Les Guerres médiques (partie III) : seconde veillée des armes (483-480 av J.C)

Les Guerres médiques (partie III) : seconde veillée des armes (483-480 av J.C)

Darius, au crépuscule de sa vie, laisse à son fils Xerxès un empire fort mais vaincu par les Grecs à Marathon. Chez ces derniers, Thémistocle, animal politique autant qu’excellent stratège militaire, élimine peu à peu ses opposants pour imposer ses vues : il croit la revanche des Achéménides proche et une puissante flotte nécessaire à la défense de la Grèce. Convaincu par ses proches, Xerxès cède effectivement au parti de la guerre. Les Grecs semblent incapables de s’opposer au courroux de Xerxès, jusqu’à la découverte d’un incroyable et salvateur filon d’argent dans les mines de Laurion.

Zone de Texte: Xerxès Ier le Grand, 4e Roi des Rois, Grand Roi de l’Empire Perse, 4e Pharaon de la 27e dynastie (486-475/465 av J.C)
Xerxès Ier le Grand, 4e Roi des Rois, Grand Roi de l’Empire Perse, 4e Pharaon de la 27e dynastie (486-475/465 av J.C)

Xerxès, de son côté, faisait face à des problèmes en Babylonie. Mégabyxos, excellent général d’une rare efficacité, résolut l’affaire avec brutalité. La région fut largement pillée, lui ôtant la richesse de sa grande puissance passée et pourvoyant les coffres de Xerxès en or. Alors que flotte et armée se rassemblaient en Asie Mineure, des espions grecs furent capturés. Chose nouvelle alors mais devenue tactique connue ensuite, Xerxès se contenta de leur faire visiter le camp en leur exposant les effectifs de son armée. Ainsi, Xerxès rassemblait déjà 1 700 000 fantassins, 80 000 cavaliers et 300 000 Grecs (surtout Thraces). En 480*, rassembler une force de deux millions d’hommes est absolument impossible, même pour le tout puissant souverain de l’immense empire Achéménide. En réalité, deux hypothèses sont avancées pour expliquer cette démesure. La première serait que Xerxès ait largement gonflé ses effectifs devant les espions grecs pour insuffler la peur chez ses ennemis. La seconde, qu’on gardera en tête pour tous les prochains chiffres qu’on avancera, est simplement que les Grecs ont confondus les mots perses « chiliarque » et « myriarque » désignant respectivement le « commandant de 1 000 » et le « commandant de 10 000 » de l’armée. En prenant en compte cette erreur et en gardant à l’esprit que Xerxès a tout de même pu gonfler ses effectifs, cela rapport les chiffres à 170 000 fantassins (dont les fameux 10 000 Immortels, troupe d’élite redoutable), 8 000 cavaliers et 30 000 Grecs. Ce nouveau total, de 210 000 hommes environ, est bien plus réaliste tout en restant une fabuleuse force pour l’époque. La flotte de Xerxès, elle, était forte de 1 327 navires, dont 674 servant à bâtir les impressionnants ponts de bateaux permettant de faire passer les armées perses de l’Asie à l’Europe. En tout, la flotte apte au combat était ainsi, selon les meilleures estimations, de 653 vaisseaux dont les Phéniciens et les Egyptiens formaient les corps d’élite.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ

Xerxès se mit en marche pour la Grèce : la Seconde guerre médique commençait. Il fit par ailleurs comprendre aux cités-Etats qu’elles pouvaient toutes collaborer pour se sauver d’emblée. Toutes ? Pas exactement. Et il serait bon de se rappeler qu’Athènes et Sparte n’avaient pas droit à cette mansuétude. C’est donc sans espoir de reddition possible que les deux cités-Etats les plus puissantes allaient s’opposer à Xerxès : point non-négligeable lorsqu’on connait la politique pour le moins changeante des Grecs. L’oracle de Delphes, le plus respecté de Grèce, toujours prosaïque dans ses prédictions, encouragea les cités-Etats à collaborer et invita les Athéniens à fuir leur ville. C’était là surtout du bon sens mais également la continuité de la Première guerre médique : Delphes resterait donc un puissant instrument de propagande perse. Et puis, face à une armée que les Grecs pensaient forte de deux millions d’hommes, rien d’étonnant.

Les Grecs se rassemblèrent pour discuter des options. La plupart des cités alors présentes allaient rapidement passer à l’ennemi. Mais cette ébauche de ligue allait se révéler importante. L’idée d’une ligne de défense posée loin au nord en Grèce fut d’abord préférée à la tactique maritime de Thémistocle. Cependant, avec la fluctuation des alliances en Grèce centrale, la ligne descendit plus au sud : la fameuse ligne Artémision-Thermopyles. Rapidement, il fut conclu que les Spartiates devaient tenir les Portes chaudes des Thermopyles, un passage si étroit que le nombre n’y comptait plus. Les Athéniens, eux, devaient tenir l’Artémision avec la flotte. Il faut ici apporter une précision importante : les Athéniens n’étaient pas seuls, la flotte lacédémonienne (spartiate), mais également celles de Corinthe, d’Egine, de Platées, de Chalcis (fournissant uniquement des hommes pour ces derniers) étaient là. Les Athéniens étaient pourtant les plus nombreux et avec un contingent qui était assurément le plus puissant.

Un point intéressant est ici à soulever : les cités-Etats de Grèce étaient fières, engendrant des difficultés politiques et diplomatiques évidentes tout au long du conflit. La ligue ne tint qu’à un fil, surtout concernant la coopération entre Spartiates, résolument isolationnistes et préférant les combats terrestres, et Athéniens, dont la force résidait désormais plus dans la marine. Les Spartiates étaient à la tête du bloc péloponnésien qui formait la majorité des votes de la ligue (le Péloponnèse est la partie basse de la Grèce, reliée à la Grèce centrale par l’Isthme). De ce fait, les Athéniens avaient peu de pouvoir de vote par rapport à leur puissance militaire. Ainsi, la flotte des Grecs, bien que majoritairement athénienne, serait commandée par un amiral spartiate : il fallait bien convaincre les Spartiates de faire monter leur flotte au nord de l’Isthme. Il faut ici saluer Thémistocle qui s’écrasa pour le bien de la coalition. On verra par ailleurs que c’est en réalité ce dernier qui mena la flotte.

Zone de Texte: Gélon, tyran de Syracuse (484-477 av J.C)
Gélon, tyran de Syracuse (484-477 av J.C)

Xerxès, de son côté, passa en Europe en 480 et ne rencontra aucune opposition dans le nord de la Grèce. Au contraire, son armée fut renforcée de Grecs. La Grèce centrale suivit largement ce mouvement collaborationniste dès le départ des troupes de la ligue plus au sud (à l’exception notable des cités de Thespies et Platées). Côté grec, on fit appel à Syracuse. En effet, Gélon de Syracuse, tyran grec en Sicile, était le dirigeant grec le plus puissant à cette heure. Il disposait d’une puissante armée. Etrangement, les Carthaginois, qui avaient maille à partir avec le tyran pour le contrôle de l’île sicilienne, décidèrent d’attaquer Gélon à ce moment précis. Ce n’est bien sûr pas une coïncidence. Rappelons que Carthage était à l’origine un comptoir commercial de la Phénicie. En 480, la Phénicie était sous contrôle des Achéménides, donc intégrée à l’empire perse. Xerxès n’eut dès lors aucun mal à convaincre les Carthaginois d’attaquer Syracuse alors que lui attaquait la Grèce. C’était là une habile manière d’empêcher le renforcement mutuel des Grecs. Cet espoir, déçu, fut un véritable coup dur pour la ligue.

Pour ne rien arranger, un oracle prédit ceci à Thémistocle : « le rempart de bois sera le seul à ne pas tomber […] Mais n’attends pas l’armée des cavaliers et des fantassins qui viennent d’Asie ; Ne sois pas en repos, mais tourne le dos et retire-toi devant l’ennemi. En vérité un jour viendra où tu le rencontreras face à face. Divine Salamine, tu apporteras la mort aux fils des femmes, Lorsque Déméter sème le blé ou bien lorsqu’elle récolte la moisson. » Peut-on être plus évasif ? L’oracle conseille à Thémistocle de fuir mais qu’un rempart de bois tiendra. Quel rempart de bois ? A Salamine allaient mourir les fils des femmes, mais de quels fils et de quelles femmes parlait-on ? La bataille se déroulerait lorsqu’on sème ou récolte le blé : mise à part l’hiver durant lequel les armées ne s’affrontent pas de toute manière à cette époque, cela peut placer la bataille à un peu près n’importe quel jour de l’année. Comme toujours, la prédiction était vague et nourrissait des interprétations diamétralement opposées, semant le doute chez les Athéniens. Ainsi commença l’évacuation de l’Attique (région de Grèce centrale dans laquelle se trouve Athènes) : les Athéniens allaient se réfugier à Trézène (ce nom est incroyable). Toutes les forces vives d’Athènes étaient de toute façon enrôlées dans la flotte. Il fallait 20 000 avirons pour 200 trières. Athènes pouvait alors en aligner 250, il fallut des hommes de Platées et de Chalcis pour que chaque trière soit raisonnablement armée. Tout comme une partie de la Grèce s’unissait devant le danger, les luttes intestines sociales et politiques d’Athènes se turent devant l’épreuve.

Zone de Texte: Thémistocle, fils de Néoclès, des Léontides (v524-459 av J.C)
Thémistocle, fils de Néoclès, des Léontides (524-459 av J.C)

Le roi de Sparte, Léonidas, gagna les Thermopyles avec 300 Spartiates. C’était là une troupe d’urgence destinée à la défense immédiate des Portes chaudes. Parallèlement, les flottes se rapprochèrent les unes des autres. C’étaient là 271 navires grecs contre 653 navires perses qui se préparaient au choc à l’Artémision. Un écart peu surprenant quand on sait que les Grecs avaient laissé environ 200 navires pour protéger Salamine. Un combat à l’Artémision n’avait vocation qu’à ralentir les Perses et leur faire paraitre la flotte grecque plus faible qu’elle ne l’était réellement. Cette flotte grecque comptait en tout 65 000 hommes dont 5% seulement de fantassins. Il fallait environ 200 hommes par trière, pas étonnant, dès lors, qu’Athènes n’ait pu envoyer d’hoplites aux Thermopyles. La cité avait de fait déjà eu du mal à pourvoir assez d’hommes pour sa flotte dont 40 navires athéniens étaient occupés par des Platéens et des Chalcidiens (20 navires chacun). Après de nouvelles disputes, Eurybiade, amiral spartiate, fut finalement confirmé dans son rôle d’amiral en chef. Cela ne changeait pas le fait que les ordres et le génie venaient de Thémistocle.

Léonidas atteignit les Thermopyles en même temps que la flotte atteignait l’Artémision. Ils étaient assez en avance pour remettre en état un vieux mur Phocidien. Contrairement à ce que l’on pense (et ce que voudrait nous faire croire Hollywood), Léonidas avait avec lui 7 300 hommes : environ 2 000 paysans arcadiens, 300 hoplites spartiates du corps d’élite, 900 holites (peuple asservi par Sparte dont le travail était plus celui de l’intendance que le combat dans ce cas), 700 hoplites de Thespies, 400 Thébains anti-Perses (Thèbes se débarrassait là de gêneurs), 3 000 volontaires Phocidiens, Malidiens et Locriens (1 000 par communauté). Une armée d’environ 6 000 combattants donc. Léonidas, orateur de talent, avait convaincu. Cette troupe devait d’ailleurs être très prochainement soutenue par une armée régulière spartiate. S’il n’y avait que 300 guerriers de Lacédémone (Sparte), c’est simplement que les fêtes des jeux olympiques, aussi importantes que les fêtes religieuses, y avaient lieu.

Le roi de Sparte s’installa à la « Porte du milieu » des Portes chaudes et inspecta les alentours. Il n’existait qu’un seul chemin, très bien dissimulé, qui pourrait permettre aux Perses de tourner les positions grecques de manière décisive : la piste passant par le Kallidromos. Apprenant l’existence de cette dangereuse faiblesse, Léonidas ne pouvait rien faire sinon la dissimuler et prier les dieux, il ne pouvait pas bouger la ligne de défense de la ligue. Il boucha donc l’entrée du mieux qu’il put et envoya les Phocidiens, volontaires pour cette tâche, défendre le passage. Ces derniers, en plus de n’être aucunement comparables aux machines à tuer que sont les hoplites spartiates, étaient bien trop peu nombreux pour couvrir cette faiblesse potentiellement fatale. Léonidas s’appliqua également à détruire les environs : récoltant les vivres et ne laissant rien à l’ennemi perse. Le 12 août 480, un signal lumineux indiqua que les Perses arrivaient enfin au contact de la flotte d’Eurybiade et Thémistocle. Or, la flotte de Xerxès assurant le ravitaillement de l’armée, celles-ci n’étaient jamais loin l’une de l’autre. Xerxès n’allait pas tarder à faire face à Léonidas.

A l’Artémision, la confrontation commença par un coup du sort : le 13 août, alors que la flotte perse venait d’arriver à hauteur des Grecs, une terrible tempête provoquée par le meltemi fit sombrer un tiers de la flotte perse en trois jours. Xerxès arriva enfin à hauteur des Thermopyles : il tenta de trouver un moyen de contourner la position mais n’en trouva pas. Il ne voulait pas affronter ces guerriers spartiates. Si sa flotte avait été là, il aurait pu obtenir une victoire facile. Mais avec une telle tempête, il savait que cela n’arriverait pas de sitôt. La défense de l’Artémision exigée par Thémistocle était nécessaire à la survie de Léonidas. Xerxès tenta de parlementer avec Léonidas. Si certains furent tentés de descendre plus au sud, ce ne fut pas le cas de Léonidas qui refusa fermement cette possibilité. Son point de vue prévalut.

Ligne Artémision-Thermopyles

Ayant essuyé ce refus, Xerxès demanda conseil à Démarate, roi Sparte en exil qui avait trouvé la cour de Xerxès depuis fort longtemps. Ce dernier voyait là une occasion inespérée de tuer Léonidas et récupérer son trône. Démarate n’en vanta pas moins la qualité des soldats qui lui faisaient face. Xerxès, de ce fait, se refusa à engager le combat trois jours durant. Le Grand Roi attendait intelligemment que sa flotte puisse de nouveau entrer en action. Devant Eurybiade et Thémistocle, la flotte perse, bien que meurtrie, était toujours plus imposante : le rapport était de 5 pour 3 environ. Dans la nuit du 16 au 17 août, une escadre perse prit la mer pour contourner la position grecque : un mouvement ingénieux, coupant les arrières grecs, mais terriblement long, ne pouvant refermer le piège avant le 19 août. Cette manœuvre de contournement sema la panique chez les Grecs car Eurybiade songeait alors à se retirer totalement vers l’Isthme au sud. Aucun amiral ne voulait attaquer, au mieux voulaient-ils défendre. Thémistocle, payant grassement certains des amiraux, avait déjà réussi à repousser la proposition de fuite. Mais l’amiral athénien voulait attaquer ! Il ne fallait pas laisser aux Perses le temps de réparer leurs navires endommagés. De plus, la flotte de Xerxès, trop imposante, était dispersée en plusieurs mouillages alors que celle des Grecs était regroupée. Thémistocle comptait donc attaquer quelques mouillages pour obtenir des victoires rapides sur des bouts isolés de la flotte adverse puis se retirer.

Source (texte) :

Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.

Sources (images) :

https://www.idolnetworth.com/xerxes-i-net-worth-55965 (Xerxès)

https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9lon#/media/Fichier:Gelon_I.jpg (Gélon)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9mistocle#/media/Fichier:Beeld,_Themistocles_-_Unknown_-_20408396_-_RCE.jpg (Thémistocle)

http://trefaucube.free.fr/index.php?id=52 (Ligne Thermopyles-Artémision)

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