Les Guerres médiques (partie II) : la bataille de Marathon (490 av J.C)
Après la rapide constitution de l’Empire des Achéménides de Cyrus le Grand à Darius Ier, les tensions entre Perses et Grecs se cristallisèrent dans la rébellion Ionienne. La faible mais notable intervention athénienne poussa le Grand Roi Darius Ier à affronter la Grèce en 490 avant J.C.
Flotte et armée achéménides s’assemblèrent pour prendre la mer sous la direction de Datis et d’Artaphernès, neveu de Darius. Hippias, des Pisistratides, était également à bord, il voulait, à 80 ans bientôt, reprendre le pouvoir à Athènes. Datis se montra particulièrement respectueux des symboles religieux grecs, si bien que l’oracle de Delphes devint, pour les deux guerres médiques, un organisme très efficace de propagande pro-perse. Les Perses rencontrèrent peu de résistance sur leur route. Erétrie, une cité grecque, envoya tout de même des hoplites à Athènes avant de tomber devant les Perses. Des renforts précieux pour des Athéniens bien seuls dans cette lutte. Les Perses débarquèrent ensuite sur la plage de Marathon. L’endroit était idéal : une plage de sable fin en pente douce, avec de l’eau en abondance.
Un signal lumineux prévint les Grecs du débarquement. Un homme, passé à la postérité pour son exploit, partit alors d’Athènes pour prévenir le plus vite possible Sparte. Cet homme, Phidippidès, parcouru 225 km de mauvaise piste en moins de deux jours ! (Vu le rapport temps/distance, il a sprinté, j’aurais tenu 15 min). Pourtant, les Spartiates ne pouvaient pas agir avant la pleine lune (c’est des loups-garous donc) du fait de la fête d’Apollon Karneios. On était le 5 août 490*, les Spartiates ne pouvaient partir en guerre que le 11 ou le 12. Et ce n’était pas là une manière de se défiler, les fêtes religieuses, tout comme les jeux olympiques, revêtaient une importance de premier ordre chez les Grecs. Athènes ferait donc front, seule. Miltiade prit la décision cruciale : il s’échigna à faire prévaloir son idée d’aller à la rencontre des Perses. Un élément phare était de dire qu’un siège d’Athènes même s’avérait être un grand risque : il existait dans Athènes une puissante faction pro-perse dont tout le monde avait connaissance. Une trahison pouvait compromettre la survie de la cité. De ce fait, Miltiade partit avec 10 000 hoplites à Marathon.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ
Cette armée était menée, comme à l’accoutumée, par l’archonte-polémarque, en l’occurrence : Callimaque. Miltiade était naturellement l’un des dix stratèges de l’armée ; comme Thémistocle ou son grand rival Aristide. Les Athéniens se placèrent dans le sanctuaire d’Héraclès. Là, ils furent rejoints par 1 600 Platéens volontaires. Platées était une cité depuis longtemps alliée d’Athènes. Dans la position où ils se trouvaient, les hoplites grecs, tout en surplombant la plage de Marathon, bloquaient la voie menant à Athènes. Les Perses ne voulaient pas engager le combat car, bien que plus nombreux, ils devaient attaquer depuis une position plus basse, ce qui conférait un avantage aux Athéniens. Surtout, les Perses savaient leurs soldats moins chevronnés que les monstrueux hoplites grecs. Ces derniers étaient, qui plus est, mieux armés, possédant un meilleur bouclier. L’infanterie lourde grecque surpassait de beaucoup l’infanterie légère perse. De leur côté, les Grecs se refusaient à prendre l’offensive car en sous-nombre et manquant cruellement de cavalerie et d’archers lorsque l’ennemi en disposait à foison. La réalité l’emportait sur le zèle : la cavalerie pouvait facilement envelopper les hoplites assaillants, ce qui rendait le combat incertain si ce n’est perdu d’avance.
Deux autres considérations entraient en jeu : les Athéniens attendaient les renforts spartiates ; les Perses, eux, attendaient une éventuelle trahison de l’intérieur d’Athènes par les pro-perses. De ce fait, plusieurs jours s’écoulèrent sans que rien ne se passe. Les ennemis s’observèrent du 7 au 11 août. Les Perses, pourtant, savaient que les Spartiates pouvaient arriver sous peu. Le 11, ils décidèrent donc d’agir, mais de la pire des manières. Artaphernès et Datis séparèrent leur force en deux. Datis prit la mer avec un contingent comprenant la majorité de la cavalerie mais laissant tout de même sur la plage une force plus nombreuse que les hoplites grecs. Le plan de Datis était de faire voile vers Athènes, débarquer plus au sud et prendre à revers la position des hoplites.
De fait, cette décision pouvait se révéler très efficace mais conférait aux Athéniens une aubaine sur une matinée. Callimaque passa à l’offensive selon les remarques du spécialiste perse des stratèges grecs : Miltiade. Ce dernier, bien au courant des pratiques perses, savait que l’ordre de formation perse consistait souvent à mettre les unités d’élite au centre et les unités moins efficaces et moins fiables sur les ailes. Pour les Perses, il importait de briser la ligne adverse en son centre. Miltiade prépara la ligne athénienne en conséquence : il plaça bien plus de poids sur les ailes et laissa le strict nécessaire au centre. De la sorte, Miltiade voulait mettre en œuvre une stratégie souvent payante dans l’Histoire militaire : enfoncer les ailes pour reporter tout le poids de l’attaque sur le centre démoralisé car isolé. Combattre les unités d’élite de l’adversaire jusqu’au dernier homme était bien plus couteux que de faire flancher leur moral et les voir partir en déroute.
En cette matinée du 12 août, bien que non renforcés par les Spartiates, les Athéniens et les Platéens, organisés en tribus, s’élancèrent, à 5h30 du matin environ, vers les troupes perses d’Artaphernès. Ce dernier disposa effectivement ses forces comme l’avait anticipé Miltiade. Les Grecs enfoncèrent rapidement les ailes. Mais de fait, la victoire grecque reposait sur l’effort bien supérieur que devaient fournir les Athéniens au centre de la ligne pour tenir la cohésion. Au centre se trouvait la tribu des Léontides (de Thémistocle) et la tribu d’Antiokhide (d’Aristide). Or Thémistocle et Aristide, deux cadors, n’étaient pas hommes à flancher. Pour accélérer le massacre des Perses, Callimaque avait disposé les Grecs sur trois ou quatre rangs au lieu des huit habituels. De ce fait, il élargissait le front, interdisant aux Perses de jouer de leur supériorité numérique, et réduisant l’efficacité des archers adverses. De fait, les hoplites athéniens et platéens attaquaient à 10 000 contre environ 15 000. Sur les ailes, les Athéniens de Callimaque (à droite) et les Platéens (à gauche) avaient largement le dessus sur leurs adversaires. Au centre, comme on pouvait s’y attendre, les Perses tenaient la dragée haute à Thémistocle et Aristide. Pourtant, les Athéniens, s’ils reculaient au centre, tenaient la ligne.
Les ailes perses cédèrent enfin. Alors la discipline grecque fit la différence. Il était très tentant de poursuivre et massacrer l’adversaire dans sa débâcle. Mais il y avait bien mieux à faire : vaincre les troupes d’élite, seules au centre. Un stratège sait qu’encercler l’ennemi est un excellent moyen d’exterminer l’armée adverse : or les hoplites des ailes pouvaient respecter ce schéma et attaquer les Perses du centre sur leurs arrières. Les Athéniens, pourtant, ne firent pas l’erreur de la simplicité. La stratégie d’encercler le centre par les ailes, souvent efficace, ne l’aurait pas été à Marathon. Pourquoi ? Les Perses partaient en déroute vers leurs navires à proximité. S’ils voyaient les Grecs leur tourner le dos, ils pourraient retrouver leur zèle et les attaquer dans le dos. De plus, ne pas encercler l’ennemi (les unités d’élite) était là leur laisser une voie de fuite, encourageant la déroute. Les Grecs des ailes revinrent donc sur leurs pas et poussèrent avec Thémistocle et Aristide (un peu le même principe qu’une mêlée au rugby). Après 3h de combat ininterrompu, la bataille de Marathon prit fin avec la fuite des unités d’élite.
Les Perses venaient là de perdre 6 400 hommes. Les Athéniens et les Platéens : 192 ! La majorité des pertes grecques fut d’ailleurs observée lors de la débâcle de l’ennemi, étonnamment. Pour ces hoplites ayant lutté pendant 3h sans relâche, l’effort n’était pas encore terminé. A part la division d’Aristide qui resta pour garder le butin, l’armée grecque devait revenir devant Athènes avant l’escadre de Datis partie le matin-même. Après 3h de combat, les hoplites coururent 38 km ! Et non 42 km comme on le pense souvent. Le fait est que la distance entre Athènes et la ville moderne de Marathon est effectivement de 42 km, mais à l’époque, du site de la bataille à Athènes, il y avait 38 km : les marathons devraient donc faire 4 km de moins. Les Grecs arrivèrent moins d’une heure avant le groupe d’assaut de Datis devant Athènes. Cette heure fit la différence : Datis, constatant la présence des hoplites, comprit sa défaite et l’armée perse se retira. Ainsi prit fin la première guerre médique. Une armée de 2 000 Spartiates arriva le 14 août, trop tard.
Alors que tous, dans Athènes, chantaient le triomphe de Miltiade, Thémistocle se morfondait. Plus que de la jalousie, il était, comme toujours, le seul à voir la réalité en face. Marathon ne faisait rien d’autre que remettre à plus tard la vengeance du Grand Roi Darius. Qui plus est, Thémistocle était presque le seul à promouvoir l’idée d’une puissante flotte athénienne. Tous s’opposaient à lui sur ce point, d’autant plus après le succès éclatant et exclusivement terrestre de Marathon. Pourtant, Darius possédait une puissante flotte et voyait désormais en Athènes plus qu’un ennemi de moindre importance. Il lui fallait laver l’affront. Miltiade, vainqueur de Marathon, disposait encore d’un an au collège des stratèges. Malheureusement pour lui, il se lança dans un siège qui s’avéra interminable et terriblement couteux en 489, l’obligeant à abandonner et rentrer à Athènes. Il avait de plus été blessé à la jambe et s’était fait amputer à cause de la gangrène. Aussitôt rentré, Miltiade fut convoqué devant la justice pour « tromperie au peuple ». On l’accusa d’être soudoyé par les Perses et d’ambitionner la dictature. Or le souvenir des Pisistratides était bien trop frais dans les têtes athéniennes. Il évita de peu la sentence capitale et fut jeté en prison où il eut tôt fait de succomber à la gangrène. Le vainqueur de Marathon, au sommet de sa gloire en 490, était tombé en disgrâce et atteignait son nadir l’année suivante. Ainsi en allait-il dans la politique athénienne.
Xanthippe, le père de Périclès, prit alors sa place. Comme Thémistocle, Xanthippe était anti-perse et en faveur du développement de la flotte. Seulement il fallait trouver un moyen de déchoir la position d’archonte pour rendre celle du collège de stratège plus puissante : les archontes étaient élus pour un an seulement, insuffisamment long pour mener une politique efficace ; une limite que ne connait pas le collège des stratèges. Ce fut chose faite lorsque l’Ekklèsia décida en 487-486 de désormais élire l’archonte au hasard (AH !). N’importe quel gueux pouvait ainsi occuper la plus haute place de la société que seuls les plus capables des Athéniens occupaient auparavant. De ce fait, le collège des stratèges devint le centre du pouvoir. La continuité assurée, encore fallait-il trouver un moyen d’écarter du pouvoir les pro-perses trop dérangeants. Ainsi fut mis en place l’ostracisme : le fait de bannir un citoyen athénien de la cité si au moins 6 000 citoyens votent contre lui. Inventé en 508, le principe de l’ostracisme ne fut jamais utilisé avant 487. De suite furent ostracisés Hipparque en 487, Mégaclès en 486 et Callixénos en 483-482 ; tous des membres de l’influente et pro-perse famille des Alcméonides.
Alors qu’on pouvait s’attendre à une nouvelle invasion perse dans les trois années suivant Marathon, un événement en repoussa l’échéance. Durant l’hiver 486-485, une révolte éclata en Egypte du fait de l’augmentation des impôts. Un an fut nécessaire pour régler ce problème. Seulement voilà, en novembre 486, Darius, Grand Roi de l’empire, passa l’arme à gauche à 64 ans. Xerxès, qui n’était pas le fils ainé mais néanmoins le fils choisi par Darius pour lui succéder, monta sur le trône, alors âgé de 32 ans. Sa première tâche fut de mater la rébellion égyptienne, ce qui fut chose faite en 484. Il se montra impitoyable. Loin de l’image que l’on a généralement de lui, Xerxès était avant tout efficace.
Xerxès hésita : devait-il envahir la Grèce ? Biens des proches le lui intimèrent et surtout son cousin Mardonios dont l’influence sur le nouveau Grand Roi était grande. Et puis, on accusait Xerxès de ne pas poursuivre l’œuvre de son père. La pression psychologique le poussa finalement à agir. Les préparatifs furent colossaux. En 484-483, les Athéniens eurent enfin vent de dangereuses nouvelles. Partout, des navires étaient en construction, des travaux étaient en cours dans les Dardanelles, l’armée se rassemblait. En aucun cas les Athéniens ne pouvaient résister à une telle puissance. A moins qu’un miracle ne survienne … Et il survint : un immense filon d’argent fut découvert pendant l’hiver 484-483 dans la vieille mine de Laurion (non loin d’Athènes).
Que faire de ces fonds soudains ? Plusieurs idées furent proposées mais la plus intelligente, heureusement pour la Grèce, fut celle de Thémistocle. Il proposa de mettre l’argent en réserve et de commencer à renforcer la flotte. Le fait que la rivale navale d’Athènes, Egine, possède alors une courte supériorité maritime lui ayant permis de vaincre à l’instant les Athéniens sur mer appuya le propos de Thémistocle. Ce dernier venait de prendre un énorme risque car l’une des idées était de donner cet argent de manière équitable aux citoyens athéniens : utiliser l’argent comme un bien public. Thémistocle venait de refuser au peuple un cadeau pécunier. En réalité, Thémistocle ne voulait pas seulement renforcer la flotte mais en faire une puissance de premier ordre en la dotant de 200 trières (ce qui est colossale à cette heure de l’Histoire). Pour ce faire, il lui fallait écarter Xanthippe par sécurité et son rival Aristide. Thémistocle fut dans ce dernier cas machiavélique, obtenant l’ostracisation d’Aristide par une campagne de diffamation. Les mines de Laurion donnèrent aux Athéniens un boost économique et commercial salvateur pour la guerre future.
Source (texte) :
Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.
Sources (images) :
https://lewebpedagogique.com/asoulabaille1/niveau-6e/histoire/grece-antique/la-bataille-de-marathon/carte-marathon/ (carte de l’Attique)
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Battle_of_Marathon_map-fr.svg (carte stratégique de Marathon)
https://greatestgreeks.wordpress.com/2015/11/02/miltiades/ (Miltiade)