La guerre de Sécession (partie IV) : le contexte politique, du Bleeding Kansas à la Dred Scott decision (1855-1857)
Rappel : La lubie d’une annexion de Cuba et de la création d’un empire esclavagiste fit son retour dans les années 1850 aux Etats-Unis. Deux débarquements de flibustiers furent même tentés (1850 et 1851), en vain. Président Pierce, démocrate élu en 1853, prépara une autre expédition pendant que la guerre de Crimée occupait les Européens (1853-1856). Pourtant, l’expédition ne vit jamais le jour. C’est que Pierce utilisa tout son capital politique pour le Sud avec la loi Kansas-Nebraska (1854). Celle-ci donnait une chance à l’esclavage de s’établir au nord de la ligne du Compromis du Missouri de 1820 (36°34’ de latitude) par référendum. Le parti whig ne résista pas à cette loi et se sépara entre Nord et Sud, marquant l’avènement du parti républicain en 1854. En parallèle, le mouvement Know-Nothing, nativiste et centré sur le protestantisme, émergea dans le Nord. Ce mouvement fut déclenché par l’explosion de l’immigration catholique européenne après le Printemps des Peuples (1848-1849) et la famine irlandaise (1852-1858). Les Know Nothings se lancèrent en politique et créèrent le parti américain. Le mouvement gagna le Sud. Mais rapidement, le parti se déchira entre le Nord et le Sud sur la sempiternelle question de l’esclavage. Une bonne partie de cette nouvelle force politique fut, au Nord, récupérée par les républicains. Ceux-ci mirent l’accent sur l’antiesclavagisme et absorbèrent des Know-Nothings sans trop accepter leur nativisme. Maintenir l’alliance avec les Free Soilers et les Know Nothings en même temps fut un véritable défi pour les républicains. Mais un évènement les y aida. Conséquence directe de la loi Kansas-Nebraska, un référendum fut organisé au Kansas pour établir si cet état serait libre ou esclavagiste. Seulement voilà, les sudistes esclavagistes et les nordistes antiesclavagistes (surtout Free Soilers) intervinrent illégalement et massivement dans le processus pour défendre leurs idées. Dès 1855, les référendums truqués cédèrent la place aux escarmouches. La « Guerre civile du Kansas » avait débuté et le sang coulait déjà dans le « Bleeding Kansas ».
Pendant ce temps, un certain William Walker, ayant poursuivi avec brio de longues études de médecine, puis de droit, puis de journalisme, se trouva un intérêt plus pérenne et devint un aventurier. En 1853, avec 45 hommes, Walker s’enfonça dans la Basse-Californie (Mexique) et en captura la capitale. L’objectif était de coloniser le territoire, civiliser la région, vaincre les Apaches et surtout exploiter les gisements d’or. Il se proclama immédiatement président de cette nouvelle république et essaya de prendre une autre province mexicaine, plus riche : Sonora. Son succès initial attira des chercheurs d’or et d’autres aventuriers américains. Les fréquents changements de gouvernement au Mexique et les vacances occasionnelles du pouvoir permettaient des expéditions de flibustiers américains à la frontière. La situation y était devenue chaotique depuis la guerre du Mexique. Mais Walker fut repoussé. Il ne s’en tint pas pour autant à cet échec. Les Américains commençaient à s’intéresser à d’isthme centraméricain. Celui-ci était attirant à plus d’un titre. Il était propice aux cultures, à l’esclavage et, si un canal y était creusé, pouvait permettre une communiquer plus efficace entre la Californie et le reste des États-Unis. Investir au Nicaragua, pour autant, était inenvisageable. Les 15 présidents qui se succédèrent à la présidence du pays entre 1849 et 1855 suffisent à expliquer pourquoi. Le pays était en constante révolution.
Walker, partit avec 57 hommes soutenir des rebelles. Les relations américano-britanniques étaient alors tendues. Les Britanniques soutenant le camp adverse (légitimiste), les fonctionnaires américains ne retinrent pas Walker. Il était, par ailleurs, financé par le magnat new-yorkais des transports, Cornelius Vanderbilt. Walker débarqua en 1855 et prit l’ascendant la même année. Il se déclara commandant en chef des forces armées du Nicaragua. Le président Pierce reconnut le gouvernement en mai 1856. Des relations se mirent en place. Mais Walker provoqua la colère de Vanderbilt et celui-ci motiva les républiques d’Amérique centrale à s’allier contre Walker, ce qu’elles firent l’été 1856 venu. Le président du Nicaragua rejoignit l’opposition. De suite, Walker se proclama président en juillet. Pierce rompit les relations diplomatiques. Alors que le nord des États-Unis condamnait l’aventurier, les sudistes l’élevaient en héros. Alors, Walker s’appuya sur les sudistes en prenant des mesures qui leur plairaient : il rétablit la légalité de l’esclavage au Nicaragua, abolie en 1824, en septembre 1856.
Des renforts affluèrent de San Francisco et de Nouvelle-Orléans. Mais pas en assez grand nombre. Le choléra décima les troupes de Walker. Puis, ce dernier fut définitivement vaincu sur le champ de bataille par la coalition centraméricaine. Le 1er mai 1857, il se rendit aux Américains et fut rapatrié. Un millier d’Américains avaient perdu la vie pour lui. Son retour fut célébré dans le Sud, si bien qu’il fit une deuxième tentative en novembre 1857. Cette fois, il fut rattrapé par la flotte américaine et ramené au continent. Acquitté par la justice, célébré, Walker déchaîna les foules dans le Sud pour une troisième tentative. Il partit en décembre 1858. Mais son navire heurta un récif. Il fit alors campagne pour une quatrième tentative mais peu le suivirent cette fois-ci. Avec 97 flibustiers, Walker parvint au Honduras et fut défait par les locaux. Il se rendit alors à un capitaine de la Royal Navy mais celui-ci le remit aux autorités du Honduras. William Walker fut fusillé le 12 septembre 1860. Pourtant, l’idée d’un empire esclavagiste dirigé par le Sud des États-Unis et englobant toutes les Caraïbes demeura.
Nous l’avons vu, le parti américain se scinda entre Nord et Sud. Une partie de ces nordistes du parti américain créèrent le parti nord-américain qui soutint son propre candidat. Le parti américain, pour sa part, choisit son candidat pour la présidentielle de 1856 avant les républicains. Ces derniers la jouèrent fine. Le candidat du parti américain était un cheval de Troie : il se désista immédiatement et le parti américain fut obligé de soutenir le candidat républicain. Ce dernier était John C. Frémont, un homme avec une histoire politique limitée donc non entachée et très utilisable avec une bonne réputation. Le vice-président ne serait pas non plus un Know-Nothing. Pire pour le parti américain, le père de Fremont était catholique. Les nativistes manquèrent de déserter mais acceptèrent finalement. Le programme républicain traitait presque exclusivement de l’abolition de l’esclavage et tâchait de rester le plus ambigüe possible sur le nativisme.
Le parti nord-américain, qui s’était détaché du parti américain, soutenait Millard Fillmore. Les démocrates, eux, choisirent James Buchanan, un homme à la longue carrière politique et d’homme d’état. Le programme des démocrates parlait très peu de l’esclavage et s’orientait bien plus sur la mauvaise influence des banques, les menaces de désunions que provoquerait le programme des « républicains noirs » (expression sudiste pour désigner les républicains et sous-entendre leur extrémisme) et ce que la liberté de millions d’esclaves provoquerait : la guerre civile et la concurrence avec les Blancs. Bientôt ce fut Frémont contre Buchanan et les démocrates avertirent partout qu’une élection favorable à Frémont déclencherait une guerre civile. Finalement, Buchanan fut élu de peu. Le spectre de l’égalité entre les Blancs et les Noirs fut le facteur de la défaite des républicains. 83% des inscrits votèrent dans le Nord, chose inédite. L’engouement autour de ces élections était comme une révolution.
Pendant ce temps, John W. Geary devint gouverneur du Kansas en août. Cet homme, d’abord avocat, était devenu ingénieur civil puis officier (il mena l’offensive sur Chapultepec au Mexique). Il fut ensuite le premier maire de San Francisco et parvint à remettre de l’ordre dans cette ville en proie au chaos. Si un homme pouvait ramener le calme au Kansas, c’était lui. Là où son prédécesseur avait démissionné, Geary, 36 ans, montra à Pierce qu’il avait fait le bon choix : le Kansas cessa de saigner dès octobre 1856. Geary avait utilisé sans lésiner les 1 300 troupes fédérales présentes avec audace et intelligence, faisant cesser la guérilla.
Le succès fut de courte durée parce que la législature officielle était celle des esclavagistes quand bien même l’état était majoritairement antiesclavagiste. Les esclavagistes géraient le territoire et des lois très dures en faveur de l’esclavage eurent tôt fait de dégoûter le gouverneur Geary, pourtant démocrate. Il s’opposa à une convention en 1857 ; la législature contourna son véto. Geary recevait quotidiennement des menaces de mort. Il démissionna en mars 1857. Même Geary n’était pas venu à bout du Kansas. Il deviendra plus tard général de l’Union puis gouverneur républicain.
Son successeur, Robert J. Walker, essaya mais ne fit pas mieux. Il arriva trop tard pour empêcher les élections frauduleuses de juin 1857. Les Free Soilers boycottèrent le vote malgré l’insistance de Walker qui les encouragea à voter, donnant tous les sièges aux esclavagistes. Walker tenta un référendum pour la Constitution du Kansas. Il était soutenu par le président Buchanan. Les démocrates sudistes crièrent à la trahison et menacèrent de sécession. Buchanan céda. Pour autant, le Kansas devait à nouveau voter et cette fois Walker convainquit les Free Soilers de participer. Les esclavagistes sortirent vainqueurs par une tricherie éhontée. Donnons un exemple : deux circonscriptions de 130 électeurs dépouillèrent 2 900 bulletins de vote. En parallèle, la convention constitutionnelle terminait son document. La constitution de Lecompton, au Kansas, faite par 1/5 des inscrits, entérinait la possession d’esclaves comme droit de propriété inaliénable. Cette constitution ne pouvait être modifiée pendant sept ans. La manière dont la constitution de Lecompton fut adoptée était scandaleuse, même pour les démocrates du Nord et certains du Sud ! Douglas changea de camp et essaya de faire pression sur Buchanan, sans succès. Le parti démocrate se déchirait, ouvrant un boulevard à l’élection d’un républicain en 1860. Walker démissionna.
La constitution de Lecompton faisant scandale, les esclavagistes proposèrent deux solutions : une constitution avec esclavage et une sans. Cette proposition apparemment honnête ne l’était pas, pour deux raisons. D’abord, les esclavagistes étaient en charge de l’organisation du vote et on savait, vu les antécédents, qu’ils allaient tricher. Ensuite, la proposition « sans » esclavage ne l’était en fait qu’à moitié. Cette proposition interdisait de ramener des esclaves dans l’état mais assurait la propriété inviolable (et légale) de ceux qui y étaient déjà. Rien n’empêcherait alors les esclavagistes de ramener en douce des esclaves du Missouri. Et puis, c’était accepter l’esclavage. Les Free Soilers boycottèrent le référendum qui se solda par une victoire de la constitution avec esclavage le 21 décembre 1857 à 6 226 voix contre 569. De ces voix, une enquête révéla que 2 720 bulletins étaient truqués. Les Free Soilers organisèrent leur référendum, boycotté par les esclavagistes, le 4 janvier 1858, qui eut pour résultat 138 voix pour la Constitution avec esclavage, 24 voix pour la Constitution sans esclavage et 10 226 voix contre la Constitution. Douglas prit la tête de l’opposition au Congrès, soutenu par les démocrates du Nord et les républicains. Le bloc repoussa les esclavagistes à la Chambre après ratification au Sénat (à majorité esclavagiste), le 1er avril 1858. L’atmosphère était si tendue que la Chambre entière en vint aux mains un soir.
En parallèle, la guérilla reprit au Kansas. Les partisans d’un Kansas libre organisèrent un parti républicain et une nouvelle convention constitutionnelle fut écrite en 1859. En 1861, le Kansas devint un état libre et, du fait des traumatismes, largement républicain de l’Union. À l’heure de la sécession (1861), le Nord devançait les sudistes de quatre états après les admissions de la Californie, du Minnesota, de l’Oregon et du Kansas. Mais nous n’en sommes pas encore là.
C’est dans cette atmosphère explosive que se termina l’affaire Dred Scott en 1857. Celui-ci était un esclave. Son maitre décida d’aller habiter dans des états libres pendant plusieurs années et emmena Scott avec lui. Ce dernier se maria et eut une fille en territoire libre. A la mort de son maître, Scott devait revenir à la veuve. Mais l’esclave décida de saisir la justice pour s’émanciper : son maître était mort et il avait passé quatre années dans des états libres, n’avait-il pas droit à la liberté ? L’affaire transita de cour en cour, traina pendant des années jusqu’à arriver devant la Cour suprême des États-Unis en 1856-1857. La majorité des juges étaient des esclavagistes et la Cour devait statuer sur trois questions : Dred Scott était-il un citoyen américain ? (En fait, était-il justiciable ?) ; sa présence prolongée dans des états libres pouvait-elle l’émanciper ? ; et Fort Snelling (où Scott avait résidé) était-il réellement un territoire libre ? La dernière question revenait à demander si le Congrès avait eu le droit de faire de ces territoires des terres libres au nord du 36°30’ de latitude par le Compromis du Missouri de 1820.
Le juge Taney et six de ses collègues estimèrent que Scott ne pouvait être émancipé pour avoir passé quatre ans dans des états libres, qu’il n’était pas citoyen américain et que le Congrès n’avait en réalité pas le droit de statuer sur la légalité de l’esclavage dans les états. Les esclaves étaient des objets possédés par des Américains. Le Congrès pouvait agir sur les lois, non sur les statuts et les règlements. Les deux derniers juges, républicains, prirent l’exact contrepieds de cette décision. Les républicains arguèrent que le premier Congrès avait réaffirmé l’ordonnance du Nord-Ouest en 1787, interdisant l’esclavage dans les états du nord-ouest ; et que le Congrès avait, ultérieurement mais avant 1820 et le Compromis du Missouri, aboli l’esclavage dans certains territoires à quatre reprises. Or, ces décisions, tout comme celle d’interdire la traite négrière en 1807, avait été soutenues par ceux qui avait rédigé la Constitution ; voire par certains d’entre eux en tant que président des États-Unis.
L’arrêt Dred Scott (connu sous le nom de « Dred Scott decision » en anglais) était d’autant plus dangereux qu’il prétendait l’esclavage inscrit dans la Constitution des États-Unis. Or, si l’esclavage était inscrit dans la Constitution, alors aucune loi d’aucun état ne pouvait y contrevenir. C’était rendre l’abolition de l’esclavage dans les états nordistes anticonstitutionnelle. Dans ces états, un droit de transit ou de séjour existait, généralement. Il permettait aux maîtres de passer sur un territoire libre avec des esclaves mais de manière très temporaire. D’autres états avaient inscrit dans leur loi qu’un esclave devenait libre sur leurs terres. Ces principes étaient en péril. La loi Kansas-Nebraska de 1854 avait aboli le Compromis du Missouri (1820) ; l’arrêt Dred Scott rendait ce même compromis anticonstitutionnel.
Source (texte) :
McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.
Sources (images) :
William Walker (filibuster) – Wikipedia (William Walker)
William Walker (latinamericanstudies.org) (l’épopée de Walker, en carte)
James Buchanan – Wikipedia (président Buchanan)
John W. Geary – Wikipedia (gouverneur Geary)
Dred Scott – Wikipedia (esclave Dred Scrott)