La guerre du Viêt Nam (partie VIII) : l’offensive du Têt et ses suites (1968)

La guerre du Viêt Nam (partie VIII) : l’offensive du Têt et ses suites (1968)

Rappel : L’année 1967 revêtit une grande importance. Johnson, s’il laissait l’option des bombardements ouverte, renonçait à toute invasion du nord ou du Laos, limitait les nouveaux afflux d’hommes, déchaînait les services de sécurité contre le mouvement antiguerre et renonçait à briguer un second mandat (ce qu’il annonça à Westmoreland en privé). La proportion de l’opinion publique en faveur du conflit dégringolait malgré la propagande. Le Parti de la Jeunesse (Youth International Party, les Yippies) fut par ailleurs créé fin 1967 pour montrer l’absurdité du « système ». La Maison-Blanche faisait entrevoir au peuple une amélioration significative de l’avantage des Etats-Unis dans la guerre alors même que le pays se trouvait à l’aune de l’année 1968, désastreuse pour les Américains. Hanoi préparait une grande offensive.

Westmoreland était sûrement sincère quand il disait la guerre bientôt terminée. Les généraux américains rapportèrent avoir atteint le fameux point de bascule à l’été 1967 en tuant 200 000 Viêt-Cong et Nord-Vietnamiens. C’était se baser sur le body count, donc sur du vent. Rappelons une statistique, elle avérée, tout aussi importante : au 4 juillet 1967, 14 624 soldats américains avaient trouvé la mort au Viêt Nam, pour des pertes* totales s’élevant à 75 000. Notons également que si le Nord-Viêt Nam et le FNL n’avaient aucune grande victoire militaire incontestable, les Etats-Unis n’avaient eux aucune grande victoire utile. Westmoreland allait bientôt constater l’étendue de son erreur.

*Notons que le terme de perte, militairement parlant, compte tous ceux qui sont définitivement ou momentanément hors combat : tués, blessés, malades, prisonniers, disparus.

Préparée depuis longtemps, l’offensive du Têt, orchestrée par Hanoi, allait bientôt déferler sur le Sud-Viêt Nam. De fait, Le Duan répondait par cette offensive à la volonté du FNL de se dissocier d’Hanoi, ce que le Nord-Viêt Nam ne souhaitait pas. Le Duan pensait les Sud-Vietnamiens opprimés et comptait sur un grand soulèvement sud-vietnamien pour accompagner une grande offensive conjointe avec le FNL. D’où le projet de « offensive générale – soulèvement général » qui devait non seulement rallier les Sud-Vietnamiens mais également cimenter la coopération entre Hanoi et le FNL. Pour s’assurer de la mise en action de son plan, Le Duan n’hésita pas à envoyer Giap en Hongrie et Hô Chi Minh en Chine (pour des raisons médicales) pour ôter à l’opposition ses deux chefs charismatiques.

L’offensive de Le Duan connut des prémices destinées d’une part à faire diversion et d’autre part à travailler la coordination des unités, notamment entre le FNL et le Nord-Viêt Nam. Ces diversions furent mises en œuvre fin 1967 et début 1968 de sorte que les Américains ne puissent imaginer une offensive générale sur le pays entier. Hanoi voulait attirer l’ARVN et les Américains loin des villes et des grandes bases militaires pour parasiter leurs possibilités de réaction face à l’offensive du Têt. Pour cela, l’assaut fut donné près du Cambodge, du Laos et de la DMZ (Zone Démilitarisée) pour donner une impression de « batailles frontalières ».

Des actions militaires fin 1967, Loc Ninh fut la première cible fin octobre, attaquée à plusieurs reprises ; puis vint Dak To début novembre, pour laquelle l’intensité de l’affrontement fut décuplée, les hommes du FNL et de l’APV (Armée Populaire) s’accrochant aux différentes collines ; enfin ce fut Khe Sanh qui fut attaquée avec des forces importantes. Dak To, comme Khe Sanh, furent attaquées pour attirer les Américains au nord. Or, Westmoreland envoya des renforts, exactement ce que les Nord-Vietnamiens et le FNL voulaient. Westy, de son surnom, pensait que ces batailles aux frontières seraient de grandes victoires pour Washington et que l’ennemi y jetait déjà toutes ses troupes disponibles. Après tout, le point de bascule était dépassé. Fin 1967, 20 057 Américains étaient morts au Viêt Nam. Début 1968, 485 600 Américains combattaient au Viêt Nam.

Situation estimée au Viêt Nam en décembre 1967

Bien plus proche de la date du Têt fut menée l’attaque contre la base de Con Thien (« Colline des anges »), proche de la DMZ, le 20 janvier 1968. Le camp, assiégé, n’était accessible que par hélicoptère. Des marines américains tenaient la position. Horrible pour les Américains, cette attaque vit l’artillerie nord-vietnamienne pilonner la position américaine depuis les montagnes. Certains comparèrent cette bataille à la célèbre histoire du fort Alamo.

Soldats américains maniant le fusil M16 au Viêt Nam
Soldat américain au Viêt Nam, armé d’une M16 avec une baïonnette

Troquons brièvement la vision macro pour la micro. Les Nord-Vietnamiens étaient, pour beaucoup, inconscients de l’horreur dans laquelle ils se jetaient. Beaucoup étaient heureux d’aller au sud. Par ailleurs, les Américains n’avaient pas le monopole de l’efficacité quant aux armes. Les fusils d’assaut M16 étaient bien des armes nouvelles, mais souffraient de dysfonctionnements continuels. Les AKM modernes (dérivé de l’AK47) mais déjà largement testés des Nord-Vietnamiens, fournis par le bloc soviétique, étaient eux très fiables. Pour renforcer l’envers du décor, rapportons également une technique nord-vietnamienne. Les soldats américains étaient considérés comme faciles à repérer et tracer du fait de leurs cigarettes. Pire, quand un américain était blessé, un autre au moins venait le chercher, que le blessé soit à découvert ou non. Les Nord-Vietnamiens en étaient conscients et usaient de cette technique, ils tiraient donc parfois pour blesser ; car en blessant volontairement un soldat, ils pouvaient en tuer deux.

Soldat américain utilisant une AKM soviétique

Revenons à la vue d’ensemble. De toutes ces attaques, les Américains récupérèrent des documents allant dans le sens d’une offensive à l’échelle du pays, le fameux « offensive générale – soulèvement général » prévu par Hanoi. La CIA mit en lumière cette menace. Westmoreland n’y croyait aucunement, persuadé qu’Hanoi prévoyait une attaque massive et localisée sur Khe Sanh, dont les caractéristiques se rapprochaient, à dessein, de celles de Dien Bien Phu. Et puis, la 304e division nord-vietnamienne y avait été détectée, une unité d’élite. Pour davantage renforcer cette mauvaise interprétation, une offensive y fut lancée par Hanoi le 20 janvier, dix jours avant l’offensive du Têt.

Le lieutenant général Frederick C. Weyand de la IIe Field Force sauva certainement les Etats-Unis en découvrant une anomalie dans des plans récupérés sur l’ennemi et en doublant alors le nombre de bataillons à Saigon par précaution.

Pour ajouter à la confusion, Hanoi mit en place un nouveau calendrier décalant sa propre fête du Têt quelques jours plus tard. Washington s’attendait à une attaque avant le Têt, mais pas pendant. Et quand bien même, comment l’anticiper avec le nouveau calendrier d’Hanoi ? La veille de la fête du Têt Mau Than à sa date traditionnelle, Hanoi lança des attaques, mais pas toutes, visant seulement Nha Trang, Qui Nhon, Da Nang, Pleiku, Kontum et Hoi An. L’offensive fut nettement plus sévère le lendemain car visant Huê, ancienne capitale impériale (au nord du Sud-Viêt Nam) et Saigon (elle au sud). La piste Hô Chi Minh permit les infiltrations. La moitié de l’ARVN était en permission pour fêter le Têt et le président Thieu refusa de lever le cessez-le-feu.

Carte représentant l’offensive du Têt en 1968

Dans Saigon, de multiples espions donnèrent corps à une offensive qui se déroula après minuit, dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968, alors que tout le monde célèbrerait et que les grands commandants fêtaient le Têt ou étaient chez eux. Plusieurs d’entre eux dormaient. L’attaque fut méprise pour des coups de feu tirés en l’air par des soldats de l’ARVN ou des pétards. Pendant ce temps, le palais présidentiel, la station radio et la base de commandement interarmes étaient attaqués par des commandos.

Femme Viêt-Cong avec une arme antichar pendant l’offensive du Têt (1968)

La porte du palais ne put être enfoncée malgré les tirs de roquette et les communications furent coupées avant que la station ne puisse être utilisée par l’APV à des fins de propagande. De fait, un technicien avait contacté la tour de transmission pour bloquer tout accès à l’antenne et diffuser des valses viennoises et la musique des Beatles à la place. Enfin, un commando pénétra dans la base interarmes mais ne put tenir le terrain assez longtemps pour tuer des personnalités ou détruire quoi que ce soit d’important. Plus grave fut l’attaque sur l’ambassade américaine, elle aussi prise d’assaut par un commando. L’ambassade manqua d’être prise : le symbole en fut bien plus saisissant pour Washington.

A Long Binh, l’impressionnante explosion d’un dépôt de munitions créa un champignon dans le ciel. Les Américains pensèrent que l’arme nucléaire avait été utilisée. L’ancienne capitale impériale, Huê, fut capturée un temps par les Nord-Vietnamiens. On estime à 2 800 le nombre de « vandales » et « réactionnaires » (civils travaillant pour le gouvernement) exécutés par les communistes à Huê. Hanoi nie encore aujourd’hui. Sur les 135 000 habitants que comptait cette ville, 110 000 avaient perdu leur maison.

Capture d’un Viêt-Cong pendant le Têt

Globalement, l’attaque du Nord-Viêt Nam sur Saigon échoua : cette première offensive d’envergure manquait de coordination, le soulèvement escompté par Hanoi ne fut pas d’actualité, en partie parce que les fêtes occupaient les esprits, voire faisaient descendre dans la rue des militants, ce qui les occupa alors qu’ils auraient pu prendre les armes. Pire, pas une seule unité de l’ARVN ne déserta, contrairement à ce qu’avait anticipé Hanoi. En revanche, l’offensive du Têt dans sa globalité fut une grande réussite, particulièrement politiquement.

Célèbre photo de l’exécution sommaire d’un Viêt-Cong par le chef de la police nationale sud-vietnamienne

Dressons un bilan militaire d’abord : Cinq grandes cités autonomes, 35 des 44 capitales provinciales, 64 chefs-lieux de districts et 50 hameaux furent attaqués, 166 localités au total ! La plupart de ces localités furent attaquées et/ou prises pendant un à trois jours tout au plus. Huê en revanche, ne fut délivrée que le 24 février 1968. Khe Sanh subit un siège jusqu’en avril ! Suite à quoi la base fut démantelée. Durant l’offensive générale, de 67 à 84 000 hommes de Hanoi ou du FNL furent perdus. Les Américains déploraient 3 236 morts et 16 947 blessés ainsi qu’un nombre inconnu (car tenu secret) de disparus. L’ARVN perdit elle 7 930 tués et 18 270 blessés ainsi que 1 474 disparus. Les Forces du monde libre, de l’opération Many Flags, souffrirent également avec 258 morts et 532 blessés. Le total des pertes des alliés du Sud-Viêt Nam atteignait ainsi 49 024 tués, blessés et disparus. Westmoreland réclamait désormais 206 000 hommes supplémentaires. Johnson émit des doutes et refusa cette perfusion.

L’influence politique de l’offensive du Têt dépassa de loin ce bilan peu reluisant. La population américaine, à qui on avait assuré que l’on apercevait la lumière au bout du tunnel et que Hanoi était militairement épuisée, fut choquée par cette offensive. Des exactions de l’ARVN dont une photo d’exécution sommaire d’un membre du FNL vinrent alourdir le tableau. Même Cronkrite, présentateur télé et véritable baromètre de la nation, dénonça publiquement cette guerre du Viêt Nam. Johnson estima de ce fait l’Amérique perdue. Le 25 mars 1968, Johnson rassembla les « sages » (plusieurs personnalités de haut rang) qui lui conseillèrent le désengagement. Le 31 mars, Johnson prononça un discours dans lequel il annonçait stopper le flux des renforts et les bombardements au-delà de la DMZ. Il disait vouloir négocier avec Hanoi et ne pas se représenter pour un second mandat. Sa famille politique, les démocrates, avaient de toute manière déjà essayé de le remplacer par le sénateur McCarthy pour la prochaine élection.

Martin Luther King (gauche) et Malcom X (droite) lors de leur unique rencontre en 1964

L’ouverture aux négociations fut directement transmise à l’ambassadeur soviétique, puis à Moscou, puis à Hanoi. Le Nord-Viêt Nam annonça envoyer une délégation pour négocier début avril. Johnson put savourer une journée d’apaisement dans le pays. Pourquoi une journée seulement ? Car un jour plus tard, le soir du 4 avril 1968, Martin Luther King fut assassiné dans un motel à Memphis. Il est saisissant d’apprendre que le FBI a rendu publiques 11 764 pages sur l’activiste Malcom X et pas moins de 16 659 pages sur Martin Luther King Jr en 2004 ! Et nous ne sommes pas encore sous Nixon.

Pancarte dans une manifestation pour la paix « GET THE HELLicopters OUT OF VIETNAM »

D’immenses manifestations suivirent cet assassinat partout aux États-Unis, plus de 700 incendies se déclarèrent, 75 000 renforts furent envoyés en soutien de la police locale, 20 000 personnes furent arrêtées, 2 600 Américains furent blessés, 46 y trouvèrent la mort. L’université de Colombia fut le théâtre de la résistance du SDS et des arrestations musclées s’en suivirent, ce qui marqua le pays. Tout ceci inspira en partie des manifestations en Allemagne mais aussi en France (mai 1968). Cette année était déjà celle des mouvements sociaux dans le monde. Par ailleurs, le moi de mai 1968 fut le plus sanglant de la guerre du Viêt Nam pour les Américains avec 2 416 tués. Ce n’était en rien le fruit du hasard.

Hanoi voulut tirer avantage de l’offensive du Têt : une deuxième vague fut lancée le 4 mai et se termina en juin. A nouveau, ce fut une attaque d’envergure sur le pays entier et visant les grandes villes dont Saigon. Cette fois pourtant, un homme trahit le secret de l’offensive et les alliés (Américains et ARVN) étaient préparés. Les Nord-Vietnamiens et le FNL perdirent au moins 36 000 hommes pour 9 000 morts des milliers de blessés chez les alliés. Cette deuxième vague sanglante, qui avait touché 119 cibles Sud-Vietnamiennes, connut un événement particulier : tous les grands soutiens du général Ky furent rassemblés dans une école et un tir allié les tua tous. Le général Ky lui-même avait été sommé de se rendre dans cette école mais, effrayé par un rêve, était resté dans son lit (sacré flair !). On ne sut jamais qui était le coupable de ce massacre des soutiens du général Ky. Ce dernier suspecta Thieu. Quoi qu’il en soit, Ky ne s’en remit jamais et fut écarté du pouvoir.

Hanoi avait, de fait, adopté une nouvelle politique diplomatique. A Paris, les communistes mettaient en œuvre le « parler en se battant, se battre en parlant ». Le mini-Têt en était la preuve. Mais comme deux preuves valent mieux qu’une, regardons la suite des événements.

En août 1968, Hanoi lança une troisième vague en employant une tactique différente, procédant par assauts à plus petite échelle. Les alliés étaient prêts, encore une fois. Hanoi souffrit 17 000 pertes au moins, les alliés 16 000 blessés et tués. Le Nord-Viêt Nam reconnut publiquement son échec dans sa chronique officielle, commentant que les délais courts, le secret absolu de l’offensive, une préparation insuffisante, la sous-estimation de l’ennemi, l’ambition trop grande des objectifs, les techniques militaires trop simplistes, la mauvaise coordination, la mauvaise capacité d’adaptation du commandement, la priorité donnée aux villes … avaient causé la défaite. Hanoi transformait son échec militaire initial en désastre. Au moins le Nord-Viêt Nam semblait en tirer des enseignements. Washington, de son côté, souffrait toujours d’une débâcle politique catastrophique.

Sources (texte) :

Prados, John (2015). La guerre du Viêt Nam. Paris : Tempus Perrin, 1080p.

The Vietnam War, documentaire en 10 épisodes de Ken Burns et Lynn Novick, sur Netflix depuis 2017 (17h15 de documentaire)

Sources (images) :

https://www.larousse.fr/encyclopedie/images/La_guerre_du_Vi%C3%AAt_Nam_1967/1011359 (carte situation estimée en décembre 1967)

http://ftp.olive-drab.com/idphoto/id_photos_firearms_rifle_m16.php (soldats américains maniant le M16)

https://www.oldgunsguy.com/home/the-battle-of-the-ia-drang-valley-xm16e1 (soldat américain avec une M16 baïonnette)

https://www.reddit.com/r/CombatFootage/comments/fs5ydk/vietnam_a_us_marines_wields_an_nva_ak47_during/ (soldat américain utilisant un AKM soviétique)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Offensive_du_T%E1%BA%BFt (carte de l’offensive du Têt)

https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/01/30/il-y-a-cinquante-ans-l-offensive-du-tet-prenait-par-surprise-les-americains-au-vietnam_5249231_3216.html (femme VC pendant le Têt)

https://plus.lesoir.be/135054/article/2018-01-31/il-y-50-ans-loffensive-du-tet-au-vietnam (arrestation d’un VC pendant le Têt)

https://www.ledevoir.com/monde/asie/519192/vietnam-l-offensive-du-tet-50-ans-apres (Exécution sommaire par le chef de la police)

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:MLK_and_Malcolm_X_USNWR_cropped.jpg (Martin Luther King et Malcom X durant leur unique rencontre en 1964)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Opposition_%C3%A0_la_guerre_du_Vi%C3%AAt_Nam (pancarte contre la guerre)

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