Carthage antique (partie XI) : d’Ibérie en Italie, Hannibal traverse les Alpes et l’emporte au Tessin et à la Trébie (218 av. J-C)

Carthage antique (partie XI) : d’Ibérie en Italie, Hannibal traverse les Alpes et l’emporte au Tessin et à la Trébie (218 av. J-C)

Rappel : Il ne fallut pas longtemps à Hannibal Barca, belliqueux et hostile aux Romains, pour assiéger Sagonte, alliée de Rome, en Ibérie. Dès 219*, Barca mena le siège de la ville, ce qui déclencha les hostilités entre Rome et Carthage en 218. Le Sénat carthaginois, belliqueux, accueillit la guerre avec enthousiasme. La métropole africaine était devenue plus puissante que lors du précédent affrontement. Hannibal Barca, en particulier, commandait à une armée professionnelle. Barca lui-même était un chef militaire accompli. Celui-ci comptait bien partir de l’Ibérie barcide pour porter la guerre directement en Italie, afin d’empêcher une action romaine en Afrique ou en Ibérie.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.

L’armée barcide était majoritairement composée d’Africains et d’Ibères. Hannibal préférera souvent sacrifier les unités moins fiables (gaulois et Celtes) pour mettre les troupes Africaines et Ibère en bonne position. C’est que ces troupes n’étaient pas seulement majoritaires mais aussi la colonne vertébrale de l’armée en ce qu’elles apportaient d’encadrement et de cohésion. Hannibal avait peu de Grecs à sa disposition car le marché de Grande Grèce (Sicile et Italie du sud) lui étaient interdits par le contrôle romain. Hannibal s’assura de mettre des troupes africaines en Espagne et hispano-africaines en Italie, une manière de vider les terres africaines et espagnoles de forces vives qui pourraient se révolter. En cela, Hannibal tirait admirablement les leçons de la Première Guerre punique. Il voulait par ailleurs davantage intégrer les Africains et Ibères dans les institutions de l’empire carthaginois et augmenta par exemple le nombre de promotions de ces populations dans son armée.

L’armée d’Hannibal comptait 60 à 70 000 soldats en partant de Carthagène. Elle ne comptait plus que 20 000 fantassins et 6 000 cavaliers en entrant en Italie. De fait, Hannibal laissa 10 000 soldats pour le contrôle du nord-est de l’Espagne (Catalogne) et 10 000 autres furent renvoyés chez eux au même moment. Les Romains, dirigeant la confédération italienne, avaient des traités avec toute l’Italie. Contrairement à Carthage, Rome avait fortement impliqué politiquement ses alliés. La réserve romaine était presque infinie car estimée à 700 000 fantassins et 70 000 cavaliers en 225, d’après Polybe. Une armée de 70 000 hommes, repartis en 6 légions, fut rapidement levée à l’hiver 218, avec 24 000 fantassins et 18 000 cavaliers romains. Une flotte de 240 bâtiments fut également préparée. On notera que peu de citoyens carthaginois figuraient parmi les soldats d’Hannibal, contrairement aux nombreux citoyens romains parsemant les armées romaines.

Territoires de Rome et Carthage avant la Deuxième Guerre punique (218 av. J-C)

La stratégie d’ensemble d’Hannibal était de porter la guerre en Italie. Il voulait, par-là, d’abord éviter les insurrections que ne manqueraient pas de motiver des débarquements romains en Espagne barcide ou en Afrique punique. Les simples exemples des entreprises du tyran de Syracuse Agathocle et du consul romain Regulus suffisent à fonder cette crainte. Il voulait, ensuite, briser la confédération italienne après quelques victoires. Il ne comptait pas obtenir la défection du Latium, privilégié, mais des autres peuples italiens, qui voyaient leur influence décliner et étaient moins privilégiés. Désolidariser les cités italiennes était une première réponse aux très importantes ressources humaines romaines.

Hannibal comptait également s’appuyer sur les tribus gauloises dont le sentiment antiromain était évident. Mais le Barcide comptait bien plus sur une suite de victoires rapides pour gagner la guerre. Son armée, professionnelle et légère (sans matériel de siège) était faite pour affronter les armées romaines, pas pour assiéger des villes. Hannibal comptait là sur la règle grecque implicite de la guerre : si l’un des belligérants obtient une ou plusieurs victoires décisives sur l’autre, un traité est signé pour éviter des massacres inutiles. L’armée d’Hannibal n’était pas préparée pour une guerre d’usure.

De son côté, Rome souhaitait porter la guerre en Espagne et en Afrique, bien consciente de la faible cohésion et des fidélités bancale des « alliés » de Carthage. Mais les Romains firent une erreur stratégique de premier ordre : ils tergiversèrent tout l’hiver 219-218 sur la marche à suivre. Hannibal savait qu’aucun plan ne pourrait être mis en œuvre de leur côté avant mars 218 : le mois des élections des nouveaux consuls. Rome avait ainsi laissé à Hannibal tout le loisir de se préparer et de prendre l’initiative. La guerre se déroulerait en Italie, dans un premier temps en tout cas.

Les deux nouveaux consuls, Tiberius Sempronius Longus et Publius Cornelius Scipion, se dirigèrent respectivement en Sicile et en Gaule Cisalpine. Rome avait bien compris que ce serait sur ces terres que se déroulerait la guerre. Tiberius attendait à Lilybée une victoire de Scipion sur Hannibal pour fondre sur l’Afrique. Tiberius avait deux légions (4 000 fantassins et 300 cavaliers chacune) et 16 000 fantassins et 1 800 cavaliers alliés sous ses ordres ; soit un total de 26 400 hommes. Scipion disposait lui de deux légions, renforcées de 14 000 fantassins et 1 600 cavaliers. Rome envoya 2 légions supplémentaires ainsi que 10 000 soldats et 1 000 cavaliers alliés de plus vers la Gaule pour soutenir Scipion.

Hannibal partit d’Espagne à la tête de son armée par la via Heraclea, la voie qu’avait emprunté Héraclès dans son périple. Le Barcide utilisait là la propagande avec la figure de Milqart/Héraclès. Il traversa l’Ebre en juin 218, débutant de facto la Deuxième Guerre punique. L’armée punique peina en Catalogne contre les Bergusii proromains. Hannibal connut des pertes importantes et se devait de totalement contrôler cet accès aux Pyrénées. De là les 10 000 laissés en garnison en ces lieux. Hannibal renvoya également 10 000 Ibères, jugés peu fiables, chez eux, dont 3 000 Carpétans. Il traversa les Pyrénées avec 40 000 hommes et 37 éléphants, longea la côte en juillet et parvint au Rhône en août.

Au début de l’été 218, les Romains affrontèrent les Boïens et les Insubres. Ceux-ci étaient en insurrection depuis que Rome avait installé ses colonies de Crémone et Plaisance en Gaule Cisalpine. Les Gaulois, antiromains, étaient de plus excités par la venue annoncée d’Hannibal. Scipion dut y consacrer une légion. Les Romains subirent d’importantes pertes.

Itinéraire suivi par Hannibal de l’Ibérie jusqu’à l’Italie et itinéraire de Scipion pour essayer de l’en empêcher (218 av. J-C)

Alors que Publius Scipion levait de nouvelles troupes il apprit qu’Hannibal était, lui aussi, proche du Rhône. Scipion aurait pourtant souhaité bloquer la route du Barcide à la sortie des Pyrénées. Il envoya 300 cavaliers récolter des informations. Il savait qu’Hannibal avait peu de chances de passer par les terres de l’allié massilien. Pendant ce temps, Hannibal traversa le Rhône et vit sa route barrée par les Volques, alliés de Rome. Il fit traverser son neveu plus loin pour prendre à revers les Celtes. Coincés entre deux feux, les Volques s’enfuirent en laissant 1000 des leurs sur le terrain. Alors qu’Hannibal faisait péniblement traverser ses éléphants, il envoya 500 cavaliers numides en éclaireurs. Ceux-ci tombèrent sur les cavaliers romains et, moins lourdement armes, déplorèrent 200 morts.

Hannibal décida de passer les Alpes. Il avait, pour cela, le soutien d’un roitelet gaulois : Magile. L’armée punique, harcelée par les peuples environnants, expérimenta une traversée extrêmement pénible des Alpes, au début de l’hiver 218. Les garnisons laissées depuis l’Espagne, les désertions, la traversée de la Gaule à marche forcée, le combat contre les Volques et d’autres peuple et la traversée des Alpes ne laissaient à Hannibal que 26 000 hommes. Il restait dans ses rangs 12 000 fantassins africains, 8 000 fantassins espagnols et 6 000 cavaliers.

Représentation de l’armée d’Hannibal Barca traversant les Alpes (218 av. J-C)

Parvenu de l’autre côté des Alpes, Hannibal fut déçu de voir que la plaine du Pô ne se rallia pas entièrement mais seulement à moitié aux Puniques. Les Gaulois étaient méfiants et hésitants. Hannibal décida d’en soumettre une partie par la force en prenant la capitale des Taurinii et en faisant exécuter tout le monde. En réalité, le général carthaginois le savait, il devait obtenir une victoire contre Rome pour convaincre. Pendant ce temps, Scipion, pris de court, débarqua dans la plaine du Pô et prit le commandement des légions qui luttaient contre les Boïens et les Insubres.

Hannibal se trouvant au nord avec les Celtes de Gaule Cisalpine, Rome rappela le consul Sempronius Longus. Celui-ci, depuis la Sicile, venait de prendre Malte aux Puniques. Il remonta de mauvaise grâce jusqu’à Ariminius, vers la Gaule Cisalpine, pour porter secours à son collègue Publius Scipion. Ce dernier n’estima pas nécessaire d’attendre son homologue et décida qu’il valait mieux empêcher la jonction entre les Puniques et les Insubres.

Campagne romaine en Sicile et prise de Malte (218 av. J-C)

Une rencontre entre les deux avant-gardes eut lieu entre les rivières Sesia et Tessin, par hasard. Les deux chefs voulaient reconnaître les lieux. Poussés par leurs soldats, Barca et Scipion engagèrent le combat. Scipion disposait de Vélites mais ceux-ci s’enfuirent presque aussitôt. Hannibal accepta l’affrontement en plaçant sa cavalerie lourde africaine et espagnole au centre et sa cavalerie légère numide sur les ailes, aux ordres de Maharbal. Ainsi la cavalerie punique attaqua les cavaliers gaulois, romains et alliés de Scipion. L’affrontement fut indécis jusqu’à ce que la cavalerie numide contourne les Romains. La cavalerie numide, par sa légèreté, permettait à Hannibal de reprendre à son compte des tactiques grecques d’Alexandre le Grand abandonnées par les Hellènes depuis. Ces tactiques consistaient à envelopper l’adversaire avec la cavalerie légère. C’est en appliquant ce simple principe qu’Hannibal obtint la victoire. Les vélites furent décimés au passage.

Hannibal tenait là sa première victoire, mineure par son importance militaire mais majeure par son importance politique. Alors que Scipion, blessé et d’après la légende sauvé par son fils (le futur Scipion l’Africain), les Celtes du sud du Pô, auparavant indécis, rejoignirent les rangs de l’armée punique et acceptèrent de la ravitailler. Pire pour Rome, 2 000 fantassins et 200 cavaliers auxiliaires gaulois de l’armée romaine désertèrent pour rejoindre Hannibal. Celui-ci leur fit des promesses et les renvoya chez eux pour qu’ils mobilisent les leurs. Le Barcide réussit enfin à obtenir l’alliance avec les Boïens, qui serait décisive. Hannibal et Scipion installèrent leur camp non loin de la rivière de la Trébie.

Scipion se décida, cette fois, à attendre son homologue Sempronius Longus. Les deux armées romaines furent réunies à la mi-décembre 218. Hannibal, lui, désirait le combat car il commençait à manquer de vivres. Il se vit livrer la place forte de Clastidium, important dépôt de blé romain, par le commandant des lieux. Ce fait suffit à énerver Sempronius Longus qui décida d’engager les hostilités. Il procéda à plusieurs escarmouches et, pensant avoir efficacement diminué les forces d’Hannibal, souhaita terminer son consulat sur une grande victoire. Il commandait à 40 000 hommes, effectifs qu’Hannibal atteignait également avec les renforts gaulois. Seulement, l’armée romaine était composée de conscrits inexpérimentés. Hannibal, trop heureux de combattre, choisi en prime le terrain et profita d’une végétation luxuriante pour cacher 1 000 cavaliers numides et 1 000 fantassins sous les ordres de son frère Magon en préparation d’une embuscade.

Le stratège punique ordonna alors à sa cavalerie numide de provoquer les Romains en les harcelant. Sempronius Longus répondit en engageant la cavalerie romaine, puis 6 000 vélites, puis toute l’armée romaine qui franchit les eaux glaciales de la Trébie pour combattre. Les vélites romains, au centre, étaient suivis par deux lignes d’infanterie lourde : respectivement les principes et les triarii. La cavalerie romaine était disposée des deux côtés de manière classique. En face, les Puniques alignèrent d’abord 8 000 soldats d’infanterie légère et frondeurs baléares, puis venaient 20 000 hommes d’infanterie lourde africains, ibères et gaulois disposés en une seule ligne. Sur chaque côté, 10 000 cavaliers protégeaient les flancs. Hannibal disposa enfin ses éléphants sur les côtés de la ligne d’infanterie lourde de telle sorte que ses combattants africains et ibères essuient des pertes minimes. Tout était fait en ce sens : c’étaient les Gaulois qui occupaient le centre de la ligne punique et ce furent ces mêmes gaulois qui encaissèrent le principal du combat et des pertes.

Vision tactique de la bataille de la Trébie (décembre 218 av. J-C). 1 : camp carthaginois (approximatif). 2 : cavalerie carthaginoise. 3 : infanterie carthaginoise. 4 : Magon en embuscade. 5 : rivière de la Trébie (approximatif). 6 : cavalerie romaine. 7 : infanterie romaine. 8 : camp romain. 9 : rivière du Pô (approximatif).

Les vélites romains, glacés par la traversée de la Trébie, attaquèrent mais opérèrent rapidement une retraite. L’infanterie lourde romaine engagea alors la ligne punique et l’affrontement fut indécis jusqu’à ce que la cavalerie punique, supérieure en nombre, écrase les cavaliers romains et attaque l’infanterie lourde de Sempronius Longus sur les flancs. Le dispositif ne craqua que lorsque la force de Magon sortit de la végétation pour attaquer les Romains sur leurs arrières. La déroute consacra la victoire d’Hannibal. Le consul et 10 000 Romains parvinrent cependant à percer l’encerclement et à rejoindre Plaisance.

Le Barcide, à cause du froid, ne put obtenir une victoire complète en cette fin décembre 218. Néanmoins, Hannibal venait d’infliger 20 000 pertes (tués ou prisonniers) aux Romains au prix de 1 500 des siens (principalement des Gaulois). En revanche, le froid coûta à Hannibal de nombreux guerriers et tous ses éléphants, sauf un : Syros. Le Barcide occupa les premiers mois de 217 à dégager plus encore le nord de l’Italie. Il relâcha les prisonniers alliés de Rome en espérant qu’ils favoriseraient la dissolution de la confédération italienne. Le message était clair : seule Rome était l’ennemie de Carthage ; la cité punique souhaitait rétablir son hégémonie en Méditerranée occidentale. Le Barcide pouvait même prétendre vouloir libérer les peuples italiens. Pour l’heure, Hannibal devait avancer : les Gaulois piaffaient d’impatience, ils voulaient piller les riches terres plus au sud.

Sources (texte) :

Melliti, Khaled (2016). Carthage. France : Perrin, 559p.

Ferrero, Guglielmo (2019, réédition de 1936). Nouvelle Histoire romaine. France : Tallandier, 509p.

Le Bohec, Yann (2017). Histoire des guerres romaines. Paris : Tallandier, 608p.

Vanoyeke, Violaine (1995). Hannibal. Paris : Éditions France-Empire, 295p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_punique (aires d’influences avant la guerre + trajet d’Hannibal d’Ibérie en Italie + représentation du passage des Alpes par Hannibal + campagne romaine en Sicile en 218)

https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_the_Trebia (Schéma tactique de la bataille de la Trébie, 218)

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