexandre.

Alexandre III, devenu roi juste avant ses 20 ans, pensait que son destin était de mener la conquête de la Perse. Pour cela, il devait être reconnu comme généralissime de l’Hellade, successeur de son père. Il n’avait pas de temps à perdre. Ne prenant pas compte des conseils de ses généraux qui lui disaient d’assurer sa position dans son royaume avant d’assurer sa position dans la tumultueuse Grèce, Alexandre partit avec 30 000 hommes vers le sud. Il contourna sans la combattre la rébellion thessalienne qui se retrouva coupée de la Grèce centrale et, ainsi, de ses potentiels soutiens, amenant la Thessalie à se soumettre sans combattre. Alexandre étant persuadé depuis l’enfance que son destin était lié à celui d’Achille, il passa par Larissa, ville où le héros grec aurait grandi. Il y tint des discours d’illuminé mais des discours enflammés. Alexandre poursuivit son chemin jusqu’à Delphes qui, devant une telle armée, s’empressa de faire du roi de Macédoine le successeur de son père au Conseil amphictyonique. Alexandre s’en alla camper sous les murs de Thèbes qui, surprise, se rallia à lui. Athènes, qui avait raillé le jeune homme alors même que Philippe s’était montré incroyablement généreux avec eux, voyait une immense armée à une journée de marche de leur cité. Les Athéniens n’avaient rien vu venir et envoyèrent une ambassade s’excuser platement auprès d’Alexandre. Ce dernier se montra aussi généreux que son père.

Alexandre se rendit alors à Corinthe où il devait rencontrer toutes les cités grecques (sauf Sparte) pour discuter. Toutes renouvelèrent leur alliance à la Macédoine. C’est à Corinthe qu’Alexandre rencontra Diogène le Cynique, âgé de presque quatre-vingts ans. Il le trouva sur un banc, allongé. Alexandre se présenta comme roi, Diogène comme cynique. Le macédonien lui demanda ce qu’il pouvait faire pour lui, Diogène donna sa fameuse réplique « ôtes-toi de mon Soleil. » Alexandre apprécia cette réponse et confia plus tard que s’il n’avait pas été Alexandre, il aurait aimé être Diogène.

Sur le chemin de la Macédoine, Alexandre s’arrêta à Delphes : il voulait savoir si l’expédition qu’il comptait mener contre l’Empire perse serait couronnée de succès. Rendant visite à une pythie (prêtresse) qui refusa de lui communiquer la parole des dieux (les oracles avaient besoin de trois jours de prières avant de donner une réponse, or Alexandre n’avait pas prévenu de sa venue), il insista lourdement pour connaitre la parole des dieux au sujet de son entreprise. La pythie refusa, répétant qu’elle ne pouvait répondre sans préparation. C’était-là la stricte vérité car les réponses aux questions importantes étaient toujours débattues dans le conseil secret des prêtres-hommes d’Etats de Delphes. Alexandre, saisissant la pythie par la main, celle-ci ne put se défaire de son emprise et déclara, sous la surprise : « Mon fils, tu es invincible ! ». Cette phrase, qu’il tenait pour celle des dieux, le satisfaisait amplement. Alexandre poursuivit sa route vers son royaume. Au nord, les tribus des montagnes se rebellèrent. Le général Antipater fut désigné régent à Pella et Parménion dut s’occuper de la Thrace tandis qu’Alexandre partait au nord mater la rébellion. Il eut du mal à le faire et franchit le Danube pour essayer d’obtenir une victoire décisive face aux Gètes, en vain. Il n’empêche qu’Alexandre avait été plus loin que son père, en ces terres inconnues des Grecs.

Alexandre reçut un accord de paix avec les peuples du nord dont les Celtes de Hongrie actuelle. Sur le chemin du retour, il apprit que les Illyriens et les Taulantins (Albanie) l’attaquaient depuis l’ouest. Il avait laissé des troupes en Macédoine mais décida de passer par la Serbie actuelle pour prendre à revers ses adversaires. Les Macédoniens acculèrent une partie d’entre eux dans Pélion. Pourtant son armée assiégeante fut attaquée sur ses arrières par d’autres assaillants. Alexandre abandonna le siège de Pélion, multiplia les manœuvres militaires sans attaquer pour fatiguer l’ennemi qui ne cessait de courir pour renforcer les points qu’il pensait voir attaqué par les Macédoniens puis Alexandre libéra le passage vers les défilés le reliant à la Macédoine. Ainsi assuré du ravitaillement, il put mener de nouveau son armée à l’attaque et triompha. Alexandre fut blessé dans ce combat et la rumeur de sa mort gagna la Grèce. À Athènes, l’éternel Démosthène essaya de soulever sa cité fort de cette rumeur et accepta même personnellement une forte somme d’argent des Perses pour mener la guerre ensemble contre la dangereuse Macédoine. Thèbes se souleva franchement contre la Macédoine et Athènes décida de l’aider. Les Thébains assiégèrent la garnison macédonienne dans la citadelle de Thèbes. D’autres cités grecques exilèrent les pro-macédoniens.

Alexandre, surtout furieux de l’appel aux Perses contre lesquels il voulait mener tous les Grecs, pensait ramener l’ordre en se montrant bien vivant, simplement. Il força l’allure, parcourant 35 km par jour. En une dizaine de jours, il était devant Thèbes. Alexandre proposa de pardonner les thébains s’ils déposaient les armes et rentraient dans les rangs. Les Thébains refusèrent : ils savaient que la garnison macédonienne crierait famine avant eux et qu’ils pourraient se servir de leur reddition contre Alexandre. Antipater provoqua alors un assaut immédiat de la cité après une escarmouche thébaine. Les Macédoniens entrèrent avec une étonnante facilité dans la ville et y firent un carnage avec l’aide de la garnison qui sortit de la citadelle. 6 000 Thébains furent massacrés pour 500 Macédoniens perdus, 8 000 Thébains furent réduits en esclavage, seuls ceux qui avait été favorables aux Macédoniens y échappèrent. La ville, excepté les temples, fut rasée. Les Phocidiens, qui avaient aidé les Macédoniens dans leur entreprise et étaient les ennemis de Thèbes, n’étaient pas étrangers aux massacres : Alexandre leur avait laissé choisir le sort de la ville. Thèbes, la plus puissante cité grecque il y a encore quelques années, avait disparu en deux ou trois jours. Les Athéniens se répandirent à nouveau en excuses, un anti-macédonien fut banni, Démosthène interdit de faire de la politique, et la Grèce se rangea de nouveau dans le sillage de la Macédoine. Au printemps 334, derrière ce roi de 21 ans, la Grèce allait enfin partir à la conquête de l’Empire perse.

Sources (texte) :

Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.

Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Carte_Grece_antique_02.jpg (carte de Grèce au Ve)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Ch%C3%A9ron%C3%A9e_(338_av._J.-C.) (mouvements de l’armée de Philippe et schéma tactique de la bataille de Chéronée)

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mergence_de_la_Mac%C3%A9doine (la domination macédonienne en 336)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pausanias_d%27Orestide (représentation de l’assassinat de Philippe)

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