Le règne de Louis XIV (partie XVIII) : la guerre de Hollande, de l’offensive à la défensive (1674-1675)
Rappel : Ayant isolé les Provinces-Unies de l’Europe, Louis XIV lança ses armées, dirigées par Turenne, Condé et Luxembourg, à l’assaut d’une conquête facile. Tout le sud du pays tomba en quelques semaines. Parvenu à proximité d’Amsterdam et alors qu’une offre de paix très généreuse, dépassant tous les objectifs de la France, lui était transmise, le Roi-Soleil eut l’hubris de la rejeter et de formuler des demandes hors-sol. Ce fut la seule et unique fois, durant le règne de Louis XIV, que celui-ci montra une ambition dépassant clairement son « pré-carré ». Agissant ainsi, il condamna le régime modéré de Jean de Witt et décrédibilisa toute issue négociée, favorisant l’émergence de Guillaume d’Orange. Déjà capitaine général (donc général en chef des armées hollandaises), celui-ci devint, à l’âge de 22 ans, stathouder le 8 juillet 1672, tandis que les frères de Witt étaient assassinés par une foule en colère en août. Louis XIV venait d’offrir le pouvoir à ce qui sera sans doute son ennemi le plus déterminé. Certes médiocre général, desservi par une rare malchance, c’est le sens politique aiguisé et la détermination à toute épreuve qui rendront Guillaume d’Orange redoutable. La victoire échappa de peu à Louis XIV : par désespoir, les Néerlandais brisèrent les digues, inondant une partie du territoire et faisant d’Amsterdam une île. L’occupation française stimula la résistance néerlandaise par ses excès. Surtout, l’Europe se réveilla. Les Provinces-Unies rallièrent l’Empereur (Autriche), l’Espagne et l’électeur du Brandebourg, tandis que la France acceptait la médiation de la Suède. En mer, l’amiral néerlandais Ruyter malmenait la flotte franco-anglaise combinée, empêchant notamment un débarquement français destiné à ouvrir un nouveau front. Durant l’été 1673 se forma la grande alliance de La Haye entre l’Empereur, la régente d’Espagne, le duc de Lorraine et le prince d’Orange, proposée par ce dernier. La prise de Maastricht (1673) avait inquiété l’Europe qui craignait une hégémonie française. En 1674, les alliés de la France firent défection : l’Angleterre signa une paix séparée (février), Munster et Cologne firent défection (avril et mai), menacés par l’Empereur Léopold, tandis que la Diète de Ratisbonne (Saint Empire romain) déclarait la guerre (mai).
Devant une telle coalition, Louis XIV amplifia le retrait des troupes françaises des Provinces-Unies, ne résistant qu’à Grave sur la Meuse et Maastricht. En parallèle, il immobilisa sa flotte dans les ports pour pouvoir financer l’armée de terre qui devait nécessairement enrôler davantage de soldats. Cette décision laissa les mains libres aux Hollandais sur les flots : Ruyter tenta une invasion de la Martinique en 1674 mais y subit de telles pertes qu’il y renonça le jour même ; l’amiral Cornelis Tromp tenta pour sa part une invasion depuis Belle-Île, au large de la Bretagne, en vain. Pour autant, le danger constant obligea effectivement Louis XIV à mobiliser des troupes sur les littoraux.
Au printemps 1674, Louis XIV lança l’invasion de la Franche-Comté. Les armées, dirigées par le duc de Navailles et le duc d’Enghien (fils du Grand Condé) s’emparèrent de Gray, Vesoul, Besançon, Dole et Salins (juin 1674), se rendant maître de la vieille province espagnole en six semaines, après plusieurs sièges. Atteint de la goutte, Condé interrompit ses remèdes pour prendre la direction des opérations dans les Pays-Bas espagnols. Les Hollandais y étaient en train d’assiéger Maastricht et Grave. Guillaume d’Orange, avec 65 000 Hollandais, Espagnols et Impériaux, tenta d’occuper Condé, pour écarter son armée de 45 000 hommes du Rhin où les Impériaux voulaient porter leur effort principal. Guillaume dut aller chercher Condé où il se trouvait : à Seneffe. Le 11 août 1674, Condé répondit à la provocation avec témérité et engagea l’arrière-garde de Guillaume d’Orange. Condé décida de ne pas rompre le contact, les deux armées se livrèrent alors une bataille sans merci jusqu’à la tombée de la nuit. Seule grande bataille conduite par le Grand Condé sous le règne personnel de Louis XIV, la bataille de Seneffe fut une victoire à la Pyrrhus pour les Français et un carnage pour les deux camps. Les Français perdirent 7 000 à 10 000 hommes (tués, blessés, prisonniers), Guillaume d’Orange déplora plus de 10 000 tués et jusqu’à 15 000 blessés et prisonniers. Après quoi, Guillaume d’Orange ponctionna des garnisons pour rétablir son armée et se porta sur Grave avec Charles de Lorraine pour continuer le siège. Celui-ci dura jusqu’à ce que Louis XIV ordonne à Chamilly, le commandant de la place, de capituler le 26 octobre 1674. Il avait occupé une partie significative des armées alliées tout l’été durant et sortit avec les honneurs et 26 canons pour rejoindre la garnison de Maastricht.

Au sud, des combats avaient lieu autour des Pyrénées. Friedrich Hermann de Schomberg dirigeait les Français. Mais ce front étant le moins important, il ne disposait que de 10 000 miliciens peu fiables. Bellegarde fut très vite perdue par les Français qui connurent un nouveau revers à Maureillas (19 juin 1674). Une révolte des Messinois en Sicile contre un nouvel impôt espagnol obligea cependant le commandant espagnol, Saint-Germain, à se replier en Catalogne pour envoyer l’essentiel de ses troupes réprimer le soulèvement. Schomberg put reprendre l’initiative mais resta limité par l’inexpérience de ses soldats. La France allait décider de soutenir les rebelles messinois, nous y reviendrons.
En Allemagne, Montecuccoli fut appelé sur un autre front pour combattre les Ottomans, laissant en face de Turenne le médiocre duc de Bournonville. En juin 1674, Turenne passa le Rhin, défit le général Bournonville près de Sintzheim en perdant 1 500 hommes là où son adversaire en perdit 2 500, poussa jusqu’à Heidelberg puis retourna en Alsace pour permettre à ses troupes de se reposer. Deux semaines plus tard, il franchit le Rhin de nouveau (3 juillet) et fit fuir les Impériaux, pourtant renforcés, d’Heidelberg par sa simple présence. Les deux camps furent renforcés de quelques troupes et Turenne dévasta le Palatinat pour entretenir son armée mais également pour y supprimer toutes les ressources utiles à une armée, notamment le fourrage, protégeant de fait la frontière française. C’était un premier ravage du Palatinat, un autre, tristement célèbre, suivra. Bournonville, dont l’armée était forte de 30 000 hommes, menaça de descendre sur l’Alsace et la Lorraine. Turenne, placé entre Landau et Wissembourg, obligea les Impériaux à demeurer sur le territoire dévasté du Palatinat. Ceux-ci trouvèrent une issue en négociant avec Strasbourg, ville neutre cruciale qui passa ainsi dans le camp impérial et donna aux troupes de Bournonville la possibilité d’entrer en Alsace. Conscient qu’une armée brandebourgeoise de 20 000 hommes s’apprêtait à renforcer l’armée impériale de 30 000 hommes dirigée par Bournonville, Turenne décida de prendre ce dernier de vitesse et de l’attaquer tant qu’il en était temps.
Les armées se rencontrèrent à Entzheim le 4 octobre 1674. La bataille fut acharnée et s’articula surtout autour d’un bois que les régiments français et anglais de Turenne (notamment celui du futur duc de Marlborough) s’échinèrent à prendre. Les deux camps fragilisèrent leur ligne pour soutenir ce point névralgique et y jetèrent les réserves. Finalement, les troupes impériales laissèrent le terrain mais les Français étaient trop épuisés pour les poursuivre. Cette bataille fit 3 500 pertes côté français et 3 000 côté impérial. Mais surtout, Turenne n’était pas parvenu à empêcher la concentration des Impériaux et des Brandebourgeois. Devant la disproportion des forces, Turenne se replia sur les Vosges afin de laisser Bournonville s’étendre imprudemment sur toute l’Alsace. Pour permettre à Turenne de faire face, Louis XIV procéda à un transfert d’un front à l’autre, prélevant 20 bataillons et 24 escadrons de Condé pour les envoyer à la frontière franco-allemande. Le roi allait en faire sa spécialité, une armée servant de réserve à une autre selon les circonstances.
Turenne fit alors mine de prendre ses quartiers d’hiver, comme les Impériaux. En réalité, il sélectionna ses troupes les plus robustes et Louvois s’assura que la nourriture et le foin ne manquent pas pour que Turenne s’adonne à une pratique rare et dangereuse : faire campagne l’hiver. Le 30 novembre, Turenne entra en Lorraine et entama une marche harassante, contre pluie, vent et neige, par des forêts impénétrables, longeant les Vosges jusqu’à déboucher par surprise à la trouée de Belfort dans les derniers jours de décembre 1674. Le 29, Turenne surprit et écrasa la cavalerie impériale à Mulhouse. Après quoi, il marcha sur Colmar. En face, la panique régnait. L’électeur de Brandebourg parvint à rassembler en toute hâte 30 000 à 40 000 hommes entre Colmar et Turckheim mais ceux-ci ne s’étaient pas encore constitués en armée que Turenne attaquait avec 30 000 hommes le 5 janvier 1675. Le maréchal de France trompa ses adversaires en feignant de porter l’effort sur leur centre et leur droite alors que, cachés par le terrain, les Français concentrèrent leur offensive sur la gauche en s’emparant, non sans peine, de Turckheim. Lorsque les Allemands essayèrent de reprendre la ville, ils essuyèrent de lourdes pertes. L’électeur de Brandebourg ayant perdu 3 000 hommes, se replia sur Strasbourg. En une campagne éclair qui fera l’admiration de Napoléon, Turenne avait pris coup sur coup Altkirch, Mulhouse et Turckheim ; les régiments adverses s’étaient disloqués, rendus en masse ou avaient repassés le Rhin. Turenne avait compensé par la mobilité et l’audace la faiblesse de ses effectifs. La campagne d’hiver de Turenne fut son plus grand fait d’armes. Le roi l’embrassa publiquement (chose rare) pour son triomphe. Le Saint Empire rappela instamment Montecuccoli sur le Rhin.

En 1675, Louis XIV porta l’effort sur les Pays-Bas espagnols. Pour tenir à Maastricht sur la Meuse, il fallait garantir la neutralité de Liège. Les tentatives infructueuses des Impériaux pour que Liège rejoigne leur camp laissa la possibilité à Louis XIV de gagner, par propagande et un subside substantiel, le droit d’y installer une garnison de 1 500 soldats. Des émeutes antifrançaises furent matées dans Liège par Créqui, maréchal de France. Louis XIV conduisit personnellement une armée de 40 000 hommes au nord. Créqui, partant de Charleville avec 10 000 hommes, prit Givet puis Dinant (30 mai) alors que Louis XIV arrivait à Charleroi, où il fut renforcé, son armée atteignant 50 000 hommes. Rochefort, qui avait suivi Créqui jusqu’ici, marcha sur Huy, qui tomba le 6 juin. Le dernier grand objectif de la campagne était Limbourg, que Rochefort investit le 10 juin, bientôt rejoint par Créqui, Condé et Enghien. Louis XIV plaça pour sa part son armée entre Limbourg et Roermond, où se trouvait Guillaume d’Orange, juste rétabli d’une maladie et commandant à 19 000 Hollandais et 10 000 Espagnols. Limbourg, au final, représenta le plus grand défi de la campagne, mais capitula le 21 juin, après un assaut réussi des Français. La campagne était un grand succès. Mais ce n’était pas le seul front.
Turenne, dirigeant 25 000 hommes, devait empêcher Montecuccoli, avec une force analogue, de passer en Alsace. Cette fois, Montecuccoli ne disposait pas de l’appui de l’électeur du Brandebourg, attaqué sur ses terres par la Suède. Montecuccoli tenta de s’emparer de Kehl en faisant diversion avec des marches et contremarches. Turenne ne tomba pas dans le piège. Alors que Montecuccoli venait à manquer de fourrages, il retraita sur Offenbourg. Turenne, dont l’armée commençait également à manquer de nourriture, débuta un mouvement tournant le 22 juillet 1675 pour acculer les Impériaux au fleuve. Un violent affrontement éclata et Montecuccoli préféra se retirer.
Poursuivant les fuyards, Turenne contraignit Montecuccoli à l’affrontement le 27 juillet 1675 à Salzbach. Alors que Turenne et Saint-Hilaire, son chef d’artillerie, allaient reconnaître une batterie d’artillerie adverse, celle-ci fit feu. Le manteau rouge de Saint-Hilaire avait peut-être attiré l’attention des artilleurs. Un boulet emporta le bras de Saint-Hilaire et enfonça le torse de Turenne, tuant le maréchal sur le coup. Surpris de ne pas être attaqué, Montecuccoli reçu la nouvelle de la mort de son adversaire et s’exclama « Aujourd’hui est mort un homme qui faisait honneur à l’homme. » Lui qui voulait se retirer parce que Louvois imposait désormais la « stratégie de cabinet », sorte d’état-major moderne refusant l’initiative aux généraux sur le terrain (stratégie qui fera le XVIIIe siècle), Turenne n’eut pas le temps de prendre son repos. L’armée française, privée de son chef, désormais dirigée par Lorge, neveu de Turenne, se replia sans difficulté vers l’Alsace. Louis XIV, sous le choc, envoya Condé redresser la situation en Alsace et assumer le commandement.
Créqui fut mis en déroute le 11 août le long de la Moselle par Charles IV de Lorraine lors de la bataille de Konzer Brücke (Consarbrück). Le maréchal de France se réfugia dans Trêves, qui fut assiégé par Charles IV. Le maréchal tint jusqu’à une mutinerie de ses soldats puis s’acharna en résistant jusqu’à ne plus avoir de munitions, retranché dans une église. Trêves tomba le 6 septembre. Une fois échangé, le maréchal retrouva le commandement et fit pendre plusieurs des rebelles. Le 17 août, Charles IV de Lorraine trouva la mort. Son neveu, Charles V, le remplaça. Condé arriva à la mi-août en Alsace. La situation n’y était pas glorieuse : les Français étaient retranchés dans Saverne et Hagenau, cette dernière forteresse étant assiégée par les Impériaux. À l’approche de Condé, Montecuccoli leva le siège et retraita sur Strasbourg. Le seul nom de Condé avait peut-être fait reculer les ennemis de la France. Si tel était le cas, c’était une belle fin pour la carrière militaire du Grand Condé, car il prit sa retraite au terme de cette campagne. D’ordinaire si fougueux, pour sa dernière campagne, Condé suivit le plan prudent et méthodique de son défunt devancier : Turenne. Il obligea les Impériaux à repasser le Rhin. Montecuccoli prit également sa retraite cette année, laissant sa charge de commandant suprême des forces impériales à Charles V de Lorraine. Ainsi disparaissaient des champs de batailles trois grands généraux en une année. Avec la mort de Turenne et la retraite de Condé en 1675, Louis XIV adopta une stratégie défensive louée par Vauban et Louvois.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Hollande (représentation de la bataille de Seneffe)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Raimondo_Montecuccoli (Montecuccoli)