La guerre de Sept Ans (partie I) : les prémices (1754-1756)

La guerre de Sept Ans (partie I) : les prémices (1754-1756)

Le XVIIe siècle est celui d’une vive opposition franco-britannique encouragée par Louis XIV. Le roi est foncièrement belliqueux et son ambition de monarchie universelle par le biais de la monarchie absolue est difficilement canalisée lors des guerres de la ligue d’Augsbourg (1689-1697) puis lors de la guerre de Succession Espagnole (1701-1714). Louis XV, arrière-petit-fils de Louis XIV, prend alors sa suite et une première « entente cordiale » naît entre les deux pays, néanmoins entachée de méfiance. La guerre de Succession d’Autriche (1744-1748) voit éclater cette entente. Aucun conflit franco-britannique ouvert n’embrase pourtant l’Europe. Louis XV fait attention à garder une puissance raisonnable en Europe, il sait qu’une puissance inquiétante serait vue comme hégémonique, ce qui déclencherait une nouvelle guerre. C’est pourquoi il se refuse à garder les Pays-Bas autrichiens (Belgique) qu’il vient de conquérir.

Guerre de Succession d’Autriche (1740-1748)

Pourtant, dans son calcul, Louis XV oublie que, dans cette guerre de Succession d’Autriche, Frédéric II de Prusse s’est emparé de la Silésie des Habsbourg. La paix à peine décrétée en 1748, l’Autriche prépare déjà sa revanche. Les tensions s’intensifient dans les années 1750. Mais ces tensions n’ont jamais cessé dans les jeunes colonies du Nouveau-Monde.
Les Français et les Britanniques ont débuté leur colonisation en retard par rapport aux Espagnols et aux Portugais. Mais quand ils la commencent, c’est en même temps et au même endroit : l’Amérique du nord. Les Treize colonies britanniques s’opposent en tous points à la Nouvelle-France établie de prime abord au Canada. Le premier conflit concernant les colonies d’Amérique sera celui de 1689 (guerre de la ligue d’Augsbourg). Le jeu de pouvoir est engagé, les Français favorisent l’entente avec les tribus amérindiennes. Le gouverneur français est appelé Onontio (« le Père ») par les Amérindiens. Les Anglais, numériquement parlant, sont bien plus nombreux par leurs colons, mais des luttes intestines et un gouvernement non centralisé nuisent à l’efficacité britannique.

Colonies européennes en Amérique du Nord

L’Acadie, terre française d’Amérique du Nord, est cédée aux Britanniques par le traité d’Utrecht en 1714 (fin de la guerre de Succession d’Espagne). L’Acadie devient la Nouvelle-Ecosse. Mais les Français tenteront de reprendre le territoire ou du moins d’évacuer les Acadiens. Lors de la guerre de Succession d’Autriche (1744-1748), les tensions sont groupées autour de l’Acadie. Le fort Louisbourg, capital à la défense de la Nouvelle-France, donc à Québec et Montréal, tombe aux mains des Britanniques. Lors de la paix d’Aix-La-Chapelle en 1748, le fort est rétrocédé aux Français contre un comptoir commercial britannique d’Inde capturé par la France nommé Madras. On espère que la Commission des limites, mise en place en 1750, réglera les problèmes en Amérique : rien ne sortira de cette Commission.

Un second foyer de tensions concerne l’Ohio. Depuis peu, les Français ont le contrôle sur la Louisiane qui barre l’Amérique du Nord en son milieu, une région qui ferait environ 1/3 du territoire US actuel. Pour la relier au Canada français, la vallée de l’Ohio est indispensable. Une lutte d’influence s’engage entre Français et Anglais pour gagner le soutien des Amérindiens de la Grande Ligue Iroquoise, force amérindienne rassemblant plusieurs tribus qui vivent dans cette vallée. Michel-Ange Duquesne est le nouveau gouverneur de la Nouvelle-France, il veut absolument reprendre la vallée de l’Ohio. Les Britanniques autorisent une contre-attaque musclée. Ils préviennent les Français par une sorte d’ultimatum, le messager est un certain George Washington, 21 ans, aucune expérience. Français et Britanniques s’efforcent de bâtir des forts partout.

Le 28 mai 1754, Washington attaque, avec le Demi-Roi (de la Ligue) Tanaghrisson, un détachement français à l’aube. Le capitaine français : Joseph Coulon de Villiers de Jumonville (on l’appellera Jumonville hein …), est sauvagement assassiné par Tanaghrisson d’un coup de tomahawk dans le front. L’élément déclencheur de la première guerre réellement mondiale est donc non seulement un événement en Amérique du nord, mais en plus perpétré par un amérindien. Les Français reprennent néanmoins possession de l’Ohio. Washington, momentanément décérébré, fait bâtir le fort Necessity dans une plaine au creux d’une vallée. C’est là une erreur stratégique de premier ordre. Les Français, menés par de Villiers, frère du défunt capitaine, n’ont aucun mal à prendre le fort, ils peuvent canarder les occupants depuis les hauteurs. Washington capitule, il signe d’ailleurs avec cet acte de capitulation un aveu de son crime contre Jumonville. Washington part la tête basse … Un 4 juillet (lol). Il est à présent méprisé et raillé.

Louis XV, roi de France (1715-1774)

Pourquoi se battre pour l’Amérique ? Si la Nouvelle-France tombe, alors les îles sucrières des Caraïbes, hautement rentables et indispensables à l’économie française, contrairement à la Louisiane ou même au Canada, tomberont aussi. En Europe la « drôle de paix » commence. Les relations diplomatiques sont très volatiles. Les Anglais préparent pourtant déjà des expéditions armées en Amérique du nord. Louis XV en a vent mais espère encore sauver la paix. Il envoie néanmoins des renforts pour le Canada. Les Anglais décident d’envoyer une expédition dirigée par le général Braddock en Amérique et ordonnent à l’amiral Boscawen de détruire la flotte de renforts français à son arrivée au Canada mais ne veulent pas la guerre (ah !). Ils veulent que Louis XV accepte le fait accompli et se plie aux volontés anglaises.

Le 8 juin 1754, la flotte française est sauvée par la brume, ce qui contrecarre les plans anglais. Deux navires sont néanmoins pris par Boscawen. L’Europe est scandalisée par ces actions. Alors que les deux puissances sont encore en paix, les Anglais ont le mauvais rôle dans « l’attentat » contre Jumonville et la piraterie de Boscawen. L’anglophobie se réveille en France.

Le général Edward Braddock

Braddock, avec 2 200 hommes, dirige 4 expéditions simultanées en Amérique du Nord. Il refuse le soutien des Amérindiens. Ce commandant du Vieux Continent néglige les réalités propres au Nouveau-Monde (climat hostile, négociations intempestives, obstacles naturels, temps décuplé des expéditions, …) et sous-estime les Amérindiens : un général qui ne tient pas compte de l’environnement dans lequel il évolue peut être taxé d’incompétence. Braddock, presque arrivé au fort Duquesne, la cible principale, est pourtant sûr de gagner. En face, Liénard de Beaujeu (sublime) est envoyé par Contrecoeur (ces noms sont incroyables) avec seulement 200 Français et 600 Amérindiens. Beaujeu fait face et perd la vie rapidement. Les Français observent alors un repli dans la forêt ce qui est une excellente décision. Les Français et leurs alliés se cachent derrière les arbres, ils deviennent invisibles. L’avant-garde se replie alors que Braddock ordonne d’avancer : la panique gagne les Anglais. Le massacre est souvent le corollaire de la panique à la guerre. Braddock perd 4 montures avant de prendre à son tour une balle qui lui sera fatale. Les pertes françaises s’élèvent à 24 tués et 16 blessés, les Britanniques déplorent 600 morts et 400 grièvement blessés. Les techniques de la « petite guerre » ont été impitoyables. Les autres expéditions sont désormais compromises ou repoussées par les Français et les Amérindiens.

L’Europe en 1756

En 1755, alors que les tensions s’aggravent en Amérique du Nord, un revirement spectaculaire des alliances européennes va s’opérer. Le « Vieux Système » d’alliances fait état d’une alliance franco-prussienne contre une alliance anglo-autrichienne. Ce système, établi il y a presque trois siècles, façonné par Henry IV, Richelieu et Louis XIV, tourne autour de la puissance prépondérante qu’est la France : royaume le plus puissant à l’époque. C’est parce que la France est l’ennemie naturelle de la maison des Habsbourg, maison qui lui dispute l’hégémonie en Europe, et parce que la France s’oppose, surtout depuis 1689, à la puissance anglaise dans une guerre à la nature davantage commerciale que les alliances sont forgées ainsi. La Prusse, ennemie de l’Autriche, a tout intérêt à être l’alliée de la France. D’ailleurs ces alliances prévalent encore durant la guerre de Succession d’Autriche de 1740-1748 qui voit la Prusse attaquer l’Autriche et lui prendre la riche Silésie.

George II de Hanovre, roi de Grande-Bretagne (1727-1760)

En 1755, la perfide Albion, accusée par la France des scandaleux attentats dénués d’honneur à l’encontre de Jumonville et de la flotte française alors que la paix subsistait, se voit confier le mauvais rôle. Pour le roi d’Angleterre George II de Hanovre, la situation est d’autant plus délicate que l’Autriche se refuse à toute alliance qui ne soit dirigée contre la Prusse de Frédéric II. Marie-Thérèse, impératrice d’Autriche, prépare sa revanche depuis la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), et ce dès 1749. Elle ne veut pas gaspiller ses forces contre la France à l’encontre de laquelle elle n’a désormais que peu de ressentiments. La piste autrichienne ne donnant pas de résultats probants, les Britanniques se tournent vers la Russie. Pourquoi ? Parce que George II de Hanovre, comme son nom l’indique, est, comme son père avant lui, possesseur des terres du Hanovre dans le nord de l’Allemagne. Il donne à ces terres toute son attention, au grand dam des Anglais. Ses préoccupations sont loin d’être celles attachées à une puissance insulaire. Dénué du concours des Autrichiens, la Grande-Bretagne voit la France menacer directement ses terres allemandes. La menace est d’autant plus alarmante que la France et la Prusse sont alliées. Cette dernière étant également à proximité des terres du Hanovre. Dès lors, George II cherche une alliance utile avec la Tsarine Russe. Ainsi, le roi d’Angleterre peut menacer la Prusse sur ses arrières par l’intermédiaire de la Russie si Frédéric II montre des velléités d’invasion du Hanovre britannique. George II paye la Russie pour arriver au traité de Saint-Pétersbourg les 29 et 30 septembre 1755.

Frédéric II, roi de Prusse (1740-1772)

Frédéric II de Prusse, de son côté, nourrissait la plus grande admiration pour Louis XIV. Cette admiration ne vaut pas pour Louis XV qu’il méprise. La France sait l’alliance franco-prussienne utile pour les Français mais indispensable pour la Prusse. Dès lors, Louis XV ne se hâte pas de cultiver cette alliance lorsqu’un rapprochement entre la Prusse et la Grande Bretagne s’opère. Louis Jules Barbon Mancini-Mazarini, duc de Nivernais, très apprécié par Frédéric II, est choisi par Louis XV comme ambassadeur. Frédéric II est ravi ! Pourtant l’annonce de cette promotion est faite début août 1755. Nivernais n’arrive à Berlin qu’à la mi-janvier 1756, il est déjà trop tard. Frédéric II de Prusse s’est rapproché de la Grande-Bretagne, surtout après la signature du traité de Saint-Pétersbourg clairement dirigé à son encontre. Voyant les Français traîner les pieds et pas très investis à entretenir une alliance franco-prussienne datant de 1741 et qui expire en 1756, Frédéric II se résout à troquer la Cour parfumée de Versailles pour celle de Saint-James de Londres.

Impératrice Marie-Thérèse de Habsbourg (1740-1780)

Marie-Thérèse, par l’intermédiaire de Kaunitz, son principal ministre, opère de son côté un rapprochement avec la France. Louis XV est ouvert aux discussions en 1755 mais sait pertinemment que l’Autriche est la demandeuse. Après des discussions dans le plus grand secret entre les deux cours et des réserves françaises sans pour autant briser les négociations, les choses changent en 1756. L’Autriche offrait de vrais intérêts dès l’été 1755. Or, le 16 janvier 1756, le traité de Westminster est signé, officialisant l’alliance anglo-prussienne. George II promet de ne pas attaquer la Prusse malgré le traité de Saint-Pétersbourg. Alors en 1756, ce n’est plus la France qui est en position de force dans les débats franco-autrichiens. Kaunitz fait miroiter une alliance renouvelée avec la Grande-Bretagne qui fait effectivement de nouvelles propositions à Vienne. Cet ultimatum brusque les Français qui signent le traité de Versailles le 1er mai 1756, mettant ainsi fin à presque trois siècles d’inimitié. Pourtant, on pouvait sérieusement douter d’une alliance anglo-autrichienne étant donné que l’Angleterre était désormais alliée à la Prusse, ennemi viscéral de l’Autriche. Vienne et Versailles se promettent une neutralité mutuelle et une alliance défensive est signée, sauf pour le cas de la Grande-Bretagne (donc surtout dirigée contre la Prusse, ce qui n’avantage pas Louis XV). Ce traité est très mal vu par les Français et acquiert une très mauvaise réputation dont les échos dans l’histoire sont exagérés. Cela est dû au fait que des clauses secrètes, inconnues du public, accompagnent ce traité dont le prêt de ports des Pays-Bas Autrichiens ou encore le don du Luxembourg à don Philippe, beau-fils de Louis XV, qui offre une zone tampon à la France. La révolution des alliances marque un tournant, c’est le plus grand changement d’alliance depuis le Moyen-Age !

Carte globale de la guerre de Sept Ans montrant les alliances (le Portugal et l’Espagne s’engageront plus tard)

Source (texte) :

Dziembowski, Edomond (2018). La guerre de Sept Ans. Paris : Perrin, 864p.

Sources (images) :

https://www.reddit.com/r/europe/comments/cpc1hr/map_of_europe_1741_showing_military_alliances/ (guerre de succession d’Autriche)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nouvelle-France_map-en.svg (colonies européennes en Amérique du Nord)

https://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/5596-louis-xv-roi-de-france-1715-1774-biographie.html (Louis XV)

https://www.nndb.com/people/077/000049927/ (Edward Braddock)

https://www.deviantart.com/staszkopl/art/Europe-in-1756-673715185 (carte Europe 1756)

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:George_II_of_Great_Britain-01.jpg (George II de Hanovre)

https://no.wikipedia.org/wiki/Fil:Friedrich_der_Gro%C3%9Fe_(1781_or_1786)_-_Google_Art_Project.jpg (Frédéric II de Prusse)

http://enviedhistoire.canalblog.com/albums/la_famille_de_marie_therese_de_habsbourg_autriche/photos/5203812-kaiserin_maria_theresia__28hrr_29.html (Impératrice Marie-Thérèse de Habsbourg)

https://twitter.com/onlmaps/status/1096104303519911936 (carte globale de la guerre de 7 Ans)

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