La guerre du Viêt Nam (partie V) : la réalité de la guerre (1965-1966)

La guerre du Viêt Nam (partie V) : la réalité de la guerre (1965-1966)

Rappel : Johnson, président par intérim, refusa de clairement s’engager au Viêt Nam avant d’être élu en novembre 1964. A Saigon, après la valse des régimes en 1964, Minh et Khanh furent écartés du pouvoir par un nouveau duo : Thieu (président) et Ky (Premier ministre). La stabilité semblait de nouveau possible au Sud-Viêt Nam sous la direction de ce tandem de généraux. Même élu, Johnson resta hésitant quant à l’engagement américain aux côtés de Saigon. Le président était partisan de la pression graduée sur Hanoi par la technique dite du tour de vis progressif consistant en une pression militaire avec des ouvertures à la négociation. Seulement, les « surproductions » des insurgés du sud, le FNL et le Viêt Cong, menèrent Johnson à la guerre : Bien Hoa, l’explosion au Brinks Hotel, Binh Gia, Pleiku, l’explosion à l’hôtel Qui Nhon, une bombe dans l’ambassade américaine, autant d’attaques qui poussèrent la Maison-Blanche à l’escalade. Les finalités durables de ces attaques furent, dès mars 1965, le débarquement des Américains à Da Nang et le déclenchement de la pérenne opération de bombardements aériens Rolling Thunder. C’est également en mars qu’apparurent les premiers Teach-ins aux Etats-Unis, des rassemblements (souvent étudiants) informant sur le Viêt Nam et condamnant la guerre menée par Washington. Les justifications de l’administration Johnson étaient remises en cause. La Maison-Blanche se mettait à dos ses propres citoyens par ses décisions tout en renforçant, par les bombardements, le recrutement au Nord-Viêt Nam et par le débarquement de soldats, le recrutement de Sud-Vietnamiens par les Viêt-Cong. Johnson penchait désormais pour la guerre. Il annonça publiquement, le 30 juillet 1965, vouloir envoyer massivement des hommes au Viêt Nam.

D’après l’analyse du général Westmoreland, commandant du MACV, le Sud-Viêt Nam était en train de perdre. Il était vrai que les attaques du Nord et du FNL se faisaient plus fréquentes et plus féroces. Les Hauts Plateaux du centre étaient presque perdus ! Le 7 juillet 1965, le chef-lieu du district de Dak To, un verrou de l’ARVN, fut temporairement perdu. Puis une pénible bataille pour le camp des forces spéciales de Duc Co, assiégé, fut déclenchée, non loin de Pleiku. Le camp fut sauvé après bien des efforts. Toujours dans ces environs, les Nord-Vietnamiens voulaient désormais « tester » les Américains en attaquant un autre camp. La nouvelle cible était le camp de Plei Me, toujours dans la vallée de Ia Drang (« ia » de « Ia Drang » signifiant rivière).

Les Américains avaient bien plus de mépris pour l’ARVN que pour les Viêt-Cong. Ils surnommaient les premiers « bridés » ou « Chinetoques » alors que les Viêt-Cong étaient surnommés « VC », « Victor Charlie » (l’abréviation selon l’alphabet militaire) ou encore « Mr Charles ». Les Américains restaient souvent autour de leurs bases d’appuis ou des bases appui feu (Fire Support Base : des camps retranchés permettant un appui d’artillerie aux unités avancées et hors de portée de la couverture de leur base d’origine). Les FNL (VC) attaquaient, malgré tout, les bases américaines avec des tirs de mortier ou à la roquette, etc … Les bases aériennes représentaient les cibles privilégiées des Viêt-Cong car privant les Américains de leur visibilité. Ces derniers s’aventuraient hors des bases pour rayonner autour et devenaient très vulnérables dans les herbes à éléphant (à hauteur d’homme) ou dans la jungle (dits territoires indiens). La progression s’appuyait sur les camps des forces spéciales, bien moins défendus, occupés par des forces sud-vietnamiennes. Ces camps, et par extension leurs défenseurs, étaient des cibles faciles pour les Viêt-Cong et l’armée nord-vietnamienne. Cette dernière, ayant pour de bon rejoint l’effort des insurgés sud-vietnamiens, interdisait par ailleurs la supériorité de 10 pour 1 estimée nécessaire par Saigon et Washington pour garantir leur victoire ! Une telle supériorité ne fut jamais acquise, malgré les efforts de Johnson concernant son opération diplomatique « Many Flags » pour impliquer d’autres puissances dans le conflit, opération sur laquelle nous reviendrons.

Très vite, les Américains commencèrent à frapper au hasard avec les bombardements H&I (Harcèlement et Interdiction ; Harassement & Interdiction). Leur but était de tuer, certes, mais aussi de restreindre les mouvements de l’ennemi. Ce fut là la grande part de l’utilisation des munitions de l’aviation et de l’artillerie. Au sol, les missions « recherche et destruction » (search and destroy) portaient bien leur nom : le but était simplement de détruire tout ce qui pourrait avoir un intérêt pour l’ennemi. Ce fut la principale tactique employée au sol en « territoire indien ». Proche des bases américaines, il en allait autrement : les missions « nettoyer et tenir » (clear and hold) étaient préférées car visant à pacifier la zone et en faire un foyer de contre-insurrection. Une question demeurait : comment tuer le bon ? Les Vietnamiens, qu’ils soient du Nord ou du Sud, ne portaient généralement pas d’uniforme. Les combats dans les réseaux de tunnels exigus des Viêt-Cong et des Nord-Vietnamiens étaient les plus atroces.

Explosion d’une bombe incendiaire (napalm) au Viêt Nam

L’hélicoptère fut immédiatement exploité : il était le seul véhicule permettant d’amener une force au bon endroit avant que l’ennemi ne s’évanouisse dans la jungle. FNL et Armée populaire firent leur maximum pour rendre l’utilisation des hélicoptères périlleuse : ces derniers ne disposaient pas de tant de zones d’atterrissage (Landing Zone : LZ) que ça dans la jungle. Alors FNL et Nord-Vietnamiens s’appliquèrent à transformer le plus rapidement possible les LZ en « zones chaudes » (c’est-à-dire en zones sous pression, dangereuses pour les atterrissages). Pour ce faire, ils contraignaient les premiers GIs arrivés à rester sur la zone pour la défendre ; encombrés par le matériel, les GIs ne pouvaient faire de la place pour permettre à d’autres appareils de se poser.

Globalement, la situation du Sud-Viêt Nam était préoccupante, voire critique, en 1965. Durant la bataille de Ia Drang (novembre 1965), les GIs subirent un combat usant autour d’une première LZ chaude puis marchèrent vers une nouvelle LZ pour l’extraction. Ils tombèrent alors dans une terrible embuscade et durent attendre un soutien terrestre pour s’extirper de la seconde LZ alors que les avions, ayant mis une heure à venir en support, retenaient les Nord-Vietnamiens. Les Américains avaient perdu 40% de leurs effectifs. Par ailleurs, Ia Drang et ses LZ X-Ray et Albany apprirent aux Nord-Vietnamiens une précieuse leçon : venir à la ceinture. Cette technique consistait à s’approcher le plus possible des soldats américains pour ne pas subir les bombardements et tirs d’artillerie. L’aviation américaine renâclaient à bombarder ses propres lignes au prix de vies américaines, tous comme les soldats américains évitaient de donner un tel ordre. Venir à la ceinture des Américains, c’était donc parasiter l’efficacité aérienne américaine.

Bataille de Ia Drang (14-18 novembre 1965)

Ce combat en préfigurerait de nombreux. Il est également important de faire mention du fameux « Body count » (comptage des corps) voulu par McNamara. Le secrétaire à la Défense américain était très penché sur les statistiques. Le MACV produira plus de données statistiques que McNamara ne pourra en lire. Pire, il produire des statistiques erronées. Abordons simplement le Body count : il était parfois exagéré, mal effectué, tous les corps n’étaient pas trouvés … En deux mots : non fiable.

De plus graves conclusions peuvent être formulées. Les Nord-Vietnamiens avaient choisi le lieu et l’heure de l’affrontement. Les renseignements américains pensaient que 5 régiments de Viêt-Cong et 3 régiments de Nord-Vietnamiens parcouraient le Sud-Viêt Nam. Après Ia Drang, les renseignements révisèrent leurs estimations pour 12 régiments de Viêt-Cong et 9 régiments nord-vietnamiens. Ces chiffres signifient que malgré les bombardements, trois fois plus d’hommes avaient passé la DMZ. Hanoi amplifiait son engagement également. A Ia Drang, les Américains purent se féliciter d’un ratio de tués de 1 pour 10. Seulement, les Américains n’avaient que faire du 10, ils ne se préoccupaient que du 1. Westmoreland disait remporter cette guerre en 3 ans avant Ia Drang. Après Ia Drang, il demanda plus d’hommes. A la Maison-Blanche, une discussion prenait place. McNamara proposa au président de négocier avec Hanoi ou bien de continuer une guerre dont le secrétaire à la Défense estimait les chances d’une victoire finale à une sur trois pour les Etats-Unis. La seconde option fut votée.

Johnson commença dès 1964 son offensive diplomatique Many Flags visant à impliquer des puissances étrangères dans le conflit. Malgré bien des efforts, il ne parvint qu’à récolter une aide médicale et/ou économique de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la Chine nationaliste (Taiwan) et du Japon. Il était bien facile pour ces pays de refuser une aide militaire compte tenu du peu de légitimité juridique dont bénéficiaient les Etats-Unis dans cette guerre. En revanche, les Philippines engagèrent jusqu’à 2 000 hommes de 1965 à 1968 ; l’Australie commença par fournir une brigade (3 bataillons) ; la Nouvelle-Zélande participa avec de l’artillerie ; la Thaïlande engagea d’abord des pilotes puis des conseillers et enfin une division entière jusqu’à atteindre 11 600 hommes en 1969-1970 ! Les pilotes opéraient au Nord-Viêt Nam comme au Laos, la Thaïlande s’impliquant davantage dans la guerre au Laos en aidant l’armée secrète laotienne avec des forces spéciales et entraînant des soldats laotiens. Les Thaïlandais engagèrent finalement quelque 20 000 hommes au Laos. La Corée du Sud, elle, contre une aide économique et une présence militaire américaine accrue sur son territoire, forma le plus grand contingent des pays alliés avec 21 000 hommes engagés en 1965 et 45 000 en 1966. Au plus fort de l’engagement, la Corée du Sud jettera 50 000 hommes dans la fournaise en 1968 !

Les années 1965 et 1966 furent marquées par des faux efforts de paix de la part de Washington. Hanoi imposait 4 points pour commencer les négociations : les Etats-Unis devaient se retirer d’Indochine ; le peuple sud-vietnamien devait être maître de ses propres affaires ; le statut du Sud-Viêt Nam devait être caractérisé par « la paix et la neutralité » ; enfin le Viêt Nam devait être réunifié. Pourtant, Hanoi accepta de se montrer plus souple avec le temps, sans pour autant que Washington n’accepte d’ouvrir réellement les négociations, quand bien même Johnson faisait parfois interrompre les bombardements du Nord-Viêt Nam pour montrer sa volonté de négocier. Le secrétaire général de l’ONU, U Thant, essaya lui aussi d’établir un cessez-le-feu et la paix … Sans succès.

Aux États-Unis, les manifestations antiguerre se faisaient plus fortes avec 25 000 manifestant mi-octobre à New York. Le 1er novembre 1965, un moine s’immola à Saigon. Ce n’était pas le premier. Mais un américain l’imita le 2 novembre en face du Pentagone, sous la fenêtre de McNamara, ce qui horrifia profondément ce dernier. Johnson avait accepté ce qui serait le plus long arrêt de l’opération Rolling Thunder de la guerre (37 jours) en prétextant une trêve de Noël fin 1965 puis une prolongation et une interruption totale pour chercher la paix avec Hanoi. L’URSS promit de peser dans la balance en cas d’interruption prolongée de Rolling Thunder. Mais le président, échaudé par ses expériences passées, n’avait pas grand espoir.

Hanoi savait également la guerre partie pour durer. L’amélioration de la piste Hô Chi Minh avait réhaussé la situation en 1965. Et pour cause, l’Armée populaire (APV) alignait 195 000 hommes début 1965 … et 450 000 avant la fin de l’année. Les moyens suivaient : chars d’assaut, lance-roquettes, deux fois plus d’artillerie. Les aides de l’URSS et de la Chine constituèrent les défenses aériennes d’Hanoi et des troupes chinoises investirent le territoire nord-vietnamien pour entretenir les infrastructures. Nous l’avons déjà dit plus haut mais rappelons-le : à terme, 320 000 Chinois serviraient au Nord-Viêt Nam durant la guerre. Au Sud, les infrastructures manquaient par ailleurs cruellement. Hanoi créa le groupe 559 en 1965 qui gérait, sur la piste Hô Chi Minh, six bataillons de camions. Ceux-ci venaient remplacer les bicyclettes auparavant employées. Le groupe 559 fut rapidement et largement étoffé de défenses antiaériennes et de troupes de sécurité. Des unités entières transitèrent par la piste Hô Chi Minh, malgré 8 000 sorties de l’aviation américaine en janvier et 5 000 en février pour les en empêcher. Malgré, disons-le plus simplement, les milliers de sorties aériennes américaines durant toute la durée de la guerre.

Pendant ce temps, le président Johnson recevait une requête par Westmoreland demandant le déploiement de 440 000 hommes fin 1966. Dès que la CIA l’assura que les Nord-Vietnamiens profitaient de la pause de Rolling Thunder pour se réorganiser et se réapprovisionner, Johnson ordonna la reprise des bombardements le 31 janvier 1966. La zone de contrôle des VC était effectivement estimée aux ¾ du pays après cette pause des bombardements. Quelques jours plus tard, le 6 février, Johnson accepta la requête de Westmoreland, sous le nom de « Programme 2 » lors d’une conférence à Honolulu. C’était autoriser un déploiement massif. Mais la mobilisation de la réserve, en l’absence de déclaration de guerre, n’était pas envisageable, seule la conscription l’était. Les volontaires représentaient également une part des envoyés. L’US Army ne serait bientôt plus l’armée professionnelle alors déployée. Il faudrait former les conscrits qui, au demeurant, composeront rapidement 1/3 des morts américains au Viêt Nam (en 1967). Début 1966, 2 344 Américains étaient déjà morts au Viêt Nam et 184 300 y combattaient.

Conférence de Honolulu en 1966 (de gauche à droite au premier plan : R. McNamara, N.C Ky, L.B Johnson et N.V Thieu)

Nous avons rapidement mentionné la conférence de Honolulu. Elle ne fut pas seulement le théâtre de l’acceptation du Programme 2 par Johnson. Le président américain y rencontra également la tête de l’Etat saïgonnais : Thieu et Ky. Johnson voulait assurer la stabilité à Saigon. Chose qui passait par des avancées sociales et économiques selon lui. Washington demandait à Saigon de faire le nécessaire. Par la conférence d’Honolulu, Johnson cherchait aussi à détourner le public américain des audiences du Congrès qui interrogeait le sénateur Fulbright (par ailleurs chairman of the Senate Foreign Relations Comitee) sur la guerre du Viêt Nam. Or, Fulbright, qui avait autrefois supporté la guerre, s’y opposait désormais. Johnson pouvait bien se passer d’une explosion de vérité aux yeux de la presse. L’annonce surprise d’une conférence militaire à Honolulu échoua à détourner l’attention du peuple.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://www.reddit.com/r/Vietnamwarpics/comments/d8yo67/napalm_run/ (Naplm)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Ia_Drang (bataille de Ia Drang)

https://www.docsteach.org/documents/document/honolulu-conference-mcnamara-ky-johnson-thieu (conférence de Honolulu)

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