Les guerres médiques (partie IV) : batailles des Thermopyles et de l’Artémision (480 av J.C)
Alors que Xerxès lance son impressionnante armée à l’assaut de la Grèce, la ligue grecque se forme et tente d’établir une stratégie malgré les divergences de vues. Dans le nord et le centre de la Grèce, l’unité de la ligue se délite et presque toutes les cités-état « médisent ». Athènes et Sparte, qui sont promises à la destruction, décident, avec leurs alliés, d’établir la ligne Artémision-Thermopyles. En août 480* avant J.C, le choc terrestre comme maritime est inéluctable.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ
Ainsi, le 18 août, vers quatre ou cinq heures de l’après-midi, les Grecs firent mouvement vers la flotte perse. La flotte grecque passa à l’attaque en ordre serré, attaquant les mouillages un par un. La surprise des Perses, qui ne s’attendaient pas à une attaque, fut totale. Progressivement pourtant, la flotte de Xerxès parvint à se mettre en ordre et redevint efficace, faisant peser toute sa supériorité numérique sur les Grecs. Les Perses tentèrent bien sûr d’encercler les Grecs, une manœuvre nommée le periplus. Seulement voilà, Thémistocle disposa la flotte en kyklos (« cercle »), adoptant de fait la tactique du « hérisson ». Ayant engagé le combat tardivement à dessein, l’affrontement fut indécis mais d’une durée relativement courte. La nuit obligea les belligérants à se séparer.
C’est également le 18 août, au matin, que Xerxès se résolut à attaquer frontalement Léonidas. Xerxès plaça les Mèdes et « les frères et les fils de ceux qui étaient tombés à Marathon » [Diodore] en première ligne : les premiers étaient orgueilleux et avaient monopolisé le pouvoir dans l’empire depuis longtemps, il fallait se débarrasser de certains d’entre eux ; les seconds étaient censés être plus zélés que les autres. Les fantassins achéménides étaient inférieurs aux hoplites spartiates par leur équipement et leur expérience. Les Perses se battaient bien, mais n’avaient aucune chance. Aux Mèdes et aux fils et frères de Marathon se substituèrent les Cissiens et les Saces, sans plus de résultat. L’espoir gagna néanmoins les Perses lorsque, soudainement, Léonidas et les siens tournèrent le dos à leurs ennemis et simulèrent une fuite. Les Perses, soulagés, se laissèrent gagner par l’allégresse et poursuivirent les Spartiates. Ces derniers se retournèrent et revinrent jusqu’à leur ligne initiale en massacrant tous ceux qui avaient été assez fous pour les croire en fuite. En fin de journée, alors que la fatigue aurait dû affaiblir les Grecs, Xerxès envoya ses soldats d’élite, les Immortels commandés par Hydarnès, en première ligne. Le combat fut rude mais ne différa pas des autres dans sa conclusion. La discipline spartiate, inébranlable, tint en échec les assaillants ce premier jour.
Pendant ce temps, à l’Artémision, une seconde tempête, cette fois provoquée par le sirocco (vent du sud-est) infligea des dégâts supplémentaires à la flotte de Xerxès. Ce même vent causa de violents dommages à l’escadre perse qui contournait les forces grecques. Thémistocle et Eurybiade profitèrent de la confusion pour lancer des raids victorieux le 19 août.
Ce même jour fut le second jour de bataille pour les hommes de Léonidas. Xerxès envoya ses meilleurs hommes en première ligne. Epuisés, peut-être blessés, les Spartiates ne pouvaient résister, pas vrai ? Grave erreur. Les Grecs se succédèrent en première ligne pour repousser à nouveau, et sans faiblir, l’ennemi. Xerxès se trouvait dans une impasse. Le moral de ses hommes était désormais désastreux. C’est alors que se présenta Ephialtès (ou Ephialte, qui porte bien son nom qui signifie « cauchemar » en grec) citoyen de Malis (le cauchemar de malice ? C’est beau). Ce Malien connaissait le sentier caché qui permettait de tourner la position de Léonidas. Xerxès ordonna alors à Hydarnès, commandant des Immortels, de passer par le sentier avec 10 000 Immortels pendant la nuit. Les Phocidiens n’offrirent pas une grande résistance dans la défense de ce sentier vital. Léonidas apprit trop tard la mauvaise nouvelle. Il ne pouvait plus y remédier. C’est à ce moment que la majorité des contingents s’en allèrent. Seuls restèrent les Thébains (anti-perses donc condamnés quoi qu’il arrive) et les Thespiens (dont les terres étaient en jeu) avec les 300 Spartiates de Léonidas. Si les Spartiates s’étaient largement battus sur les deux jours précédents, c’est en ce troisième jour qu’ils marquèrent à jamais de leur nom l’Histoire. Léonidas accomplissait là un véritable sacrifice pour que la cavalerie perse ne puisse poursuivre les Grecs en fuite. Cette résistance symbolique pourrait également prévenir certaines cités de Grèce centrale de « médiser » (c’est-à-dire collaborer avec les Mèdes (peuple Perse), de là nous vient le terme [être] médisant par ailleurs). Il fallait de toute façon tenir les Thermopyles, il en allait de la survie de la flotte grecque à l’Artémision.
Xerxès attaqua vers 9h du matin le 20 août 480 av. J.C. Face à lui ne demeuraient que 2 300 hommes environ dont 900 hilotes (donc 1 200 réels combattants endurcis : 300 Spartiates, 700 Thespiens et 400 Thébains). Léonidas, alors que ses hommes mangeaient pour la dernière fois, leur ordonna de ne pas lésiner sur la quantité puis prononça ces mots légendaires : « car nous souperons ce soir dans l’Hadès » (donc en enfer, ce qui, dans la mythologie grecque, se réfère également au paradis qui est une partie des enfers : les Champs Elysées, rien de funeste donc). Léonidas, ayant encore dans sa besace des punchlines légendaires, ne tarda pas à en lancer une seconde lorsqu’un Tarchinien lui annonça que les Perses tireraient tant de flèches que le soleil en serait caché : « C’est excellent, car ainsi, nous combattrons à l’ombre ! »
Alors que les Perses se présentaient enfin devant les Grecs, Léonidas avança sa ligne. Pourquoi ? Pour l’élargir ! Il savait son temps compté et souhaitait infliger le plus de pertes possibles aux Perses en peu de temps, avant de se voir encercler par les Immortels qui débouleraient dans son dos. Le combat fut acharné. Tant que les Immortels ne tournaient pas la position de Léonidas, les Perses n’avaient aucune chance. Le roi de Sparte, âgé de 60 ans environ, tomba par ailleurs au combat avant que ces derniers n’arrivent. La troupe grecque lutta avec fureur pour rapatrier le corps du défunt souverain en sûreté derrière les lignes. Une fois les lances brisées, les Spartiates continuèrent le combat avec les épées et les dagues. Enfin, les Immortels d’Hydarnès arrivèrent, les Spartiates se replièrent à l’endroit le plus étroit des Thermopyles et ne cessèrent le combat. Les flèches firent bien des dégâts dans les rangs grecs. Vers midi, la bataille s’acheva, les prisonniers étaient peu nombreux. Xerxès, visitant le jour même le champ de bataille, décapita la dépouille de Léonidas et jucha sa tête sur un pieu. Cet acte nous en dit long sur la rage de Xerxès contre cet adversaire. Les Perses avaient le plus grand respect pour les guerriers de valeur, il était peu fréquent qu’ils mutilent les cadavres de ces derniers. Au moins un millier de Perses avaient perdu la vie aux Thermopyles, une humiliante victoire à la Pyrrhus pour le souverain achéménide.
A l’Artémision, la tentative de contournement ayant échoué, Xerxès ordonna la seule solution restante : une attaque frontale. Or les flottes, surtout les Perses, avaient perdu quelques plumes dans les engagements précédents. La flotte perse comptait vraisemblablement 450 vaisseaux environ à quoi s’opposaient alors 300 navires grecs environ (en comptant 53 trières venues en renfort depuis l’Attique). Les amiraux de Xerxès commandaient la peur au ventre, les punitions du Grand Roi étaient toujours sévères. Les navires perses se rassemblèrent depuis les différents mouillages et, en ce 20 août 480 av. J.C, attaquèrent de front la ligne grecque. Les Phéniciens, les Egyptiens, les Ciliciens, les Grecs (d’Ionie, de Carie et de l’Hellespont) formaient le principal de la flotte achéménide. Cette dernière attaqua en croissant, une pointe de chaque côté, de manière à déborder les Grecs de Thémistocle et Eurybiade. Encore une fois, à l’Artémision, Thémistocle disposa ses navires en formation kyklos (cercle) ou demi-kyklos. Très vite, les navires s’entrechoquèrent, proue contre proue mais également flanc contre flanc : le lieu était trop étroit pour une telle bataille navale. Ainsi, à la puissance navale se substitua la puissance terrestre. Les fantassins s’affrontaient partout. Or, les Perses étaient, à ce jeu-là, plus nombreux (30 pour 14) mais moins bien armés. Aucun vainqueur ne se distingua. Les pertes furent lourdes, les Athéniens qui fournissaient l’effort principal avaient la moitié de leurs navires endommagés. Les adversaires se séparèrent à l’approche du crépuscule.
Malgré cette bataille acharnée, la nouvelle tomba : les Portes chaudes étaient tenues par Xerxès. La position de l’Artémision, désormais trop dangereuse, devait être abandonnée. Thémistocle préconisa immédiatement de se rendre à Salamine, le lieu indiqué par l’oracle de Delphes et où il comptait bien mener une bataille décisive. Quoi qu’il en soit, la bataille de l’Artémision fut une grande victoire psychologique pour les Grecs. Pour Xerxès, une occasion s’offrait : il pouvait diriger sa flotte directement vers l’Isthme et le Péloponnèse pour débarquer non loin de Sparte et prendre la ville, démunie par ailleurs de murailles. Ainsi les Grecs se battraient sur deux fronts et les Perses pourraient enfin jouer de leur supériorité numérique. Pourtant, Acéménès, le frère de Xerxès, commandant de la flotte égyptienne, le mit en garde : détacher une partie de la flotte serait faire jeu égal avec les Grecs à Salamine. Xerxès ne pouvait se permettre une nouvelle scission, c’est à cela qu’on comprend l’importance décisive de la bataille de l’Artémision.
Avec la chute des Thermopyles, plus rien n’empêchait Xerxès de mettre à feu et à sang la Grèce centrale dont l’Attique. Athènes demanda l’aide péloponnésienne qui lui fut refusée. A la place, une défense au niveau de l’Isthme fut érigée. Là, 30 000 Grecs attendaient les Perses, dirigés par le frère cadet de Léonidas : Cléombrote. Heureusement, Thémistocle avait réussi à persuader Eurybiade de s’arrêter à Salamine avant que ne tombe cette décision de la ligue, plutôt que de faire voile vers l’Isthme directement. L’amiral athénien s’engagea alors dans une rude lutte psychologique et politique pour maintenir la flotte grecque à Salamine. Parallèlement, Thémistocle, décidément l’homme de la situation, compléta l’évacuation d’Athènes commencée au mois de juin et parvint à récolter de l’argent. Néanmoins, quelques milliers d’Athéniens refusèrent de quitter la ville, persuadés que le « rempart de bois » mentionné par l’oracle était de fait la dernière palissade en bois élevée il y a longtemps autour de l’Acropole athénienne. Quoi qu’il en soit, le dernier bateau quitta Athènes le 26 août, les cavaliers de Xerxès entrèrent dans la ville le 27. Pourtant, la résistance de l’Acropole se révéla pugnace. Ce ne fut que le 5 septembre, après bien des tentatives, que la ligne fut enfoncée. Xerxès avait déjà tout dévasté sur son passage (sauf les villes « médisantes » donc collaborationnistes). Le Grand Roi fit brûler Athènes. Geste controversé que de mettre le feu à l’Acropole, hautement sacrée. Le Grand Roi répara ses méfaits en ordonnant aux Pisistratides (ses alliés athéniens qui étaient en exil) des sacrifices selon les usages athéniens. Xerxès avait toujours respecté les dieux grecs et ne transgressait que rarement ce principe pour ne pas choquer ses alliés grecs.
Du reste, la flotte grecque de Salamine était sensiblement plus importante que celle qui avait combattu à l’Artémision : on estime le nombre de bâtiments à 311. Pourtant, les Grecs étaient profondément défaitistes, sauf Thémistocle qui fut et restera le seul à croire à une victoire. Rappelons ici que les Péloponnésiens avaient la majorité en terme de votes dans la ligue mais que Athènes, Egine et Mégare, les premières menacées géographiquement, fournissaient ¾ des navires. Alors quand la flotte perse se présenta face à celle des Grecs et que l’incendie de l’Acropole d’Athènes scintilla, écarlate, dans la nuit, Thémistocle n’avait qu’un seul argument à opposer à une fuite. Eurybiade et, à plus forte raison, les autres amiraux, souhaitaient se retirer. Thémistocle leur indiqua que ce serait là la fin de la flotte grecque et que s’ils s’exécutaient, la flotte athénienne ferait voile vers le sud de l’Italie. Sans le contingent athénien, aucune victoire ne pouvait être espérée, alors les Grecs restèrent.
Source (texte) :
Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.
Sources (images) :
http://alexandrefaury.canalblog.com/archives/2007/06/05/5192507.html (Léonidas)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Thermopyles#/media/Fichier:Battle_of_Thermopylae_and_movements_to_Salamis_and_Plataea_map-fr.svg (trajet des deux armées)