La guerre civile espagnole et l’Espagne franquiste (partie V) : La bataille de Madrid et ses ramifications (novembre 1936 – mars 1937)

La guerre civile espagnole et l’Espagne franquiste (partie V) : La bataille de Madrid et ses ramifications (novembre 1936 – mars 1937)

Rappel : A la fin de l’été 1936, Franco avait le choix entre emporter Madrid encore mal défendue et sauver Tolède, que l’Espagne républicaine avait décidé de reprendre. Contre l’avis de tous, Franco opta pour Tolède, symbole mais surtout un fabuleux tremplin médiatique et politique pour lui permettre d’atteindre son objectif : devenir l’unique dirigeant de l’Espagne nationaliste. Avec la chute de Tolède le 27 septembre, Franco parvint à faire infléchir les autres généraux nationalistes de la Junte de Défense nationale (excepté Cabanellas) qui firent de lui le généralissime. Par ailleurs, la chute de Tolède amena les soldats marocains franquistes à massacrer les blessés républicains. Ceci n’était qu’un miroir des horreurs perpétrées par les deux camps dans cette guerre civile. Nationalistes comme républicains, anarchistes et communistes poursuivirent ceux jugés comme les ennemis de l’intérieur pour les exécuter. Les armes, contrairement à l’horreur, manquaient en Espagne. Alors chaque camp se tourna vers d’autres pays d’Europe. Les républicains échangèrent l’or de l’Espagne contre des armes à la France et l’URSS tandis que les nationalistes trouvèrent un appui auprès de l’Allemagne nazie puis de l’Italie fasciste. Si cette dernière s’engagea largement dans le conflit, c’est surtout parce que la France décida de ne pas intervenir. Celle-ci ne put prendre parti parce que le Royaume-Uni resta neutre et menaça Paris de rompre l’alliance si la France faisait un choix différent. Léon Blum était pourtant très favorable à l’Espagne républicaine mais fut également ralenti par les politiques radicaux et la droite française. Il se contenta alors d’envoyer du matériel.

Parmi les premières troupes internationales luttant pour l’Espagne républicaine, on retrouve une soixantaine de Français, anarchistes en majorité, ainsi que quelques marxistes dissidents. Ils formèrent le commando Berthomieu, du nom du capitaine qui les dirigeait. Ce commando comprenait notamment une certaine Simone Weil (philosophe française militante du pacifisme intransigeant). Des militants révolutionnaires britanniques, allemands, italiens et hongrois (groupe Rakosi) figurent également parmi les premières troupes internationales. Après quoi, les Brigades internationales se formèrent. La première fut la brigade XI, puis d’autres se formèrent : XII, XIII, XIV et XV. En tout, les Brigades internationales rassemblèrent 32 000 hommes d’après la SDN, 33 000 d’après l’administration d’Albacete (où ils étaient accueillis) et 35 000 d’après des historiens. Quoi qu’il en soit, 12 000 d’entre eux étaient Français. Ces Français, dont 57% étaient affiliés au Parti communiste, formaient le plus gros contingent étranger. La région parisienne avait fourni la moitié des effectifs.

Provenance des brigadistes.

C’est que, en France, la guerre d’Espagne provoqua une vive émotion faisant d’emblée traverser la frontière par des centaines de Français et d’Espagnols résidant en France afin d’aller combattre pour la République. La propagande communiste prit le relais. Les Français furent dirigés par le seul Français membre du secrétariat du Komintern, André Marty, qui était aussi bon communiste qu’il était mauvais militaire. Largo Caballero obtint du Komintern que ces Brigades soient autonomes mais liées à l’état-major espagnol. Il semble que jamais plus de 25 000 brigadistes ne luttèrent simultanément. Les hommes affluaient d’Europe mais aussi du Canada, des États-Unis ou du Mexique. Les historiens estiment aujourd’hui que les Brigades internationales furent certainement les formations militaires les plus intellectuelles de l’Histoire.

Une légion étrangère de l’air, l’escadrille España, se forma également en faveur de la République. A son initiative, André Malraux, aidé par Pierre Cot, le ministre de l’Air français. Ils recrutèrent des pilotes attirés, comme les soldats volontaires, pas la solde significative promise. Sans les Soviétiques, 653 pilotes étrangers servirent dans l’aviation républicaine. Les Français représentaient une majorité (hors soviétiques). D’autres étaient Britanniques, Italiens, Bulgares, Américains, Polonais ou Autrichiens. Les pilotes soviétiques furent plus nombreux que toutes les autres nations réunies mais on ne connait pas exactement leur nombre. L’URSS fournit, selon les sources, 1 000 des 1 320 avions ou 1 409 des 1 947 appareils républicains.

Les nationalistes bénéficièrent également des forces étrangères, en premier lieu dans les airs. La Légion Condor, allemande, fut la plus conséquente, comportant 6 500 hommes servant 48 avions pour la chasse et le bombardement. Ces effectifs allaient coûter à l’Espagne franquiste plus d’un milliard de pesetas. Commandée par le général von Speerle, dit « général Sander », elle bénéficia d’une grande autonomie. Les pertes de la Légion Condor furent de 298 hommes sur les 14 982 volontaires allemands qui s’engagèrent en Espagne. L’Italie, pour sa part, envoya près de 6 000 hommes, tous fascistes militants, opérer des bombardiers et chasseurs. Sur terre, l’Espagne franquiste fut aidée par de nombreux volontaires étrangers. Parmi lesquels des Portugais, surnommés les Viriatos, qui s’engagèrent dans la Légion étrangère, quelques centaines de Français, Britanniques et Irlandais de droite ainsi que quelques dizaines de Russes blancs.

Mais les nationalistes reçurent surtout l’aide de l’Italie : en tout, quelque 75 000 hommes sur toute la guerre, dont 40 à 50 000 luttèrent en même temps au plus fort de leur engagement. Ils souffrirent 4 000 morts, dont une partie significative lors de la catastrophe de Guadalajara (que nous aborderons). C’est que l’Italie envoya des soldats d’élite mais également, sur l’insistance de Mussolini, de chômeurs d’âge mûr et peu combatifs. Après le grave revers de Guadalajara, le général Bastico reprit les rênes du Corps de troupes volontaires (CTV) italien, le réorganisa et renvoya en Italie 3 700 « volontaires ». Suite à quoi, la CTV devint à nouveau décisive.

À la fin d’octobre 1936, malgré le détour vers Tolède, il apparaissait évident que les troupes marocaines, qui enchaînaient les succès, allaient emporter Madrid. Le 19, Franco relança la marche vers la capitale. Si Franco n’avait connu que le succès depuis juillet, cela n’allait pas durer. Le fragile gouvernement Giral fut remplacé en septembre par le gouvernement Largo Caballero. Le 28 octobre, Francisco Largo Caballero, le nouveau chef du gouvernement républicain, annonça, confiant, que le régime disposait « d’un formidable armement mécanisé ». Le 29, 15 chars T-26 soviétiques furent engagés par les républicains contre des chars allemands et italiens à Seseña. Les Républicains triomphèrent. Mais la théorie du Blitzkrieg n’étant pas encore connue, les troupes de Lister ne parvinrent pas à exploiter la percée des chars soviétiques. Les 6 et 7 novembre, Caballero transféra le siège du gouvernement à Valence. Le général Miaja, militaire gradé mais peu compétent, était en charge de la junte de Défense de Madrid. Heureusement pour la République, il était secondé par un excellent chef d’état-major : le lieutenant-colonel Rojo.

Schéma de la bataille de Madrid en novembre 1936.

L’assaut final sur Madrid, pour les franquistes, était prévu le 8 novembre avec l’aide des Requetes de Mola, venant du nord. Franco avait prévu une diversion sur les trois ponts principaux enjambant le Manzanarés au sud de Madrid pour porter son effort principal sur le parc de la Casa del Campo. Les Républicains découvrirent ce plan le 7 novembre sur le corps d’un officier franquiste tué. De plus, les 1 900 soldats de la XIe Brigade internationale arrivèrent à point nommé. Ils disposaient également, depuis le 3 novembre, des premiers avions Polikarpov I-15 soviétiques. Les franquistes, eux, ne reçurent la Légion Condor que le 15 novembre. L’attaque franquiste du 8 novembre 1936 trouva sur son chemin, pour toutes ces raisons, une résistance dont elle ne put prévaloir. Le 10, les nationalistes s’emparèrent du mont Garabitas depuis lequel ils déversèrent un feu d’artillerie sur la capitale. Le 11, les 1 500 hommes de la XIIe Brigade internationale renforcèrent les défenseurs. Le 14, la colonne Durruti arriva également à Madrid pour en consolider les défenses. L’aviation nationaliste bombarda Madrid pour saper le moral de la population. Du 15 au 17, les nationalistes essayèrent de passer en force dans la Casa del Campo, sans succès. Du 17 au 19, les bombardements franquistes s’intensifièrent. Alors que le 19, Durruti mourrait dans des circonstances inconnues, la chasse aérienne soviétique contestait aux franquistes la maîtrise du ciel. Devant les lourdes pertes et les gains insignifiants de terrain, Franco mit fin à l’offensive le 23 novembre 1936. Il tenta de nouveau des offensives fin novembre et début décembre mais rien n’y fit. Les troupes marocaines, habituées aux combats en rase campagne, se heurtaient à des troupes républicaines ayant érigé Madrid en forteresse.

Suite à la bataille de Madrid, les belligérants reçurent des renforts substantiels. Les franquistes recrutaient des Marocains, des phalangistes, des carlistes ainsi que des Irlandais. Les républicains, eux, avaient reçu le renfort de brigadistes. La situation étant bloquée à Madrid, les deux camps cherchèrent à se créer un avantage à l’est de la capitale. Une offensive franquiste en février 1937 mena à la prise de Malaga dans le sud du pays. 25 000 hommes de la colonne (10 000 Italiens, 10 000 Marocains et 5 000 Espagnols) avaient percé la défense. Les Italiens, au centre du dispositif, furent décisifs.

Plus au nord, les deux belligérants cherchèrent à couper les voies de ravitaillement de l’autre. Cela passait par la maîtrise du Jarama, par ailleurs en crue. Du 6 au 27 février, les franquistes attaquèrent et se rapprochèrent de l’axe de ravitaillement Madrid-Valence, vital pour la République. La plus grande bataille de matériel de la guerre s’engagea alors : la Légion Condor affronta la chasse soviétique dans les airs tandis que les blindés allemands et italiens se mesuraient aux chars soviétiques. Le matériel de l’URSS se montra supérieur, ce qui permit aux républicains une contre-attaque conçue par Rojo le 15 février. Les armées se saignèrent à blanc. Les franquistes conservèrent du terrain mais ne purent couper l’axe Madrid-Valence.

Carte de l’Espagne en novembre 1936.

Une dernière tentative pour prendre Madrid fut opérée par les Italiens. S’ils parvenaient à faire tomber Guadalajara, à 50 km au nord-est de Madrid, alors ils pourraient encercler totalement la capitale. Ce furent majoritairement 35 000 Italiens du CTV, commandés par Mario Roatta, qui s’attelèrent à cette tâche. Ils étaient soutenus sur la droite par Moscardo, le « héros de l’Alcazar » et sa division Soria forte de 15 000 hommes. Franco aurait préféré mélanger davantage ses unités mais voulait fournir à Mussolini la « grande victoire » que ce dernier souhaitait tant. L’opération fut minutieusement préparée. Elle reposait sur la rapidité d’exécution et devait être déclenchée le 8 mars. Elle aurait certainement bien fonctionné si un brusque changement météorologique n’avait pas eu lieu dans la nuit du 7 au 8 mars par de fortes chutes de neige. Le 8, la pluie se mit à tomber pour ne plus s’arrêter. La visibilité était nulle, le terrain devenu boueux. Malgré tout et contre l’avis des officiers espagnols, Roatta déclencha son offensive le 8. Les Italiens attinrent un premier objectif, rien de plus. L’aviation adverse avait la maîtrise du ciel, l’artillerie n’était pas utilisable, faute de visibilité, les camions et les hommes s’embourbaient, le blindage des T-26 soviétiques était impénétrable et les officiers italiens ne connaissaient pas le terrain. Les Italiens fascistes eurent là l’occasion d’affronter des Italiens antifascistes dont la propagande fragilisa le moral des hommes du CTV avec des phrases telles que « Frères ! Pourquoi venez-vous sur cette terre étrangère assassiner les travailleurs ? »

Bataille de Guadalajara (mars 1937) et les différentes lignes de front. Les flèches bleu foncé montrent l’avance nationaliste espagnole, les flèches grises sont les avancées nationalistes italiennes et en rose l’avance républicaine.

Le 17 mars, l’offensive prit fin. La débandade italienne n’empêcha pas les pertes d’être nettement plus lourdes côté républicain. Ces derniers eurent quelque 2 000 morts et 4 000 blessés contre 400 morts et 1 800 blessés pour le CTV. Du reste, Guadalajara fut une importe victoire morale pour la République qui, malgré l’absence de soldats de métier, parvenait à juguler la progression franquiste. Madrid, Jarama, Guadalajara, Franco enchainait les échecs autour de la capitale. Alors, le Caudillo modifia sa stratégie, après Guadalajara, en prévision d’une guerre longue.

Franco organisa l’Etat franquiste pendant la guerre. Il devint chef de l’Etat le 1er octobre 1937. Franco devait agir pour calmer les dissensions entre les différents mouvements : phalangistes, religieux, carlistes, monarchistes, extrémistes … Il écarta des responsabilités, voire condamna à mort et, parfois, gracia par la suite, certains responsables. Dans l’Etat qu’il mit en place, Franco distribua aux militaires nombre de postes, même civils. En parallèle, la propagande tournait à plein régime. La liste des exécutés car jugés opposés aux nationalistes fut rendue publique. Les noms de famille figurant sur ces listes, les familles des ennemis du régime étaient connues de tous. Les journaux appliquèrent presque tous le biais idéologique et la censure. Les bibliothèques furent également censurées. Le régime rendait publiquement un hommage constant aux soldats tombés pour la cause. Des Te Deum étaient entonnés pour les victoires et des grandes célébrations organisées pour les fêtes religieuses. Les curés, par ailleurs, gagnèrent un pouvoir significatif : le catholicisme était un pilier essentiel du régime.

L’Espagne franquiste fut, par ailleurs, toujours bien ravitaillée. La récolte de 1937 fut désignée « d’intérêt national » : Franco garantissait un prix plancher pour les paysans ainsi que l’écoulement total de leurs récoltes sans avoir à emprunter ou à vendre par avance. Ce type de mesures explique pourquoi une majorité de paysans étaient favorables au Mouvement.

Déjà reconnu par le Guatemala et le Salvador le 8 novembre 1936, l’Espagne franquiste le fut par le Portugal, l’Allemagne et l’Italie le 18. Cette reconnaissance de facto du gouvernement de Burgos, en attendant une reconnaissance de jure, s’accompagna de la constitution de ce même gouvernement. Les militaires, bien qu’en minorité, occupaient des postes clé. Le général Franco était le président, le compte Gomez-Jordana, apprécié du Royaume-Uni, occupait la vice-présidence et le portefeuille des Affaires étrangères. Le général Fidel Davila était ministre de la Défense, le général Martinez Anido garantissait l’ordre publique. Les civils étaient plus nombreux. Les ingénieurs Alfonso Peña y Bœuf, Juan Antonio Suances y Fernandez et Pedro Gonzales Bueno s’occupaient respectivement des Travaux publics, de l’Industrie et du Travail. Ce dernier, avec Raimundo Fernandez Cuesta, ministre de l’Agriculture, étaient des phalangistes. Andrés Amado, ministre des Finances et Pedro Sainz Rodriguez, ministre de l’Éducation, étaient des monarchistes alphonsistes. Tomas Rodezno, enfin, était ministre de la Justice et représentait les carlistes. Ce gouvernement resta inchangé jusqu’en août 1939, après la fin de la guerre. Le Mouvement, qui comptait 70 000 membres en juillet 1936, était passé à des centaines de milliers en décembre.

Étant donné que 90% des diplomates et 70% des officiers avaient choisi le Mouvement, la République se devait de compter sur toutes les forces syndicales de gauche. L’Etat, à dire vrai, avait perdu le contrôle. En particulier après le départ du gouvernement vers Valence en novembre 1936, du fait de l’offensive franquiste sur Madrid. Le pouvoir était aux anarchistes (Catalogne), communistes (Madrid) et à la rue. Des Comités révolutionnaires avaient remplacé l’Etat. Le gouvernement en lui-même avait muté le 4 septembre 1936, passant d’une république « bourgeoise » sous José Giral à une république populaire sous Largo Caballero. Julio Alvarez del Vayo était aux Affaires étrangères, Juan Negrin aux Finances, Indalecio Prieto à la Marine et à l’Air, les communistes Jesus Tomas Hernandez et Vicente Uribe respectivement à l’Education et à l’Agriculture. Enfin, il y avait quatre ministres anarchistes : Juan Lopez au Commerce, Federica Montseny, première femme ministre, à la Santé et à l’assistance publique, Juan Peiro à l’Industrie et Juan Garcia Oliver à la Justice. Un anarchiste dirigeait la Justice. Et il déploya un travail remarquable. Organisateur de talent, il supprima la pratique des paseos et des sacas et mit fin aux répressions incontrôlées.

Si Largo Caballero avait accepté d’intégrer des anarchistes dans le gouvernement, c’était pour que tous les courants soient représentés mais également pour contrebalancer l’influence grandissante des communistes.

Sources (texte) :

Bennassar, Bartolomé (1995). Franco. Paris : Perrin, 415p.

Bennassar, Bartolomé (2004). La guerre d’Espagne et ses lendemains. Paris : Perrin, 559p.

Sources (images) :

https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_histoire/a54063 (provenance des brigadistes)

https://juanmaycompania.fr/lecon-dhistoire-la-guerre-despagne/ (carte Espagne novembre 1936)

https://artsandculture.google.com/asset/spanish-civil-war-rober-garcia-udf-efe/DwGSxQsoIzhvBw?ms=%7B%22x%22%3A0.5%2C%22y%22%3A0.5%2C%22z%22%3A8.93164263729083%2C%22size%22%3A%7B%22width%22%3A1.9137044762094608%2C%22height%22%3A1.237500000000001%7D%7D (bataille de Madrid)

https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Mapa_de_la_batalla_de_Guadalajara.png (bataille de Guadalajara)

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