Le règne de Louis XIV (partie XXVII) : la guerre de la Ligue d’Augsbourg, au paroxysme du « petit âge glaciaire » (1693-1694)

Le règne de Louis XIV (partie XXVII) : la guerre de la Ligue d’Augsbourg, au paroxysme du « petit âge glaciaire » (1693-1694)

Rappel : En 1691, alors que les puissances coalisées organisaient un congrès à La Haye sous l’impulsion de Guillaume III d’Angleterre, Louis XIV monta personnellement à l’assaut de Mons, qui, avec l’aide de Luxembourg et Vauban, tomba en avril. Sur les autres fronts, la France protégeait surtout ses acquis. A dire vrai, Catinat ne disposait pas de troupes suffisantes en Italie pour faire plus que limiter la casse, tandis que le même problème frustrait les ambitions de Noailles dans les Pyrénées. En 1692, Namur, désigné cible prioritaire de la France, tomba devant Vauban. Luxembourg l’emporta pour sa part sur Guillaume III qui l’attaquait pourtant par surprise à Steinkerque. La campagne au nord se solda par plusieurs prises de villes par Boufflers, côté français. Si le maréchal Lorges parvint à nouveau à protéger le territoire français sur le Rhin en 1692, il n’en alla pas ainsi pour Catinat. Ce dernier, avec 15 000 hommes, ne pouvait guère plus assurer l’inviolabilité du territoire français face aux 50 000 hommes de Victor-Amédée de Savoie. Cette pénétration dans le royaume français, perçue comme un affront par Louis XIV, poussa celui-ci à prélever des forces sur le front des Pyrénées, qui en manquait déjà, pour renforcer Catinat. Noailles s’en trouva démuni en conséquence. En parallèle, la pression des jacobites poussa le Roi-Soleil à octroyer une nouvelle expédition irlandaise au déchu Jacques II. Pour ce faire, l’amiral Tourville fut chargé de transporter les troupes et d’engager tout ennemi dans la manche. Ne pouvant outrepasser un ordre royal pourtant conçu pour une flotte renforcée par les éléments du comte d’Estrée, qui brillèrent par leur absence, Tourville n’eut d’autre choix que d’engager la flotte anglo-hollandaise en criante infériorité numérique le 29 mai 1692. La bataille navale de Barfleur qui en résulta fut une prouesse tactique française, Tourville ne concédant qu’une défaite mineure. Mais des vents contraires permirent aux Anglo-hollandais de poursuivre la flotte française qui, éparpillée et isolée, subit d’importantes pertes dans la rade de Cherbourg-La Hougue. La bataille dite de La Hougue poussa la France à préférer la guerre de course, orientée contre le commerce, à la prestigieuse guerre d’escadre. La Royale ne pouvait alors guère plus dominer les mers et entama ainsi son déclin.

Pour débuter 1693, Louis XIV nomma maréchal de France Choiseul, Villeroy, Joyeuse, Boufflers, Tourville, Noailles et Catinat. Les Français disposaient de deux armées de 80 000 hommes en Flandre en 1693, dirigées par Louis XIV et Luxembourg. Rentrés en campagne une semaine en retard à cause d’une maladie du souverain, les Français ne purent inquiéter Liège. En juin, suite à un succès français en Allemagne, Louis XIV y envoya la moitié de ses troupes et, âgé de 54 ans, rentra à Versailles. Ce fut sa dernière apparition sur le front. Luxembourg investit Huy le 19 juillet et prit la ville le 23. Alors que Guillaume III venait de détacher quelques troupes, Luxembourg en profita pour le contraindre à l’affrontement. Avec 80 000 hommes, Luxembourg affronta Guillaume III, à la tête de 50 000 à 60 000 hommes, à côté de Neerwinden et Landen le 29 juillet 1693. Le roi d’Angleterre avait disposé ses troupes de sorte qu’elles soient dans une forte position retranchée, l’arrière gauche étant abritée derrière un marais, le centre étant parallèle à un ravin protégeant le flanc et le reste de l’armée étant sur un terrain élevé. La position s’appuyait aux deux ailes sur les villages de Neerwinden et Landen. Après une violente canonnade, Luxembourg y focalisa ses attaques tandis que les canons tiraient sur l’artillerie adverse, faute de pouvoir cibler l’infanterie de Guillaume III, cachée par le terrain. Neerwinden changea plusieurs fois de main et les Alliés contre-attaquèrent, livrant un combat honorable. Des officiers français conseillèrent la retraite à Luxembourg mais celui-ci persista. Enfin, Guillaume tomba dans le piège, prélevant sur son centre et sa gauche pour reprendre le village. La cavalerie française s’empressa d’envahir le camp et repousser l’ennemi sur la rivière Geete. Un assaut final des Français enleva Neerwinden et ses retranchements. Les Français enveloppèrent alors l’aile droite des Alliés, obligeant Guillaume III à un repli sur Louvain. Les Français déplorèrent 7 000 à 8 000 tués et blessés tandis que les Alliés en avaient perdu 12 000, ainsi que 2 000 disparus et prisonniers. Luxembourg avait également capturé la majorité des canons de l’adversaire et 60 étendards. Il fut surnommé le « Tapissier de Notre-Dame » quand ces drapeaux y furent suspendus. Guillaume avait, pour sa part, perdu plus du quart de ses effectifs. Avec quelque 30 000 morts, la bataille de Neerwinden décrocha le titre de plus grande boucherie du siècle. Pourtant, Guillaume III ponctionna différentes garnisons et fut renforcé par d’autres troupes qui restaurèrent ses pleines capacités militaires. La victoire de Luxembourg ne servit qu’à assiéger Charleroi, qui tomba le 10 octobre. Louis le Grand se dotait là du dernier élément d’une puissante ligne de défense avancée protégeant le territoire français : Mons, Charleroi, Namur et Huy.

Schéma tactique de la bataille de Neerwinden (29 juillet 1693) – en rouge les Alliés, en bleu les Français.

Sur le Rhin, Monseigneur et Boufflers rejoignirent Lorges qui s’empara très vite d’Heidelberg (22 mai 1693), un jour après que les Français y eurent ouvert les tranchées. C’est cette victoire qui poussa Louis XIV à transférer des troupes du front de Flandre au front rhénan. Ayant désormais 45 000 hommes sous leurs ordres, le dauphin et Lorges voulurent contraindre l’excellent prince de Bade au combat, en vain. Les Français avaient cependant mis à contribution les territoires allemands, dont le Wurtemberg qui donna 1,2 million de livres immédiatement et 300 000 livres annuelles. Du fait des investissements en Flandre, Allemagne et Catalogne, on attendait peu de Catinat, qui faisait toujours face à 50 000 hommes. Le duc de Savoie bloqua Casal tandis que Catinat prenait le contrôle de la vallée de Barcelonnette. Victor-Amédée II engagea également le siège de Pignerol. Recevant des renforts de Catalogne, Catinat poussa Savoie à lever le siège de Pignerol et intercepta avec son armée de 40 000 hommes les 36 000 soldats de Victor-Amédée à mi-chemin entre Pignerol et Turin, à La Marsaille. Là, le 4 octobre, chacun essaya d’envelopper l’autre. La droite de Catinat avança à la baïonnette tandis que la gauche repoussait la charge du duc de Savoie. Une charge de la gendarmerie brisa l’élan de l’aile droite piémontaise. Ce fut le mouvement décisif, permettant au maréchal français de sèchement battre le Savoyard. Les Français avaient perdu 3 000 hommes, Victor-Amédée 9 000 à 10 000 et 2 000 prisonniers, soit le tiers de ses effectifs. Après quoi, le siège de Casal fut levé le 6 octobre et Catinat mit à contribution le Piémont.

Représentation de la bataille de La Marsaille, 4 octobre 1693.
Nicolas de Catinat de la Fauconnerie (1637-1712), seigneur de Saint-Gratien, maréchal de France.

Une attaque française de l’armée et de la marine vint à bout de Rosas en Catalogne le 9 juin 1693. Après quoi, Noailles dut transférer des forces au front italien et resta donc sur la défensive dans le Roussillon. Sur mer, le grand objectif de Louis XIV était d’intercepter le convoi de Smyrne, sous escorte militaire alliée. La marine royale devait impérativement nourrir la France en prenant la marchandise d’un convoi des coalisés, mettant ainsi un coup à l’économie des ennemis et lavant le prestige quelque peu terni à la Hougue de la Royale. Disposant pour cela de 71 bâtiments, Tourville parvint à intercepter le convoi et déclencha la bataille de Lagos le 27 juin. Seulement, le piège n’empêcha pas le convoi de s’en sortir, au prix de quelques navires d’escorte. Tourville poursuivit le convoi jusqu’au large de l’Ibérie et, fusionnant ses forces avec la flotte de Toulon commandée par d’Estrées, réengagea le convoi, détruisant 92 des 120 à 140 navires de commerce pour une valeur marchande estimée de 30 à 60 millions de livres. Les escadres de l’Anglais Rooke et du Hollandais Van der Goes échouèrent à protéger le convoi. Cette bataille typique d’une guerre de course ne sanctionnait pas pour autant la fin de celle d’escadre pour les Français. En novembre, les Anglais échouèrent à se venger en attaquant Saint-Malo.

Bataille navale de Lagos (27 juin 1693).

Ainsi, les Français remportèrent-ils plusieurs succès en 1693 : Heidelberg, Rosas, Lagos, Huy, Neerwinden, Charleroi, La Marseille… Mais la plus rude famine depuis des décennies frappa le pays et tua au moins le dixième de sa population en quelques mois. La guerre n’avait pas arrangé les choses, le commerce étant compromis, les besoins de l’armée non seulement grands et poussant également les prix à la hausse. La société étant alors largement agricole, la crise frumentaire provoqua une crise économique de première importance et causa une pénurie fiscale. Pour mieux saisir la situation, il convient ici de s’arrêter un instant sur les perturbations climatiques de 1693 et 1694, qui touchèrent surtout la France.

Le peuple français n’était, dans son ensemble, ni pauvre ni miséreux. Sinon, il n’aurait pu tenir de si longues et ruineuses guerres. Il ne s’agit pas ici de nier qu’il existait des journaliers miséreux, mais de rappeler qu’il y avait également des propriétaires terriens aisés. En période normale, les paysans mangeaient à leur faim dans le royaume. En revanche, ce système était très fragile. Des conditions météorologiques anormales conduisaient rapidement à la disette, voire à la famine, permettant aux maladies de proliférer. Or, la France de Louis XIV endura ce que les climatologues appellent un « petit âge glaciaire ». Ceci s’explique par une activité anormale du soleil : sa rotation ralentit, atteignant le minimum de Maunder et le nombre de tâches à sa surface fut moindre. Les désordres climatiques frappèrent la France dès 1661 (un été particulièrement chaud suivi de pluies abondantes) suivi de nombreux autres, notamment en 1675 et 1690. Le nombre de vagabonds poussa une société d’habitude charitable (première moitié du XVIIe siècle) à prendre des mesures sécuritaires, du fait d’émigrations massives de travailleurs saisonniers, en envoyant aux galères les errants. Mais ce ne fut rien en comparaison des années 1693 et 1694. Il était là question de la plus grande catastrophe météorologique de l’histoire de France, dépassant de loin le Grand Hiver de 1709. Sans qu’il en fût réellement de son ressort, on mourut de faim sous le règne de Louis XIV. Car le pire châtiment, pour les cultures n’était pas l’hiver rigoureux, mais le printemps et l’été calamiteux. C’est ce qu’il se produisit au début des années 1690. Les températures chutèrent et la pluie fut abondante, sans soleil, durant l’été 1692. Le mauvais temps en septembre gâcha les récoltes céréalières. Ni le labour d’automne, ni la semaille ne furent possibles. Les vendanges furent catastrophiques. En 1693, on parvint pourtant à vivre sur les stocks des années précédentes. Le gouvernement fit tout son possible pour nourrir l’armée et Paris : les deux priorités. Une distribution gratuite de pain fut organisée, la spéculation et les exportations interdites. Dans la cour du Louvre, on cuisait chaque jour 100 000 rations de pain du roi, vendu 2 sols la livre, ce qui est peu cher. Mais après un hiver sec, 1694 fut également une année calamiteuse : une terrible sécheresse menaça les cultures et aggrava le malheur. Des épidémies de variole, de typhus, de typhoïde se répandirent. Heureusement, la pluie revint le 5 juin et le beau temps suivi, sauvant le royaume. On estime que les pertes humaines françaises des années 1693 et 1694 se montèrent à 1 300 000 victimes, sur une population de 22.4 millions d’habitants (dans les frontières actuelles). Aucune hécatombe démographique depuis lors, en trois siècles, ne dépassa celle-ci en France. Les guerres de la Révolution et de l’Empire, la guerre de 1870, celle de 1939-1945, firent toutes moins de morts en France que les années 1693-1694. Seule la Première Guerre mondiale fit légèrement plus de morts (1.4 million de morts) mais ce fut sur quatre ans au lieu de deux et sur une population deux fois plus nombreuse (40 millions d’habitants). On comprend ici mieux l’importance critique de la prise de Tourville fin 1693 : la Royale avait pour objectif premier de nourrir le peuple. Malgré une forte reprise démographique, il faut garder à l’esprit cette éprouvante épreuve pour comprendre l’épuisement du pays durant les dernières années du règne de Louis XIV.

Minimum de Maunder (1645-1715) : le nombre de taches solaires était significativement plus faible qu’aujourd’hui.

De fait, l’année 1694 témoigna de très peu d’activité sur les fronts, excepté celui de Catalogne. Sur les fronts de Flandre, du Rhin et d’Italie, la guerre habituelle des postes dura toute la campagne. Les Alliés prirent néanmoins Dixmude et Huy en septembre au Nord. La campagne menée par Noailles en Catalogne fut, elle, significative. Avec 26 000 hommes, Noailles progressa en direction de Barcelone, soutenu par l’escadre de Tourville. Passant la Ter le 27 mai, le maréchal vit sa route barrée par les 20 000 soldats espagnols du duc d’Escalona, vice-roi de Catalogne. Bien que les Espagnols soient retranchés derrière la rivière, les Français passèrent à gué sous le feu et mirent leurs adversaires en retraite. Les Français souffrirent 1 300 pertes, les Alliés 5 700, dont 2 200 prisonniers. Noailles assiégea alors Palamos. Le 10 juin, le gouverneur de la place demanda une capitulation honorable pour ses 3 000 hommes. Celle-ci lui fut refusée par Noailles car 3 000 hommes auraient significativement accru les forces de ses adversaires en campagne. Le maréchal les fit prisonniers de guerre. Noailles investit Gérone le 17 juin. Alors que la cité, défendue par 5 600 hommes, était juchée en hauteur et protégée par plusieurs forts, les Espagnols capitulèrent le 29 juin. Le coût humain était de 60 soldats pour les Français. Louis XIV fit du maréchal Noailles le vice-roi de Catalogne le 9 juillet en récompense. Celui-ci ne s’arrêta pas là : il s’empara d’Ostalric et aurait pu assiéger Barcelone si une puissante flotte alliée n’était pas intervenue. L’Espagne, devant l’avance des Français, avait menacé la coalition de signer une paix séparée si rien n’était fait pour l’aider.

Alors que la Royale devait donner l’effort principal en Méditerranée, justifiant la décrue des bâtiments de guerre à Brest, Tourville et Châteaurenault ayant quitté le port en avril et mai. Ayant repéré ces mouvements, les Alliés décidèrent d’une offensive amphibie sur Brest comme opération prioritaire, confirmant toutes les craintes de Louis XIV. Informé par ses espions, le roi de France confia prestement à Vauban la mission de défendre Brest en mai 1694. Vauban consolida les fortifications de Brest, faisant passer ses défenses de 265 canons et 17 mortiers à 468 canons et 36 mortiers, en un mois. L’ingénieur avait permission d’utiliser les 1 300 employés navals et fut renforcé par 3 000 membres de la noblesse locale qu’il enrôla, ainsi que 7 bataillons d’infanterie et 2 régiments montés envoyés par le roi. Le 17 juin, la flotte alliée de débarquement entra dans la baie de Camaret et attaqua le lendemain. Elle fut accueillie par des galères et les batteries côtières. Après deux heures de canonnade, les Alliés essayèrent de débarquer. Fauchés par un feu nourri, ils furent repoussés par les Français. Une frégate hollandaise toucha terre et fut prise par les Français. Pour 40 à 50 pertes françaises, les Alliés en avaient perdu 600 prisonniers et 400 tués. Ils se retirèrent. La flotte alliée se scinda alors en deux escadres. Tandis que Russel descendait vers la Méditerranée pour y empêcher le siège de Barcelone avec 50 vaisseaux, Barclay tourna 40 vaisseaux vers le littoral français ; la flotte alliée bombarda Dieppe, Le Havre, Dunkerque et Calais entre juillet et septembre, occasionnant d’importants dommages. Louis XIV confia alors à Vauban la fortification des côtes françaises.

En 1694, Louis XIV avait acheté du blé à la Pologne pour nourrir Paris qui criait famine. Le convoi battait pavillon dano-suédois pour éviter toute attaque, mais que les Hollandais tentèrent de le détourner. Alors, en juin, au Texel, le corsaire Jean Bart affronta une flotte de guerre hollandaise et ramena à bon port 96 vaisseaux chargés de blé polonais.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Neerwinden_(1693) (bataille de Neerwinden)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_La_Marsaille (bataille de La Marsaille)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Catinat (Catinat)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Lagos_(1693) (bataille de Lagos)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Minimum_de_Maunder (minimum de Maunder)

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