La guerre du Viêt Nam (partie IV) : valse des régimes à Saigon, les Etats-Unis débarquent (1964-1965)

La guerre du Viêt Nam (partie IV) : valse des régimes à Saigon, les Etats-Unis débarquent (1964-1965)

Rappel : Après la crise des missiles de Cuba en 1962 qui marqua le paroxysme des tensions entre les deux Grands durant la guerre froide, les guerres indirectes prirent une place plus importante. A défaut d’une guerre par les armes, l’URSS et les Etats-Unis se livraient une guerre d’influence. En janvier 1963 se déroula la bataille d’Ap Bac, une défaite des Viêt-Cong en tant que telle mais une preuve de la capacité de résistance face à l’armement supérieur des Américains. Toujours en 1963, Diêm se mit la population rurale à dos (par sa politique des hameaux stratégiques) puis également la population urbaine (par la répression d’une révolte bouddhiste). La situation électrique et l’autoritarisme dont faisait preuve le régime diémiste provoquèrent sa chute. Diêm fut assassiné en novembre 1963, tout comme le président Kennedy. Le vice-président Johnson succéda à ce dernier à la Maison-Blanche. Si le grand Minh prit la place de Diêm à Saigon, c’est l’instabilité qui succéda réellement au régime diémiste. Plusieurs coups d’Etat, impliquant souvent les généraux Khanh et Minh, firent vaciller Saigon en 1964. A Hanoi, c’est le parti de Le Duan, représentant la volonté d’une unification du Viêt Nam par les armes, qui prit le dessus. Ce parti était celui de la Chine qui souhaitait la révolution mondiale, contrairement à l’URSS qui désirait apaiser les tensions après la crise de Cuba (dans la dynamique de la Détente durant la guerre froide). Le président américain se portait lui vers une intervention et disposait d’un prétexte : le (faux) incident du Tonkin, survenu en août 1964. Le Congrès avait même donné son aval. Pourtant, Johnson ne voulait pas agir avant les élections.

Les actions sur le terrain attendraient car l’année 1964 était celle des élections présidentielles et Johnson se présentait comme le gardien de la paix. Il basait son programme sur le fait d’éviter la guerre nucléaire avec l’URSS et de ne pas envoyer les « boys » en Asie. En un mot, il appartenait aux Sud-Vietnamiens de la gagner ou de la perdre leur guerre. L’opposant de Johnson misait lui sur la victoire au Viêt Nam et l’anticommunisme farouche. Un second faux incident, identique au premier du golfe du Tonkin et d’ailleurs au même endroit, fut rapporté par McNamara. Johnson exigea des preuves qui n’existaient pas : ce n’était pas l’heure d’aller à l’encontre de son programme de campagne ! Le 1er novembre 1964, en revanche, le FNL attaqua effectivement les forces Américaines, tuant 4 Américains et 2 Sud-Vietnamiens, blessant 77 personnes et faisant des dégâts matériels. Johnson refusa les représailles exigées par son chef d’état-major interarmes. Deux jours plus tard, Johnson remporta l’élection avec la majorité la plus importante de l’histoire des élections américaines : 61,1%. Maintenant, il pouvait répondre. Et puis, quand Johnson avait demandé à son ambassadeur à Saigon, le général Maxwell Taylor, si la guerre en valait la peine, celui-ci avait affirmé que dans la position actuelle, ils ne pouvaient pas se permettre de laisser Hanoi l’emporter.

Johnson, de prime abord, rejeta nombre de requêtes interventionnistes de ses conseillers. Il refusa en particulier les bombardements. Progressivement, fin 1964, il accepta d’augmenter significativement le nombre de conseillers américains sur place ; ordonna des reconnaissances aériennes ; intensifia les opérations 34-A (au Nord-Viêt Nam) et 34-B (au Laos) ; accepta le déploiement d’un bataillon de missiles antiaériens et une brigade de Marines et rejeta de facto un plan de paix proposé par les Français. Surtout, le président américain autorisa en octobre 1964 l’opération « Barrel Roll » consistant en un bombardement du nord du Laos. Une nouvelle attaque du FNL tuant 5 Américains à Bien Hoa le 1er novembre, non loin de Saigon, accéléra la marche. Le président américain autorisa des bombardements. Johnson était encore indécis mais commençait à pencher pour la guerre.

En décembre, il opta pour la pression graduée et la politique dite du tour de vis progressif contre Hanoi : exercer une pression militaire tout en faisant des offres de négociation. Les actions de Washington suivaient l’escalade provoquée par ce que l’on nomme les « surproductions », autrement dit les actions et attentats du FNL. La veille de Noël 1964, c’est le Brinks Hotel qui fut attaqué. Le 28 décembre, les VC attaquèrent le village anticommuniste de Binh Gia. On ne sait pas combien de pertes les VC déplorèrent. On sait en revanche que l’ARVN perdit 200 tués et 200 blessés. Plus grave encore, on estime le nombre de VC à un millier et ils ne furent pas découverts avant le début de l’attaque ! Cette bataille de Binh Gia, infligeant un grave revers, d’abord à l’ARVN puis également à des Marines américains, fut surnommée le petit Dien Bien Phu. Un soldat nord-vietnamien fut capturé, un autre fit défection : la preuve tangible d’un engagement de Hanoi sur les terres de Saigon. Le 7 février 1965, le FNL attaquait la base américaine de Pleiku sur les Hauts Plateaux, faisant 8 morts américains et une centaine de blessés.

Explosion dans le Brinks Hotel à Saigon, décembre 1964

Lors de son discours sur l’état de l’Union en janvier 1965, Johnson avait promis de poursuivre les engagements d’Eisenhower et Kennedy envers le Sud-Viet Nam. Mais Washington hésitait : fallait-il attendre le soutien de l’ONU ou mener une action unilatérale ? La question principale restant : quelles seraient les réactions de l’URSS et de la Chine ?

Plan de l’opération Rolling Thunder

L’opération « Flaming Dart » fut néanmoins menée en représailles des attaques du FNL : les Américains procédèrent à des bombardements sur le Nord-Viêt Nam. Un raid aérien parallèle fut mené par Nguyen Cao Ky (général de l’armée de l’air). Le 10 février, les VC provoquèrent une explosion dans l’hôtel Qui Nhon, causant la mort de 23 Américains. Les bombardements « Flaming Dart II » en furent les représailles. Johnson autorisa la permanence de ces bombardements avec l’opération « Rolling Thunder » et le FNL posa une bombe, en mars, dans l’ambassade américaine. Johnson ne voulait pas encore avouer au peuple américain son changement de stratégie, ce qui explique les « seuls » bombardements stratégiques (Rolling Thunder). Le vice-président, Hubert Humphrey, se dressait lui contre l’intervention. La Maison-Blanche ne parvenait pas à se décider.

Hanoi déploya des unités antiaériennes au Laos pour protéger la piste Hô Chi Minh et dans le sud du Nord-Viêt Nam. Aidant les insurgés du Sud depuis 1959, Hanoi intensifia son soutien avec la chute de Diêm en 1963 : 40 000 hommes et femmes avaient alors déjà passé la frontière pour épauler les insurgés. Hanoi prit progressivement en charge l’administration des insurgés du Sud. Une première division fut déployée par-delà la zone démilitarisée du 17e parallèle. Kossyguine, qui avait succédé à Khrouchtchev à la tête de l’URSS, vint en visite à Hanoi alors même que commençaient les bombardements américains. L’URSS amenait avec elle des hauts gradés de la défense aérienne et promit la fourniture de missiles sol-air. En plus de l’aide soviétique, n’oublions pas son pendant chinois humain (pour l’entretien des infrastructures) comme matériel. A terme, 320 000 Chinois serviraient au Nord-Viêt Nam durant la guerre !

Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre la crise saïgonnaise. Nous l’avions abordé sans l’expliquer. Sous le général Khanh, le bouddhisme revint au galop : des généraux se reconvertirent et les bouddhistes jouissaient enfin du même statut que les catholiques. Ces derniers protestèrent contre l’abolition de leurs privilèges. Les coups d’Etat ou putschs, nous l’avons vu, s’enchaînèrent en 1964. Et ce, du fait des Bouddhistes, des Catholiques, de l’armée, des étudiants ou des Montagnards. Ces coups impliquaient parfois les Etats-Unis qui tentaient de soutenir le général Khanh. Le cas des Montagnards mérite des précisions. Ceux-ci se battaient avec les forces spéciales sud-vietnamiennes et les Américains contre le FNL et avaient, en juillet 1964, héroïquement défendu un camp. Khanh leur fit des promesses qu’il ne tint pas. Alors, les Montagnards nationalistes se rassemblèrent au Cambodge en septembre, fondant le Front Uni pour la Libération des Races Opprimés (FULRO). Un premier soulèvement fut déclenché le 19 septembre dans un camp des forces spéciales, puis dans cinq autres. Les Américains avaient ordre de ne pas intervenir. Ils essayaient néanmoins d’éviter les massacres des troupes spéciales sud-vietnamiennes … La crise fut surpassée en réinstaurant l’ordre de la période coloniale française pour les Montagnards : le Statut particulier.

Nguyễn Văn Thiệu (1923-2007), président de la République du Viêt Nam (1965-1975)

Cela ne rétablissait pas pour autant la stabilité du régime saïgonnais de Khanh. Plusieurs putschs suivirent. La loi martiale fut établie le 26 novembre 1964. Les manifestations continuèrent. La loi civile fut rétablie. Les putschs eurent finalement raison de Khanh. Ce regain superficiel de stabilité encouragea Washington à commencer l’opération Rolling Thunder, mentionnée plus haut, le 2 mars 1965. En réalité, une crise économique fut provoquée par le FNL qui coupa les routes reliant les rizières du Mékong (sud du pays) et Saigon. Les prix s’envolèrent, une crise ministérielle en découla. Le gouvernement civil démissionna, laissant la place de président au général Nguyen Van Thieu et la tête du gouvernement au général de l’armée de l’air Nguyen Cao Ky. La stabilité, enfin, revint à Saigon avec ce tandem.

Les Teach-ins, contre la guerre

Aux États-Unis, le mouvement de contestation prenait lentement corps. Johnson en était conscient, il ordonna de publier un livre blanc expliquant les événements et motivations concernant l’implication des Etats-Unis en Asie du Sud-Est. Seulement ce livre ne fut pas convainquant. Le problème juridique qui faisait du Viêt Nam un pays unifié, temporairement séparé en zones de groupements, d’après les accords de Genève, était entier. Les Etats-Unis prétendaient protéger un état ami d’une invasion communiste d’un pays voisin. Cette justification ne tenait pas au regard du droit international : les événements du Viêt Nam relevaient de la guerre civile, rien de plus. Un journaliste critiqua le livre blanc une semaine plus tard. Critique qui fut considérée comme plus juste que le livre blanc lui-même. En réponse à cette maladroite manœuvre de l’administration Johnson, les premiers Teach-ins antiguerre s’organisèrent : des rassemblements, généralement d’étudiants, pour discuter de l’intervention américaine. Le premier Teach-in, s’étendant sur deux jours, le 24 et le 25 mars, fut organisé par les Students for Democratic Society (SDS). Les Teach-ins se répandirent dans tout le pays, surtout dans les universités. Pour calmer cette tendance, Johnson prononça lui-même un discours à l’université Johns Hopkins qui fut salué et changea les résultats des sondages.

Le président, en somme, hésita plusieurs mois à envoyer massivement des soldats au Viêt Nam. Des hommes, surtout des Marines, furent envoyés dès, et à partir de, mars 1965 pour assurer l’arrière-pays, les aérodromes et les camps. Ces troupes américaines furent envoyées au Sud-Viêt Nam sans consultation de Saigon. Si l’Etat était favorable à l’afflux de troupes, il n’en reste pas moins que ce premier afflux, vécu comme une invasion par certains Sud-Vietnamiens, améliora sensiblement les recrutements des Viêt-Cong (VC). De la même manière, les bombardements américains de plusieurs heures sur des villages du Nord-Viêt Nam permirent un enrôlement facile à Hanoi. Ces recrutements alimentèrent le bâtissage et l’entretien de la cruciale piste Hô Chi Minh. N’oublions pas que beaucoup de femmes travaillaient et travailleraient inlassablement sur cette piste pour la remettre en état après chaque bombardement américain.

Débarquement des troupes américaines en mars 1965, à Da Nang

La Maison-Blanche se mettait à dos ses propres citoyens par ses décisions tout en renforçant, par les bombardements, le recrutement au Nord-Viêt Nam et par le débarquement de soldats, le recrutement de Sud-Vietnamiens par les Viêt-Cong. Rappelons ici qu’avec les soldats américains débarquent des journalistes de guerre, 200 desquels décéderont en Asie du Sud-Est : ils ont fourni d’importantes images et informations.

L’état-major interarmes militait pour l’afflux de 200 000 soldats, ce que Johnson n’accepta pas, du moins pas tout de suite. McNamara tenta d’influer sur la décision du président en la faveur de l’envoi massif de troupes. Il n’était pas le seul et d’autres militaient pour la solution inverse. Johnson finit par demander son avis à Eisenhower qui lui conseilla de suivre son cœur puis lui indiqua qu’à sa place il aurait opté pour le déploiement massif. « Je n’ai pas de meilleur chef d’état-major que vous » répondit Johnson. Le crédit accordé à l’ancien généralissime du front Ouest durant la Seconde Guerre mondiale était encore immense. Washington, ainsi, refusa toute neutralisation avec de nouveaux accords de Genève proposés par de Gaulle. George Ball (sous-secrétaire d’Etat) disait la guerre ingagnable pour les Américains ; il prédisait la lassitude du peuple américain, l’enlisement des troupes américaines dans un pays qu’ils ne pourraient que ravager. Personne n’approuva son point de vu. Le 30 juillet, Johnson annonça publiquement sa décision d’envoyer d’importantes forces militaires au Sud-Viêt Nam. Le 31 décembre 1965, on comptera 184 300 soldats américains sur le terrain.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Rolling_Thunder (opération Rolling Thunder)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nguy%E1%BB%85n_V%C4%83n_Thi%E1%BB%87u (président Thieu)

http://michiganintheworld.history.lsa.umich.edu/antivietnamwar/items/show/285 (les Teach-ins)

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