La guerre du Viêt Nam (partie X) : le tournant, Nixon veut gagner la paix (1969)

La guerre du Viêt Nam (partie X) : le tournant, Nixon veut gagner la paix (1969)

Rappel : Après l’offensive du Têt en 1968, le président Johnson annonça ne pas se présenter à sa réélection. Il préparait même la paix avec Hanoi. Avec l’assassinat de Robert Kennedy (candidat démocrate), Nixon remporta l’élection américaine (contre Humphrey). En attendant l’investiture de Nixon, le président Thieu s’appliqua à faire traîner la paix. Sur le terrain, le délitement américain et la corruption du régime de Saigon étaient endémiques. Pourtant, le général Abrams remplaça Westmoreland dans le commandement des forces américaines. Il s’appliqua à préparer la vietnamisation du conflit et à rétablir la situation en affaiblissant autant que faire se pouvait le FNL. Pour cela, il se basait sur des renseignements peu fiables (programme Phoenix) et sur des opérations brutales (Speedy Express). Nixon, une fois à la Maison-Blanche, relança une politique agressive (opération Menu notamment), fit capoter la paix et ordonna une surveillance interne accrue. Nixon, Abrams et Kissinger avaient remplacé les lassés du conflit et enterré la paix.

Du côté de Saigon, on ne favorisait pas la paix non plus. Thieu, par deux discours en 1969, présenta autant de programmes. Le FNL avait désormais le droit de participer aux prochaines élections s’il acceptait de déposer les armes et de respecter la loi. Or, dans la Constitution sud-vietnamienne, l’article 4 interdisait le communisme, considéré illégal. Thieu proposait donc au FNL de participer aux prochaines élections à conditions qu’il se désarme et renonce à son idéologie. En 1970, il refusa d’abroger cet article de la Constitution. Le président, comme second programme, exigeait un retrait nord-vietnamien total du Sud-Viêt Nam, du Cambodge et du Laos. Là étaient ses deux propositions pour la paix.

L’amélioration de la situation militaire tint, au-delà du général Abrams, à 4 facteurs : les besoins logistiques, auparavant immenses avec l’arrivée constante de nouvelles troupes, devinrent moins complexe après le Têt, le nécessaire étant déjà là ; McNamara avait demandé la création d’une 4e compagnie pour chaque bataillon, ce qui s’avéra très utile pour les opérations locales voulues par Abrams ; le craquage des codes de cryptage d’Hanoi, le renseignement en fut largement amélioré, permettant à Abrams de parer des offensives qui n’étaient plus des surprises ; enfin la création des Civil Operations and Revolutionary Developpement Support (CORDS : le « r » ayant le sens de « rural » lorsque le programme fut présenté aux Vietnamiens) qui gérait justement une partie de ces petites opérations locales concernant les villages. Des milices de villages furent également créées. Ces dernières, appuyées par les CORDS, avaient pour objectif de récupérer un millier de villages avant la fête du Têt de 1969. Tout ceci faisait partie, avec des mesures économiques, agricoles et éducatives, de la « pacification ». Et pour atteindre cette pacification, le pan économique, consistant surtout en la redistribution des terres, revêtait une importance de premier ordre. Thieu lança, en 1970, la « loi Thieu » dans ce sens, la première mesure sur la redistribution en 13 années de guerre.

Tout ceci avait pour but de montrer aux paysans habitant les villages que Saigon se préoccupait d’eux. Par ailleurs, des évaluations dites HES (Hamlet Evaluation Survey) étaient faites pour savoir quels villages étaient favorables à Saigon ou à Hanoi. C’était mener des évaluations dans les 44 provinces du pays, contenant 220 districts, 13 000 hameaux ! Ces évaluations HES notaient selon plusieurs critères clés les villages de « A » (acquis à Saigon) à « F » (acquis au FNL et Hanoi). Celles-ci montraient une réelle progression de Saigon, passant de 67,2% des villages en faveur de Saigon début 1968 (avant l’offensive du Têt) à 75% fin 1968.

HES datant du 30 avril 1968

Gardons-nous de prendre ces chiffres pour argent comptant. Ces évaluations étaient largement biaisées. D’abord, une part non négligeable des villages n’était pas évaluée et automatiquement attribuée à la part « favorable à Saigon » ; ensuite nombre de critères furent laissés de côté après le Têt ; enfin les évaluations dépendaient entièrement de celui qui notait et dont la sévérité fluctuait dangereusement surtout selon qu’il soit vietnamien ou américain. Pour s’en rendre compte, ne serait-ce qu’avec la première critique, on peut dire que les villages favorables à Saigon n’étaient pas de 67,2% début 1968 mais d’environ 49%. La corruption, enfin, parasitait ce système. Néanmoins des élections furent menées dans la majorité des villages au crépuscule des années 1960, améliorant la situation.

Pour avoir une idée de l’état d’esprit du peuple, un sondage plus fiable fut mené dans l’une des provinces du delta du Mékong début 1970 (pour les élections) : 35% des villageois disaient voter pour Thieu, 20% pour le FNL s’ils le pouvaient, 45% pour un candidat qui soit opposé tant aux Américains qu’au FNL.

Pour comprendre la situation à Saigon, il faut en citer les 5 faiblesses : le bouddhisme, la pacification, la corruption, le système constitutionnel enlisé et les étudiants. On l’a vu, les Bouddhistes se sont souvent soulevés contre les gouvernements successifs. Thieu diminua l’ampleur du problème avec plus de surveillance et de répression. La pacification, on l’a vu également, était bien loin d’être terminée. La corruption rongeait chaque étage de l’état et permettait à Thieu de tenir la structure. Tout comme le système constitutionnel, parasité par la corruption et par Thieu lorsqu’il commença à diriger par décrets.

Plus encore, ceux qui cherchaient à lutter contre la corruption risquaient leur vie. Le gouvernement (du Premier ministre Tran Van Huong) avait essayé de la combattre, ce qui avait provoqué sa chute. Un système gangrené par la corruption est de fait dirigé par des corrompus qui tirent des avantages significatifs de ce fonctionnement (faveurs ou argent, pots-de-vin). Combattre la corruption, c’est combattre les plus puissants. On l’a vu, un vaste marché noir s’était développé. Il n’était pas rare qu’un paysan abandonne ses champs pour se lancer dans le trafic de cigarettes ou d’alcool, bien plus lucratifs. La contrebande et les détournements de marchandises étaient monnaie courante. Les étudiants enfin, la base créative de toute société, étaient considérés comme communistes par Thieu et, de ce fait, farouchement combattus.

Le président sud-vietnamien avait éliminé tous ses opposants, notamment avec ce fameux « accident » d’hélicoptère tuant par un tir de roquette tous les soutiens de son rival politique Ky. Il fit de même avec les autres opposants potentiels à son pouvoir, parfois par des menaces psychologiques. Si bien que Thieu avait peur pour sa vie. En un sens, il n’avait pas tort : Kissinger avait préparé un assassinat à son encontre au cas où. Thieu était président mais dirigeait en réalité tout. La presse était censurée. La CIA ne se priva pas de financer des journaux pro-gouvernementaux.

Thieu n’avait pas fait grand-chose pour obtenir le soutien populaire. Il avait bien créé un parti que les Américains finançaient largement mais il accaparait l’argent et n’en injectait qu’une infime partie dans l’évolution du parti. Et puis, faute de soutien populaire, Thieu menait des répressions, ne perdant jamais la main sur l’appareil policier. Il devint alors compliqué, pour lui, d’être aimé du peuple. Cette tendance fut de nouveau démontrée en mars 1969 lorsque la corruption de l’appareil militaire poussa des vétérans de l’ARVN à manifester dans la rue pendant plusieurs jours, déclenchant une réplique musclée du régime. En fin de compte, Thieu accorda aux vétérans des terres, faute de pouvoir donner de l’argent qu’il n’avait pas. En réalité, on ne sait pas si ces terres furent distribuées ou justes promises. C’était là un caractère fondamental de la politique de Thieu : il acceptait beaucoup de choses, faisait quantité de promesses, mais voyait lesquelles il pouvait honorer ensuite.

Du reste, ces vétérans ne manifestaient pas pour rien dans les rues. L’inflation, provoquée par les aides américaines, atteignait des proportions alarmantes dans le début des années 1970. La flambée des prix fut telle que cette période fut surnommée la « Révolution d’automne » : les prix doublèrent. Le riz, fin 1969, était 9 fois plus cher qu’en 1964. La solde (mensuelle) d’un soldat en 1972 était de 13 750 piastres. Le versement annuel pour un vétéran infirme, dépendant entièrement du gouvernement, était de 10 420 piastres. A cette époque, une douzaine d’oranges coûtait 4 000 piastres.

Des discussions à Midway se déroulèrent entre Nixon et Thieu. Il était question de la vietnamisation du conflit et du retrait américain que ce mot sous-entendait sur le long terme ainsi que de la modernisation de l’ARVN. Nixon dévoila sa théorie du fou en assurant qu’il exigerait de voir des progrès vers la paix sans quoi il ferait tout pour mettre fin à la guerre, d’une manière ou d’une autre. Kissinger tenta de mettre la pression sur les Nord-Vietnamiens en adressant un ultimatum en août, exigeant des preuves tangibles d’avancement vers la paix avant la date anniversaire du début des négociations (celles-ci ayant débuté le 1er novembre 1968). La réponse d’Hanoi fut jugée insolente et inacceptable.

Rencontre entre Nixon et Thieu à Midway du 8 au 10 juin 1969

Le 2 septembre 1969, Hô Chi Minh décéda (le jour anniversaire de sa proclamation d’indépendance en 1945), faisant espérer une ligne plus modérée de la part des Nord-Vietnamiens (quant aux revendications) du fait de la disparition d’un symbole de la ténacité. Il n’en fut rien. Le plan d’escalade « Duck Hook » (« piège à canard », c’est également une manœuvre au golf) fut mis en place envisageant entre autres des frappes nucléaires sur le Nord-Viêt Nam. Mais l’opposition d’une partie de l’administration Nixon, le mouvement antiguerre et l’efficacité jugée mitigée de l’opération pour des conséquences potentiellement désastreuses poussèrent le président à y renoncer. La mousson commençait, ce qui interdisait toute efficacité des opérations militaires en cas de reprise des hostilités. Nixon prononça un discours dans lequel il traitait le mouvement antiguerre de « ramassis décadent de snobs et de provocateurs » affirmant que la majorité silencieuse était, elle, en faveur de la guerre. L’administration Nixon minimisait l’opposition du peuple, ce qui la transforma, nous y reviendrons.

On avait enfin atteint le pic des effectifs américains au Viêt Nam : en avril 1969, 543 482 Américains y étaient engagés. A cette même date et depuis le début de la guerre, 40 794 Américains avaient perdu la vie et plus de 70 milliards de dollars avaient été engouffrés dans le conflit. De ce fait, on se battait à la Maison-Blanche pour savoir s’il fallait procéder à la désescalade et donc au retrait des troupes. Kissinger s’opposa farouchement à ce projet. Nixon sembla appuyer son point en exigeant publiquement, en mai 1969, un retrait de la part des deux camps. Mais Nixon avait été élu sur une promesse de fin de guerre et d’assainissement des finances, ce qui rimait avec réduction d’effectifs au Viêt Nam. Juste après son annonce publique, il ordonna le premier retrait de forces.

Kissinger s’opposa à toutes les étapes de retrait prétextant que ça affaiblirait Saigon, encouragerait Hanoi, découragerait les soldats américains, qu’il serait plus compliqué de faire évoluer le conflit, que cela représenterait un coup fatal pour l’ARVN. Puis il usa de l’image de la cacahuète salée : plus l’administration ordonnera des retraits d’hommes, plus l’opinion publique américaine en demandera de nouveaux. Dans cette bataille, il avait un grand adversaire : Laird (secrétaire à la Défense). Ce dernier arguait dans le sens diamétralement opposé. Laird avait toujours été opposé à Duck Hook et Kissinger toujours en faveur.

Abrams était, lui, contre le retrait américain, arguant qu’il avait efficacement contré l’offensive du Têt de 1969 (chère en vies américaines) et en prenant l’exemple de la bataille d’Ap Bia (AKA Hill 937 ou Hamburger Hill) durant laquelle plus d’un millier d’Américains étaient morts lorsque l’ARVN ne subissait que 3 morts et 4 blessés. Cette évaluation, a depuis lors été révisée avec une bien plus lourde implication de l’ARVN et un nombre bien plus faible d’Américains tués (56 à 70 morts en réalité, 420 blessés, le tout en 11 jours). A l’époque, le rapport tendait à montrer que le Sud-Viêt Nam ne pourrait supporter seul l’effort de guerre. Pourtant, l’apport en armements fut décuplé pour contrebalancer le début du retrait américain. Plus encore, les effectifs de l’ARVN passèrent de 850 000 à un million d’hommes. Les Sud-Vietnamiens se battaient vaillamment, 90 000 hommes de l’ARVN étaient morts au combat depuis le début du conflit.

Abrams se prépara néanmoins au retrait de 200 000 hommes puis comprit qu’il était question d’un retrait total. Il retira d’abord des Marines de la DMZ, là où l’ARVN disposait de ses forces les plus expérimentées. Abrams se voyait privé de la conscription et ainsi de 7 000 renforts. Il devait surtout composer avec le retrait annoncé de 115 000 hommes fin 1969. Dès lors, la parité était atteinte. Hanoi et Washington faisaient désormais jeu égal. Nixon prévoyait de gros retraits supplémentaires pour 1970. Il ordonna également la réduction du nombre de sorties aériennes et de tirs de l’artillerie navale. Tout ceci participait aux coupes budgétaires importantes prévues par la Maison-Blanche (déjà en 1969, davantage en 1970).

Le 12 novembre 1969, un reportage choqua l’opinion américaine. Un an et demi plus tôt, en mars 1968, en plein offensive du Têt, des soldats américains avaient massacré entre 347 et 504 civils sud-vietnamiens (vieillards, femmes, enfants et bébés notamment) à My Lai. On avait dit à une unité qu’une opposition les attendait dans un village. Cette unité, sous pression depuis quelques temps et en recherche de revanche, ne trouva que des civils. Les soldats furent alors vus comme des monstres aux Etats-Unis. Ceci participa au départ d’environ 30 000 jeunes américains vers le Canada pour échapper à l’enrôlement (alors même que 30 000 volontaires canadiens environ allaient se battre au Viêt Nam).

L’image qui a rendu le massacre de My Lai connu

Nixon annonça publiquement en novembre et décembre 1969 l’annulation de la conscription et la mise en place d’une loterie basée sur la date de naissance (impliquant que les plus aisés pouvaient être choisis). Il assura sa volonté de « gagner la paix » et assura les Américains que plus le pays serait divisé, plus Hanoi serait dure sur les négociations. Son discours, avec les retraits annoncés, firent grimper sa popularité. Le mouvement antiguerre, lui, se déchirait : une partie plus extrême considérait que seule la violence ferait bouger les choses. Des bombes explosèrent, minant la popularité des mouvements pacifiques.

Abrams montra une détermination à toute épreuve pour garder l’avantage ou la parité dans l’impossible gestion du retrait américain, contrant surtout les attaques d’envergure du Nord-Viêt Nam. Il parait au plus pressé.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://machineresearch.wordpress.com/2016/09/26/dave-young/ (une évaluation HES)

https://www.nixonfoundation.org/2014/06/president-nixon-president-thieu-meet-midway-island-june-8-1969/ (Nixon et Thieu à Midway)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_M%E1%BB%B9_Lai (massacre de My Lai)

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