Le règne de Louis XIV (partie XXVIII) : fin d’une guerre de neuf ans et la paix de Ryswick (1695-1697)

Le règne de Louis XIV (partie XXVIII) : fin d’une guerre de neuf ans et la paix de Ryswick (1695-1697)

Rappel : L’année 1693 fut particulièrement favorable aux armes françaises sur tous les fronts. Au nord, la France l’emporta à Neerwinden, pire boucherie du siècle et s’empara de Huy puis Charleroi, complétant une puissante ligne de défense ; en Allemagne Lorges prit Heidelberg ; en Italie Catinat triompha face à Victor-Amédée II durant la bataille décisive de La Marsaille ; en Méditerranée Tourville captura un convoi allié pourtant très bien escorté en prenant le dessus lors de la bataille de Lagos, faisant oublier La Hougue… Pourtant, une catastrophe sans commune mesure toucha la France en 1693-1694 : des perturbations climatiques. Ces dernières étaient la conséquence du « petit âge glaciaire » s’étendant de 1645 à 1715 et toucha particulièrement la production française en 1693 et 1694. La première année, la France vécut sur ses réserves. En 1694, la situation devint intenable. En tout, en deux ans, le royaume de Louis XIV, peuplé de quelque 22.4 millions d’âmes, déplora 1.3 millions de morts du fait de ces perturbations. Aucune hécatombe démographique depuis lors, en trois siècles, ne dépassa celle-ci en France. Les guerres de la Révolution et de l’Empire, la guerre de 1870, celle de 1939-1945, firent toutes moins de morts en France que les années 1693-1694. Seule la Première Guerre mondiale fit légèrement plus de morts (1.4 million de morts) mais ce fut sur quatre ans au lieu de deux et sur une population deux fois plus nombreuse (40 millions d’habitants). Ce paramètre est une clef de compréhension du conflit. En premier lieu, elle explique que 1694 fut militairement peu mouvementée. Les Alliés reprirent Dixmude et Huy en septembre au Nord, Noailles progressa en direction de Barcelone au Sud et les Anglo-hollandais attaquèrent sans grand succès le littoral français, de Brest (opération amphibie d’envergure qui échoua) à Calais. La Royale (en premier lieu Tourville) comme les corsaires (Jean Bart principalement) eurent pour principale mission, sur ces années, de capturer ou protéger les convois de nourriture.

Le 4 janvier 1695, le maréchal de Luxembourg, le plus capable des militaires de Louis XIV, décéda à 67 ans, vingt ans après Turenne. Louis XIV fit alors l’erreur de nommer non pas Vendôme mais son ami le malchanceux Villeroy pour reprendre le commandement de l’armée de Flandre. Sur ce même théâtre, le maréchal de Boufflers commença la campagne en creusant de nouvelles lignes fortifiées, entre la Lys à Courtrai et la Scheldt à Avelghem, sur 16 km, sur ordre du roi. Les armées ne se rencontrèrent pas. Seul le duc de Wurtemberg fut vivement repoussé à Kenoque les 19 et 20 juin 1695. Alors, les Alliés montèrent quel était leur véritable objectif : ils convergèrent sur Namur, défendue par une garnison de 13 000 hommes juste renforcée par Boufflers. En face, ce fut Van Coehoorn qui mena le siège. Boufflers mena une vaillante et active défense, faisant régulièrement des sorties pour détruire les ouvrages des assaillants. Villeroy, qui dirigeait une armée de secours, décida finalement de ne pas tenter de débloquer Boufflers, du fait des 80 000 hommes de Guillaume III qui couvraient le siège. Au lieu de quoi, il tenta une diversion en bombardant Bruxelles, qui subit de sérieux dommages en août ; mais rien n’y fit. Le 31 août, Van Coehoorn lança une offensive générale sur tous les points tenus par les Français. L’offensive fut repoussée, mais à grand peine. Le lendemain, Boufflers annonça sa reddition pour le 5 septembre s’il ne recevait pas de renforts. C’est ce qu’il fit. Guillaume III avait été immobilisé toute l’été, avait dilapidé une fortune et perdu 18 000 à 20 000 hommes dans le siège. Les Français déplorèrent 8 000 tués et blessés.

Sur le Rhin, Lorges eut pour ordre de rester sur la défensive. Une maladie l’obligea à déléguer sa charge au maréchal Joyeuse mais aucune action significative n’advint sur ce front. L’action, en Italie, se concentra sur Casal. En fait, Louis XIV avait jugé, à juste titre, que le duc de Savoie était le maillon faible de l’alliance. Le roi de France parvint à le décrocher de la coalition en 1695. Le duc de Savoie avait désormais plus peur de l’Autriche que de la France et souhaitait bénéficier du soutien de cette dernière. En rendant Casal, dont les murs seraient rasés, la France faisait sortir Victor-Amédée de la guerre. Les Français s’adonnèrent à un simulacre de résistance et Victor-Amédée dépêcha tout de même 18 000 hommes sur place. Casal capitula le 9 juillet. La paix n’était pas encore actée, les négociations s’engageaient. En Espagne, des régiments de mercenaires vinrent renforcer les Espagnols qui essayèrent, avec le soutien de la flotte alliée de Russel, de débloquer les alentours de Barcelone. Les Espagnols de Gastanaga, gouverneur général de Catalogne, attaquèrent Ostalric et Castelfollit simultanément. Noailles tomba si gravement malade que Louis XIV le remplaça par Louis-Joseph, duc de Vendôme, qui deviendra l’un des meilleurs généraux du roi. Celui-ci abandonna Ostalric et se retira à Gerone. Gastanaga et Russel menèrent une action combinée pour faire tomber Palamos. Une fausse rumeur lancée par Vendôme selon laquelle la flotte de Toulon viendrait attaquer le blocus poussa Russel à lever l’ancre pour combattre Tourville, qu’il ne trouva pas. Sans la flotte de Russel, le siège espagnol s’effondra. Les Français détruisirent alors Palamos et Castelfollit, jugés indéfendables, et se basèrent à Gérone. L’armée française étaient encore restée toute l’année en Espagne, vivant sur le pays ennemi.

En 1695, la crise économique poussa la France à abandonner la guerre d’escadre pour la guerre de course. L’Etat ne pouvait plus se permettre de mobiliser la plus grande armée d’Europe tout en entretenant une flotte significative. La défense côtière, qui avait fait ses preuves sous Vauban, semblait suffisante. Les principales actions françaises en mer furent dès lors celles des corsaires. En 1695, les Alliés bombardèrent Saint-Malo et Granville en juillet, puis Dunkerque et Calais en août.

Louis XIV avait engagé les pourparlers de la paix dès le début de la guerre. Avec le décès du pape Innocent XI en 1689, les relations avec Rome s’améliorèrent sous le pontificat d’Alexandre VIII. Louis XIV rappela Lavardin et restitua Avignon. Pourtant, Alexandre VIII s’éteignit en 1691. Innocent XII lui succéda et les relations se réchauffèrent plus encore, permettant une réelle progression vers la paix. Pourtant, la coalition européenne n’entendait alors pas faire la paix, sauf en cas de capitulation de la France sur tous les sujets importants. Jusqu’à ce que Louis XIV traite avec le maillon faible de l’alliance : l’opportuniste duc de Savoie. Après La Marsaille, il signa la paix de Turin lorsque Catinat entra en Savoie avec 50 000 hommes, le 29 juin 1696. Louis XIV acceptait d’évacuer ses terres, de lui rendre Pignerol, Suse, Montmélian, Nice et Villefranche. Il accepta même de voir la fille du duc, Marie-Adélaïde, épouser le duc de Bourgogne, fils ainé du Grand Dauphin. En contrepartie, les forces savoyardes devaient aider la France à envahir le Milanais. Cependant, le 7 octobre, les Alliés s’entendirent par la convention de Vigevano, annonçant une suspension des armes en Italie pour le reste de la guerre. Cela n’empêcha pas les canons de tonner plus au Nord : les Alliés pilonnèrent Dunkerque, Calais, Saint-Martin-de-Ré et les Sables-d’Olonne en 1696.

L’année 1696 fut également l’occasion d’un nouveau plan d’invasion de l’Angleterre par Louis XIV, afin de ramener Jacques II sur le trône. Seulement voilà, Louis XIV attendait un soulèvement jacobite en Angleterre pour lancer l’invasion et les jacobites attendaient le débarquement français pour se soulever. L’invasion n’eut jamais lieu et les 12 000 vétérans français rassemblés pour débarquer furent finalement utilisés en Flandre. Guillaume III, averti par ses espions, avait tout de même renvoyé des régiments en Angleterre et donné des ordres pour éloigner les catholiques de Londres. A minima, ce fiasco eut pour effet de ramener Russel et Rooke vers l’Angleterre. La flotte alliée absente de Cadix, c’était une occasion de frapper un grand coup en Catalogne en 1697. Parallèlement, Nesmond, Châteaurenault et Jean Bart attaquaient en tant que corsaires les navires alliés. Ces derniers perdirent 4 000 bâtiments marchands et Jean Bart causa des dégâts considérables en mer du Nord où il fixa l’attention des Alliés par la seconde bataille du Texel (18 juin 1696). Nesmond, lui, fit plusieurs prises d’une valeur de 6 millions de livres en 1696. La victoire de Vendôme à Darmstadt (1er juin 1696) montra la détermination française face à la lassitude des coalisés.

Jean Bart (1640-1702), corsaire français anobli par Louis XIV

L’Empereur et Charles II d’Espagne furent rapidement contraints d’accepter la suspension d’armes de Vigevano en Italie, en attendant la paix générale. Abandonnés l’Angleterre et les Provinces-Unies acceptèrent de négocier le 9 mai 1697, non loin de Ryswick (près de La Haye), en Hollande. Et puis, les coalisés étaient épuisés malgré leur système bancaire nettement plus robuste. En Angleterre, les actions des compagnies à charte étaient en chute libre dès 1694, les impôts indirects, qui avaient déjà significativement enflé, ne suffisaient plus aux finances publiques. La banque d’Angleterre, banque d’émission, dotée d’une charte le 24 juillet 1694, mettait pourtant son crédit à la disposition de l’Etat. Mais Londres dut recourir aux emprunts. Les complots jacobites n’arrangeaient pas la situation. Les tories, la noblesse terrestre, la gentry et les pasteurs réclamaient la paix.

Cela n’empêcha pas les campagnes de se dérouler cette même année. Les Français alignaient trois armées en Flandre, totalisant 190 000 hommes, sous Boufflers, Villeroy et Catinat. En face, la réunion des forces de Guillaume III et de l’électeur de Bavière porta leurs effectifs à 100 000 hommes. Pourtant, aucune action majeure n’eut lieu, à part la prise d’Ath par les Français le 5 juin. Vauban testa, lors de ce siège, une nouvelle technique : le tir à ricochet, le boulet passant au-dessus des murs pour atteindre les assiégés derrière. En Rhénanie, rien d’intéressant ne se produisit non plus. Les Français continuèrent à bloquer l’accès à l’Alsace tout en vivant sur le pays ennemi. Les Alliés s’emparèrent d’Ebernberg le 27 septembre. L’Angleterre, les Provinces-Unies et la France étaient prêtes pour la paix. Seulement voilà, l’Espagne et l’Autriche faisaient la fine bouche. Alors, l’Angleterre refusa d’aider l’Espagne contre la France en 1697 parce qu’elle traînait à signer la paix. Vendôme posa le siège sur Barcelone le 4 juin et d’Estrées bloqua la ville par la mer. Après d’âpres combats, une armée de secours espagnole menaça. Vendôme décida de la confronter. Le 14 juillet, il attaqua avec 7 000 hommes le camp de cette armée de secours à Saint-Feliu et prit ses adversaires totalement au dépourvu. Les Français perdirent 80 hommes dans l’affaire, les Espagnols au moins 3 000. Après quoi, Vendôme renforça la pression sur Barcelone, qui capitula le 10 août 1697. Ce siège avait coûté 9 000 hommes aux Français, 12 000 aux Espagnols.

Le baron de Pointis, officier de la marine devenu corsaire, rassembla 7 navires de ligne, 3 frégates, une galiote à bombes, une flûte et une corvette. Le 9 janvier 1697, il quitta Brest avec sa flotte et rejoignit les Antilles où il assiégea Carthagène des Indes (Colombie actuelle) en avril. La ville capitula le 2 mai. Cette victoire, suite à un pari fou, rapporta plus de 10 millions de livres à Pointis, qui esquiva tous les dangers sur le retour vers Brest, où il arriva le 29 août. La guerre de la Ligue d’Augsbourg eut peu d’effet sur les empires coloniaux et le monde. Certes, en Amérique du Nord, les Français, Algonquins et Abenakis affrontèrent les Anglais et Iroquois. Les principales actions se déroulèrent en 1690, avec le raid franco-indien sur Schenectady et la prise par les Anglais de Port-Royal. Londres ne parvint cependant pas à faire tomber Québec et Montréal. Sur toute la guerre, dite « guerre du roi Guillaume » pour les colons Anglais, les Français perdirent 300 hommes, les Anglais 650 et les Amérindiens certainement plus. En Asie, les Hollandais, ulcérés par la prospérité du nouveau comptoir français de Pondichéry sur la côte indienne de Coromandel, décidèrent d’en faire le siège en 1693. Ils s’en emparèrent le 6 septembre. La guerre de la Ligue d’Augsbourg coïncida également avec une humiliation pour la Compagnie anglaise des Indes orientales face aux Moghols de 1686 à 1690 au Bengale puis à Bombay. Mais cela n’eut aucune réelle incidence.

Jean-Bernard baron de Pointis (1645-1707), corsaire puis chef d’escadre français.

La Suède joua les médiateurs. Les succès français, Catinat prenant Ath le 6 juin et les colons français organisant des raids sur la baie d’Hudson, Boston et New York en Amérique du Nord, poussèrent les négociations avec Guillaume d’Orange à leur terme. Il en alla de même pour l’Espagne avec la prise par Vendôme de Barcelone et surtout la chute de Carthagène des Indes, après un siège mené par le baron Pointis, secondé par Ducasse, le 6 mai 1697.

Traité de Ryswick (20 septembre – 30 octobre 1697).

L’Angleterre, les Provinces-Unies, l’Espagne et la France signèrent la paix de Ryswick dans la nuit du 20 au 21 septembre 1697. Le 30 octobre, l’Empereur, un temps grisé par ses victoires sur l’Empire ottoman, se résigna à les imiter. Pourtant, Louis XIV avait fait concession sur concession. Par la paix de Ryswick, la France rendit Barcelone, Luxembourg et les places des Pays-Bas espagnols occupés depuis la paix de Nimègue à l’Espagne ; le Palatinat, Kehl, Fribourg, Vieux-Brisach, Philippsbourg et Montbéliard à l’Empire ainsi que le duché des Deux-Ponts à la famille de Suède. Il reconnut l’électeur Maximilien de Bavière comme gouverneur général des Pays-Bas espagnols, rendit au jeune duc de Lorraine, Léopold, fils de Charles V, le duché de Lorraine (sans Marsal, Sarrelouis et Longwy) avec cependant un droit de passage. La France obtint un dédommagement pour la duchesse d’Orléans qui renonçait à la succession palatine, le cardinal de Fürstenberg se voyait restituer ses biens dans l’Empire, à défaut de devenir électeur. La France recevait de l’Espagne la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue, tandis que la Hollande restituait le comptoir de Pondichéry (capturé en 1691). L’Angleterre récupéra également ses établissements de la baie d’Hudson et de Terre-Neuve. Les Provinces-Unies obtinrent des avantages commerciaux de la France, revenant aux tarifs modérés de 1664, et la permission de tenir des garnisons dans les places des Pays-Bas espagnols, constituant la « Barrière ». Enfin, Louis XIV accepta de ne plus assister les ennemis de l’Angleterre, en particulier les jacobites et reconnut surtout Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre. C’était reconnaître un recul du droit divin, ce qui dut en coûter au roi de France.

L’Europe suite à la paix de Ryswick, vers 1700.

Au niveau international, cette guerre ne fit pas de réel vainqueur ou vaincu. Guillaume d’Orange imposait son concept de « balance de l’Europe » et la France demeurait plus que jamais sous surveillance (la Barrière, ou encore le fait que la Ligue d’Augsbourg ne fut pas dissoute). Mais la France avait perdu l’essentiel de ses réunions si difficilement acquises (sauf Strasbourg) et le peuple ne comprenait pas cette paix de concessions après tant de victoires. L’influence française baissa en Europe de l’Est, comme l’atteste la candidature du prince Conti à la succession de Sobieski en Pologne, qui fut ignorée au profit d’Auguste, électeur de Saxe. À bien des égards, Louis XIV avait largement gagné la guerre, n’essuyant aucun revers significatif sur terre et en ayant infligé plusieurs, volant de victoire en victoire ; mais il avait plus que perdu la paix. Pourquoi alors la France fit tant de concessions ? Les mauvaises récoltes de 1697 ? Les perturbations climatiques de 1693-1694 ? Des troubles internes ? Pour le Roi-Soleil, la paix était une victoire en tant que tel, car cet excès de modération s’expliquait par un enjeu autrement plus important que quelques villes. Louis XIV savait que Charles II d’Espagne n’allait pas tarder à mourir. Il préféra alors assainir la situation pour se réconcilier avec deux adversaires de la veille : l’Angleterre et la Hollande, qui pourraient l’aider à contrecarrer les plans de l’Empereur. L’enjeu était l’immense empire espagnol.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Bart (Bart)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Bernard_de_Pointis (Pointis)

https://en.wikipedia.org/wiki/Peace_of_Ryswick (paix de Ryswick et carte Europe vers 1700)

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