Le règne de Louis XIV (partie XIV) : la guerre de Dévolution (1667-1668)

Le règne de Louis XIV (partie XIV) : la guerre de Dévolution (1667-1668)

Rappel : La France, pour renforcer sa frontière nord-est, devait s’emparer de quelques territoires des Pays-Bas espagnols. Or, Philippe IV d’Espagne, à l’article de la mort et disposant d’une succession chancelante, était tout à fait opposé à cette ambition. Refusant toute demande d’intégration de la France dans son testament, l’Espagne poussa Louis XIV à préparer une nouvelle guerre franco-espagnole dès la mort de Philippe IV survenue. Pour ce faire, le roi de France isola l’Espagne de l’Autriche grâce à des alliances en terres allemandes et en soutenant la rébellion hongroise. Il apporta même son soutien, aux côtés de la ligue du Rhin (sous influence française) à Léopold Ier, à la tête du Saint Empire et en difficultés face aux Ottomans (1663). Un soutien d’abord refusé par l’Empereur, puis accepté par nécessité et qui s’avéra décisif. Les relations franco-autrichiennes ne s’en trouvèrent pas pour autant améliorée, les Impériaux traitant de la pire des manières le contingent français une fois la victoire acquise. Les relations avec la Ligue du Rhin, par ailleurs, se compliquèrent : Louis XIV pesait de tout son poids pour obtenir une souveraineté totale sur l’Alsace et la Lorraine, question laissée floue par les traités de Westphalie. Pire, Louis XIV porta assistance à l’archevêque de Mayence pour réprimer une rébellion protestante en 1664, ingérence très mal perçue par la Ligue du Rhin et l’Empereur. Le roi de France chercha ensuite la neutralité de l’Angleterre et cultiva l’alliance néerlandaise, Amsterdam étant un ancien ennemi viscéral de l’Espagne. La deuxième guerre anglo-néerlandaise (1665-1667) vint d’abord perturber le jeu diplomatique français, forçant Louis XIV à choisir un camp, mais devint bientôt une opportunité : celle-ci occupait deux grandes puissances maritimes tandis que Philippe IV d’Espagne venait de mourir (septembre 1665). Bien que la Ligue du Rhin ne soit pas renouvelée en 1667, Louis XIV était décidé à obtenir une partie de la succession espagnole.

Au début des années 1660, Louis XIV désirait une grande guerre pour faire ses armes. Les nobles, la cour, les militaires l’y incitaient. Non seulement la France avait les moyens et les chefs, mais en plus Turenne n’avait pas pardonné à Mazarin la paix avec l’Espagne en 1659 alors qu’une campagne supplémentaire aurait emporté, selon lui, les Pays-Bas espagnols. Or, cette paix avec l’Espagne, dit traité des Pyrénées (7 novembre 1659), avait entériné une séparation entre la France et l’Espagne sur les Pyrénées. Pourtant, l’Espagne, avec ses diverses possessions, menaçait toujours la France d’encerclement. S’il y avait désormais les Pyrénées au sud, il n’y avait aucun obstacle naturel sérieux au nord pour toute invasion provenant des Pays-Bas espagnols. C’est pourquoi, à la mort de Philippe IV d’Espagne, le 17 septembre 1665, Louis XIV tenta de faire valoir, par l’intermédiaire de son épouse Marie-Thérèse, fille du défunt souverain, son droit de dévolution. La guerre éponyme en découla en 1667. Le véritable enjeu, pour le roi de France, n’était pas tant la couronne d’Espagne que la conquête de la Flandre et de la Franche-Comté.

Marie-Thérèse de Habsbourg (1651-1673), fille de Philippe IV d’Espagne et Marie-Anne d’Autriche, archiduchesse d’Autriche puis impératrice du Saint-Empire, reine de Germanie, de Bohême et de Hongrie (1666-1673).

Philippe IV d’Espagne, décédé le 17 septembre 1665, avait laissé son royaume à son fils Charles II d’Espagne, 5 ans, si frêle que les médecins prédisaient sa mort prochaine. Le testament de feu le roi d’Espagne la prévoyait : dans l’éventualité du décès de Charles, l’héritage espagnol devait aller à la seule sœur de Marie-Thérèse : Marguerite-Thérèse, promise en mariage à l’empereur Léopold Ier. Chose inacceptable pour la France dont la renonciation à l’héritage de la reine était conditionnée au versement – jamais réalisé – de la dot. La France brandit les droits de la reine concernant les Pays-Bas espagnols. Louis XIV demanda tout, avec pour objectif de ne recevoir qu’un sixième. La France ne souhaitait pas établir une longue frontière franco-hollandaise qui justifierait un rapprochement entre les deux puissances maritimes. Et pour cause, Amsterdam, en apprenant les revendications de Louis XIV, tenta un coup de poker en envoyant, le 14 juin 1667, l’amiral Ruyter sillonner la Manche jusqu’aux portes de Londres. Ruyter s’empara de l’arsenal de Chatham, obligeant Charles II d’Angleterre à signer la paix de Bréda le 31 juillet 1667. Celui-ci rendait le Surinam et les Antilles mais conservait Nieuw Amsterdam, tandis que la France recouvrait l’Acadie (prise par Cromwell quelques années auparavant) et rendait Saint-Christophe et les Antilles anglaises. Les Provinces-Unies ne furent pas les seules à réagir aux demandes françaises. Qu’importe le rapport de force, la régente espagnole refusa tout à la France : la reine-régente d’Espagne, Marie-Anne d’Autriche, conseillée par Jean-Evrard Nithard, futur Inquisiteur général et premier ministre d’Espagne, répondit aux discrètes protestations françaises par une fin de non-recevoir. Alors, Louis XIV se prépara à la guerre, levant et créant des régiments.

Marie-Anne d’Autriche (1634-1696), reine consort d’Espagne, de Naples et de Sicile (1649-1665) puis régente du royaume d’Espagne (1665-1675).

L’hiver 1666-1667 venu, l’armée royale française pouvait aligner 52 000 hommes, à quoi s’ajoutaient 20 000 Suisses et Lorrains. Les magasins étaient remplis (armes, munitions, fourrage), prêts pour la guerre ; 1000 pièces d’artillerie avaient été fondues et 900 supplémentaires commandées au Danemark. Nulle autre nation ne pouvait rivaliser en Europe. La diplomatie n’était pas en reste : isoler l’Espagne et empêcher l’Empereur, intéressé à la succession par son mariage, de lui porter assistance, n’était pas mince affaire. La France donna 1,8 million de livres au Portugal par traité en mars 1667 pour l’aider à continuer sa guerre contre l’Espagne ; puis paya le duc de Neubourg, les électeurs de Cologne et Mayence ainsi que l’évêque de Munster pour interdire aux Impériaux le chemin de la France. Le 8 mai, Louis XIV communiqua à toute l’Europe un manifeste faisant valoir le droit de « dévolution » en usage dans le Brabant et quelques cantons du Hainaut et de Flandre. Cette coutume de droit privé donnant aux filles d’un premier mariage la primauté sur des garçons de mariages ultérieurs quant à l’héritage du père, ne pouvait pourtant d’évidence pas s’appliquer aux successions royales. Qu’importe, cette coutume faisait de la reine de France une héritière directe et Louis XIV revendiqua, par cette voie, le duché de Brabant, le marquisat d’Anvers, le comté de Namur, le duché de Limbourg, la seigneurie de Malines, la Haute-Gueldre, le comté d’Artois, le duché de Cambrai et une partie du Luxembourg. La reine-régente d’Espagne rejeta toutes les revendications. Alors, Louis XIV se mit en campagne le 21 mai 1667. Il alignait 50 000 Français contre les 20 000 hommes du gouverneur espagnol des Pays-Bas, Castel-Rodrigo.

Représentation de la guerre de Dévolution (1667-1668).

Turenne s’empara de Binche, Charleroi et Ath tandis qu’Aumont prenait Bergues, Furnes et Armentières sans que la France ne déclare la guerre. Les Français disaient seulement se « mettre en possession de ce qui nous est usurpé ». Courtrai, Tournai, Douai, Audenarde et Lille tombèrent sans grande résistance. Louis XIV prenait tous les risques en première ligne, excédant Turenne par ses imprudences. Pour autant, le maréchal, manquant de vivres et de munitions, refusa de marcher sur Bruxelles. La diplomatie prit le relais et la France se montra très modérée, demandant à garder les places conquises ou à les échanger contre la Franche-Comté. En parallèle, la France acheta la neutralité prussienne par le traité de Cologne-sur-la-Sprée avec Frédéric-Guillaume du Brandebourg le 15 décembre 1667. À Vienne, la France signa un traité secret le 19 janvier 1668, convenant d’avance du partage de l’Espagne lors de la succession. Léopold Ier y confirmait la nullité de la renonciation de Marie-Thérèse et donnait à la France, en cas de succession, les Pays-Bas espagnols, la Franche-Comté, la Navarre et Rosas, le royaume de Naples, la Sicile, les côtes de l’Afrique et les Philippines orientales ; tandis que l’Autriche gardait l’Espagne, les Indes occidentales, le Milanais, Finale, les présides de Toscane, la Sardaigne, les Baléares et les Canaries. Léopold Ier fit tout, par la suite, pour cacher ce traité.

Francisco de Castel Rodrigo (1610-1675), vice-roi de Sardaigne (1657-1661), puis vice-roi de Catalogne (1663-1664) et gouverneur des Pays-Bas espagnols (1664-1668).

Du reste, les victoires françaises avaient inquiété l’Angleterre, qui chercha dès lors et trouva chez deux alliés de la France de pareils sentiments : les Provinces-Unies et la Suède. Ainsi fut formée la Triple Alliance, signée le 23 janvier 1668, quelques jours après le traité de partage secret de Vienne. Les trois puissances proposèrent leur médiation sur les bases des demandes françaises. Mais cette proposition avait des airs de menaces. D’ailleurs, la Triple Alliance s’était entendue pour déclarer la guerre à la France et la ramener dans ses frontières de 1659 si elle refusait de limiter ses prétentions. Le roi de France avait de quoi être amer, lui qui avait fondé sa stratégie sur la neutralité bienveillante des jeunes Provinces-Unis, alliés de la France depuis deux siècles contre l’ennemi commun espagnol. Seulement voilà, désormais indépendantes, les Provinces-Unies avaient tout à perdre en substituant à une Espagne sur le déclin une France expansionniste sur ses frontières. Louis XIV n’oubliera pas avoir vu ses ambitions contrariées par les Provinces-Unies. Au demeurant, la régente d’Espagne faisant la sourde oreille, Louis XIV décida de lancer, sous la direction du Grand Condé, une campagne éclair en Franche-Comté en plein hiver, chose hautement inhabituelle. Celle-ci dura du 2 au 19 février 1668. Besançon et Salins tombèrent sans coup férir et Dole après quatre jours de résistance. De fait, l’armée espagnole s’était effondrée devant les campagnes éclairs de Condé en Franche-Comté et Turenne en Flandre. Au printemps 1668, Turenne, à la tête d’une grande armée, se tenait donc prêt à terminer l’invasion des Pays-Bas espagnols.

Progression du territoire français dans le nord-est entre 1648 et 1678.

Pourtant, la cour en France était divisée entre les bellicistes et les pacifistes. Pire : le Portugal, épuisé, traita avec l’Espagne qui reconnaissait enfin son indépendance. Louis XIV, pressé par la Triple Alliance et déjà assuré sur la succession d’Espagne par le traité de partage de Vienne ainsi que de garder quelques villes conquises du fait de l’invasion de la Franche-Comté, utile monnaie d’échange, choisit la paix. Le 2 mai 1668, le congrès d’Aix-la-Chapelle vit la France restituer la Franche-Comté à l’Espagne – future pomme de discorde – et annexer des places fortes de première importance en Flandre : Charleroi, Binche, Furnes, Audenarde, Ath, Aire, Douai, Lille, Ypres, Armentières, Courtrai et Tournai. Le cœur des acquisitions française durant cette guerre était ainsi la Flandre wallonne, qui ne reconnaissait pas l’usage de la dévolution, même dans le droit privé. Mais on avait déjà compris que tout ceci n’était qu’un prétexte. Au demeurant, ces acquisitions formaient des enclaves à la frontière. Les officiers ne comprirent pas la décision du roi et lui reprochèrent sa modération. Louis XIV n’était pas le plus belliciste des Français.

Le Roi-Soleil avait notamment pu mener à bien sa guerre car les désordres internes s’étaient tus l’espace de quelques années. Le règne personnel de Louis XIV connut quatre révoltes paysannes principales : celle du Boulonnais (1662), celle d’Audijos (1663-1665), celle du Roure (1670) et celle des bonnets rouges bretons (1675). La première débuta dans une région non soumise à l’impôt dans laquelle Louis XIV instaura un impôt léger pour montrer que cela allait progressivement devenir la norme. Les paysans se soulèvent. Le roi se montrant trop modéré dans sa réaction, la révolte se durcit. Louis XIV envoya la troupe, amnistia une grande partie des séditieux, pendit 12 réfractaires et en condamna 400 aux galères. La sanction ne fut manifestement pas assez exemplaire car un an plus tard, la Chalosse se souleva à son tour, suivant un petit gentilhomme : Audijos. La cause en fut l’augmentation de l’impôt du sel. Le pouvoir réagit plus vite, puis châtia par exécutions ou condamnations aux galères. En 1670, le Vivarais s’enflamma du fait d’une rumeur (pas tout à fait fausse) d’introduction de bureaux d’élections pour la taille. Le notable rural Antoine du Roure prit les commandes du soulèvement. Quelques officiers de justice furent tués. L’affaire fut conclue par une petite bataille rangée, dite bataille de Lavilledieu (25 juillet 1670), durant laquelle du Roure fut sévèrement battu. Enfin, en avril 1675, les villes bretonnes protestèrent contre l’édit de 1674 imposant le timbre pour les actes notariés. Des milliers de ruraux, coiffés de bonnets rouges, terrorisèrent le pays, attaquant châteaux, greffes de juridiction et bureaux de la ferme des impôts. L’envoi de la troupe calma la révolte et les conséquences habituelles furent administrées : quelques exécutions, quelques galériens, beaucoup de pardonnés. Pour financer ses guerres et mobiliser des effectifs sans cesse plus importants pour des conflits toujours plus longues, Louis XIV ne pouvait que se confronter à des révoltes antifiscales, surtout au début de son règne.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite-Th%C3%A9r%C3%A8se_d%27Autriche (Marie-Thérèse d’Autriche)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Anne_d%27Autriche_(1634-1696) (Marie-Anne d’Autriche)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_D%C3%A9volution (représentation et progression territoriale de la guerre de Dévolution

https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_de_Castel_Rodrigo (Castel Rodrigo)

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