Le règne de Louis XIV (partie XX) : Nimègue, le Roi-Soleil à son zénith (1678)
Rappel : Pour financer la guerre, Colbert, qui avait vertement critiqué Fouquet dans sa gestion financière par le passé, eut recours aux mêmes expédients que lui. La fiscalité se fit, en conséquence, de plus en plus écrasante : d’anciens impôts furent réintroduits et de nouveaux créés. Il en résulta une nouvelle révolte paysanne qui ébranla l’arrière en France. En 1675-1676, la France décida par ailleurs de voler au secours des Messinois, qui tentaient de s’émanciper de la domination espagnole. Cette intervention, décidée comme une diversion, fut en réalité l’occasion, pour la flotte française de Vivonne, Duquesne et Tourville de se rendre maître de la Méditerranée en écrasant la flotte hispano-hollandaise à plusieurs reprises, occasionnant la mort du brillant amiral hollandais Ruyter. En 1676, les armées françaises s’emparèrent de Condé-sur-l’Escaut, Bouchain et Aire tout en défendant Maastricht. Sur le Rhin, en revanche, elles perdirent Philippsbourg. En 1677, les Français prirent Valenciennes, Cambrai, Saint-Omer et Charleroi dans les Pays-Bas espagnols et Monsieur, le frère du roi, remporta une brillante victoire, avec le soutien du maréchal de Luxembourg, contre Guillaume d’Orange à Cassel (avril 1677). Sur le Rhin, Navailles s’empara de Fribourg-en-Brisgau. Dans les Pyrénées, les Français en retraite remportèrent néanmoins une importante victoire en juillet. Dans les Antilles, la France prit Cayenne en 1676, puis écrasa la flotte hollandaise et prit Tobago en 1677. La diplomatie n’était pas en reste : la France essaya en vain de se rapprocher de la Pologne (qui finalement traita avec l’Autriche), de rallumer la guerre hispano-portugaise et de soutenir la révolte hongroise contre Vienne mais refusa une alliance avec l’Empire ottoman, également contre l’Autriche, car considérée comme contre-nature. La Sicile, la Pologne de Sobieski, les Hongrois de Thököly, toutes étaient des alliances « de revers » destinées à déstabiliser les ennemis de la France pour les amener à la table des négociations. Certaines alliances ne parvinrent qu’à augmenter le nombre des ennemis de Louis XIV. Fin 1677, malgré les succès français et les concessions de Louis XIV, la paix était loin d’être signée.
En mars 1674, l’Angleterre avait proposé sa médiation. Rome et la République de Venise en firent de même. Mais l’Espagne et l’Autriche s’étaient jetés à la traverse, refusant la paix. Celle-ci fut enfin sérieusement envisagée à partir de mai 1677. Les marchands et la classe moyenne des Provinces-Unies faisant pression, un terrain d’entente fut trouvé en octobre. La Hollande souhaitait une paix séparée avec la France. Mais chacun avait emporté des alliés dans la conflagration. La France voulait ménager son infortuné allié suédois. Les Provinces-Unies étaient, elles, alliées aux ducs hanovriens de Zell et de Brunswick, au roi du Danemark et à l’électeur de Brandebourg. Alors que duraient les négociations, la francophobie outre-Manche atteignait des sommets. Les victoires françaises en Flandre et dans la Méditerranée avaient alarmé la Chambre des Communes qui pressait Charles II de renoncer à sa neutralité. Pire, le roi n’ayant pas de successeur légitime, la couronne allait revenir à son frère Jacques, duc d’York en cas de décès. Or, Jacques s’était converti au catholicisme et remarié avec une princesse catholique, Marie de Modène. La perspective d’un roi papiste dans ce pays anglican poussa le ministre Arlington, en 1674, à avoir l’idée de marier la fille ainée du duc d’York, Mary, très anglicane, à Guillaume d’Orange. Si le stathouder avait d’abord décliné l’offre, il se ravisa après la défaite de Cassel (1677) et en voyant le pacifisme monter dans son pays. Convaincu que ce mariage allait jeter l’Angleterre dans la guerre et donc faire perdurer les hostilités, il accepta. Charles II d’Angleterre, lui, accepta également volontiers : cette union apaisait la Chambre et le laissait respirer. Le mariage fut célébré en novembre 1677, à Londres. Le 10 janvier 1678, un traité d’alliance anglo-hollandais fut signé. Privé de sa pension française, le roi d’Angleterre fit voter des crédits de guerre pour l’armée et la marine.

La perspective d’une entrée en guerre de l’Angleterre contre la France se précisant, le Parlement étant sur le point de forcer la main de Charles II, les Français quittèrent Messine à la mi-mars en embarquant 500 familles qui redoutaient les représailles espagnoles. Les forces de Sicile rejoignirent alors celles du Roussillon. Ainsi renforcé, le maréchal de Navailles put enfin investir Puigcerda, qu’il visait depuis un moment, le 29 avril et en mener le siège. Le commandant de la place était confiant, sachant sa forteresse, située dans les montagnes, presque inexpugnable. Mais les Suisses montèrent les canons français là où les mules refusaient de le faire. Monterey, commandant les Espagnols, essaya par deux fois de briser le siège avec son armée, en vain. Les Espagnols capitulèrent lorsque les murs furent détruits, le 28 mai 1678. Louis XIV ne comptait pas garder la forteresse. Alors, comme pour certaines forteresses dans les Pays-Bas espagnols, Louvois ordonna de détruire les fortifications et de désarmer la place.
Mais l’essentiel n’était pas là. Afin d’amener l’Europe à la paix, Louis XIV décida d’attaquer en Belgique. Il fallait agir rapidement avec une opération « coup de poing » dont Frédéric II serait plus tard le chantre et Clausewitz le théoricien, sorte de Blitzkrieg avant l’heure. Il fallait dissuader l’Angleterre d’entrer en guerre sans pour autant pousser trop loin et inquiéter les marchands hollandais, favorables à la paix. Pour ce faire, Louis XIV était persuadé que Gand était la clef pour la paix.
Mais la chose n’était pas aisée. Alors, en 1678, le roi, par d’habiles ruses, se rendit à Toul pour faire croire à une attaque à l’est vers Nancy, mais obliqua au dernier moment pour se rendre à Metz, menaçant Thionville pour inquiéter Strasbourg, Trèves et Luxembourg puis se porta finalement sur Verdun et répandit le bruit qu’il allait attaquer Namur. Les armées françaises investirent simultanément Ypres, Namur et Mons. La plus grande confusion régnait dans le camp adverse. Le gouverneur des Pays-Bas espagnols ne savait plus quoi défendre et quoi dégarnir. Il décida de renforcer le Hainaut et le Luxembourg puis de dégarnir Gand pour défendre Ypres. Deux erreurs qu’il paya cher. Louis XIV, avec 60 000 Français, les maréchaux d’Humières, de Lorges, de Schomberg et de Luxembourg, fit tomber Gand, défendu par 500 hommes seulement, le 9 mars et sa citadelle le 12, Ypres le 25, puis Anvers le 9 avril. Cette dernière prise menaçait tout le sud des Provinces-Unies. Louis XIV, grâce à l’indispensable Vauban, se montrait digne de feu le maréchal Turenne. Alors, lorsque Louis XIV annonça des conditions modérées le 15 avril, les bourgeois d’Amsterdam décidèrent de traiter. Guillaume d’Orange tenta d’emmener l’Angleterre dans la guerre mais n’y parvint pas. Louis XIV monta à nouveau au front en mai pour montrer sa détermination, tandis que Guillaume d’Orange manœuvrait pour essayer de desserrer l’étreinte de Schomberg sur Mons. Louis XIV trouva un accord avec Charles II en mai pour garder l’Angleterre à l’écart.
Sur le Rhin, Créqui reçut l’ordre de simplement garder les possessions françaises. Après avoir repoussé Charles V de Lorraine à Fribourg, Créqui, renforcé par les troupes de Flandre, se porta sur la frontière suisse. Il y déclencha la bataille de Rheinfeld le 6 juillet. Fort de ce succès, le maréchal fut encouragé par Louis XIV à mener une action sur Offenbourg. Créqui remonta au nord et surprit les Impériaux, dont certaines unités n’étaient pas encore revenues du sud, à Ortenbach le 23 juillet. Le maréchal engagea instamment le combat et le remporta, bien qu’il ne mît pas en déroute ses adversaires. Après quoi, Créqui assiégea rapidement Kehl puis Strasbourg pour en couper les ponts menant à l’Alsace, début août. Il ne restait plus que Philippsbourg pour traverser le Rhin. Charles s’y essaya mais, manquant de vivre et avec une armée dont les effectifs étaient réduits de moitié, il ne put forcer le passage que bloquait Créqui. Il prit alors ses quartiers d’hiver en octobre.
Le 10 août 1678, la France et les Provinces-Unies signèrent la paix de Nimègue. Pourtant, Guillaume d’Orange attaqua l’armée de Luxembourg, à Saint-Denis, près de Mons, le 14. La bataille fut sanglante, faisant 4 000 victimes de chaque côté. Il semble que les deux généraux n’aient été informés de la paix que dans la nuit du 14. Les Hollandais acceptèrent le libre exercice de la religion catholique, une convention basait les échanges commerciaux sur les tarifs de 1664, annulant le « tarif de combat » de 1667 et favorisant même le commerce hollandais, tandis que Guillaume récupérait Orange et d’autres domaines. Louis XIV promit 6 millions de livres sur trois ans à Charles II d’Angleterre, amenant Londres à rejoindre la paix. Le 17 septembre, un traité franco-espagnol donna à la France la Franche-Comté, le Cambrésis, une partie du Hainaut avec Valenciennes, Bouchain, Condé et Maubeuge, une partie de la Flandre maritime avec Ypres, Cassel et la partie de l’Artois que Louis XIV ne possédait pas déjà (Aire, Saint-Omer).

En contrepartie, la France rendit Charleroi, Binche, Ath, Audenarde et Courtrai acquises en 1668, ainsi que Limbourg, Gand, Saint-Ghislain et le pays de Waes, occupés pendant la guerre. Pour beaucoup, la France rétrocéda des forteresses qui furent prisent pour être rendues comme monnaie d’échange, ainsi que quelques-unes trop isolées, comme Audenarde ou Courtrai. La frontière française devenait homogène, sur les bons conseils de Vauban. L’Empereur tenta de récupérer l’Alsace mais se confronta à la fermeté française. Lorsque Charles V de Lorraine échoua devant Fribourg, il signa à Nimègue le 5 février 1679. Léopold Ier garda Philippsbourg mais céda Fribourg, tandis que la France s’engageait à restituer à Charles V son duché de Lorraine, excepté Nancy et Longwy. Celui-ci estimant le traité inacceptable, Louis XIV conserva le duché. La France menaça par ailleurs militairement les ennemis de la Suède (Danemark et Brandebourg) dans le contentieux de la Baltique pour qu’il soit réglé en faveur de Stockholm lors des paix de Saint-Germain (29 juin 1679) et Fontainebleau (novembre 1679). Paradoxalement, la France et la Hollande furent les deux vainqueurs dans cette paix de Nimègue, tandis que l’Espagne en était la grande perdante.

Les frontières françaises atteignaient le Rhin et le roi obtenait définitivement la Franche-Comté. Le prestige de Louis XIV était à son zénith, il dominait l’Europe. Le roi d’Espagne n’allait d’ailleurs pas tarder à épouser la fille de Monsieur, Marie-Louise d’Orléans, tandis que la sœur de l’électeur de Bavière, Marie-Anne de Wittelsbach, épousa le Grand Dauphin. La Ville de Paris décerna au roi le titre de « Grand ». Pour autant, la France avait souffert de la guerre, bien plus que les Provinces-Unies. Cœur du système mercantiliste, l’Etat n’avait pas été capable de développer son économie et avait tout réservé à ses armes. Toutes les compagnies de commerce, à peine créées, périclitèrent : la guerre provoqua ainsi la dissolution de la Compagnie des Indes occidentales (1674), la faillite de la Compagnie du Sénégal puis de celle du Nord (1684), laissa le Canada en autonomie, la Compagnie des Indes orientales moribonde et diminuée. La confiance des financiers s’effondra, et la banqueroute des riches traitants, puis des receveurs des finances, agents de change et marchands ne tarda pas. La Caisse des emprunts fut liquidée par de nouvelles émissions de rentes de 12,5%. La Hollande, par ses structures bancaires et financières ainsi que sa puissante flotte, échappa à de telles conséquences. Avec Nimègue, Louis XIV n’avait pas redessiné les frontières de l’Europe mais avait humilié l’Empire, mettant décidément fin à la prudence des ministres-cardinaux. Le roi avait surtout profité d’une conjoncture qui ne se représenterait plus : la lassitude des commerçants d’Amsterdam, l’effondrement espagnol, la vénalité de Charles II d’Angleterre, les conflits austro-ottomans et l’obstination du pape à vouloir la paix.
Qu’importe, la propagande tournait à fond. D’ailleurs, c’est à cet instant que se joua un important chapitre de la littérature. L’Antiquité ne suffisait plus pour faire des parallèles avec Louis le Grand ; le roi était si glorieux après Nimègue que c’était presque le dévaluer que de le comparer aux héros antiques. Cela annonça la querelle entre les « Anciens » et les « Modernes », tournant décisif dans l’histoire de la littérature. C’est également durant ces années que se joua le déménagement définitif de la cour à Versailles, décidé en 1677, réalisé en 1682. Louis XIV, passionné d’architecture, ordonna de bâtir Versailles parce qu’il se voulait bâtisseur plutôt qu’héritier. Il surveilla tout sur ce chantier qui coûta généralement 3 à 4% des dépenses annuelles de l’Etat, en tout 82 millions de livres. Après tout, cela ne représentait que deux ou trois campagnes militaires, à peine plus que le déficit budgétaire qu’il laissera en 1715. Cela permit de faire travailler 36 000 personnes pendant des années.

Alors que Versailles devenait officiellement la résidence principale du roi en mai 1682, Louis XIV chercha à faire de Versailles une ville nouvelle pour fixer l’aristocratie. Celle-ci suivit d’ailleurs le souverain sans sourciller, élevant des pavillons et des hôtels à côté du château. En 1684, le roi décida de loger toute la cour au château, rassemblant gouvernement et société de cour en un endroit, chose idéale pour en assurer le contrôle. La Fronde des princes était loin. Même si toute la noblesse n’était pas à Versailles, ceux disposant de la plus grande influence s’y trouvaient. Ces derniers souhaitaient ardemment recevoir des signes de reconnaissance de leur statut par le roi ou, encore mieux, une invitation par celui-ci en sa demeure de Marly, où seuls quelques privilégiés triés sur le volet pouvaient vivre avec le roi dans une plus grande intimité et avec une plus légère étiquette.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_de_Mod%C3%A8ne (Marie de Modène)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9s_de_Nim%C3%A8gue (traités de Nimègue)
https://www.tharva.fr/histoire/fran%C3%A7ois-de-la-mothe-villebret (carte résumant la guerre de Hollande)
https://didiertougard.blogspot.com/2010/08/les-jardins-du-chateau-de-versailles.html (plan de la construction de Versailles)