Le règne de Louis XIV (partie XXXII) : les débuts de l’ultime conflit (1701-1703)
Rappel : Les Etats allemands choisirent le camp de l’Empereur, ne pouvant s’associer à une France puissante et ayant maintes fois montré son opposition au protestantisme. Guillaume III, déjà un pied dans la tombe, utilisa ses dernières forces pour former une alliance européenne antifrançaise. Il fut suivi par les marchands qui comprenaient qu’une France disposant de l’asentio serait trop puissante ; tandis que les Provinces-Unies poussaient à la guerre également depuis que Louis XIV avait chassé les Hollandais de leur « Barrière » des Pays-Bas espagnols. Finalement, l’opinion publique anglaise se rangea du côté de Guillaume III lorsque Louis XIV reconnut le catholique Jacques III comme roi légitime d’Angleterre. Léopold Ier, enfin libéré du conflit avec les Ottomans (depuis 1699), favorisa les princes puissants en Allemagne pour monter une coalition antifrançaise : il fit du prince du Hanovre le 9e électeur à la Diète, et du prince de Brandebourg le roi de Prusse, tandis que celui de Saxe était devenu roi de Pologne. La France et l’Espagne étaient isolées mais en position centrale, la France pouvant intervenir pour protéger tous les morceaux d’empire espagnol en Europe et ces morceaux d’empire formant un glacis protecteur pour la France, chaque fois. La France fournit à une Espagne en ruines, qui n’avait ni armée ni marine, ni recettes fiscales des cadres civils et militaires pour relever le pays. La France restait le pays capable d’aligner le plus d’hommes sur le champ de bataille.
Les vieilles alliances se ranimèrent. Le 7 septembre 1701, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’Autriche signèrent la Grande Alliance. Celle-ci ne déclarait pas la guerre mais engageait les signataires à ne pas signer de paix séparée… Ils furent rejoints par des Etats allemands, notamment le Brandebourg, dont l’électeur, Frédéric Ier, s’était vu autorisé par Léopold Ier à prendre le titre de roi de Prusse en novembre 1700. Mais cette fois, la France n’était pas seule : elle était certes alliée à l’Espagne, mais également à la Bavière et la Savoie. Elle était même alliée au rebelle hongrois Rákóczi, qui allait distraire des forces habsbourgeoises à l’Est. Le 15 mai 1702, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’Autriche déclarèrent la guerre à la France. Ils furent rapidement rejoints par le Danemark, la Prusse, les électeurs de Trèves, Mayence et Hanovre.
Pourtant, la guerre avait déjà commencé en Italie en 1701. Les Français sécurisèrent d’abord Milan. Après quoi, le maréchal Catinat, avec 30 000 hommes, lutta contre les Impériaux, dirigés par Eugène de Savoie. Ce jeune général plein de talent, fils de la nièce de Mazarin, descendant des Bourbons par sa grand-mère et de Charles Quint par l’infante Catherine, orgueilleux, associal, mais vif, audacieux, bâtisseur, philosophe, doté d’un franc parler et d’une implacable volonté, avait dû fuir le pays à cause de l’implication de sa mère dans l’affaire des poisons. Revenu en France, il avait autrefois demandé avec insolence à Louis XIV, son idole, un commandement dans l’armée française. Le roi avait refusé. Eugène, depuis, avait nourri une rancœur envers la France et, après avoir fait ses armes contre les Ottomans, allait commander brillamment les armées qui la combattraient. Pour Frédéric II le Grand, il fut l’« Atlas » soutenant la monarchie habsbourgeoise. Louis XIV, en refusant ce jeune homme, s’était fait un puissant ennemi et il le montra immédiatement. Eugène de Savoie trompa Catinat en faisant fi de la neutralité de Venise, que le Français avait respecté, puis le défit, à forces égales, à Carpi le 9 juillet 1701. Louis XIV donna alors le commandement au maréchal Villeroy, son favoris et pourtant piètre général. Eugène venant de s’emparer de Chiari, Villeroy engagea une sanglante bataille contre le général mais fut sévèrement battu. Eugène de Savoie venait de s’octroyer l’essentiel du pays mantouan. Le 11 février 1702, il sortit de ses quartiers d’hiver pour tenter une action hardie contre Crémone. S’il ne parvint pas à prendre la place aux Français, il s’empara curieusement de leur maréchal : Villeroy. Nombreux furent ceux qui raillèrent le maréchal… Et le roi. Ayant décidé de davantage gouverner, Louis XIV n’était plus protégé par ses ministres. La critique qui s’abattait auparavant sur Colbert ou Louvois ne l’épargnait désormais plus, car la fable voulant que le roi ait ignoré quelque événement ou réalité ne tenait plus.
John Churchill, duc de Marlborough, enfin sorti de disgrâce, deviendra un grand général grâce à la guerre de Succession d’Espagne. Ambitieux, rapace, sans morale ni scrupule, cupide en honneurs et argent, mais excellent tacticien, courageux, humain avec la troupe, toujours de bonne humeur, adroit, éloquent, charmeur, très courtois, il fut également un homme d’Etat incontournable du conflit. Marlborough se vit confier un commandement en 1702. Guillaume III se méfiait de lui mais lui avait donné un commandement pour assurer une succession protestante sur le trône d’Angleterre. La mort de Guillaume en mars 1702 et l’ascension de la reine Anne (1702-1714), qui prit sa suite et dont l’épouse Marlborough était la confidente et favorite, confortèrent la place du duc. Il mena cinq batailles et une trentaine de sièges et devint le généralissime incontesté des coalisés. Marlborough eut cependant une relation conflictuelle avec les autres chefs alliés, sauf Eugène de Savoie avec lequel il s’entendait très bien. En 1710, sa femme Sarah perdit les faveurs de la reine et les tories remplacèrent ses amis wighs au ministère. Finalement, il fut relevé de son commandement en 1711.
En face, les généraux français n’avaient pas à composer avec la tendance politique : seul l’avis du roi importait. Mais celui-ci n’était pas toujours aiguisé. Il plaça d’abord des incompétents à la tête de ses troupes. Ainsi, la France compta sur un médiocre quatuor de généraux au début du conflit : François de Neufville, duc de Villeroy, ami du roi, obstiné et vaniteux ; Camille d’Hostun, comte de Tallard, meilleur diplomate que général, ambitieux et jaloux ; Ferdinand, comte de Marsin, sémillant officier de cour et Louis d’Aubusson, comte de la Feuillade, gendre fanfaron et intriguant du ministre de la Guerre Chamillart. Villeroy, Tallard, Marsin et La Feuillade furent à l’origine des plus graves défaites du règne. Le temps et les défaites finirent par pousser le roi à faire les bons choix : Jacques de Fitz-James, duc de Berwick, bâtard de Jacques II et d’Arabella Churchill (donc neveu de Marlborough) ; Louis-François, duc de Boufflers, élève de Turenne et Luxembourg ; mais surtout Louis-Joseph de Bourbon, duc de Vendôme, petit-fils d’Henri IV, petit-neveu de Mazarin, l’œil avisé, hardi, courageux, gardant son sang-froid et sa bonne humeur, mais également paresseux, sale, insolent, goinfre, provocateur ; et Charles-Louis Hector, marquis puis duc de Villars, l’œil affûté, courageux, vaniteux, d’une gaité naturelle, redoutable sabreur, hardi, imposant la discipline, de belle prestance, fougueux, excellent cavalier et efficace ambassadeur. Ce dernier fut le meilleur général de Louis XIV durant la guerre. Le roi éleva Villars au maréchalat en 1702 et le nomma commandant du crucial front de Flandre en 1709.
Les armées françaises souffrirent de prime abord d’un déclin de l’administration militaire et des finances du royaume. Le portefeuille des Finances (de 1699 à 1708), tout comme celui de la Guerre (de 1701 à 1709) étaient alors tenus par Michel de Chamillart. Cet ami sincère du roi, appliqué, travailleur, n’était pourtant pas surhumain. Or, on lui demandait de cumuler ce qui avait occupé à plein temps les deux plus grands ministres du règne, deux bourreaux de travail : Colbert aux Finances, Louvois à la guerre. Le tout, alors que l’Europe entière faisait la guerre à la France pour la succession d’Espagne. Chamillart ne pouvait soutenir autant, rendant ses départements nettement moins efficaces. Lorsque le roi s’en rendit véritablement compte, il le releva de ses fonctions pour le remplacer par deux hommes efficaces : François Voysin à la Guerre et Nicolas Desmarets, neveu de Colbert, aux Finances. Mais n’allons pas trop vite.

En 1702, les Alliés mirent du temps à entrer en campagne. Le front de Flandre fut confié au duc de Bourgogne et au maréchal Boufflers. En face, Marlborough dirigeait les opérations. Durant l’année, il s’empara de Kaiserwerth (15 juin), Venlo (25 septembre), Stenvensweert (2 octobre) puis de Roermond (7 octobre) et de Liège (23 octobre). Pour cette dernière, il fallut laisser Van Coehoorn aux commandes pour parvenir à prendre la place. Du reste, les Français firent peu pour garder ces forteresses qui n’étaient que des avant-postes de la véritable ligne de défense française dans les Pays-Bas espagnols. Les soldats de Louis XIV décidèrent par ailleurs de miser sur les lignes défensives : de véritables tranchées. Toutefois, celles-ci n’étant pas gardées sur tout leur long, des marches surprises pouvaient permettre à l’adversaire de traverser. En Allemagne, les Alliés passèrent l’essentiel de leur temps à assiéger Landau. La forteresse capitula finalement devant le prince Louis de Bade le 9 septembre. Le maréchal Catinat avait essayé de secourir la garnison mais avait été repoussé. À la place, Catinat octroya la majorité de ses forces à Villars pour soutenir l’électeur de Bavière, Max-Emmanuel, qui venait de s’emparer d’Ulm le 8 septembre. Villars, avec 17 000 hommes, écrasa les 14 000 Impériaux de Bade à Friedlingen, le 14 octobre 1702.
En Italie, Vendôme remplaça Villeroy. Louis XIV renforça ce front, visiblement décidé à y porter un effort substantiel. Bientôt, Philippe V d’Espagne débarqua sur le front pour mener les armées franco-espagnoles avec Vendôme. Ensemble, ils repoussèrent Eugène de Savoie derrière le Mincio et sauvèrent Mantoue. Puis, ils s’emparèrent de Reggio et Modène en juillet. Menacé d’être expulsé d’Italie, Eugène s’adonna à une attaque désespérée mais nécessaire sur Luzzara le 15 août. Il fut repoussé et perdit 2 000 hommes, les Français 4 000. Eugène venait de donner un coup d’arrêt. Les Français n’entreprirent rien de plus en Italie et Eugène put y subsister.
Après un débarquement inutile proche de Cadix, une flotte alliée dirigée par l’amiral Rooke reçut la mission d’intercepter un convoi d’or espagnol, sous garde française de Châteaurenault, en provenance de La Havane. Les Franco-Espagnols jetèrent l’ancre dans la baie de Vigo le 23 septembre. Le 23 octobre 1702, après s’être emparée des forts gardant l’entrée de la baie, la flotte anglo-hollandaise accabla la flotte franco-espagnole. Châteaurenault perdit 13 navires, la plupart desquels furent incendiés par les Français eux-mêmes. Rooke rentra en Angleterre avec une prise de 14 000 livres d’argent. Mais ce n’était rien comparé au pactole qui fut largement déchargé par les Espagnols avant l’attaque : ce fut la plus grande somme que le Trésor espagnol reçut en une seule année. La majorité de cet argent servit à financer la guerre. Néanmoins, le désastre de Vigo permit de convaincre le Portugal, alors proche des Espagnols, de rejoindre la Grande Alliance contre Louis XIV et Philippe V. Nous y reviendrons.

En 1702 se réalisa l’une des pires craintes de Louis XIV : une révolte protestante des nouveaux convertis éclata dans le Languedoc méridionale, autour de Nîmes et dans les Cévennes. L’intendant de la province avait encouragé les tensions en contrôlant avec violence ce « fanatisme ». L’abbé Du Chayla avait fait pire, procédant à des arrestations et détenant les prisonniers chez lui. Le premier acte de la rébellion fut l’assaut de sa maison, la libération des prisonniers et l’assassinat de l’abbé le 23 juillet 1702. La persécution religieuse, l’obligation de se convertir et la pression fiscale avaient donc déclenché cette révolte dite des Camisards, ainsi appelés soit du nom des chemises blanches qu’ils portaient soit de la pratique militaire de la camisade, ou attaque de nuit, qu’ils pratiquaient. Le commandant militaire de la région, le duc de Broglie, ne parvint pas à contenir le soulèvement. Contrairement à d’habitude, aucun noble ne voulut diriger la révolte. Alors, des commandants provenant du peuple émergèrent : Jean Cavalier, 20 ans, et Rolland. Une première bataille sérieuse entre les rebelles et les forces royales eut lieu le 11 septembre et fut indécise. Le 23 décembre, Cavalier mit en déroute la garnison du Mas Rouge. Après quoi, Broglie fut défait avec un petit corps de dragons. En février 1703, les meurtres et massacres culminèrent, des deux côtés. Si les puissances étrangères soutenaient la rébellion, peu d’aide lui fut apportée. Pourtant, l’Angleterre, la Hollande et la Savoie étaient impliquées. En février 1703, le maréchal de Montrevel remplaça Broglie et brisa l’insurrection l’année suivante. Il désarma Nîmes en avril puis s’adonna à des dévastations systématiques de septembre à novembre.
Pendant ce temps, en 1703, Marlborough avait un « Grand Dessein » et prévoyait une attaque sur Anvers. Les coalisés commencèrent par assiéger Bonn, la ville de l’archevêque de Coblence, allié de la France. La ville tomba le 15 mai 1703. Alors que Marlborough s’apprêtait à assiéger Ostende et Huy, les Hollandais opposèrent leur veto à ce plan. Laisser Anvers et Ostende aux Anglais aurait fourni à ces derniers une tête de pont sur le continent. Certes, celle-ci aurait été bénéfique pour les Alliés durant la guerre. Mais elle se serait avérée au combien dommageable pour les Hollandais, si les Anglais décidaient de s’installer là. Alors, Marlborough feinta vers Huy pour permettre au général hollandais Obdam de percer la ligne retranchée française du Brabant à Stekene. Obdam y écrasa les Français mais ne poussa pas son avantage. Boufflers réagit immédiatement en imposant une marche de 48 km en un jour à ses hommes pour attaquer Obdam le 30 juin à Ekeren. Le maréchal français, disposant de 19 000 hommes, écrasa les 15 000 soldats d’Obdam et mit fin à la carrière de ce dernier. Villeroy et Marlborough se seraient battus pour Anvers si ce dernier ne s’était pas vu opposer un nouveau veto hollandais, cette fois par van Coehoorn. Alors, Marlborough captura Huy le 26 août et Limbourg le 29 septembre.
En 1703, une révolte hongroise, qui n’avait cessé de monter en puissance, devint un véritable problème pour l’Autriche. Les Habsbourg s’étaient étendus progressivement et avaient agrandit la Hongrie au détriment des Ottomans par le traité de Karlowitz en 1699. La dynastie régnait directement sur la Hongrie, devenue un territoire héréditaire des Habsbourg, au même titre que l’Autriche. Le pouvoir des Habsbourg remplaça celui de la diète de Presbourg, l’assemblée qui représentait les intérêts des magnats (grandes familles) de la noblesse hongroise. Si la diète avait accepté cette domination dès les années 1680, les nobles hongrois avaient du mal à accepter la direction centralisée des Impériaux et les paysans supportaient mal la pression fiscale liée à l’effort de guerre. Et puis Léopold avait nommé beaucoup d’étrangers à des postes clés du gouvernement de la Hongrie alors que ce pays développait un sentiment nationaliste. Enfin, la politique d’uniformité religieuse – catholique – ne passait pas auprès des protestants (la moitié du peuple hongrois et la majorité des nobles) et des paysans orthodoxes du sud et de l’est. Les troubles des années 1680-1690 se muèrent en révolte lorsque François II Rákóczi, un riche magnat descendant des princes de Transylvanie prit la tête des « Malcontents ». Rákóczi promettait la restauration des anciens statuts à la noblesse et l’affranchissement des paysans les plus pauvres. La révolte gagna la majorité de la Hongrie dès 1703 et secoua le pouvoir qui ne tint qu’en gardant des places fortes que l’armée modeste et indisciplinée de Rákóczi ne pouvait prendre.

En Allemagne, Villars faisait des étincelles. Il s’empara de Kehl sur le Rhin le 9 mars 1703. Il reçut alors l’ordre d’aider Max-Emmanuel, l’électeur de Bavière, qui luttait par une série de sièges pour garder le contrôle du Danube. Neubourg tomba début février devant Max-Emmanuel. Après quoi, celui-ci défit 10 000 Impériaux avec 12 000 hommes à Siegharding le 11 mars. Il se dirigea alors vers Ratisbonne, le siège de la Diète d’empire, qui capitula rapidement début avril. Villars butta sur les lignes de Stollhofen, tranchées derrière lesquelles Louis de Bade s’était établi. Alors, le maréchal Villars, laissant une partie de son armée là, passa par la Forêt Noire pour rallier les troupes bavaroises le 9 mai. Mais les deux hommes ne s’entendirent pas.
Villars voulait prendre Vienne, un plan ambitieux mais d’autant plus réalisable que Rákóczi menait la rébellion en Hongrie ; ce plan permettait également de faire jonction avec Vendôme dans le Tyrol (ce plan serait celui de Napoléon en 1809, Eugène de Beauharnais remplaçant Vendôme et Davout l’électeur). Mais la logistique du XVIIIe siècle aurait peiné à suivre. Qu’importe, l’électeur de Bavière renonça – non sans hésitations – à ce plan risqué mais glorieux pour s’emparer de forteresses dans le Tyrol et autour de ses terres, dans l’espoir de les conserver la paix venue. La jonction avec Vendôme s’avéra finalement impossible. Tout ceci dégrada fortement l’entente entre Villars et Max-Emmanuel.
Après quoi, l’électeur voulut prendre Augsbourg mais renonça car la ville était trop fortement défendue par Bade. Villars et l’électeur de Bavière se détestaient désormais mais luttèrent ensemble contre le comte de Styrum à Höchstädt le 20 septembre. Avec 23 000 soldats, Villars et Max-Emmanuel infligèrent une sévère défaite à Styrum dans une bataille rageuse et confuse. Villars voulut exploiter la victoire mais Max-Emmanuel commanda de retourner devant Augsbourg, pourtant toujours aussi bien défendue par Bade. Villars et l’électeur de Bavière s’insultèrent à nouveau. Alors que le maréchal Villars parvenait admirablement à couvrir ses dépenses en mettant à contribution les terres allemandes, Max-Emmanuel demanda à ce que les deux tiers des contributions lui reviennent. S’en était trop. Après avoir échangé des insultes à plusieurs reprises, Villars demanda à être relevé de son commandement et rentra en disgrâce en France. Il fut remplacé par Marsin, plus souple. Finalement, Max-Emmanuel parvint à prendre Augsbourg en fin d’année. Pendant ce temps, sur le Rhin, Tallard et le duc de Bourgogne menaient le reste de l’armée française, laissée là par Villars. Ils assiégèrent Brisach avec 24 000 hommes de la mi-août à sa capitulation le 7 septembre. Après quoi, Tallard assiégea Landau. Le prince de Hesse-Kassel tenta de briser l’étau avec 22 000 hommes, en vains ; Tallard, avec 18 000 soldats, infligea une défaite au prince à Spire le 15 novembre. Hesse-Kassel, ayant perdu 8 000 hommes, se retira. Landau tomba deux jours plus tard.

En Italie, Vendôme scinda rapidement son armée en deux en 1703 et accepta de rejoindre Max-Emmanuel dans le Tyrol mais n’en fit pas sa priorité, si bien qu’il arriva trop tard pour être utile. C’est que l’Autriche avait fait de l’Italie une priorité, y affectant son meilleur général (Eugène) quitte à perdre du terrain en Allemagne. Le but était de montrer que Philippe V n’était pas à-même de protéger l’intégrité territoriale espagnole, motivation principale du testament de feu Charles II. Si les Bourbon étaient solidement implantés en Italie, où ils dirigent le royaume de Naples et des territoires au nord, entourés d’alliés, ce n’était qu’en façade. En réalité, certains Etats italiens se méfient des Bourbon et ne voulaient pas voir leur influence grandir dans la péninsule. La Savoie, elle, jouait sur tous les tableaux. En septembre, Victor-Amédée était en train de négocier avec la Grande Alliance pour changer de camp. Les Franco-Espagnols, l’apprenant, se retournèrent contre le Piémont et mirent en œuvre une campagne de conquête systématique, tandis que le duc de Savoie se terrait dans Turin.
Victor-Amédée II, duc de Savoie, « archi-Machiavel savoyard », était peu fiable et tous le savaient. Sa situation était comparable à celle de la Bavière : une frontière commune avec l’une des grandes puissances (France pour la Savoie, Autriche pour la Bavière), à proximité de territoires stratégiques qu’ils revendiquaient (Milanais et Montferrat pour la Savoie, palatinat de Neubourg et marquisat de Burgau pour la Bavière). Comme la Bavière, la Savoie mit son soutien aux enchères. Les Franco-Espagnols ne voulaient pas lui donner le Montferrat, Léopold y était enclin. Pourtant, la Savoie était entourée géographiquement par les Franco-Espagnols et Victor-Amédée était mal vu du duc de Mantoue, de la République de Gênes et de la Toscane, qui se sentaient menacés. Un soutien autrichien n’était par ailleurs ni inconditionnel (du fait de la réputation de traitre que Victor-Amédée trainait depuis sa défection lors de la guerre précédente) ni pérenne (l’ambition du duc de Savoie étant de réunir l’Italie sous sa férule, au détriment de la puissance autrichienne). En signant avec les coalisés en novembre, Victor-Amédée jouait un jeu très dangereux. Mais la Savoie avait l’avantage d’être, pour les Impériaux, un abcès de fixation idéal de l’armée française dans les Alpes.

Alors que les hostilités avaient atteint le Nouveau-Monde en 1703, les Anglais attaquant les Antilles et la Floride, la péninsule ibérique restait intacte depuis le début de la guerre. Après la signature du traité de Methuen, le Portugal entra en guerre contre les Bourbon à la mi-décembre 1703, ouvrant une plaie béante sur le flanc de l’Espagne et permettant à Charles, l’archiduc d’Autriche, d’envisager un débarquement en Ibérie. Le 12 septembre 1703, ce dernier avait été intronisé roi d’Espagne à Vienne par son père l’empereur. L’archiduc voyagea alors en Angleterre pour se concerter avec la reine Anne et les Alliés puis fit voile à bord d’un navire anglais pour rejoindre Lisbonne où il conduirait un corps anglo-portugais dirigé par un Allemand. C’était l’illustration d’une entente inattendue entre deux puissances que tout opposait : l’Angleterre protestante et l’Autriche catholique. C’est cette entente et celle de leur champion respectif, Marlborough et Eugène de Savoie, qui permettra de grands succès militaires à partir de 1704. Si la guerre s’apprêtait à accabler l’Espagne sur son sol, Philippe V, respectueux des mœurs espagnoles, contrairement à Charles III, et descendant d’un grand roi – Louis XIV – ayant combattu les hérétiques – huguenots – et ami des jésuites, plaisait infiniment plus aux Espagnols que cet archiduc, certes catholiques, mais attaquant l’Espagne avec des armées réformées (luthériens de l’Empire, anglicans, presbytériens d’Ecosse et calvinistes hollandais).
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Oury, Clément (2020). La guerre de succession d’Espagne, la fin tragique du Grand Siècle. Paris : Tallandier, 528p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Chamillart (Chamillart)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_navale_de_Vigo (bataille de Vigo)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_II_R%C3%A1k%C3%B3czi (Rakóczi)
https://en.wikipedia.org/wiki/Maximilian_II_Emanuel (Max-Emmanuel de Bavière)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor-Am%C3%A9d%C3%A9e_II (Victor-Amédée II)