La guerre de Sécession (partie IX) : Bull Run / Manassas et Wilson’s Creek (été 1861)

La guerre de Sécession (partie IX) : Bull Run / Manassas et Wilson’s Creek (été 1861)

Rappel : d’un côté comme de l’autre, l’esclavage ne fut pas brandi comme un objectif de guerre dès le début du conflit, que ce soit pour l’abolir ou le préserver. Les soldats sudistes – rarement possesseurs d’esclaves – combattaient surtout parce que les nordistes les attaquaient. Aucun des camps n’était prêt pour la guerre. Des deux côtés, on manquait d’officiers expérimentés, d’un programme de mobilisation, d’une stratégie, de cartes topographiques, d’état-major et on ne disposait que d’un matériel dépassé. Le Nord possédait cependant la quasi-totalité de la manufacture d’équipement militaire du pays. Le Sud devait faire sans. Heureusement pour la Confédération, le brillant Gorgas se chargea de bâtir l’industrie sudiste en partant de rien et d’approvisionner les armées en matériel. L’intendance (nourriture et vêtements pour la troupe), pour sa part, resta mal gérée dans le Sud : la nourriture manquait au front car elle pourrissait dans des entrepôts à mi-chemin. Le directeur nordiste de l’intendance, Meigs, réalisa pour sa part un travail impeccable toute la guerre durant. Pour l’Union, c’est le ministre de la Guerre, Cameron, qui se révéla aussi corrompu qu’incompétent. Il fut remplacé par Stanton, incorruptible et travailleur, dès janvier 1862. Les Confédérés disposaient cependant de bien plus d’écoles militaires et d’une milice immédiatement disponible. Qui plus est, la Confédération dilua intelligemment ses militaires dans les nouvelles unités pour mieux les encadrer, contrairement à l’Union. Pour autant, les sudistes sous-estimèrent gravement les nordistes, qui avaient également pour eux un bien plus vaste vivier dans lequel piocher. Au début du conflit, des incompétents furent fait officiers car politiquement importants ou riches donc à-mêmes d’acheter l’équipement de leur compagnie. Cet état de fait changea pour laissa sa place à la méritocratie dès 1863. Les armées étaient largement composées d’infanterie, des deux côtés. Concernant la marine, le Nord possédait presque tous les chantiers navals. Cependant, les ministres se révélèrent très compétents des deux côtés. La Confédération eut à créer sa flotte presque ex nihilo. Elle acheta des navires européens et s’inspira des Français et Britanniques pour bâtir des cuirassés. Le Sud, se sachant dépassé dans le domaine maritime, misa sur les mines et la guerre de course. Quoi qu’il en soit, le peuple exigeait, des deux côtés, une guerre offensive, comme ça avait été le cas durant la guerre du Mexique.

Poussé par le peuple, Lincoln désigna sa cible : Manassas, nœud ferroviaire proche de Richmond et protégé par une armée confédérée de 20 000 hommes. Le général Irvin McDowell disposait pour cela de 35 000 hommes. Son plan était d’attaquer de flanc les 20 000 Confédérés du général Pierre G. T. Beauregard. Mais ce plan ne pouvait fonctionner que si une autre force de l’Union (15 000 hommes) tenant Harper’s Ferry empêchait 11 000 autres Confédérés de renforcer Beauregard à Manassas. Le plan de McDowell était excellent pour des troupes aguerries, ce que ses hommes n’étaient pas. Il demanda plus de temps pour les former. Lincoln lui rappela que ceux qui lui faisaient face étaient également inexpérimentés.

Irvin McDowell (1818-1885), général de l’Union.

En face Jefferson Davis souhaitait, lui, imposer une stratégie analogue à celle de George Washington durant la guerre d’indépendance : face à un ennemi supérieur, Washington avait joué la montre, battant en retraite quand il n’était pas sûr de l’emporter puis engageant les avant-postes britanniques isolés et refusant tout spécialement toute grande bataille qui aurait pu annihiler son armée. Cette guerre d’usure coûtait trop cher à l’envahisseur qui décidait, in fine, d’abandonner. Lincoln devait gagner, Davis devait éviter de perdre. Mais plusieurs facteurs empêchèrent Davis de mener une véritable guerre d’usure : les Confédérés se croyaient supérieurs aux yankees et la Confédération n’était jamais qu’un agrégat d’états. Contrairement à une Russie qui pouvait se permettre une stratégie de terre brûlée, les États Confédérés refusaient de perdre le moindre pouce de terrain et craignaient des révoltes esclavagistes si les abolitionnistes avançaient. Pire que d’empêcher Davis de mener une guerre d’usure, cette mentalité l’obligea à disperser des troupes sur la totalité de la frontière, tel un cordon défensif sur la frontière terrestre avec l’Union mais également sur la côte Atlantique et sur la côte du Golfe du Mexique ! Une telle dispersion des forces empêchait le regroupement de grandes armées en plus d’être inefficace : à vouloir tout défendre, la défense n’avait aucune profondeur et était facile à percer en n’importe quel endroit.

Situation stratégique avant la première bataille de Bull Run (Manassas).

McDowell prit plus de temps que prévu pour se porter contre Beauregard du fait de l’inexpérience de ses hommes. Il dut faire lui-même les reconnaissances et trouva les Confédérés sur un terrain accidenté l’obligeant à changer son plan. De plus, ses soldats avaient été mobilisés pour 90 jours, durée qui arrivait à expiration. Certains rentrèrent chez eux, les autres se montèrent moins enthousiastes. Pendant ce temps, la force fédérale qui devait retenir les 11 000 renforts potentiels du commandant confédéré Joseph Johnston ne parvinrent pas à les bloquer. Johnston arriva juste à temps pour aider Beauregard. Finalement, la bataille s’annonçait équilibrée : 30 000 hommes de chaque côté. McDowell attaqua de flanc tôt le matin du 21 juillet 1861, débutant la bataille de Bull Run (nom donné par l’Union) qu’on connait également sous le nom de bataille de Manassas (nom donné par la Confédération).

Vision tactique du début de la première bataille de Bull Run (Manassas) le 21 juillet 1861.

McDowell attaquait là où on ne l’attendait pas ; il bouscula ses adversaires. Mais 4 500 Confédérés se portèrent en avant pour ralentir largement 10 000 Fédéraux, permettant au reste de l’armée confédérée d’être déployée. La brigade confédérée dirigée par Thomas J. Jackson, future légende vivante, ancien professeur de l’Institut militaire de Virginie, imposant une discipline de fer et ne supportant pas la faiblesse, tint la ligne tel un mur de pierre. Il écopa du surnom « stonewall » en conséquence. Presbytérien, il estimait que les victoires confédérées étaient l’œuvre de Dieu et que les yankees étaient des suppôts de Satan.

Thomas J. Jackson, dit Stonewall (1824-1863), général confédéré.

À Manassas, le combat fut égal mais la confusion sur les uniformes (qui n’étaient pas encore uniformisés et, pour certains, se ressemblaient beaucoup entre ennemis) causa la perte d’une batterie de l’Union. Simultanément, des renforts confédérés (une brigade) arrivèrent. Ces troupes fraiches, alors que les Fédéraux s’épuisaient depuis 14h sous une chaleur accablante, firent la différence. McDowell n’arrivait pas à faire intervenir ses troupes de réserve alors que les Confédérés avaient déjà tout lancé dans la fournaise. Beauregard lança une contre-attaque générale, poussant les Fédéraux à la fuite. Sherman assura les arrières de l’armée de l’Union. Les Confédérés, épuisés, ne poursuivirent pas l’armée fédérale. La bataille de Manassas (les Fédéraux acceptèrent finalement ce nom également) fit 400 morts et 1 600 blessés confédérés pour 625 morts, 950 blessés et 1 200 prisonniers chez les Fédéraux. Ce bilan ne présageait pas encore les hécatombes qui allaient marquer la guerre. McDowell avait failli triompher et les Sudistes avaient joué la défensive presque tout le long, ce qui est bien plus simple mais ne les empêcha pas d’exulter. Pourtant, les Sudistes étaient amers que l’armée confédérée n’ai pas poursuivi les Fédéraux en déroute jusqu’à Washington. C’était oublier la fatigue de l’armée et le mauvais état des routes.

Pierre Gustave T. Beauregard (1818-1893), général confédéré.

L’opinion nordiste, d’abord dévastée, rebondit assez rapidement. Les états envoyèrent toujours plus de régiments et le général McClellan fut placé à la tête de cette armée de volontaire nommée « armée du Potomac » (fleuve séparant le Nord et le Sud des États-Unis). Formateur, administrateur et organisateur de talent, McClellan fit de l’armée inexpérimentée du Potomac une machine de guerre. En revanche, il n’était pas l’homme adéquat pour la mener au combat, comme la prochaine année allait le démontrer. Abusivement prudent, voire craintif, il refusera le plus souvent d’agir, même avec une large supériorité numérique. La bataille de Manassas eu des effets psychologiques importants. Elle conféra un excès de confiance au Sud (qui permit de contrebalancer le matériel limité) et un excès de prudence ainsi qu’un complexe d’infériorité au Nord.

Juste après la défaite de Manassas, Lincoln chargea le général John C. Frémont de prendre la suite des opérations au Missouri. Ce général politique n’avait pas la carrure pour affronter le chaos missourien : la population divisée, la guérilla, les intrigues politiques et les menaces d’invasion depuis l’Arkansas et le Tennessee confédérés. Frémont avait pourtant Lyon sous son commandement. Ce dernier avait poursuivi la milice de Sterling Price jusqu’au sud-ouest du Missouri. L’armée de Lyon comptait 5 500 hommes, la majorité desquels arrivaient au bout de leur engagement de 90 jours. Face à lui se trouvaient deux forces confédérées de 8 000 Missouriens et 5 000 autres confédérés respectivement. Frémont ne pouvait envoyer de renforts : toutes les troupes étaient occupées à maintenir l’ordre et combattre la guérilla, notamment dans le sud-est.

John C. Frémont (1813-1890), homme d’Etat, candidat à la présidence en 1856 et commandant du Département de l’Ouest (Missouri).

Lyon, au mépris du bon sens militaire, non seulement ne retraita pas, mais décida d’attaquer en scindant son armée pourtant déjà plus de deux fois inférieure en nombre. Par un mouvement en tenaille, Lyon déclencha la bataille de Wilson’s Creek le 10 août 1861. Son offensive était en passe de réussir lorsqu’une confusion due aux uniformes priva Lyon de la petite partie de son armée qui avait contourné les Confédérés. Luttant désormais à un contre trois, Lyon tint la ligne jusqu’à ce qu’une balle le fauche. La mort de Lyon anéantit le moral de ses hommes qui se retirèrent néanmoins en bon ordre. La victoire avait échappé aux Fédéraux, mais de peu. Les pertes étaient équilibrées : environ 1 300 de chaque côté.

Représentation de la bataille de Wilson’s Creek (10 août 1861), on peut voir Lyon mourir sur sa monture au centre.

Price exploita son avantage et remonta jusqu’à Lexington, qu’il assiégea avec une armée de désormais 18 000 hommes. La garnison de 3 500 Fédéraux capitula le 20 août. Le 30, Frémont proclama qu’il s’arrogeait les pouvoir administratifs, instaurait la loi martiale, que tous les francs-tireurs seraient exécutés, qu’il émancipait les esclaves du Missouri et confisquait les biens. Lincoln s’opposa à son général : les Confédérés allaient exécuter des prisonniers de l’Union si Frémont exécutait les francs-tireurs ; et puis, Lincoln était encore en train de convaincre le Kentucky de rester dans l’Union (seulement décidé par l’invasion du confédéré Polk en septembre), ces mesures étaient mal venues. Le général refusa de changer sa proclamation et fut destitué alors que Price, qui voyait son armée se désagréger avec le temps, repartait pour le sud-ouest.

Sterling Price (1809-1867), major-général confédéré.

Le refus de l’édit de Frémont par Lincoln déchaîna les antiesclavagistes. Les sudistes étant rebelles et ayant commis un acte anticonstitutionnel (la sécession) il était légitime, disaient les républicains, de les punir en confisquant leurs biens, notamment serviles. Ces derniers servaient qui plus est à l’effort de guerre confédéré. Et puis, Lincoln ayant reconnu l’état de guerre qui existait avec les États Confédérés (par le blocus maritime par exemple) ; il était légitime de qualifier n’importe quel esclave ayant travaillé au Sud et passant la frontière de « contrebande de guerre » qui devait être confisquée. Les esclaves ayant passé la frontière étaient-ils donc libres ? Les femmes et les enfants de ces esclaves, qui n’avaient, eux, pas forcément travaillé dans les États Confédérés, pouvaient-ils être qualifiés de contrebande ? L’Union resta floue sur ces points.

C’était pourtant ne pas aller assez loin pour les abolitionnistes et aller déjà trop loin pour les démocrates et les conservateurs de l’Union. En octobre 1861, les abolitionnistes étaient favorables à une intégration de ces esclaves – pas tout à fait affranchis – dans l’armée de l’Union. En décembre, Cameron, ministre de la Guerre, approuva en justifiant qu’on pouvait bien utiliser les esclaves confédérés confisqués comme on utilisait un stock de poudre ravi à l’ennemi. Lincoln, qui n’avait pas approuvé cette déclaration, ordonna à son ministre de modifier son rapport. Mais celui-ci avait déjà été communiqué à la presse. Lincoln limogea Cameron peu de temps après, surtout pour incompétence. Le 4 décembre 1861, les Républicains refusèrent de réaffirmer la résolution de Crittenden, ce qui revenait à reconnaître l’antiesclavagisme comme un objectif de guerre de l’Union.

McClellan, à la carrière parfaite, général de l’armée principale (du Potomac) au début de la guerre, fut adulé à Washington, élevé en héros et homme providentiel. Il poussa à la destitution Scott le 1er novembre 1861. Celui-ci était son seul supérieur et McClellan accusait ce « vieux général » de l’empêcher d’agrandir l’armée et d’agir. Devenu commandant des armées de l’Union en plus de demeurer général de l’armée du Potomac, McClellan ne bougea pourtant pas plus. Il développa une prudence excessive. A la tête de 120 000 hommes à Washington, il aurait pu attaquer le général Beauregard, qui alignait 45 000 confédérés, en Virginie. Mais il ne le fit pas et prit des rumeurs pour la réalité, estimant que Beauregard et Johnston avaient sous leurs ordres 150 000 hommes. En novembre, alors que la supériorité de McClellan était de 3 pour 1, il refusait toujours d’agir, disant l’armée pas encore prête et l’ennemi trop nombreux. Le général se plaignait de tout le monde et en particulier des politiciens qu’il méprisait, Lincoln inclus. Il se prétendait non responsable de l’inactivité de l’armée qui allait désormais, semblait-il, durer tout l’hiver.

Jefferson Davis promut 5 généraux au rang de général d’armée dans un ordre précis : Cooper, Robert E. Lee, Albert Sidney Johnston, Joseph Johnston et Simon Beauregard. Ce « classement » motiva des querelles d’amour-propre, surtout de la part de Joseph Johnston. Des deux côtés, les généraux posaient problème.

Source (texte) :

McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Irvin_McDowell (McDowell)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%C3%A8re_bataille_de_Bull_Run (bataille de Bull Run / Manassas)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Jonathan_Jackson (“Stonewall” Jackson)

https://en.wikipedia.org/wiki/P._G._T._Beauregard (Beauregard)

https://en.wikipedia.org/wiki/John_C._Fr%C3%A9mont (Frémont)

https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_Wilson%27s_Creek (bataille de Wilson’s Creek)

https://en.wikipedia.org/wiki/Sterling_Price (Price)

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