Le Premier Empire et les guerres napoléoniennes (partie IV) : la fin de la guerre de la Quatrième Coalition (1807)
Dès le début de la guerre de la Quatrième Coalition, Napoléon Ier avait vaincu la Prusse le 14 octobre 1806 à Iéna et Auerstaedt et en avait profité pour entrer dans Berlin début novembre. L’empereur des Français y avait découvert un projet de trahison de son « allié » espagnol à son encontre. La Prusse presque hors-jeu, il restait encore à triompher des Russes, qui n’avaient pas été vaincus en 1805 avec la Troisième Coalition et n’avaient pas encore combattu durant cette Quatrième Coalition. Napoléon s’engagea en Pologne avec 150 000 hommes, face aux Russes qui pouvaient en aligner 160 000 (dont 20 000 Prussiens) répartis en trois armées. Napoléon, entrant dans Varsovie le 19 décembre, voulut empêcher la concentration de leurs forces. Davout fut victorieux à Czarnowo le 23 et Lannes remporta la décision avec 18 000 Français contre 43 000 Russes du général Bennigsen à Golymin ! Les Russes venaient de perdre 12 000 hommes et 80 canons mais le plan de Napoléon ne fut pas un succès total à cause de l’inaction de Bernadotte et des erreurs de Ney. La Grande Armée, affamée, souffrant du froid, connaissait une vague de suicides, poussant l’empereur à prendre ses quartiers d’hiver.
Bennigsen ne l’entendait pas ainsi, provoquant plusieurs combats dès janvier mais retraitant finalement vers Eylau, fuyant une Grande Armée toujours victorieuse. Après un dur combat de cavalerie le 7 février, remporté par les Français, s’engagea la terrible bataille d’Eylau le 8 février 1807. Napoléon comptait fixer les Russes au centre sur le village de Preussich-Eylau avec le corps de Soult pendant qu’il envelopperait l’aile gauche russe avec l’aile droite de Davout. Ce mouvement provoquerait un déplacement russe dégarnissant la partie rattachant le centre du dispositif russe à son aile gauche. C’est cet exact endroit que Napoléon comptait faire assaillir par le corps d’Augereau dont le maréchal était sérieusement malade. Du reste, Bennigsen alignait 75 000 Russes avec 400 pièces d’artillerie, bientôt appuyés par 8 000 Prussiens. La Grande Armée ne pouvait engager que 57 000 Français et 200 canons, peut-être appuyés par le corps de Ney. Bennigsen comptait, lui, couper l’armée française en son milieu et ensuite envelopper avec son aile droite.
A 7h, une première offensive russe sur Eylau échoua du fait de l’artillerie française. A 9h, une seconde offensive sur l’aile gauche française échoua. Les lourdes pertes russes n’auguraient rien de bon. Davout, formant l’aile droite française, attaqua, avec la division du général Friant, l’aile gauche russe. Bennigsen, inquiet de la progression française contre son aile gauche, envoya des réserves. Napoléon ordonna à Augereau d’attaquer, selon son plan. L’offensive avait le bon timing mais fut gênée par les chutes de neige : Augereau, incapable de se repérer dans ces conditions, présenta son flanc à la ligne russe qui décima, avec l’artillerie et une charge de cavalerie, la moitié de son corps. Pour pallier à ce revers malheureux, Napoléon ordonna à Murat de charger en lançant « nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? »
Cet ordre résulta en la plus grande charge de cavalerie de l’Histoire de France et l’une des plus grandes charges de l’Histoire en bataille. La cavalerie de la Garde y participa, brisant la ligne russe qui tint par l’intervention de réserves. Cette charge se fit au prix de deux grands généraux de cavalerie : d’Hautpoul et Dahlmann. De ce carnage au centre de la ligne russe, 5 000 Russes sortirent pour marcher sur leur objectif : le cimetière d’Eylau. La cavalerie de Lasalle et la Garde les massacrèrent. Le centre russe était anéanti mais Napoléon ne pouvait pas exploiter cette faiblesse car n’ayant plus de réserve et ne voyant pas Ney arriver. Pendant ce temps, Davout poursuivait sa poussée contre la gauche russe qui dut son salut à l’arrivée des Prussiens, permettant une contre-attaque. A l’opposé du champ de bataille, Ney déboucha enfin et attaqua la droite russe, forçant le repli de Bennigsen. La dure bataille d’Eylau se clôturait sur la difficile victoire de la Grande Armée qui déplorait 5 000 tués et autant de blessés. Les Russes ne faisaient pas mieux : 7 000 tués et 20 000 blessés dont 5 000 restèrent sur le champ de bataille et 15 000 allèrent presque tous mourir à Königsberg. Eylau était une victoire à la Pyrrhus*, la première pour une Grande Armée dont la réputation d’invincibilité vacillait. Napoléon reprit ses quartiers d’hiver.
* Une victoire est dite « à la Pyrrhus » lorsqu’elle est acquise avec des pertes importantes, amenuisant l’espoir d’une victoire finale sur l’ennemi.
Une trêve officieuse prit alors place. Les Français avait été accueillis en libérateurs par les Polonais dont le pays fut découpé en 1772, 1793 et 1795, partagé entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Napoléon représentait l’indépendance. Une jeune polonaise nommée Walewska alla jusqu’à séduire Napoléon pour l’influencer. Du moins, c’est ce qu’elle laissa entendre. Napoléon n’était pas homme à être influencé de la sorte, surtout pour une question aussi épineuse. L’empereur voulait récompenser les Polonais qui s’engageaient avec enthousiasme dans son armée, punir la Prusse en lui ôtant sa partie de la Pologne, faire peur à la Russie en lui ôtant la sienne. Mais ôter la partie autrichienne serait jeter François Ier dans la guerre : inconcevable. Le 21 février 1807, Napoléon s’installa à Osterode pour réorganiser son armée. La Grande Armée fut rééquipée, renforcée, alimentée et 80 000 conscrits furent levés par le Sénat, portant à 550 000 les soldats de l’Empire. Talleyrand permettait cette trêve nécessaire aux deux belligérants. Ce dernier discuta avec l’Autriche et la Prusse ; Napoléon avec les Ottomans et la Perse. Le conflit russo-ottomane séculaire reprit pour la Moldavie et la Valachie : le tsar détacha quelques dizaines d’hommes de la Pologne. Mais Selim III, Sultan ottoman, fut assassiné et son successeur se rapprocha des Anglais. Le Shah perse, déçu de l’alliance anglaise, tenta l’alliance française mais n’apporta pas grand-chose.
Plus importante fut la question espagnole. Godoy, dirigeant le gouvernement, faisait des approches peu discrètes à Londres, annonçant, dans des lettres qu’il envoyait partout, pouvoir lancer 120 000 hommes sur les arrières de Napoléon. Au demeurant, l’alliance française n’avait apporté que des défaites maritimes et des difficultés économiques à l’Espagne. Napoléon eut la preuve formelle de ces tractations en découvrant une lettre à Berlin et décida certainement de s’occuper de son allié prochainement. L’Espagne faisait figure de mauvais allié alors que les Allemands se montraient généreux, envoyant des troupes que Napoléon n’exigeait pas. Le roi de Saxe rejoignit la Confédération. Un Congrès à Copenhague regroupant l’Angleterre, la Russie, la Prusse la Suède ainsi que la France et ses alliés fut proposé. Talleyrand incita Napoléon à accepter. L’empereur s’y refusa, à raison : la Russie et l’Angleterre n’avaient absolument pas l’intention d’arrêter les combats.
Du 19 mars au 26 mai 1807, Lefebvre mena le siège de Dantzig dont toutes les tentatives de sauvetage des Coalisés échouèrent, perdant dans l’affaire 7 000 hommes sur 14 000 Prussiens et 4 000 Russes. Le 10 juin, Murat attaqua les 90 000 hommes de Bennigsen retranchés sur une puissante position défensive avec seulement 55 000 Français ! Le carnage ne servit qu’à sortir Bennigsen de cette superbe position, occasionnant 10 000 pertes** de chaque côté. Il n’aurait pas dû quitter cette position. Napoléon savait que Bennigsen ne pouvait abandonner Königsberg car cela relèverait de la trahison envers son, désormais faible, allié prussien. L’empereur envoya ainsi Soult prendre la ville alors que Lannes se plaçait à Friedland, terrain où Napoléon s’attendait à une attaque russe. Et effectivement, Bennigsen se décida à marcher sur Königsberg en passant par Friedland avec 75 000 hommes. La bataille commença le 13 juin 1807 face à Lannes qui ne pouvait que donner l’impression d’avoir plus d’effectifs que la réalité ne lui en accordait en étendant son corps d’armée sur 4 km. Il attaqua les 27 000 hommes du prince Bagration avec 11 000 hommes. Lannes se devait de conserver le point clé que représentait le plateau de Heinrichdorf.
**Notons que le terme de perte, militairement parlant, compte tous ceux qui sont définitivement ou momentanément hors combat : tués, blessés, malades, prisonniers, disparus.
Les forces françaises arrivaient lentement mais Lannes devait toujours composer avec une large infériorité numérique, qu’il compensait en multipliant les basculements de forces tout en cachant ses mouvements à Bennigsen qui pensait encore affronter un bien plus grand nombre. Une charge de cavalerie russe fut repoussée par les dragons de Grouchy, aidés des cuirassiers. Par quinze fois la cavalerie russe tenta de bousculer la position française sur le plateau d’Heinrichdorf, par quinze fois ils furent repoussés. Lannes avait accompli sa mission, il mettait à la disposition de Napoléon, débarqué sur le terrain à midi, un espace de manœuvre. L’empereur devait attendre encore des renforts avant de partir à l’assaut. Napoléon avait pour effet majeur de prendre Friedland pour couper la ligne de retraite russe et acculer ces derniers contre la rivière Alle.
A 17h, Napoléon ordonna à l’artillerie de faire feu sur les forces de Bagration. Ney mena son corps d’armée contre ce même prince et emboutit l’aile russe, fonçant vers Friedland. Depuis l’autre rive de l’Alle, l’artillerie russe infligea de sérieuses pertes au corps de Ney, revers complété par une contre-attaque de la garde impériale russe. L’aile droite française en difficulté, le corps du général Victor vint lui prêter main forte, permettant à Ney de se porter sur Friedland deux heures plus tard et d’y couper les ponts : l’effet majeur était atteint. Portant ses efforts sur le plateau de Heinrichdorf que les Russes attaquaient encore, plus au nord, Napoléon termina le combat face à des Russes qui combattirent jusqu’à ce que l’espoir ne soit plus permis. Bennigsen, vaincu, perdait là 10 000 hommes et en voyait 15 000 supplémentaires prisonniers. Napoléon perdait, lui, 5 à 7 000 hommes. Au final, 75 000 Russes étaient vaincus par 60 000 Français.
Après Friedland, les empereurs se rencontrèrent à Tilsit. Napoléon n’avait pas l’intention d’entrer en Russie pour se perdre dans ses immensités, les soldats n’étaient pas rentrés auprès de leur famille depuis un an et demi et Napoléon devait retourner dans sa capitale pour gérer son empire. Alexandre Ier, sans armée, voulait également mettre fin au massacre. Le tsar s’écria d’emblée devant Napoléon « Sir, je hais les Anglais autant que vous les haïssez, et je serai votre second dans tout ce que vous entreprendrez contre l’Angleterre ». La négociation ne pouvait que bien se passer ! Français et Russes festoyèrent alors qu’ils s’entretuaient quelques jours auparavant encore. Ils avaient le temps de faire connaissance, les discussions impériales durèrent 15 jours. Contrairement à ce que l’on dit souvent, Tilsit ne fut pas un partage de l’Europe entre deux empereurs qui sympathisèrent. Napoléon dictait clairement sa volonté au vaincu. Le tsar parvint à peine à limiter les dégâts.
Le traité franco-russe fut signé le 7 juillet 1807. La Russie reconnaissait l’Empire français, les états allemands, italiens, batave et napolitain. Le duché de Varsovie fut créé au détriment de la Prusse. La Russie lâchait ses alliés : Ferdinand IV de Naples comme Frédéric-Guillaume III de Prusse. En Allemagne, la Russie reconnaissait notamment le nouvel état : la Westphalie, que dirigeait le roi Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon. En cela, Alexandre Ier renonçait aux vues russes de sa grand-mère Catherine II, dite Catherine la Grande, sur l’Europe et l’Allemagne que les tsars voulaient depuis longtemps sous leur coupe. Plus grave pour Alexandre était la création du duché de Varsovie, une Pologne qui taisait son nom. Troisième grande concession : la Russie devait rendre la Moldavie et la Valachie, conquises un an plus tôt, à l’Empire ottoman et devait de plus faire une paix définitive avec cet ennemi séculaire. Alexandre renonçait ici aux prétentions tsaristes sur le sud-est de l’Europe leur permettant d’accéder aux eaux chaudes de la Méditerranée. Projet auquel s’opposaient avec autant de vigueur l’Angleterre et la France, alliés objectifs sur cette affaire. Désormais, la Russie était vue comme le médiateur entre la France et l’Angleterre, mais devait déclarer la guerre à cette dernière si aucun accord n’était trouvé avant novembre 1807 et appliquer le Blocus continental. L’économie russe, largement tournée vers l’Angleterre, souffrira grandement de ce blocus, bien plus que Londres. Les marchandises françaises ne pouvaient empêcher l’inflation de grimper et l’économie de vaciller. Il était déjà clair que pour Alexandre Ier, cet humiliant traité annonçait une revanche.
La Prusse, elle, fut contrainte à signer ce traité absolument humiliant le 9 juillet 1807. Frédéric-Guillaume n’avait rien pu négocier. Napoléon avait refusé de l’écouter. Lâché par Alexandre Ier, il était l’un des grands perdants de l’accord de Tilsit. La Prusse perdait 1/3 de son territoire, grignoté à l’ouest par la nouvelle Westphalie et à l’est par le nouveau duché de Varsovie. Elle devait déclarer la guerre à l’Angleterre avant le 1er décembre et instaurer le Blocus continental à son encontre. Elle reconnaissait elle aussi les frères Bonaparte : Joseph à Naples, Louis en Hollande et Jérôme en Westphalie. Finalement, elle devait payer une immense indemnité de 140 millions de francs à la France et acceptait de voir Berlin occupée jusqu’à ce que cette dette soit réglée. La capitale prussienne ne fut libérée des soldats français qu’en 1810 ! La Quatrième Coalition n’était plus.
La Suède, qui n’avait finalement que peu combattu, était vaincue en marge des Russes par Bernadotte et Mortier. Pourtant, Gustave IV Adolphe, financé par l’Angleterre, osa relancer la guerre après l’accord de Tilsit. Napoléon, furieux, repoussa les Suédois de Poméranie. Du reste, l’armée russe envahit la partie finlandaise du royaume de Suède, l’annexant carrément en 1809. Le Danemark, qui voulait rester neutre, avait subi de mauvais traitements de la part des Anglais qui avaient bombardé Copenhague en 1801 et avait même débarqué des troupes d’août à septembre 1807, bombardant à nouveau Copenhague. Le Danemark se rangea logiquement du côté de la France. Le Portugal restait lui un allié inconditionnel de Londres et, (uniquement) de ce fait, était considéré antifrançais. Avec l’allié espagnol prêt à poignarder Napoléon dans le dos, la péninsule ibérique semblait bien contrariante.
Sources (texte) :
Marill, Jean-Marc (2018). Histoire des guerres révolutionnaires et impériales 1789-1815. Paris : Nouveau Monde éditions / Ministère des Armées, 544p.
Lentz, Thierry (2018). Le Premier Empire. Paris : Fayard / Pluriel, 832p.
Sources (images) :
https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/prusse (campagne de Prusse et de Pologne)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Levin_August_von_Bennigsen (Bennigsen)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Eylau (Napoléon à Eylau)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Augereau (Augereau)
https://les-apn-belgique.webnode.fr/news/la-plus-grande-charge-de-cavalerie-de-lhistoire/ (Bataille d’Eylau)
http://www.sabresempire.com/2012/01/sabre-de-cuirassier-de-la-grande-armee.html (d’Hautpoul chargeant à Eylau)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Joseph_Lefebvre (Lefebvre)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Friedland (Napoléon à Friedland et vision tactique)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9s_de_Tilsit (Tilsit)