Carthage antique (partie XII) : Second échec aux Romains en Italie (217 av. J-C) et revers carthaginois en Ibérie (218-216 av. J-C)
Rappel : A peine la Deuxième Guerre punique était-elle déclarée qu’Hannibal partit de Carthagène en Ibérie et se dirigea vers l’Italie. Il espérait ainsi porter la guerre sur les terres romaines et remettre en cause les alliances italiennes de l’Urbs. Il souhaitait également empêcher Rome de tirer profit de l’emprise imparfaite que Carthage possédait sur ses terres africaines et hispaniques. Dès la première année de la guerre (218*), Hannibal prit de court les Romains, traversa rapidement les Pyrénées puis les Alpes et déboucha sur la plaine du Pô au nord de l’Italie. Les Romains essayèrent alors de rapidement écarter ce danger. Seulement voilà, Hannibal remporta les deux batailles qui opposèrent les deux puissances en 218 : au Tessin et à la Trébie.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.
Deux nouveaux consuls furent élus en mars 217 : Cn. Servilius Germinus et C.Flaminius Nepos. Ce dernier était de la faction agraire, en faveur d’une guerre frontale. Un état d’esprit qui convenait parfaitement à la stratégie du Barcide. Cinq nouvelles légions furent levées, 3 furent envoyées au sud et 2 au nord contre Hannibal. Les consuls bloquèrent les deux voies menant à Rome. Hannibal passa au milieu de ces routes, par un marécage. Il craignait la défection des Gaulois que seul le butin motivait, ou presque et intercala les unités gauloises entre des unités plus fiables. Hannibal tenta ensuite de provoquer Nepos en brûlant des champs. Le consul, sensible à la question agraire et de tempérament impétueux, se savait trop faible pour affronter les 40 000 hommes (pour moitié des Gaulois) de l’armée punique. Pourtant, Nepos décida de suivre à la trace l’armée d’Hannibal.
Le stratège carthaginois en profita pour lui tendre une embuscade au lac de Trasimène, là où le défilé de Borghetto rejoint la plaine de Tuoro. Le matin du 21 juin 217, Nepos, dupé par le faux bivouac créé par Hannibal bien plus loin, s’aventura dans le défilé sans envoyer d’éclaireurs et alors que la brume masquait tout. Une fois l’armée consulaire bien engagée dans la plaine de Tuoro, l’armée punique fondit sur les Romains qui, désemparés, n’eurent pas même le temps de se mettre en ordre de bataille. Si quelques soldats romains parvinrent à percer l’encerclement, ils furent faits prisonniers par la cavalerie de Maharbal peu après.
Rome venait de perdre 15 000 hommes et un consul : Nepos ayant été tué dans l’engagement. Pour ne rien arranger, Germinus avait envoyé 4 000 cavaliers en renforts, qui arrivèrent trop tard et furent tués ou faits prisonniers dans les environs du lac de Pisa quelques jours plus tard. Hannibal en profita pour récupérer l’équipement romain, de meilleure qualité et put ainsi fournir à l’infanterie libyenne des épées, leur permettant plus de flexibilité et l’abandon de la stratégie phalangiste qui leur était moins adaptée. La perte d’une armée au lac Trasimène et de la cavalerie d’une autre armée provoqua une crise politique et religieuse à Rome. Un dictateur, magistrat disposant des pleins pouvoirs à titre exceptionnel et temporaire, fut élu. Pour faire face au Barcide, Rome renonçait temporairement à la république.
Le peuple choisit en juillet 217 le patricien Quintus Fabius Maximus, bientôt surnommé Cunctator « le Temporisateur ». Il implémenta une tactique attentiste et de la terre brûlée. C’était une technique impopulaire mais parfaite contre Hannibal. Pourtant, Marcus Minucius Rufus fut nommé maitre de cavalerie par le peuple pour seconder Fabius. Plus belliqueux mais expérimenté, il ne tarderait pas à critiquer la stratégie du dictateur. Fabius essaya de couper les vivres aux Puniques, tenta une stratégie attentiste de harcèlement et imposa une stratégie de terre brûlée en ordonnant à tous les habitants de villages sur la route des Puniques de partir. Il voulait provoquer des désertions, en particulier celle des Gaulois. Hannibal s’évertua à ravager l’Italie sauf les régions du sud alliées à Rome mais dont la loyauté était moins solide. Il espérait encore rallier ces cités. Le Barcide brûla les champs, sauf ceux de Fabius pour faire courir la rumeur d’une entente entre les deux hommes.
Obliquant vers le sud-est et rejoignant l’Adriatique, Hannibal put faire connaître à Carthage l’évolution de sa campagne pour inciter le Sénat à intensifier la guerre. Mais, alors qu’Hannibal allait se retirer des Pouilles pour prendre ses quartiers d’hiver, Fabius verrouilla toutes les voies de passage. Hannibal, voulant éviter un combat qui lui serait défavorable, fit marcher 2 000 bœufs, de nuit, avec des torches fixées aux cornes, pour faire diversion. La garnison du défilé le plus proche tomba dans le piège, ce qui permit à Hannibal de passer le gros de son armée pendant la nuit. Il débloqua ensuite le reste de ses troupes en luttant, infligeant 1 000 morts aux Romains.
Hannibal s’installa alors à Geronium. Il envoya les soldats fourrager. C’est ce moment de faiblesse que choisit Minucius Rufus, qui en avait assez de la stratégie de Fabius, pour attaquer. Pourtant, Fabius, qui avait son campement à proximité, lui avait intimé de ne pas céder. Du reste, Hannibal fut pris par surprise et livra un combat défensif. Il fut contraint d’abandonner l’un de ses deux camps. Cette victoire minime de Minucius fut largement amplifiée par les détracteurs de Fabius. Minucius obtint ainsi les mêmes pouvoirs que Fabius. Au même moment, les consuls furent rétablis dans leur charge : Servilius Germinus et, en remplacement de Flaminius, M. Atilius Regulus, fils du stratège de la Première Guerre punique. Hannibal faisait désormais face à deux dictateurs avec deux armées différentes et deux consuls.
Fin automne 217, c’est toujours à Geronium qu’Hannibal, comptant sur le tempérament de Minucius, espérait tendre un piège aux Romains. Le Barcide attira Minucius sur une colline. Puis, en reculant lentement jusqu’aux pieds de celle-ci, entraîna la majeure partie de l’armée du dictateur dans une plaine. Minucius se rendit compte trop tard du piège : il était déjà devant une armée en parfait ordre de bataille. Lorsque la première ligne romaine céda face aux charges de cavalerie, des troupes puniques cachées attaquèrent les Romains sur leurs arrières. La majeure partie de l’armée du dictateur était engagée et encerclée. Minucius ne dut son salut qu’à son homologue dictateur, Fabius, qui, ayant vu la situation dégénérer depuis son campement, intervint avec une armée parfaitement disciplinée. Hannibal, ne souhaitant pas se risquer à affronter une seconde armée fraîche et en ordre de bataille, mit fin à la poursuite des Romains.
Cette défaite partielle de Minucius à Geronium redora le blason de Fabius et de sa stratégie attentiste. Minucius livra même les restes de ses légions à son homologue et fit amende honorable. Pourtant, la dictature de Fabius arrivait à son terme. Au demeurant, la guerre ne concernait pas qu’Hannibal. Les fronts sud et ouest étaient également très actifs.
En Italie du sud, Carthage s’empressa d’attaquer avec deux flottes les îles Eoliennes et la Sicile en 218. Ce furent deux échecs : les flottes carthaginoises furent vaincues par des flottes romaine et syracusaine. Carthage ne perdit pas pour autant son ambition de ravager les côtes italiennes, notamment en Calabre. Cette tactique paya : Rome se vit contrainte d’envoyer deux légions vers la Sicile et une en Sardaigne ainsi qu’une flotte et une armée vers Tarente pour défendre la côte calabraise. Les forces pour Tarente avaient également pour objectif d’empêcher le renforcement d’Hannibal car une flotte de 70 bâtiments venait d’être levée par Carthage et semblait vouloir faire sa jonction avec le Barcide. Cette dernière se porta devant Pise à l’été 217, intercepta des navires de commerce romains destinés à ravitailler l’Espagne mais fut finalement chassée par l’ancien consul Germinus, à la tête d’une flotte de 120 quinquérèmes. Les Puniques ravagèrent la côte syracusaine l’été 216 venu avant d’être chassés par une flotte romaine.
En 218, Cnaeus Cornelius Scipion débarqua avec une armée en Catalogne. Le front d’Espagne venait de s’ouvrir. Heureusement, Hannibal y avait laissé 10 000 hommes sous les ordres d’un certain Hannon avant de traverser les Pyrénées. Celui-ci, pourtant, ne réagit pas assez rapidement et n’estima pas nécessaire d’attendre les renforts d’Asdrubal Barca. Face à Hannon, Scipion avait trouvé un puissant soutien dans les populations locale antipuniques. La bataille de Cissé, vers la fin 218, fut une victoire nette romaine. Hannon vit 6 000 des siens tués, 2 000 faits prisonniers (dont Hannon ainsi que son allié le roi des Ilergètes : Indibilis). Asdrubal, qui venait de passer l’Ebre, décida alors de surprendre les marins romains sur la côte qu’il massacra.
Après quoi, il passa l’Ebre en sens inverse. Il revint à nouveau sur ses pas et enjamba encore l’Ebre pour ravager le territoire des alliés de Rome avec une insurrection des Ilergètes. Après quoi, Asdrubal retourna dans le domaine punique en deçà de l’Ebre, laissant à Scipion l’occasion de soumettre les Ilergètes mais également les Ausétans et les Lacétans, tous alliés de Carthage. Asdurbal, prévoyant la campagne de 217, leva une armée et une flotte. Seulement, sa flotte fut détruite par celle des Romains : Scipion avait compris les plans puniques et contrôlait désormais la côte. Les îles Baléares, exposées, acceptèrent la soumission. La victoire navale de Cornelius Scipion poussa Rome à envoyer du renfort : 8 000 hommes et 20 navires sous les ordres de Publius Scipion, qui rejoignait là son frère. Les frères Scipion décidèrent de passe l’Ebre dès l’automne 217 alors qu’Asdrubal devait faire face au soulèvement des Celtibères à l’ouest du domaine punique.
Les Romains libérèrent des prisonniers espagnols, s’assurant un soutien futur. En 216, Asdrubal, recevant enfin de Carthage 4 000 fantassins et 500 chevaux, se décida à répliquer. Mais les Turdétans, à l’ouest du domaine andalou punique, se soulevèrent et formèrent une grande coalition. Barca se trouva d’abord en mauvaise posture puis parvint à surprendre l’ennemi espagnol et à l’encercler pour l’anéantir proche d’Ascua. Les maigres tentatives d’intégration des tribus africaines, libyennes et ibères dans l’empire carthaginois ne suffirent pas à éviter des soulèvements sévères, comme on peut le voir ici. Cette menace étant écartée à grand-peine, Asdrubal pouvait de nouveau se concentrer sur la menace romaine. En fait, Asdrubal se préparait même à rejoindre son frère en Italie et le bruit courait qu’il rassemblait son armée dans cette optique.
En effet, une armée et une flotte furent envoyées par Carthage pour tenir l’Espagne en l’absence des Barca. Les frères Scipion, désirant intercepter Asdrubal avant qu’il ne parte pour l’Italie, assiégèrent Hibera pour attirer son attention. Asdrubal répondit effectivement à cette action et le Barcide accepta de livrer bataille aux frères Scipion sur les rives de l’Ebre à l’automne 216.
Les Scipion adoptèrent une disposition classique : trois lignes d’infanterie lourde (hastati, principes et triarii), flanqués de la cavalerie et des vélites entre les lignes. Asdrubal aligna lui ses Ibères au centre de la ligne, flanqués par les Carthaginois à droite et les Africains et mercenaires à gauche. La cavalerie lourde ibère et africaine formait l’aile gauche de l’armée tandis que la cavalerie numide formait l’aile droite. La bataille s’engagea et l’infanterie lourde punique des deux côtés commença à enfoncer les lignes et à encercler les Romains. Seulement les Ibères, qui n’avaient pas envie de partir pour l’Italie, flanchèrent très rapidement au centre. L’armée du Barcide fut décimée, en significatif sous-nombre.
Cette victoire romaine fut très importante : elle interdisait à Asdrubal de rejoindre son frère en Italie, détruisait le cœur fidèle de l’armée et incitait les Espagnols à rejoindre Rome. Pire, elle poussa Carthage à choisir de renforcer Asdrubal Barca plutôt que son frère Hannibal. Magon Barca, le 3e frère, était parvenu exprès à Carthage pour demander des renforts pour Hannibal. Il se vit effectivement confier 12 000 fantassins, 1 500 cavaliers, 40 éléphants, 60 navires et 1 000 talents (argent), mais pour Asdrubal. Magon avait également ordre de lever 20 000 fantassins et 4 000 cavaliers pour le printemps 215. Plus largement, si le Sénat carthaginois restait pro-barcide tant qu’Hannibal obtenait de brillantes victoires en Italie, l’opposition sénatoriale se formait autour d’Hannon le Rab (dit « le Grand »), proromain. Les années passant, Hannon trouvera un écho de plus en plus important au sein du Sénat.
Sources (texte) :
Melliti, Khaled (2016). Carthage. France : Perrin, 559p.
Ferrero, Guglielmo (2019, réédition de 1936). Nouvelle Histoire romaine. France : Tallandier, 509p.
Le Bohec, Yann (2017). Histoire des guerres romaines. Paris : Tallandier, 608p.
Vanoyeke, Violaine (1995). Hannibal. Paris : Éditions France-Empire, 295p.
(Schéma tactique de la bataille du lac Trasimène + début de la guerre en Ibérie)
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_punique (Schéma tactique de la bataille du lac Trasimène + début de la guerre en Ibérie)
https://www.openbookpublishers.com/htmlreader/978-1-78374-132-8/ch3.xhtml (carte du trajet d’Hannibal d’Ibérie en Italie jusqu’au lac Trasimène)