Le Premier Empire et les guerres napoléoniennes (partie III) : le début de guerre de la Quatrième Coalition (1806)
Après Austerlitz, l’Autriche s’estima vaincue avec le traité de Presbourg (26 décembre 1805) et la Russie recula, attendant son heure. Simultanément, Napoléon donnait à la Prusse, qui n’était pas entrée en guerre, le Hanovre pour qu’elle accepte une alliance offensive et défensive avec la France. Le traité fut signé en janvier 1806. Toute menace étant pour le moment écartée, Napoléon rentra en France et mit fin au scandale des Négociants réunis. L’empereur ne parvint pas à redresser complètement la situation financière mais créa le trésor de l’armée et laissa la Grande Armée en Allemagne. Le Trésor n’avait donc plus à débourser un centime pour les troupes, ce qui améliora significativement la situation. Napoléon réforma également la Banque de France en 1806.
En septembre 1805, Ferdinand IV de Bourbon Sicile, après avoir fait mine de traiter avec les Français, autorisa le débarquement de 12 000 Russes et 8 000 Anglais dans le royaume de Naples. 20 000 Napolitains rejoignirent l’armée pour progresser vers le nord. La réaction de Napoléon fut impitoyable : Joseph Bonaparte, secondé par le brillant Masséna, dirigea 40 000 Français, Italiens et Polonais vers Naples en janvier 1806 alors que les Napolitains étaient rapidement abandonnés par les Russes et les Anglais qui rembarquaient. Joseph écrasa facilement les forces de Ferdinand IV et fut fait roi de Naples le 30 mars 1806 sans pour autant que cela ne porte atteinte à ses droits de successions à l’Empire. La seule règle était de ne pas regrouper plusieurs couronnes sur la même tête. C’est également à partir de ce jour que Napoléon distribua des terres aux grands dignitaires de l’Empire, qui devenaient des ducs en Italie ou en Allemagne. Le système européen naissait ainsi, formant une pyramide dynastique dont le sommet était l’empereur. Tout, des décisions d’adoption aux déplacements de cette grande famille impériale en passant par l’éducation des enfants de sept à seize ans, était contrôlé par Napoléon.
Le chamboulement le plus conséquent découlant du traité de Presbourg fut politique et allemand : la création de la Confédération du Rhin, le 12 juillet 1806. Par vote, les entités allemandes du Saint Empire Romain rejoignirent la Confédération du Rhin le 1er août. François II, empereur du Saint Empire Romain germanique, constatant qu’il dirigeait une entité vide, déposa sa couronne le 4. Créé par Otton Ier en 962, le Saint Empire avait pris la suite de l’Empire d’Occident de Charlemagne, son successeur déclaré y mettait fin. La féodalité prenait fin en Allemagne, les princes devenaient grands-ducs ou rois et le territoire allemand n’était non plus découpé en 83 entités (recès de 1803) mais en 37, étape fondamentale de l’unification allemande. La Diète se déplaçait de Ratisbonne à Francfort. La vraie utilité de la Confédération était militaire pour Napoléon : les souverains s’engageaient à fournir de 4 000 (petites entités) à 30 000 hommes (Bavière) en cas de guerre.
En 1806, Napoléon passa à côté de l’une des plus belles possibilités de paix avec l’Angleterre. Pitt le Jeune venait de succomber le 23 janvier d’une maladie de l’estomac, de la goutte et des abus de l’alcool. A sa suite venait Fox, éminemment pro-français ! Fox acceptait tout, reconnaissait tout. Il n’avait qu’une seule exigence : laisser Ferdinand IV au moins maître de la Sicile, à défaut de Naples. Napoléon, qui négociait également avec les Russes, trouva cet accord insuffisant. Fox ne se découragea pas pour autant. Au fil des discussions, il fut concédé par les Anglais l’abandon de Ferdinand IV et accepté le principe de l’uti posseditis juris contre la cession par les Français du Hanovre. Concrètement, cela signifiait que les Anglais gardaient toutes les conquêtes faites dans les colonies tout comme la France gardait toutes les conquêtes d’Europe (bien plus importantes) et que les Anglais récupéraient le Hanovre, terre d’origine de la dynastie au pouvoir à Londres. Fox et Talleyrand se démenaient ! Cet accord était franchement excellent pour Napoléon. Il le refusa. Il ne voulait pas faire une croix sur les quelques colonies perdues. En réalité, il attendait toujours les Russes qui, à dessein, tergiversaient. La Prusse, voyant ces discussions sur la cession du Hanovre alors qu’elle en était officiellement maîtresse depuis peu, ne pouvait que désapprouver ces démarches. Finalement, les Russes refusèrent tout traité, les Anglais, fatigués, se retirèrent aussi. Fox trouva la mort le 14 septembre 1806. Napoléon avait manqué une superbe occasion.
Au demeurant, la Prusse, qui n’avait pas rejoint la Troisième Coalition, subissait le courroux de Talleyrand qui, en janvier 1806, obligea Frédéric-Guillaume III à déclarer la guerre à l’Angleterre jusqu’à la paix générale. Les ports furent fermés au commerce anglais, du moins en théorie. Aucun acte de guerre n’adviendra. En juin, la Prusse assurait à la Russie que les traités avec la France n’avaient aucune valeur. La comédie était évidente, comme le sentiment antifrançais à Berlin. Le stationnement de la Grande Armée en Allemagne, des incidents à la frontière, la création de la Confédération du Rhin sans consulter la Prusse (faisant pourtant partie du Saint Empire Romain désormais disparu), le marchandage du Hanovre sans la consulter, le renforcement des forces en Allemagne, autant de raisons poussant la Prusse à la guerre. Une rumeur relayée par le belliqueux maréchal Blücher affirmant que les Français marchaient sur Hambourg provoqua la mobilisation prussienne le 9 août 1806. La Prusse s’allia avec les entités allemandes du nord, celles du sud étant acquises aux Français, et passa à l’attaque en envahissant la Saxe le 12 septembre 1806 sans attendre les renforts russes en route, reproduisant en cela l’erreur autrichienne de 1805. Napoléon, en passant par la Confédération du Rhin pour rejoindre l’armée, en profita pour faire de la politique et se vit assurer par l’Autriche qu’elle resterait neutre : une nouvelle permettant de débloquer des effectifs supplémentaires.
La Quatrième Coalition (1806-1807) comptait, le 18 septembre 1806 : la Prusse, l’Angleterre, la Russie et la Suède. Le vieux Brunswick et le prince Hohenlohe dirigeaient une armée prussienne chacun. Brunswick n’engagea d’abord que 110 000 hommes sur 150 000. C’était oublier que les Français étaient en Allemagne ! Sans compter que les Prussiens n’avaient pas guerroyé depuis 1795, ils étaient en retard techniquement et moralement, commandés par de vieux généraux. Napoléon agit rapidement et se mit en quête de renseignements pour comprendre les mouvements prussiens. Comme Lannes lui disait voir une armée prussienne devant lui, Napoléon le rejoignit avec Ney, Soult et la Garde vers Iéna. A Naumburg, Davout, avec 26 000 hommes, semblait menacer les Prussiens d’encerclement avec en soutien Bernadotte, à mi-chemin entre les deux localisations. La peur prussienne de l’encerclement mena Brunswick à diriger d’importantes forces vers Davout alors même qu’il avait rassemblé avec succès 134 000 hommes devant un Napoléon en infériorité numérique sur un terrain qui plus est très favorable à la défense. Ce fut là l’erreur prussienne fatale. Contrairement à une croyance tenace, Napoléon ne s’est pas trompé d’ennemi en se portant sur Iéna, il ne pouvait simplement pas prévoir une décision aussi étrange de la part des Prussiens qui scindaient leurs forces devant lui. Napoléon parcourut le terrain de Iéna avec Lannes en repérage et s’en inquiéta : il serait impossible de l’emporter sans contrôler des hauteurs. Alors l’empereur engagea de grands travaux du génie pour monter de l’artillerie sur une hauteur. Personne ne l’en empêcha.
A 6h du matin le 14 octobre 1806, le corps de Lannes engagea les hostilités pour gagner un espace de manœuvre nécessaire au déploiement efficace de l’armée. Un épais brouillard agrémenta les rudes combats au centre du champ de bataille. Il était 10h30, Napoléon voulait marquer un temps d’arrêt pour laisser le temps à son armée de déboucher sur le champ de bataille. Augereau était à gauche, Lannes au centre, Soult à droite. Mais Ney fâcha Napoléon en se plaçant entre Augereau et Lannes et en déclenchant une nouvelle offensive générale avec seulement son avant-garde de 3 000 hommes, agissant à l’opposé des ordres de l’empereur ! Hohenlohe mena la contre-attaque avec la puissante cavalerie prussienne. L’avant-garde dut reculer mais Ney, profitant d’un bois, tint sa position en formation carré. Le maréchal ordonnait de retenir les tirs pour faire plus de dégâts, entamant franchement la cavalerie prussienne. Néanmoins en mauvaise posture, Ney avait besoin d’être secouru : Napoléon détacha du corps de Lannes le peu de cavalerie dont il disposait (en attendant celle de Murat, pas encore arrivée) et de l’infanterie. Alors que des divisions d’Augereau et de Soult tournaient les Saxons et les Prussiens depuis les ailes, Napoléon ordonna une attaque générale qui étrilla l’armée prussienne. Seule la cavalerie prussienne parvenait à répliquer en l’absence de la cavalerie lourde de Murat. Un corps prussien de réserve fut engagé et écrasé rapidement, seul contre Soult, Ney, Lannes et, enfin, Murat, juste arrivé. La cavalerie de Murat emporta les derniers éléments se repliant avec cohérence, tels les Saxons. Sur les 70 000 hommes de Hohenlohe, 12 000 étaient morts, 15 000 prisonniers. La Grande Armée gagnait 200 canons et perdait plus de 4 000 hommes* sur 55 000. La victoire était totale à Iéna.
*Notons que le terme de perte, militairement parlant, compte tous ceux qui sont définitivement ou momentanément hors combat : tués, blessés, malades, prisonniers, disparus.
Le même jour, 14 octobre 1806, se jouait la seconde grande bataille entre Davout, 29 000 hommes, et Brunswick, 60 000 hommes. Le maréchal de fer allait affronter l’armée du roi Frédéric-Guillaume III en personne ! Il aurait dû bénéficier du soutien de Bernadotte mais celui-ci, entretenant une haine pour Davout, refusa de quitter sa position, quand bien même Davout lui proposait de lui laisser le commandement de leurs forces réunies ! Napoléon dira plus tard qu’il aurait dû faire fusiller Bernadotte pour ça. Qu’à cela ne tienne, Davout livra bataille pour bloquer la route de Berlin, comme le lui avait intimé Napoléon. Il avait parfaitement étudié le terrain, contrairement à ses adversaires. Le terrain d’Auerstaedt ressemblait à celui d’Iéna. Davout articula sa défense sur le village de Haussenhausen, le seul d’une utilité tactique sur le terrain. Les Prussiens attaquèrent vers 6h du matin. Cachant des hommes dans les bois et tenant fermement partout, Davout repoussa les assauts de Blücher, occasionnant de lourdes pertes aux Prussiens. Brunswick lança les deux divisions d’infanterie dont il disposait sur Haussenhausen, sans succès. Le général d’une des deux divisions tomba au champ d’honneur. Brunswick prit lui-même le commandement et le rejoignit dans la tombe. Le successeur de Brunswick mourut également peu après.
Le général Friant commença à déborder les Prussiens sur leur gauche. Une troisième division d’infanterie, celle du prince d’Orange, déboucha dans la bataille et bloqua ce mouvement. Une grande charge de la puissante cavalerie prussienne se prépara. Davout, en personne, se plaça parmi l’infanterie, formée en carrés, pour tenir le choc. 10 000 cavaliers fondirent sur les hommes de Davout qui tuèrent tant de cavaliers que les corps s’accumulaient autour des carrés ce qui rendait la tâche des prussiens encore vivants plus difficile : ils finirent par retraiter. L’infanterie française déclencha une contre-attaque générale. Le sort était scellé, Frédéric-Guillaume retraita avec son armée. Les Prussiens déploraient 13 000 tués ou blessés, 3 000 prisonniers, 115 canons perdus. Davout avait perdu 7 000 hommes. En grave sous-nombre, les Français avaient engagé toutes leurs ressources et montré une expérience de la guerre bien supérieure à celle des Prussiens. Ces derniers perdaient, en un jour, 25 000 hommes et 300 canons.
Plus encore que la bataille, ce fut son exploitation qui fut décisive, sans pareille dans les guerres de ce temps, menée par la cavalerie et en particulier la « brigade infernale » du général Lasalle. Celui-ci poussa l’armée prussienne dans la déroute et l’amena à des redditions honteuses, faisant 16 000 prisonniers dont le prince de Hohenlohe puis en prenant la dernière place forte de Stettin, défendue par 6 000 hommes et 120 canons, le tout avec seulement quelques escadrons de cavalerie et deux pièces d’artillerie ! Lasalle venait de parcourir en 26 jours 1 160 km, soit 45 par jour en moyenne. Au-delà de ces hauts faits d’armes, d’autres groupes de Prussiens se rendirent aux cavaliers français. Pour parfaire le tableau, Blücher fut vaincu par Soult et Bernadotte à Lubeck le 6 novembre, perdant là 10 000 hommes. Le reste de sa force fut capturée le lendemain, rattrapée par la cavalerie française : 8 000 prisonniers supplémentaires étaient faits, dont Blücher. Entre le 14 octobre et le 7 novembre, en moins d’un mois, l’armée prussienne venait de perdre plus de 80 000 hommes ! Berlin tomba un mois après le début de la campagne. En moins de deux mois, les soldats prussiens hors de combat se portaient à 145 000 ! Il ne restait aux Prussiens que 20 000 hommes, cherchant le soutien de l’armée russe, qui n’avait pas eu le temps d’intervenir.
L’armée prussienne pulvérisée, Frédéric-Guillaume III demanda l’arrêt des hostilités. Napoléon accepta à condition que les territoires entre le Rhin et l’Elbe soient confisqués par l’empereur, qu’une indemnité de 100 millions de francs soit versée et que la guerre soit déclarée à l’Angleterre avec la Russie ! Comme la Russie voulait encore se battre, Frédéric-Guillaume refusa ces conditions et désira la reprise des combats … Sans aucune troupe.
A Berlin, Napoléon, saisissant les produits anglais, décida par le décret de Berlin le 21 novembre, d’installer un Blocus continental, une guerre économique massive et « universelle ». L’Europe représentant 40% du commerce anglais, Londres manqua effectivement de suffoquer. Seulement, Napoléon desserra lui-même son étreinte aux pires moments (1808 : l’invasion de l’Espagne permet aux Anglais d’attaquer les colonies espagnoles ; en 1811, la crise en France et les tensions avec la Russie permettent le desserrage du blocus). Pour tenir, le Blocus continental nécessitait le concours de toutes les puissances européennes, même celles neutres. Les Etats-Unis n’étaient pas à oublier. On le verra, le blocus ne fut pas une franche réussite. Et puis, des palliatifs furent trouvés.
Sources (texte) :
Marill, Jean-Marc (2018). Histoire des guerres révolutionnaires et impériales 1789-1815. Paris : Nouveau Monde éditions / Ministère des Armées, 544p.
Lentz, Thierry (2018). Le Premier Empire. Paris : Fayard / Pluriel, 832p.
Sources (images) :
https://www.youtube.com/watch?v=b8zcRzsORX4&t=157s (carte de l’Europe)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Ier_(roi_des_Deux-Siciles) (Ferdinand IV de Naples)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_James_Fox (Fox)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Guillaume-Ferdinand_de_Brunswick-Wolfenb%C3%BCttel (Brunswick)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27I%C3%A9na (bataille d’Iéna)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Louis_de_Hohenlohe-Ingelfingen (Hohenlohe)
https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/prusse (campagne de Prusse et de Pologne)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Auerstaedt (bataille d’Auerstaedt)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Charles_Louis_de_Lasalle (Lasalle)