Le règne de Louis XIV (partie XXVI) : la guerre de la Ligue d’Augsbourg, de Mons à La Hougue (1691-1692)

Le règne de Louis XIV (partie XXVI) : la guerre de la Ligue d’Augsbourg, de Mons à La Hougue (1691-1692)

Rappel : lançant ses hommes vers le Palatinat fin 1688, Louis XIV opta pour la politique de la terre brûlée, suivant les conseils de Chamlay et Louvois, dans l’espoir de se constituer un glacis protégeant la frontière Est de la France. Ce faisant, l’armée française procéda au sac du Palatinat qui scandalisa l’Europe et, loin de terroriser les Etats allemands, les poussa à s’allier avec l’Empereur pour entrer en guerre. Oubliant les différends religieux d’autrefois, les 2/3 de l’Europe décidèrent d’une guerre contre le Roi-Soleil. La guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697), dite également guerre de Neuf Ans, débuta par des campagnes militaires en Allemagne et dans les Flandres. La Savoie en profita pour attaquer la France également. La France, première puissance militaire terrestre comme maritime d’Europe, fit face en Flandre, sur le Rhin, en Savoie et dans les Pyrénées tout en soutenant un débarquement de Jacques II Stuart en Irlande catholique. Ce dernier échoua à reprendre le trône qu’il avait abandonné à Guillaume III d’Angleterre durant la Glorieuse Révolution. Pendant ce temps, l’amiral Tourville emporta sur la coalition la plus belle victoire navale française du siècle au Cap Béveziers en juillet 1690. Isolée, la France tenait pour le moment la dragée haute à ses adversaires. Mais Louis XIV perdit en une décennie ce qui fut sans doute la meilleure équipe ministérielle de la France d’Ancien Régime avec les décès successifs de Colbert (1683), Le Tellier (1685), Seignelay (1690) puis Louvois (1691).

Guillaume IIII, confiant, retourna sur le continent. En mars 1691, Guillaume organisa un congrès général des Etats coalisés à La Haye. L’objectif était clair : ramener la France dans ses frontières de 1659, lors du traité des Pyrénées. Deux jours après ce congrès, le 17 mars, Louis XIV en personne, commandant à 100 000 hommes, investit Mons. La forteresse était stratégique et difficile à prendre. L’armée française se scinda en deux forces équivalentes : 46 000 hommes assiégeaient la ville sous la direction de Louis XIV tandis que l’autre partie de l’armée, sous la férule de Luxembourg, protégeait le siège. Heureux de retrouver le plein air et l’ambiance martiale, le roi de France se rendit plusieurs fois dans les tranchées et prit la ville le 10 avril, avant que Guillaume III, qui avait posé pied sur le continent avec 38 000 hommes, ne puisse intervenir. Luxembourg, le meilleur maréchal de Louis XIV, s’empara de Halle fin mai puis refusa un combat contre Guillaume III car celui-ci se serait déroulé sur un terrain trop défavorable. Boufflers bombarda Liège, qui demeurait neutre mais avait accepté une garnison du roi d’Angleterre. Fin juillet, l’objectif de Guillaume III était Dinant. Luxembourg s’assura de l’empêcher de poser le siège sur la ville et Boufflers fourragea autour de Dinant pour y retirer toute ressource. Le roi d’Angleterre rentra rageusement outre-Manche. Le 19 septembre 1691, à Leuze, près de Tournai, la maison du roi, conduite par Luxembourg, tomba inopinément sur toute la cavalerie des coalisés. Par une charge héroïque, les 19 escadrons français l’emportèrent brillamment sur les 72 escadrons adverses, malgré un rapport d’un pour trois. Dans les Pays-Bas espagnols comme sur le Rhin, la campagne de 1691 ne vit aucune action significative. Des tranchées de défense apparaissaient de part et d’autre.

Siège de Mons (mars-avril 1691).

Il en alla autrement de la campagne en Italie. Là, Schomberg avait rejoint le duc de Savoie et engagé des huguenots qui, avec les Vaudois, donnaient un goût de guerre religieuse aux affrontements. Catinat fit tomber Villefranche et encercla Nice en mars. La citadelle tomba le 2 avril. Après quoi, les Français firent un raid d’Aoste à Ivrée, prirent Avigliana (29 mai) puis Carmagnole (9 juin), qui changea cependant de main plusieurs fois, les Alliés s’en emparant le 8 octobre. Les Français prirent Montmélian, dont la ville tomba le 5 août mais la citadelle tint jusqu’au 22 décembre ! Louis XIV, fort de ces succès, proposa un traité de paix à Victor-Amédée, qui le refusa. Sur les Pyrénées, le général de Noailles prit la Seu d’Urgell, après un siège, fin mai. Les Espagnols se refusèrent à déloger les Français, trop bien retranchés, de Bellver. Malgré une aide française – timide – en matériel et équipements qui parvint début juin aux Irlandais catholiques, ceux-ci ne tenaient plus. Ginkel, qui commandait les troupes de Guillaume III, s’empara de Balimorre le 19 juin et d’Athlone le 10 juillet. Saint-Ruth, commandant les forces de Jacques II, décida alors d’affronter ses adversaires en coupant derrière lui les ponts pour obliger ses troupes à combattre jusqu’au bout. Le 22 juillet 1691, à Kilconnell, l’armée de Saint-Ruth fut écrasée et ce dernier tué dans l’affrontement. Après quoi, les villes catholiques d’Irlande tombèrent rapidement. Seule restait Limerick qui fut assiégée le 1er septembre et tomba le 13 octobre. 14 000 soldats irlandais débarquèrent alors à Brest, où Jacques II les passa en revue.

Tandis que Tourville effectuait en 1691 sa « campagne du large » pour écarter les Anglais du littoral français, d’Estrées, avec la flotte de Toulon, soutenait le siège de Nice en mars, bombardait Barcelone les 10 et 11 juillet, mettant la ville à feu avec 800 bombes, puis pilonnait Alicante de milliers d’obus de mortier le reste du mois de juillet, occasionnant des dégâts se chiffrant à deux millions de livres.

En 1692, Louis XIV porta son effort principal sur Namur. La topographie du lieu était largement complexifiée par sa localisation : au confluent de la Sambre avec la Meuse. Ainsi, une armée assiégeant Namur était nécessairement coupée en trois. La ville était cependant surplombée par des hauteurs de tous les côtés, facilitant l’utilisation de l’artillerie par l’assiégeant. Le point fort de la défense de Namur se composait d’un réseau d’ouvrages défensifs se soutenant mutuellement et protégeant la citadelle de la ville, située sur une colline. Pour assiéger Namur, Louis XIV employa des moyens inédits : 60 000 hommes assiégeaient directement la ville, sous les ordres du roi de France, tandis que 60 000 soldats supplémentaires, sous les ordres de Luxembourg, couvraient le siège contre une éventuelle armée de secours, que Guillaume III ne manqua pas de former. Le siège de Namur resta célèbre pour avoir opposé deux maîtres incontestés de la guerre de siège contemporaine : Vauban, du côté des assaillants et Menno Van Coehoorn du côté des assiégés. Investie par la cavalerie française dans la nuit du 25 au 26 mai 1692, la place fut assiégée et la ville tomba le 5 juin. Mais la citadelle fut autrement plus dure à prendre.

Siège de Namur (mai-juin 1692).
François-Henri de Montmorency-Bouteville, duc de Piney-Luxembourg (1628-1695), dit « Luxembourg », pair de France (1661) et maréchal de France (1675).

Il fallut d’abord s’emparer de La Cachotte, une redoute couvrant les approches du fort Guillaume, le point stratégique de la défense. Le siège de La Cachotte débuta le 7 juin et un assaut majeur fit tomber la redoute le 12. Vauban s’adonna alors au siège du fort Guillaume, défendu par Van Coehoorn en personne. Les sapeurs s’en approchèrent de deux directions différentes, sous la pluie et Van Coehoorn opposa une défense résolue. L’assaut final du 22 juin fit tomber le fort par une attaque française en tenailles, malgré une belle défense de Van Coehoorn. Vauban s’empressa de venir dire à Van Coehoorn qu’il avait « l’honneur d’avoir été attaqué par le plus grand roi du monde », à quoi l’intéressé répliqua que sa seule consolation était d’avoir obligé Vauban à déplacer des batteries de siège par sept fois. La garnison du fort Guillaume quitta Namur pour Gand. Alors, la clef des ouvrages défensifs perdue, la citadelle ne résista plus. Namur capitula le 30 juin. Les Français avaient perdu 7 000 tués et blessés dans le siège, leurs adversaires 4 000.

Menno, baron van Coehoorn (1641-1704), inspecteur-général des forteresses de Hollande.

Après quoi, Guillaume III parvint à engager Luxembourg sur un terrain boisé interdisant au Français l’utilisation de sa cavalerie, à Steinkerque, le 3 août. Surpris, les Français reculèrent avant de reprendre l’ascendant et de finalement remporter la bataille. Les Français avaient perdu 7 000 hommes, les Alliés quelque 8 000 morts et 1 200 prisonniers (Espagnols, Anglais, Allemands et Hollandais). Cet affrontement empêcha les Alliés d’entreprendre une attaque sur Namur mais également les Français, entamés, de faire mouvement vers Liège. Pendant ce temps, Boufflers bombarda Charleroi, prit Funes (6 janvier 1693) et Dixmude (10 janvier).

Représentation de la bataille de Steinkerque – 3 août 1692.

En Rhénanie, les Français s’occupèrent surtout de mettre des terres allemandes à contribution, de ravager la rive droite du Rhin et de protéger le territoire français sur l’année 1692. Le 17 septembre, le maréchal de Lorges défit tout de même Charles de Wurtemberg à Pforzheim. En Italie, Catinat, avec 15 000 à 16 000 hommes, faisait désormais face à 50 000 hommes. Si Catinat parvint à conserver Suse et Pignerol, Savoie s’empara tout de même d’Embrun (15 août 1692) et Gap (20 août) avant d’entrer dans le Dauphiné, incendiant 11 000 maisons, tuant 25 000 bêtes, violant les ursulines du couvent de Gap et imposant une contribution de 50 000 livres. De quoi rivaliser avec le sac français du Palatinat tant décrié. Catinat ne put que limiter la casse. Louis XIV, vivant comme un affront la pénétration des ennemis en France, préleva des troupes sur Noailles dans les Pyrénées pour les envoyer en Italie. Or, celui-ci était en train d’opérer une percée en Catalogne, qu’il fut alors contraint d’abandonner. Aucun autre mouvement significatif n’advint ensuite sur ce front.

Anne-Jules de Noailles (1650-1708), comte d’Ayen (1663) et duc de Noailles (1678), maréchal de France (1693).
Guy Aldonce II de Durfort (1630-1702), duc de Lorges et de Quintin, neveu de Turenne et maréchal de France (1675).

En 1692, Louis XIV avait accepté, sous la pression des jacobites, de monter une nouvelle expédition vers l’Angleterre. L’amiral Tourville devait ainsi lever l’ancre à Brest, embarquer 21 bataillons à La Hougue en Normandie, foncer vers l’Angleterre et engager le combat qu’importe le rapport de forces. Ces ordres venaient du roi, qui les avait prévus pour Tourville et d’Estrées, le second transportant les troupes sous la couverture des 16 bâtiments du premier. Or, d’Estrées et l’escadre de Toulon, partis en retard, avaient de surcroît été ralentis par des vents contraires. L’ordre écrit émanant du roi, avec ou sans d’Estrées, Tourville ne pouvait s’y soustraire. Or, l’ordre représentait la volonté du roi qu’il désirait « voir exécutée sans aucune modification ». Le 20 mai, se rendant compte de la situation, Pontchartrain modifia ses directives mais l’ordre ne parvint jamais à l’amiral qui faisait déjà voile vers l’ennemi. La bataille s’annonçait très inégale : Tourville, 44 vaisseaux de haut bord, 3 142 canons embarqués, allait affronter les amiraux Edward Russel et George Rooke, à la tête de 99 navires de haut bord, armés par 8 980 canons.

Le matin du 29 mai 1692, Tourville aperçut la flotte ennemie près de la pointe de Barfleur et, estimant être obligé par ses ordres et qu’une retraite démoraliserait la flotte, attaqua. A vrai dire, Tourville concentra son attaque en un point de la ligne alliée où il avait la supériorité en puissance de feu. L’avant-garde française jeta l’ancre pour empêcher, un temps, l’ennemi de tourner sa position. Les Alliés, par leur nombre, finirent par envelopper les Français. Admirablement secondé par Villette-Mursay, Nesmond et Coëtlogon, Tourville fit preuve d’une supériorité tactique indéniable et tint tête 12 heures, coulant deux navires ennemis sans en perdre un seul. Avant que l’encerclement ne soit complet, une brume se leva en fin d’après-midi. Tourville en profita pour désengager sa flotte, ayant seulement quelques bâtiments démâtés. L’amiral Mahan estima « Ce résultat extraordinaire est bien la plus forte preuve d’esprit militaire et de valeur qui ait pu être donnée par une marine. » S’il avait gagné la bataille de Barfleur, Tourville essuya des pertes dans la retraite. La flotte française fit voile vers l’Ouest et se dispersa. Les navires les plus rapides doublèrent la pointe de La Hougue à l’extrémité du Cotentin, les moins rapides, pris entre deux marées, n’eurent pas cette chance. Ne disposant pas de port important sur la Manche, les Français durent jeter l’ancre à Cherbourg et La Hougue. Tourville conduisit la défense des trois navires français à Cherbourg, repoussant plusieurs assauts d’une escadre de 17 vaisseaux de ligne alliés. Tourville décida d’incendier ses bâtiments le 1er juin. Après quoi, il rejoignit les 12 vaisseaux mouillant à La Hougue, où l’amiral espérait être protégé par les batteries côtières, qui étaient insuffisantes. Acculé par l’ennemi, Tourville décida de faire s’échouer les navires et de les protéger avec des chaloupes. Les Alliés lancèrent 200 chaloupes et parvinrent à brûler les navires français les 2 et 3 juin malgré la défense acharnée, à l’épée, de Tourville et des siens.

Bataille navale de Barfleur – 29 mai 1692.
Affrontements de La Hougue – 2-3 juin 1692.

Si les historiens anglais regroupent évidemment les événements courant du 29 mai au 3 juin sous le seul nom de La Hougue, les historiens français font eux la différence entre l’honorable bataille de Barfleur le 29 mai et le désastre du combat sur le littoral, appelé La Hougue. Pour les Anglais, l’humiliation de Béveziers était lavée. Pourtant, la veille avait été une nouvelle humiliation pour les coalisés, incapables de réduire la force de Tourville malgré une écrasante supériorité numérique. Du reste, la perte de 15 navires n’avait aucun effet sur la puissance de la flotte française, tout comme la perte de 16 vaisseaux n’avait que peu entamé la flotte coalisée à Béveziers. Mais le plus important fut l’effet psychologique de cette défaite. Si la France continua à faire voguer des escadres, elle inclina davantage vers la guerre de course contre le commerce, se privant de toute maîtrise des mers ou protection efficace des littoraux. La France souffrit davantage du blocus maritime des coalisés qu’elle n’infligea de dégâts à l’économie de ses ennemis. Au moins, Louis XIV reconnut-il le mérite de Tourville et le félicita malgré sa malchance face aux vents contraires et à la marée. Et du reste, comme Tourville en 1690 qui ne fit rien de la suprématie acquise à Béveziers, les Alliés ne firent rien de celle obtenue à La Hougue en 1692. Ils tentèrent bien un débarquement de 30 000 hommes à Saint-Malo pour soulever les nouveaux convertis – la hantise de Louis XIV – mais Russel renonça finalement au projet.

Finalement, la défaite tactique mineure du premier affrontement se transforma en défaite stratégique majeure et la France décida, pour protéger son pré carré, d’opter pour une stratégie de bases navales en privilégiant la guerre de course, attaques souvent à faible rayon et surtout contre le commerce au moyen de corsaires, aux grands affrontements de la guerre d’escadre. La guerre de course pouvait donner des coups d’éclat sans lendemain grâce à d’audacieux marins comme Jean Bart, mais la politique navale française ne permettait plus de contester la supériorité anglo-hollandaise sur la mer.

Alors que la guerre continuait, les tractations diplomatiques allaient bon train. La mort de Louvois le 16 juillet 1691 et le rappel de Pomponne à la diplomatie et au Conseil d’en haut, réduisant l’influence du rude Colbert de Croissy, changèrent la donne. En 1690 puis 1691, la Suède avait offert sa médiation, sans succès. Louis XIV essaya de disloquer la Grande Alliance en négociant avec Rome et Madrid pour écarter les puissances catholiques et surtout l’Espagne de la guerre, sans succès. Des discussions secrètes étaient en cours avec Léopold Ier, le seul qui acceptait l’exigence première du Roi-Soleil : le retour de Jacques II sur le trône d’Angleterre. En 1692, Guillaume III souhaitait lui aussi une paix générale. Louis le Grand la désira même quand les armes furent favorables à la France en 1693.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Mons_(1691) (siège de Mons)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Namur_(1692) (siège Namur)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Henri_de_Montmorency-Luxembourg (Luxembourg)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Steinkerque (bataille de Steinkerque)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Menno_van_Coehoorn (van Coehoorn)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Jules_de_Noailles (Noailles)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_Aldonce_II_de_Durfort (Lorges)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_la_Hougue (batailles de Barfleur et La Hougue)

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