La guerre du Viêt Nam (partie III) : instabilité à Saigon, la guerre commence (1962-1964)

La guerre du Viêt Nam (partie III) : instabilité à Saigon, la guerre commence (1962-1964)

Rappel : Après les accords de Genève, la crise des sectes secoua Saigon en 1955. Le nouveau gouvernement Diêm vacilla mais triompha et se raffermit. Diêm déposa l’empereur et prit la présidence. Son régime devint autoritaire et favorisa les catholiques. Les Etats-Unis, d’abord sous la présidence d’Eisenhower puis sous celle de Kennedy, soutinrent ce régime sur lequel ils n’avaient plus d’influence, car étant déjà trop impliqués au Sud-Viêt Nam pour concrétiser toute menace de retrait. Un coup d’Etat fut attenté en 1960 par le colonel Thi contre le monopole politique de Diêm mais échoua. Kennedy, qui exerça la présidence des Etats-Unis dès janvier 1961, continua de soutenir Diêm et déploya toujours plus de moyens au Viêt Nam. Le régime diémiste s’appliqua alors à former des hameaux stratégiques dans les zones rurales du Sud-Viêt Nam. Ces hameaux avaient pour but de rassembler les paysans pour les protéger et les empêcher de rejoindre les insurgés. Déracinant des bouddhistes de la terre de leurs ancêtres, cette décision eut l’effet inverse de celui escompté. Les insurgés au Sud structurèrent leurs actions, créant le FNL et le FAPL (Viêt-Cong). Au Nord, Hanoi, suivant la ligne plus dure de Le Duan, au détriment du pacifisme d’Hô Chi Minh, se décida à soutenir le FNL.

Diêm favorisait toujours les catholiques au Sud-Viêt Nam. Cependant, on s’en souvient, un coup à son encontre fut entrepris en 1960, le poussant à la méfiance : il destitua de nombreux officiers compétents (dont Duong Van Minh, dit le « grand » Minh) et s’attira définitivement les foudres de l’armée (ARVN). La corruption s’installa et gangréna l’efficacité du régime diémiste. En 1962, la crise des missiles, entourant la question cubaine, mena la tension entre les deux Grands à son paroxysme dans la guerre froide. Kennedy et Khrouchtchev n’étaient pas loin de déclencher une guerre nucléaire. Le pire fut évité, un accord fut trouvé. Kennedy regagnait du crédit. Pour autant, le désamorçage de cette crise signifiait qu’aucun grand engagement n’opposerait les deux Grands. Par extension, les guerres limitées ou de proxy (indirectes) gagnaient en importance.

Bataille d’Ấp Bắc, le 2 janvier 1963

Quelques jours après Noël 1962 et jusqu’à début janvier 1963, l’ARVN affronta les FAPL (Viêt-Cong) durant la bataille d’Ap Bac. L’armée sud-vietnamienne avait pour mission de détruire une station radio utilisée par les Viêt-Cong. Pour ce faire, l’ARVN alignait 1 200 hommes et disposait d’une large supériorité numérique et matérielle avec des véhicules et des hélicoptères blindés fournis par les Etats-Unis. Les estimations faisaient état de 120 Viêt-Cong. La réalité était tout autre : ils étaient au nombre de 340. Les espions communistes avaient communiqué l’imminence de l’offensive. Les moyens très supérieurs de l’ARVN ne les empêchèrent pas d’être sévèrement vaincus par les FAPL (Viêt-Cong) ! Un exemple pour la propagande des insurgés. Le 2 janvier 1963, 5 des 15 hélicoptères déployés furent abattus et s’écrasèrent à découvert. L’ARVN refusa à plusieurs reprises d’agir pour secourir les blessés, quand bien même ils disposaient de plusieurs APC (véhicules blindés de transport de troupes) américains. In fine, les FAPL (Viêt-Cong) n’avaient pas tenu le terrain. Concrètement, c’était donc une défaite pour les insurgés. Pour la propagande des Viêt-Cong et du Nord-Viêt Nam, cette défaite était une grande victoire, une preuve de résistance face aux Américains. Le Duan, à Hanoi, voyait Ap Bac comme une démonstration de la faiblesse de Saigon.

Célèbre cliché d’un moine qui s’immole le 11 juin 1963 à Saigon pour protester contre le régime diémiste

Après s’être aliéné la population rurale avec les hameaux stratégiques, Diêm décida de se mettre également la population urbaine à dos. Il jugea opportun d’empêcher les Bouddhistes de fêter le 2 507e anniversaire de Bouddha le 8 mai 1963*, déclenchant des violences dans Saigon. Les hostilités furent par ailleurs déclenchées par des moines qui s’immolèrent publiquement en protestation. La photo de l’un d’entre eux fit le tour du monde et provoqua l’émoi ; particulièrement aux Etats-Unis où le combat pour les droits civiques battait son plein. Cette photo fut la première découverte par la majorité des Américains concernant les événements au Viêt Nam. La répression fut violente et plusieurs Bouddhistes trouvèrent même la mort.

*2 507e anniversaire d’après John Prados, soit une naissance en 544 av J.C ; d’après l’UNESCO, Bouddha serait né en 623 av J.C, ce serait donc son 2586e anniversaire en 1963.

Le régime diémiste accusa les FAPL de la tragédie mais le mensonge ne passa pas. Les manifestations et les répressions devinrent quotidiennes au Sud-Viêt Nam. Diêm n’accepta aucune des mesures exigées par les sages de la communauté bouddhiste. Il préféra imposer la loi martiale le 21 août 1963, couper le téléphone avec les Etats-Unis et fermer les écoles et universités. Nhu (son frère) s’attaqua, lui, aux pagodes de Saigon et Huê (ancienne capitale impériale, non loin de la frontière des deux Viêt Nam). De véritables batailles rangées s’y déroulèrent et le régime diémiste rejeta cette fois-ci la faute sur l’ARVN : grave erreur. Les officiers vietnamiens demandèrent immédiatement à Washington quelle serait sa réponse en cas de putsch contre Diêm. La situation était explosive.

Washington, pris de court, profita de l’absence des soutiens de Diêm pour se prononcer favorable à un coup d’Etat contre le président sud-vietnamien. Seulement Kennedy estimait, à juste titre, que sans Diêm, le pouvoir serait partagé par de médiocres généraux, incapables de stabiliser le pays. Les Etats-Unis émirent un contrordre. Les officiers vietnamiens avaient déjà cédé à l’hésitation et rien ne changea à Saigon. Washington n’en fit pas moins pression sur le pouvoir diémiste. Du moins les Etats-Unis essayèrent-ils : ils exigèrent le départ de la famille Nhu du gouvernement. Ngo Dinh Nhu accusa en retour la CIA d’avoir orchestré le soulèvement bouddhiste ! Washington menaça d’un retrait du Viêt Nam : chose particulièrement complexe désormais car en mi-1963, 15 400 soldats américains étaient déjà sur place. Qu’il soit question d’un retrait ou non, celui-ci ne pourrait de toute façon pas être définitif. Kennedy hésita.

La situation au Laos devint simultanément franchement préoccupante. Kennedy eut la clairvoyance de ne pas s’y engager. Le président mena une dure négociation pour de nouveaux accords de Genève concernant uniquement le Laos et autorisa ensuite des actions de la CIA. Celle-ci devait agir de concert avec les anticommunistes laotiens contre leurs concitoyens communistes ainsi que contre les Nord-Vietnamiens, tout aussi communistes.

Dương Văn Minh (1916-2001), général et président vietnamien

Revenons au Sud-Viêt Nam. Kennedy laissa finalement orchestrer, sans y prendre part autrement qu’avec un financement à hauteur de 40 000 dollars, un nouveau putsch de l’armée mené par le « grand » Minh contre le gouvernement Diêm. Le 1er novembre 1963, Duong Van Minh fit fuir Diêm et Nhu de Saigon. Traqués, ils se rendirent et furent assassinés le 2 novembre. John Fitzgerald Kennedy les rejoignit dans la tombe, assassiné, lui aussi, le 22 novembre 1963 à Dallas. Le vice-président, Lyndon Baines Johnson, qui aurait voulu empêcher le putsch contre Diêm, promit de continuer la politique de son prédécesseur. Il accepta de ce fait la directive NSAM-273 poussant les Etats-Unis, de manière unilatérale, à exercer une pression sur le Nord-Viêt Nam. La raison sous-jacente était d’empêcher le nord d’aider les séditieux du sud. A la mort de Diêm, environ 40% des terres rurales et 50% de la population totale étaient entre les mains des VC (Viêt-Cong). A la mort de Kennedy, 16 300 soldats américains foulaient le sol du Sud-Viêt Nam.

John F. Kennedy, 35e président des Etats-Unis, quelques minutes avant d’être assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas
Nguyễn Khánh (1927-2013), commandant en chef de l’ARVN, successivement ministre et président de la République du Viêt Nam (1964)

Début 1964, les défaites de l’ARVN s’enchaînèrent contre les FAPL. L’ARVN était stoppée dans sa progression, voire vaincue. Le « grand » Minh fut critiqué pour cela à Saigon et un coup d’Etat du général Nguyen Khanh le renversa. Celui-ci fut à son tour renversé puis renversa à nouveau celui qui l’avait chassé du pouvoir. En tout, sept coups rythmèrent 1964, impliquant souvent le général Khanh. Le septième eut raison de lui. Ces régimes successifs étaient, de fait, trop proches des Etats-Unis et étaient donc vus comme les marionnettes des Américains. Du reste, Washington souhaitait la stabilité. Pourtant, l’état-major interarmes proposa des mesures fortes contre le Nord-Viêt Nam : bombardements, minage des ports et établissement de blocus. C’était clairement agir contre la paix et la stabilité. Ces décisions furent accompagnées par une opération secrète début 1964 : « Operation Plan 34-A » (OPLAN) visait à mener des incursions derrière la frontière du Laos. La CIA et l’armée menèrent l’opération sans le réel concours de Khanh. Ce dernier, dans Saigon, cherchait alors un thème unificateur. Il crut le trouver en ces mots : « marcher vers le Nord ». On a vu plus haut que Khanh ne résista pas à l’épreuve du temps.

Au nord du 17e parallèle, des divergences animaient Hanoi, chose que Saigon et Washington ignoraient. Deux factions s’étaient formées. Toutes deux souhaitaient la réunification du Viêt Nam. La divergence se formait au niveau des moyens à employer pour arriver à cette fin. Les uns, suivant Hô Chi Minh, souhaitaient procéder à la réunification sans violence. Les autres, suivant Le Duan, voulaient atteindre cet objectif avec les armes. De fait, ces deux factions suivaient les directives contradictoires des « deux grands frères » : l’URSS désirait apaiser les tensions de la guerre froide alors que la Chine souhaitait la révolution mondiale et violente. Hô Chi Minh écoutait Moscou, Le Duan Pékin. On procéda à un vote. Le Duan fut désigné vainqueur.

Le 1er juin 1964, William Westmoreland, surnommé « Westy » ou « Superman », devint le commandant du US Military Assistance Command, Vietnam (MACV). En d’autres termes, Westmoreland était le commandant américain au Viêt Nam. Son rôle était pour le moment de préparer l’ARVN. Dans cette optique, Da Lat, une ville située au sud du Sud-Viêt Nam, devint le pendant de West Point aux Etats-Unis : une école militaire. Da Lat se mua de fait en école militaire dès 1950, sur ordre du maréchal français (à titre posthume) Jean de Lattre de Tassigny.

Les Etats-Unis, à l’aube de leur intervention totale, menacèrent la République Démocratique du Viêt Nam (Nord) d’une action d’envergure à son encontre si elle n’arrêtait pas de soutenir les insurgés du FNL. Le Premier ministre du Nord-Viêt Nam ne céda pas et avertit qu’Hanoi l’emporterait et qu’une telle action entraînerait la résistance du peuple. Johnson autorisait déjà timidement des bombardements côtiers ainsi que sur le Laos. Tout ceci, tout comme l’augmentation des effectifs, était fait en secret. Johnson voulait, de fait, éviter de pousser la Chine à entrer en guerre comme elle l’avait fait en 1950 lors de la guerre de Corée. Et puis, Johnson renâclait surtout à montrer son bellicisme car c’était, pour lui, l’année des élections présidentielles. Pour autant, les Etats-Unis cherchaient une escalade. Washington souhaitait être agressé pour légitimer les hostilités. Il fallait aux Américains un prétexte. Ils le trouvèrent dans les incidents du golfe du Tonkin.

L’incident du Tonkin, expliqué par Robert McNamara (secrétaire à la Défense)

Le 2 août 1964, l’USS Maddox était en mission ultra secrète (lesdites patrouilles Desoto : destinées à l’enregistrement des communications nord-vietnamiennes) croisant dans le golfe du Tonkin. Des éléments des forces spéciales sud-vietnamiennes entraînés par les Américains y croisaient également dans l’exercice de l’opération secrète 34-A (OPLAN 34-A). L’USS Maddox n’avait pas connaissance de l’OPLAN 34-A opérant dans le golfe du Tonkin. Or, ceux-ci, dans le cadre des raids 34-A, bombardèrent deux îles proches des côtes nord-vietnamiennes. L’USS Maddox s’approchant lui aussi des côtes, fut pris en chasse par des vedettes lance-torpilles nord-vietnamiennes suite à ces bombardements. Les vedettes nord-vietnamiennes attaquèrent l’USS Maddox alors que celui-ci s’était repositionné en eaux internationales. Cette bataille dura 30 min dans son ensemble. La suite n’est que pure invention : l’USS Maddox aurait continué à combattre pendant 2 heures et la bataille aurait repris dans la nuit du 3 au 4 août. Rejoint par l’USS Turner Joy, ils auraient alors tiré 372 projectiles sur des navires nord-vietnamiens. Cet affrontement n’eut jamais lieu : la NSA avoua enfin en 2006 que rien ne s’était passé. L’incident du golfe du Tonkin justifia une réponse américaine du président Johnson, poussé en ce sens par son belliqueux secrétaire à la Défense McNamara, un habitué de la question vietnamienne. Pourtant Johnson connaissait la vérité et doutait bien avant cet incident de la clairvoyance des États-Unis sur la question vietnamienne. La dernière interrogation entourant l’incident du golfe du Tonkin est donc : qu’est-ce qui poussa Johnson à agir de la sorte ?

Lyndon Baines Johnson (1908-1973), 36e président des Etats-Unis (1963-1969)

On peut l’expliquer en partie par le fait que les élections présidentielles de 1964 approchaient : il est toujours bon de rassembler le peuple autour d’une guerre à ces instants. Les sondages donnèrent 85% des Américains approuvant les représailles du président et 72% d’avis favorables vis-à-vis de la gestion présidentielle mesurée du conflit vietnamien, contre 42% soutenant son action auparavant. On peut également évoquer le fait que Lyndon Johnson était un soutien de Diêm et l’avait vu tomber malgré tout ; le poussant à abandonner les actions secrètes pour un engagement régulier et majeur. L’approbation du Congrès américain fut donnée presque à l’unanimité et surtout extrêmement rapidement, accordant sa bénédiction dès le 6 août ! Un accord aussi rapide s’explique certainement par la volonté de permettre au président d’agir vite et fort pour éviter un élargissement international du conflit, laissant les autres puissances en dehors du conflit. Tout ceci était basé sur des mensonges tels que ceux de McNamara qui assura que la flotte américaine menait une patrouille de routine et n’avait joué aucun rôle dans cette agression (inventée rappelons-le) du 4 août. Présenté ainsi, la voie des représailles paraissait légitime. La résolution fut ainsi acceptée, conférant au président une complète légitimité politique et l’autorité juridique nécessaire.

Malgré tout, Johnson restait hésitant et mal-assuré : cette guerre en Asie du Sud-Est était-elle gagnable ? De timides protestations se soulevaient déjà dans le pays surtout vis-à-vis de deux événements. Le premier survint le 4 août, le même jour que la crise du Tonkin ; des séparatistes blancs avaient incendié une église du Mississippi et trois hommes furent retrouvés morts par le FBI. Le 6 août, alors que le Congrès donnait son aval pour l’intervention, un millier d’Américains manifestaient sur la Washington Square à New York pour l’anniversaire du largage de la première bombe nucléaire sur Hiroshima en 1945. Des slogans faisaient le lien : « les troupes des Etats-Unis sont attendues dans le Mississippi, pas au Viêt Nam. » C’est également fin 1964 que les premiers soldats nord-vietnamiens entrèrent sur le territoire sud-vietnamien.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27%E1%BA%A4p_B%E1%BA%AFc (bataille d’Ap Bac)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%ADch_Qu%E1%BA%A3ng_%C4%90%E1%BB%A9c (moine qui s’immole)

https://vi.wikipedia.org/wiki/D%C6%B0%C6%A1ng_V%C4%83n_Minh (Duong Van Minh, la page est en Vietnamien, voici celle en français : https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C6%B0%C6%A1ng_V%C4%83n_Minh)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Assassinat_de_John_F._Kennedy (assassinat de JFK)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nguy%C3%AAn_Khanh (Nguyen Khanh)

http://www.histoire-en-questions.fr/reportage/mensonges/mensonges-tonkin.html (McNamara expliquant l’incident du Tonkin)https://fr.wikipedia.org/wiki/Lyndon_B._Johnson (Lyndon B. Johnson)

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