Règne de Louis XIV (partie V) : la guerre franco-espagnole (1648-1659)
Rappel : Mazarin et Anne d’Autriche s’appliquèrent à reprendre le territoire du roi de France. La Normandie, la Bretagne puis Bordeaux tombèrent sous la férule royale, tandis que les frondeurs, méfiants les uns envers les autres, ne parvenaient pas se coordonner pour prendre Paris. Mais le fait de tenir prisonniers Condé, Conti et Longueville sans véritable raison poussa Monsieur vers Gondi et ces deux derniers vers Condé, devenu moins inquiétant que la « tyrannie » ministérielle de l’Italien. Le Parlement exigea la libération des princes en décembre 1650, Mazarin s’exila en Allemagne début février 1651 pour éviter la prison. Monsieur s’assura que la régente ne le suivrait pas et une foule parisienne entra dans la demeure du roi à la suite de Gondi pour s’assurer de la présence, dans son lit, du souverain. Louis XIV en fut marqué à vie. En janvier 1651, un traité d’union des Frondes fut signé à l’initiative de Gaston, qui comptait libérer ses cousins. Ce traité proposait un régime mixte, ne laissant qu’un pouvoir symbolique au roi. La gentilhommerie, qui n’avait rien à gagner à voir l’aristocratie prendre le pouvoir, s’y opposa. Condé fut libéré et déclaré tuteur de la régente. Mazarin depuis l’Allemagne et Anne d’Autriche en France s’échinèrent à brouiller les frondeurs entre eux, jouant sur la crainte de prépondérance de l’un d’eux et sur les récompenses. Gondi, à qui on promit le cardinalat, rejoignit le camp royal. Surtout, le 5 septembre 1651, Louis XIV, fêtant ses 13 ans, devenait majeur selon l’ordonnance signée par Charles V au XIVe siècle. Louis XIV neutralisa instamment son oncle le Grand Monsieur, nomma Châteauneuf, Molé et Vieuville dans son gouvernement et partit à la conquête de son royaume. Le Grand Condé, lui, s’allia avec l’Espagne contre le roi de France : la Fronde des princes s’éloignait de ses objectifs initiaux. Enfin, Bouillon et Turenne, s’estimant mal considérés dans le camp des frondeurs, rejoignirent le camp royal. Louis XIV y gagnait là un brillant maréchal de France. Anne d’Autriche s’empressa, à tort, de rappeler Mazarin d’Allemagne. Le Parlement se souleva à nouveau et mit sa tête à prix, tandis que Gaston d’Orléans, oncle du roi, Fils de France, s’alliait avec le Grand Condé, prince du sang fricotant pourtant avec l’Espagne. Ces deux derniers personnages avaient une grande légitimité. Du reste, les frondeurs n’arrivaient pas à s’entendre au nord, étaient divisés en deux partis dans le sud-ouest et le roi refusa de condamner Mazarin à la demande du Parlement. Les 6 et 7 avril 1652, à Blénau, Turenne mena une superbe bataille défensive avec 4 000 hommes et l’emporta sur les 12 000 hommes de Condé. Si ce dernier prit Paris le 11, Turenne venait tout de même de sauver l’Etat. Le 2 juillet, Turenne mena la bataille du faubourg Saint-Antoine et aurait écrasé Condé si la Grande Mademoiselle, Anne-Marie d’Orléans, fille de Gaston, n’avait pas convaincu les magistraux de Paris d’ouvrir la porte, puis de faire feu sur les troupes royales depuis la Bastille. Le 6 août, le roi ordonna au Parlement de le rejoindre à Pontoise. Celui-ci refusant, Louis XIV forma un parlement de fortune qui vota le renvoi de Mazarin. Ceci était une ruse imaginée par le principal intéressé pour ôter au Parlement de Paris son principal argument. La capitale espérait d’ailleurs le retour de son roi ; obligeant Condé à fuir vers le nord pour prendre la tête de forces espagnoles. Le 21 octobre 1652, Louis XIV rentra sans Paris en liesse. Après avoir donné un lit de justice au Louvre – fait exceptionnel et humiliant pour les parlementaires – il amnistia les frondeurs, à l’exception des meneurs. Mazarin, rappelé par le roi, fit son retour le 3 février 1653. Le dernier bastion des frondeurs Bordeaux, tomba en juillet. Le pays était dévasté mais la guerre civile terminée. De bonne récoltes effacèrent une partie des stigmates mais certaines cicatrices impérissables, marquant le jeune roi, poussèrent la France vers l’absolutisme.
Louis XIV, avec l’aide de Jules Mazarin et d’Anne d’Autriche, devait rétablir la puissance royale dans les esprits. Ces trois personnages appréciant le spectacle, la propagande fut déployée sans retenue. La puissance restaurée du monarque fut célébrée dans les arts, la littérature, la musique, la peinture, la sculpture et l’architecture. Il fallait paraître. La littérature et les discours importaient mais, étant donné que 80% des Français étaient analphabètes, les estampes allégoriques et le triomphalisme par l’art furent privilégiés : l’image l’emportait sur l’écrit. Le plus bel exemple en fut le sacre de Louis XIV, célébré le 7 juin 1654 à Reims. Le roi, âgé de 15 ans, supporta 6 heures de cérémonie sans broncher et marqua les spectateurs par le faste du sacre.
Le sacre se déroula le dimanche 7 juin 1654, à Notre Dame de Reims. Un sacre pour lequel on fit intervenir les pairs du royaume (6 ecclésiastiques et 6 grands laïcs) pour témoigner de la réconciliation, bien que nombre des grands en question ait été remplacés. On fit entrer le peuple plus tard dans la cathédrale : on avait coutume de demander l’approbation du peuple jusqu’à Henri IV (1594), ce n’était plus le cas depuis, on se contentait d’un silence prouvant que personne ne s’opposait au couronnement. Le peuple ne fut admis dans la cathédrale qu’une fois Louis XIV couronné et assis au sommet du jubé. Si la cérémonie avait de fortes connotations religieuses, elle se voulait aussi fastueuse et pompeuse que les cérémonies pontificales. Car depuis Martin Luther et les théologiens calvinistes, qui avaient revendiqué le respect, par le souverain pontife, de la puissance temporelle des gouvernants au début du XVIe siècle, les souverains d’Europe avaient érigé l’idée en un principe soutenant leur théorie du droit divin, les dispensant d’un mandat sous contrôle de Rome. Sans Martin Luther, Louis XIV n’aurait pas été le même. Mardi 9 juin, il toucha les malades pour les guérir, selon une vieille tradition. Louis XIV le fera plusieurs fois par an, chaque année de son règne. Après quoi il amnistia 600 prisonniers avant de mettre fin à son séjour à Reims.
Il est ici utile de rappeler la situation géopolitique lors du sacre de Louis XIV, à commencer par l’impact des traités de Munster et Osnabrück, dits traités de Westphalie, signés le 24 octobre 1648, qui mirent fin à la guerre de Trente Ans. Ces traités entérinaient une incontestable victoire française, bien que Mazarin chercha à ménager la stabilité du vieux continent en limitant l’humiliation des vaincus, surtout l’Empereur. Celui-ci cédait toutefois ses prétentions sur les évêchés de Metz, Toul et Verdun (acquis par la France en 1552), cédait les landgraviats de haute et basse Alsace (excepté Strasbourg, Landau, Wissembourg, Hagenau, Colmar et Turckheim), donnait Brisach sur la rive droite de Rhin et un droit de garnison à Philippsbourg. La Suède prenait la Poméranie occidentale, les seigneuries de Verden et Brême et 5 millions de thalers d’indemnités. Surtout, les Etats allemand gagnaient en indépendance vis-à-vis de l’Empereur : ils avaient désormais le droit de faire la guerre et de nouer des alliances avec des puissances étrangères (tant que ce n’était pas contre l’Empire ou l’Empereur). Le collège des électeurs comptait huit sièges : cinq catholiques (archevêchés de Mayence, Cologne et Trèves ainsi que le royaume de Bohême – possession héréditaire des Habsbourg – et le duché de Bavière) ; deux luthériens (le duché de Saxe et le margraviat de Brandebourg) et un réformé, plus précisément calviniste (le Palatinat du Rhin). Le Saint Empire romain sortit ruiné et épuisé de cette guerre. Il était désormais constitué de 350 Etats, duchés, villes libres, principautés ou principicules et devint pour deux siècles le « ventre mou » de l’Europe. Ce traité desserrait l’étau habsbourgeois autour de la France. Pourtant, la guerre continua avec l’Espagne, qui comptait reprendre ses villes en Artois et signer avec la France une paix blanche. Cet espoir devint d’autant plus atteignable que la France sombra dans la Fronde (1648-1653).
Depuis le début des troubles, fin 1648, les Français avaient été expulsés du préside toscan de Piombino en 1650 et l’Espagne avait fait, sans être inquiétée, le blocus maritime de Barcelone en 1652. La France perdit cette Catalogne qui avait fait sécession de l’Espagne en 1640 et décidé de se placer sous la protection des Français. La faiblesse temporaire de la France lui causa encore la perte des places de Dunkerque, Gravelines, Mardyck et Funes ainsi que la garnison de Casal en Italie. Mais Madrid ne parvint pas à assez tirer profit de la Fronde ; dès la fin de cette dernière (juillet 1653), l’armée française put se ressaisir.
En juillet 1653, Turenne prit Rethel et parvint à contenir la progression de Condé vers Paris, malgré une grave infériorité numérique. Louis XIV rejoignit Turenne sur le front et montra un enthousiasme que seuls ses « flux de ventre » tempéraient. Après la prise de Mouzon (26 septembre 1653), Louis participa au siège de Sainte-Menehould en novembre 1653. La place capitula le 27. Cependant, les Français perdirent Rocroi aux Espagnols. En 1654, Conti opéra en Catalogne, Turenne et Condé firent jeu blanc en Artois en juillet, tandis que M. de Fabert s’emparait, grâce à un jeune ingénieur, nommé Le Prestre de Vauban, et avec la participation de Louis XIV en personne, de Stenay le 6 août 1654. Celle-ci était la dernière place de Condé. Entre temps, Reims, enfin libéré de toute menace hispano-condéenne, avait pu accueillir le sacre de Louis XIV (juin 1654). En août, Turenne et d’Harcourt écrasèrent Condé à La Ferté. Pour autant, des troupes hispano-lorraines assiégeaient Arras : la guerre n’était pas gagnée. Le gouverneur Schulemberg opposa une défense énergique et Turenne parvint à briser l’encerclement dans la nuit du 24 au 25 août, tuant ou capturant 2 000 à 3 000 hommes et s’emparant de 64 pièces d’artillerie. La libération d’Arras le 25 août 1654, jour de la Saint-Louis, annonçait le crépuscule de la puissance militaire espagnole.
Alors que des protestations soulevèrent le Parlement le 13 avril 1655, Louis XIV se montra autoritaire en façade mais monnaya surtout grassement un apaisement. Pendant ce temps, le front restait instable. Toujours accompagnés du roi, les Français emportèrent Landrecies le 14 juillet 1655 puis les villes de Condé (18 août) et Saint-Ghislain (25 août). Pourtant, le camp royal restait miné par les trahisons potentielles : pour ne citer qu’un exemple, Louis XIV accorda 600 000 livres à d’Harcourt, maréchal de France depuis 1651, issu d’une lignée guerrière, gouverneur des verrous occidentaux de la Picardie (Péronne, Montdidier et le Beauvaisis) pour le convaincre de ne pas passer à l’ennemi. En juillet 1656, Condé libéra la ville éponyme, puis assiégea Valenciennes et y écrasa l’armée royale de Turenne. Ce dernier entama une difficile retraite mais parvint en contrepartie à s’emparer de La Capelle le 27 septembre. Un succès d’autant plus heureux pour Louis XIV qu’Hugues de Lionne venait de partir négocier à Madrid ; il eut été plus compliqué d’arriver dans la capitale espagnole sur une défaite. Lionne avait pour lui la popularité croissante de Louis XIV et le renfort anglais. En juillet 1654, une alliance franco-anglaise avait été préparée malgré la haine du peuple français pour Cromwell. Le 3 novembre 1655, les deux pays avaient signé un traité de commerce, dit de Westminster, qui pourrait se résumer à un abandon de la guerre de course et à la piraterie entre les deux nations, mais dont une clause secrète prévoyait l’expulsion de France des prétendants Stuart. Et puis, à l’Ouest, l’Espagne fut écrasée par le Portugal à Badajoz en 1656. L’Espagne n’était pas en bonne posture.
En 1657, le Grand Condé prit Cambrai avec 2 000 cavaliers. Son génie militaire et sa fougue ne faisaient que retarder l’inéluctable. Pour éviter de faire trainer les hostilités en longueur, Mazarin savait qu’il devait appuyer sa force armée terrestre d’une flotte. Seulement, la marine ayant été négligée sous Richelieu, Mazarin se refusa à la redresser. Après tout, ce serait inquiéter les Anglais dont l’Italien cherchait activement l’alliance. Le premier traité de 1655 en appelait un autre. Le 23 mars 1657, une convention d’un an fut signée, à Paris, entre les deux pays : la France devait fournir 20 000 hommes et l’Angleterre 6 000, à bord d’une escadre, pour faire plier Dunkerque, Mardyck et Gravelines. Les deux premiers objectifs devaient revenir aux Anglais, ce qui ne manqua pas de scandaliser en France. Les Anglais n’envoyèrent que la moitié du contingent promis mais Turenne prit tout de même Saint-Venant et Mardyck.
Pendant ce temps, l’empereur Ferdinand III était mort à Vienne le 1er avril 1657. La couronne impériale était élective mais les Habsbourg, monopolisant le trône depuis des décennies, avaient instauré une hérédité de la fonction. Pourtant, de son vivant, Ferdinand n’avait pas fait de son fils Léopold le roi des Romains : le moyen habituel des empereurs habsbourgeois pour forcer la main des princes-Electeurs. Ces derniers allaient donc, fait rare, réellement élire ou non le fils de Ferdinand. La France hésita à proposer Louis XIV. Après tout, Léopold poursuivrait peut-être la politique anti-française de son père. Mais Louis XIV se refusa à bouleverser l’Empire. La France préféra s’appuyer sur des princes allemands qui imposèrent à Léopold de signer, le 18 juillet 1658, une « capitulation électorale » dans laquelle il s’engageait à ne pas appuyer par les armes les ennemis de la France. Un engagement qu’il violera à maintes reprises. Il fut élu empereur le même jour. Mazarin ne s’en tint pas là : il forma avec plusieurs alliés germaniques la « Ligue du Rhin » avec les archevêques-électeurs de Mayence et Cologne, le duc de Neubourg, le duc de Brunswick-Lunebourg, le roi de Suède (en tant que duc de Brême et de Verden), le landgrave de Hesse, l’électeur de Trèves, l’évêques de Munster, le comte de Waldeck et le duc de Wurtemberg. Les princes allemands assuraient leur indépendance.
Le traité avec Londres ayant été renouvelé en mars 1658, une flotte anglaise débuta le blocus de Dunkerque. Turenne prit Cassel puis investit Dunkerque, ce qui n’était pas une mince affaire. Des troupes de secours, menées par Condé et don Juan d’Autriche, fils naturel de Philippe IV, marchèrent sur Dunkerque. Turenne leur infligea une défaite décisive lors de la bataille de Dunes le 14 juin 1658, où ils perdirent 1 300 morts ou blessés et 4 000 prisonniers. Le 23, Dunkerque capitula et les Français remirent à contrecœur la ville aux Anglais, selon les termes du traité de Paris. Turenne s’empara de Bergues, Furnes et Dixmude en juillet, de Gravelines et août, puis d’Audenarde et Ypres en septembre. Chassés du littoral, battus par les Portugais dans l’Alentejo, menacés à Milan, les Espagnols n’avaient d’autre choix que de négocier pour ne pas perdre ce qu’on appelait alors les Pays-Bas espagnols. Ces négociations allaient aboutir au traité des Pyrénées en 1659.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Sources (images) :
https://www.photo12.com/fr/image/asi15a00_014 (sacre Louis XIV)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_de_La_Tour_d%27Auvergne_(1611-1675) (Turenne)