La guerre du Péloponnèse (partie III) : les aspects de la guerre non-conventionnelle (429-427 av. J.-C.)

La guerre du Péloponnèse (partie III) : les aspects de la guerre non-conventionnelle (429-427 av. J.-C.)

Rappel : La guerre débuta par une invasion péloponnésienne de l’Attique en 431 av. J.-C.[1] Cette expédition, menée par le roi spartiate Archidamos II, ne fut pas concluante malgré des effectifs impressionnants pour l’époque (60 000 soldats). La stratégie de Périclès, qui visait à accueillir tous les paysans de l’Attique dans Athènes et éluder tout combat avec les Péloponnésiens, fut payante. Tout au plus, les Péloponnésiens parvinrent à détruire quelques cultures céréalières et quelques vignes. Et encore, les sorties de la cavalerie athénienne limitèrent les dégâts. Pour Archidamos, il n’était pas question d’assiéger la cité : il n’en avait pas les capacités logistiques et son armée était trop importante pour qu’elle se nourrisse sur le terrain. Les Péloponnésiens réitérèrent en 430 av. J.-C. avec la plus longue invasion de la guerre : ils restèrent un mois en Attique. Cette fois, la stratégie de Périclès se retourna contre Athènes : la surpopulation et la dégradation des conditions sanitaires dans la cité déclenchèrent une maladie qui décima les Athéniens. Périclès ne fut pas épargné. Le peuple fut traumatisé. La maladie provoqua bien plus de morts que n’aurait jamais pu en faire une phalange d’hoplites spartiate.


[1] Dans cet article et ce dossier, toutes les dates sont sous-entendues avant Jésus-Christ, sauf indication contraire.

Jusqu’en 431, jamais Athènes n’avait formé de troupes terrestres non-conventionnelles (archers, frondeurs, peltastes : de l’infanterie légère). C’est que les riches avaient les moyens de payer la lourde cuirasse des hoplites ou de s’acheter un cheval ; tandis que les pauvres étaient nécessaires dans la flotte athénienne en tant que rameurs. La guerre du Péloponnèse changea la donne. Des unités légères commencèrent à jouer un rôle clé dans les batailles terrestres. Les meilleurs peltastes venaient de la région où ils apparurent : la Thrace ; les meilleurs frondeurs étaient ceux de Rhodes, les meilleurs archers ceux de Crête et de Scythie. Cette infanterie légère n’était clairement pas faite pour engager des phalanges d’hoplites. Mais ils menèrent de plus en plus d’opérations durant les sièges, semèrent la terreur ou isolèrent des hoplites qui, moins agiles car trop lourdement armés, n’avaient aucune chance sans leur phalange. C’était, pour la Grèce antique, une révolution militaire et sociale. Les hoplites avaient toujours été considérés comme plus courageux que de lâches archers, qui tuaient à distance. De ce fait, jusqu’ici, les batailles d’hoplites ne s’étaient déroulées qu’entre infanterie lourdes et faisaient relativement peu de morts : les vainqueurs étant généralement trop fatigués et nobles pour poursuivre l’ennemi en fuite. Les hoplites ne tuaient pas non plus les civils. Le fait que les troupes non-conventionnelles deviennent efficaces et soient recrutées par l’Etat remit en cause toute la pyramide sociale (le pauvre pouvant tuer le riche) et ouvrit la porte des massacres militaires dont la guerre du Péloponnèse allait compter de multiples exemples.

Représentation d’un peltaste : il peut lancer des javelots à distance mais également lutter au corps à corps avec son épée.

Cette guerre non-conventionnelle fut constante du fait de l’action de la flotte d’Athènes. Les Péloponnésiens envahissaient l’Attique ? La flotte athénienne, qui ne connaissait pas de véritable compétition, menait des centaines de raids sur les côtes du Péloponnèse, attaquant et pillant les villages et fermes sur les arrières des ennemis. C’était là 30 000 Athéniens qui pillaient de manière incessante pour financer les expéditions mais surtout briser le moral, faire vaciller l’alliance péloponnésienne et faire retraiter les armées ennemies occupant l’Attique. Les raids ne rencontrèrent presque jamais de résistance, sauf durant la défense héroïque du général spartiate Brasidas à Méthone. La thalassocratie qu’était Athènes disposait de sérieux atouts. Athènes ne se gêna pas pour attaquer Égine, île voisine, et déporter massivement pour la vider de ses habitants. Les civils devenaient des cibles, tout comme les diplomates ! Ainsi, des Athéniens persuadèrent, en 430, des Thraces d’arrêter des diplomates spartiates en route pour la Perse et de les envoyer à Athènes à la place. Arrivés dans la capitale démocratique, ils furent de suite mis à mort sans autre forme de procès et jetés dans un puits. C’était une double violation des traditions grecques : des émissaires avaient été mis à mort et on leur avait refusé un rite funéraire. Cet affront était une réponse au fait que les Spartiates interceptaient désormais tous les navires athéniens (militaires ou marchands) croisant au large du Péloponnèse et exécutaient tous les marins. La piraterie était encouragée par les Etats. Pour les Péloponnésiens, c’était une manière de pallier en partie la faiblesse des effectifs de leur flotte et de la compétence de leurs marins. En 429, pourtant à un contre deux, une flotte athénienne écrasa une flotte spartiate à Naupacte.

L’année 429 vit les Spartiates renoncer à leur invasion annuelle de l’Attique : ils craignaient la peste qui sévissait toujours à Athènes et acheva Périclès l’automne venu. Ils préférèrent assiéger Platées en mai, où rien ne s’était passé après l’action thébaine en 431. Archidamos mena une grande armée devant Platées mais fit deux propositions avant de l’assiéger : s’ils déclaraient leur neutralité et laissaient les Péloponnésiens entrer, rien ne leur serait fait ; plus encore, s’ils se méfiaient trop de leurs voisins thébains, Sparte leur proposait de se réinstaller autre part pendant la guerre. Les Lacédémoniens promettaient même de veiller sur leurs biens et de leur verser pendant dix ans le loyer qu’ils étaient censés percevoir.

Les Spartiates n’étaient pas doués pour les sièges et raser Platées profiterait surtout aux Thébains qui avaient agi sans consulter Sparte. Archidamos connaissait également la symbolique de cette ville qui avait joué un grand rôle contre les Perses en 490 et 480-479. Après la Seconde guerre médique, tous les Grecs avaient prêté serment de toujours défendre l’autonomie de Platées. Archidamos, roi pieux de Sparte, était bien embarrassé de devoir attaquer cette même ville cinquante ans plus tard. Platées demanda du temps pour réfléchir, Archidamos leur accorda. Aussitôt, des Platéens se rendirent à Athènes. Ceux-ci promirent d’aider. Les Platéens, rassurés, rejetèrent les offres d’Archidamos. C’était oublier que Thèbes était aussi proche de Platées qu’Athènes en était éloignée. Les Athéniens, du mauvais côté du Cithéron, étaient en sus la proie de la peste et confinés entre leurs murs du fait d’invasions incessantes des Spartiates. Si Athènes ne pouvait protéger les champs visibles depuis ses remparts, comment pouvait-elle aider Platées ? D’un autre côté, les Péloponnésiens avaient échoué devant Oïnoè dans l’Attique, montrant assez leur incompétence en poliorcétique : Platées pouvait résister.

Archidamos fit immédiatement élever une palissade en bois autour de la ville. Celle-ci annonçait le double mur de circonvallation qui allait bientôt isoler Platées du monde extérieur. Aucun ravitaillement ne pouvait atteindre la ville assiégée. Archidamos s’employa alors à construire une rampe en terre pour atteindre les murs et pouvoir directement s’emparer des remparts. Les Platéens travaillèrent d’arrache-pied pour élever leurs murs tout en effectuant un travail de sape afin de détruire continuellement les derniers mètres de la rampe en terre spartiate. Simultanément, les assiégés s’échinèrent à construire un second mur à l’intérieur de leur ville. Si les Platéens luttaient pour leur survie, les Spartiates luttaient contre la montre. La rampe exigea 70 jours de construction, soit bien plus que la durée des invasions de l’Attique. Tout ça pour découvrir qu’un second mur s’élevait dans la ville. Les Spartiates essayèrent de forcer le premier mur avec des béliers. Les Platéens créèrent des machines complexes pour attraper les béliers, les soulever et les lâchers de haut pour les briser ; ou bien en soulevant et relâchant une poutre au-dessus du bélier. Les Spartiates essayèrent de brûler la ville, en vain. Trois mois durant, ces 600 Platéens (480 hommes pour défendre, 120 femmes pour faire à manger) résistèrent à quelque 30 000 Péloponnésiens. Pour les assaillants, c’était humiliant mais surtout dangereux en cela que ce siège montrait l’incapacité des Spartiates à faire tomber une ville fortifiée ; or, nombreuses étaient les villes fortifiées soumises à Sparte, dans le Péloponnèse. C’est à ce moment qu’Archidamos décida de transformer sa palissade en bois en un double mur de circonvallation. Ces murs étaient nantis d’un toit, de tours et de douves et protégeaient tant contre les sorties des assiégés que contre d’éventuels renforts. César usa d’un dispositif similaire – dans de bien plus grandes proportions – à Alésia, 400 ans plus tard. Grâce à ce mur, Archidamos put faire rentrer la majorité de ses hoplites chez eux tout en maintenant l’isolement de Platées.

Représentation du siège de Platées, la ville étant entourée du double mur de circonvallation spartiate.

Alors que Platées résistait encore, un autre siège, celui-ci mené par Athènes, prit fin à Potidée (nord-est) en 429. Les Potidéens, criant famine, déposèrent les armes. Leur capitulation leur évita peut-être la mort, mais pas l’exode. La tradition voulait que les civils n’étaient pas touchés par la guerre. Athènes changea les règles et choqua le monde grec par cet exode. Et pourtant, l’Assemblée athénienne fut scandalisée de la « douceur » de ces mesures et accusa certainement les généraux. Quoi qu’il en soit, plus jamais Athènes ne se montrerait aussi clémente par la suite. Les massacres qui allaient suivre n’étaient pas le fait de généraux athéniens cruels mais bien d’un vote de la majorité des citoyens athéniens de l’Assemblée. À Potidée, les Athéniens perdirent le quart de leur force (soit 1 050 hoplites) du fait de la peste.

Cette même année (429), le jeune Alcibiade, 21 ans, qui s’était déjà illustré durant le siège de Potidée (431), se fit remarquer pour ses actions dans la cavalerie athénienne. Jeune et riche aristocrate qui affirmait descendre, par son père, de la fameuse famille des Alcméonides, Alcibiade discutait avec Socrate et avait une existence agitée, que certains qualifiaient de débauchée. Il n’avait pas fini de faire parler de lui. On ne sait pas grand-chose des autres invasions de l’Attique. Celle de 428 ne semble pas avoir donné de résultats. Pas plus que celle de 427, menée par l’autre roi de Sparte, Cléomène.

En 428, la classe la plus aisée de Mytilène (sur l’île de Lesbos) se souleva contre la démocratie pro-athénienne pour établir une oligarchie nationaliste et anti-athénienne. Elle y fut certainement poussée par des agents spartiates et thébains ; voire peut-être par la générosité avec laquelle les Athéniens traitèrent Potidée lorsqu’elle capitula. Athènes mena alors une attaque rapide suivie d’un blocus et d’un siège dès juin. Trop occupés devant les murs de Platées, les Spartiates ne firent rien pour aider Mytilène. Fin 428, les Platéens, toujours assiégés par les Péloponnésiens, tentèrent une sortie. Le 28 décembre, par une nuit noire, 220 Platéens escaladèrent le double mur avec des échelles sur mesure. 212 d’entre eux parvinrent à s’échapper et prirent la direction d’Athènes. Ce succès impliquait également le début de la fin pour les Platéens qui étaient restés dans la cité. Ceux-ci n’étaient plus que 267 hommes et femmes, ce qui n’était pas suffisant pour garder les remparts sur toute leur longueur.

La violence augmenta d’un cran en 427. Corcyre possédant la 2e flotte grecque, Sparte chercha très tôt à la détacher d’Athènes. En 427, les Spartiates libérèrent 250 prisonniers corcyréens qui s’en allèrent assassiner le chef des démocrates dans leur cité et une soixantaine de ses partisans. Le peuple déclencha une guérilla contre les oligarques à l’intérieur de la ville et libéra des esclaves qui vinrent grossir les rangs des insurgés. Les oligarques, de leur côté, enrôlèrent 800 mercenaires et mirent le feu à la ville, qui abritait quelque 250 000 âmes, pour mater le soulèvement. L’arrivée d’une flotte athénienne fut décisive dans la victoire des démocrates. 400 aristocrates acceptèrent de quitter Corcyre pour une petite île à proximité. C’est alors qu’une flotte spartiate arriva et affronta une flotte corcyro-athénienne. Seulement voilà, ce sont des aristocrates qui se battaient sur le pont des navires corcyréens. Certains rallièrent les Spartiates ou tournèrent les armes contre leurs concitoyens. Les trières corcyréennes se battaient entre elles. Les trières athéniennes étant peu nombreuses, les Spartiates l’emportèrent puis se retirèrent en apprenant qu’une autre flotte athénienne approchait. Les démocrates, qui finirent par l’emporter à Corcyre, mirent à mort les oligarques qui s’étaient rendus et massacrèrent autant d’aristocrates que possible. Des milliers de Corcyréens périrent dans ces affrontements. La deuxième flotte athénienne aurait pu intervenir, mais décida de rester spectatrice.

Les affrontements intestinaux de ce genre, entre riches souhaitant l’oligarchie et pauvres exigeant la démocratie, se multiplièrent durant la guerre. Les démocrates ne parvinrent que rarement à prendre durablement le pouvoir parmi les alliés de Sparte (Mégare, Thèbes, Corinthe). À l’inverse, Athènes perdit d’importants alliés pendant plusieurs années du fait d’oligarques : Argos, Messine, Chios, Mantinée.

Alors que Platées et Mytilène subissaient un siège, que Corcyre flambait et sombrait dans la guerre civile, les flottes s’activaient. L’amiral spartiate Alcidas ne perdait pas une occasion d’exécuter les marins athéniens dans la mer Égée. Athènes, estimant la force assiégeant Mytilène trop modeste pour l’emporter, dépêcha des renforts. Pachès, amiral athénien ayant réprimé une rébellion à Notion, fut mandaté par Athènes pour châtier les rebelles de Mytilène. La cité, sans aide de Sparte, capitula finalement en juillet 427. L’Assemblée athénienne, menée par Cléon, ordonna la mise à mort d’un millier de Mytiléniens au nom de leur responsabilité collective. Pachès s’exécuta et tua un millier de Mytiléniens adultes. L’aristocratie de Lesbos en fut décimée et des colons athéniens prirent possession des terres. Après l’exode des Potidéens, ce massacre fit monter d’un cran la banalisation de la violence contre les civils dans cette guerre. Les Athéniens prirent souvent des otages uniquement pour mieux les tuer au moment opportun (afin d’envoyer des messages). Chaque camp, en vérité, avait peur de se montrer clément, donc faible.

Pachès captura, à Mytilène, un officier spartiate du nom de Salaïthos qui promit de faire lever le siège de Platées si les Athéniens l’épargnaient. Athènes préféra tuer un officier spartiate que sauver 267 de ses alliés platéens. En août 427, les Platéens capitulèrent après une résistance héroïque. Les Spartiates, avant d’accepter la reddition, posèrent une simple question : avaient-ils aidé les Spartiates de quelle que manière que ce soit dans cette guerre ? Question stupide, les Platéens ayant été enfermés dans leur ville depuis le début des affrontements. Tous répondirent non. Pour apaiser les Thébains, les Spartiates décidèrent alors d’exécuter les hommes puis de vendre femmes et enfants comme esclaves. Qu’on ne s’y trompe pas, les Platéens comptèrent, pendant ce siège, moins de morts que les assaillants. Les seuls Thébains avaient perdu 300 hommes en une nuit durant l’attaque initiale en mars 431. Néanmoins, Platées fut rasée et remplacée par un temple destiné à Héra, un sort marquant pour une ville que le monde grec avait promis de protéger. Les sièges, celui de Platées en particulier, coûtaient cher et rapportaient bien peu. Les assaillants avaient peu de chance de prendre une ville, ils devaient l’affamer dès le départ, ou avoir des espions, traitres, agents infiltrés qui ouvrent les portes. Sparte mena peu de sièges par la suite : ils retinrent la leçon de Platées. Les Athéniens, en revanche, avaient un empire à conserver et des tributaires bien agités. Ils disposaient également, rappelons-le, de bien plus de moyens pour financer ces sièges.

Sources (texte) :

Hanson, Victor Davis (2005). La guerre du Péloponnèse. Paris : Flammarion, 593p.

Orrieux, Claude et Schmitt Pantel, Pauline (2020 pour la 4e édition). Histoire grecque (4e édition mise à jour). Paris : PUF, 511p.

Source (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Peltaste (le peltaste)

Les commentaires sont clos.