Le règne de Louis XIV (partie XVI) : d’une guerre à l’autre (1668-1672)

Le règne de Louis XIV (partie XVI) : d’une guerre à l’autre (1668-1672)

Rappel : Colbert, en tant que principal ministre de Louis XIV de 1661 à 1683, abattit un travail proprement colossal. Il créa les outils de comptabilité encore utilisés aujourd’hui et fonda le budget de l’Etat, se penchant sur les dépenses et les recettes. Il réduisit différentes rentes et les impôts directs pour augmenter les impôts indirects, socialement plus justes, divisa les dépenses par deux notamment en réduisant le nombre d’offices et en harmonisant l’impôt sur le territoire ; il quintupla les recettes de l’Etat en quinze ans en chassant les faux exemptés et en réévaluant le cadastre du domaine royal. Surtout, il parvint à maintenir un équilibre budgétaire, sauf en temps de guerre. Colbert compta tout et fixa des prix (le pain par exemple). Suivant les principes du mercantilisme selon lesquels l’enrichissement d’un Etat se fait au détriment de autres, du fait d’un nombre de matériaux finis, Colbert instaura le protectionnisme aux frontières, attira les talents de l’étranger pour produire en France ou procéda à l’espionnage industriel, réduisant les importations pour favoriser la balance commerciale française ; il favorisa le développement de l’industrie manufacturière française, s’attela à renforcer l’administration et les règlementations, restaura les routes, creusa des voies fluviales, harmonisa les poids et mesures sur le territoire. Technocrate pragmatique et libéral, Colbert mit en place un État interventionniste destiné à être le tuteur avant que le secteur privé ne puisse prendre le relais. Colbert fonda ainsi un système préfigurant l’économie mixte. Une grande politique industrielle et commerciale supposait une politique nataliste vigoureuse, ne serait-ce que pour peupler les colonies. Il incita à la procréation par des avantages fiscaux et des pensions. Pour le ministre, la conquête de nouvelles colonies donnerait à la France les ressources qui lui manquaient, mais également des débouchés pour son industrie. Alors, il fonda de nombreuses compagnies commerciales, imitant les Anglais et les Néerlandais. Mais ces derniers (Compagnie des Indes orientales britanniques et hollandaises) avaient 60 ans d’avance et des comptoirs dynamiques. La France, qui n’avait rien de tout cela, échoua. Les compagnies semi-publiques de Colbert ne bénéficièrent qui plus est pas du soutien des capitaux privés qu’espérait le ministre. Les compagnies furent un succès politique mais un échec économique. Enfin, Colbert entreprit une grande « réformation » de la législation, réalisée au moyen d’ordonnances sur de nombreux aspects : procédure civile (Code Louis), eaux et forêts, matières criminelles, commerce (Code Savary), navigation marchande, armées navales ou encore le « Code Noir », légitimant la traite et le servage mais donnant surtout un cadre là où il n’y en avait pas.

Les deux clans rivaux (Colbert et Le Tellier) faisaient figure d’embryons de partis mais étaient intégrés à l’Etat, contrairement aux whigs et aux tories qui apparurent au même moment en Angleterre. Dans une monarchie absolue, il n’existe pas d’opposition, il ne peut donc y avoir de système bipartisan. Les Le Tellier étaient « nationalistes-continentalistes », souhaitant une France terrienne, protégeant son « pré carré ». Les Colbert souhaitaient un pays ouvert, développant le commerce grâce à des comptoirs coloniaux. Les Le Tellier voulaient une société d’ordres avec une noblesse militaire organisée, fière de ses traditions et servant le roi (modèle rappelant la Prusse) ; là où les Colbert voulaient une société moins cloisonnée, où la noblesse chercherait à se lancer dans les affaires industrielles et commerciales (modèle rappelant l’Angleterre). N’oublions pas que le clan Colbert était celui des affairistes, le Grand Colbert ayant été également l’homme de la traite des Noirs, pourvoyeur des galères de Marseille. Par son jeu d’équilibriste Louis XIV courut deux lièvres en même temps, empêchant la France de franchement opter pour l’une ou l’autre vision. L’absolutisme de Richelieu, monolithique, n’avait pas ce défaut.

Au moins pourrons-nous affirmer que Colbert, Le Tellier et Louvois représentaient nombre des qualités qu’attendait le roi de ses serviteurs : l’intelligence, le sens du service (dévouement, sens de l’honneur et solidarité), la compétence, la discrétion, le désintéressement, la discipline, la fidélité et l’héroïsme. Une question subsiste : comment avec quelque 700 à 800 personnes dans la structure administrative centrale, aidés de seulement 47 580 officiers de justice, police et finance (d’après une enquête de Colbert) et quelques milliers d’agents d’exécution, Louis XIV parvint à gérer, contrôler et faire muter un pays d’environ 20 millions d’âmes ? Aujourd’hui, nous avons besoin de 5 millions de personnes dans la fonction publique pour parvenir à ce résultat. Avec ses effectifs proprement dérisoires, le Roi Soleil parvint pourtant à imposer le retour à l’obéissance. Trois des réponses à ce mystère sont la volonté d’un pouvoir fort après la guerre civile que fut la Fronde, le déclin du clientélisme régional (celui-ci étant captée par les réseaux ministériels) qui empêcha les Grands de s’attacher des fidélités ou d’entamer un mouvement de contestation, mais aussi l’acceptation du pouvoir par la bourgeoisie au moyen d’un compromis sur la coexistence d’une double administration en province : celle des officiers, propriétaires de leur charge, et celle des intendants, commissaires du roi. Après tout, Louis XIV n’était pas hostile aux officiers, exception faite des trésoriers de France qui avaient mené la Fronde et dont les syndicats furent dissous en 1662. Entre 1661 et 1672, l’absolutisme se consolida et les rapports avec les parlements s’améliorèrent. La monarchie, du fait de ses effectifs restreints, s’occupait en réalité de quelques grandes activités (diplomatie, finance, guerre et quelques secteurs d’administration interne) et laissait le reste aux officiers.

En 1671, alors que le roi préparait la guerre de Hollande, la carrière de Colbert stagna et son influence déclina. Le 1er septembre 1671, Hugues de Lionne décéda à l’âge de 60 ans. Son fils disposait de la survivance de sa charge de secrétaire d’Etat aux affaires étrangères mais le roi, le trouvant trop peu intelligent, le persuada d’abandonner cette charge, signant la fin de la dynastie ministérielle des Servien-Lionne. Pomponne remplaça donc Lionne. Ce changement avait de quoi surprendre : Pomponne était un janséniste, neveu du célèbre « Grand Arnaud » (Antoine Arnaud) et un ancien ami de Nicolas Fouquet, sa femme étant de la famille de ce dernier. Une seule raison avait pu pousser le roi à un choix aussi contraire : Louis XIV avait décidé d’entrer en guerre contre les Provinces-Unies, où Pomponne avait été ambassadeur. Il s’agissait de choisir un homme renseigné sur le pays et d’endormir Amsterdam. Les Le Tellier avaient également poussé le roi à faire ce choix. Louvois continuait son ascension en accumulant les fonctions : surintendant des postes en décembre 1668, chancelier de l’ordre du Saint-Esprit en janvier 1671, grand vicaire des ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel en 1672 ainsi que membre du conseil d’en haut, rejoignant enfin son père face à Colbert. À la mort du chancelier Séguier (28 janvier 1672), Louis XIV œuvra pour garder une balance entre l’influence des deux clans majoritaires : Le Tellier et Colbert.

Simon Arnauld d’Andilly (1618-1699), marquis de Pomponne, ambassadeur de France en Suède (1666-1668 et 1671) et aux Provinces-Unies (1669-1671), secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (1672-1679 puis 1696-1699), ministre (1672-1679 puis 1691-1699) et surintendant des Postes (1697-1699).

Une paix religieuse (une trêve, devrait-on dire), notamment avec les réformés, marqua également ces années. Turenne se convertit du protestantisme au catholicisme le 23 octobre 1668. Louis XIV pensait les réformés sur l’irrémédiable déclin. En 1671, le janséniste M. de Pomponne devint, nous l’avons dit, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères. La paix de l’Eglise (1668-1679) ne fit pas long feu dans l’esprit du roi. Louis XIV n’en avait pas terminé avec les Protestants. Du reste, cette paix religieuse d’une décennie servit surtout à Port-Royal et aux jansénistes, mais permit également au roi de tourner le regard vers l’extérieur et ce, dès 1669.

Pour justifier la guerre de Hollande, la plus grave erreur du règne de Louis XIV, les arguments économique et culturel ont souvent été avancés : opposition religieuse (monarchie catholique contre république protestante), conflit sur les tarifs douaniers dus au colbertisme, puissance maritime et commerciale écrasante des Provinces-Unies, rassemblement des pamphlétaires anti-français incendiaires en Hollande. En réalité, la guerre de Hollande fut essentiellement le choix d’un homme : Louis XIV, piqué par le choix des Provinces-Unies lors de la guerre de Dévolution en 1668, souhaitait les châtier pour cette « perfidie ». Le roi parvint progressivement à convaincre son entourage. Et puis, l’opinion publique, la noblesse, la magistrature et la bourgeoisie, après une période de stabilité, étaient à nouveau enclins à la grandeur et l’expansion. En 1669, à trente ans, le roi voulait repartir en guerre tant que sa jeunesse le lui permettait. Viser les Pays-Bas espagnols eut été idéal mais il venait de traiter et le jeune Charles II d’Espagne manifestait quelque mauvaise volonté à mourir malgré sa santé fragile. Alors pourquoi ne pas faire la guerre à la Hollande pour attirer l’Espagne dans le conflit, faisant d’une pierre deux coups ?

Or, en mars 1669, Charles II d’Angleterre envoya un plénipotentiaire à Paris. Le roi d’Angleterre souhaitait rétablir l’absolutisme dans ses États et avait besoin de beaucoup d’argent pour conserver son train de vie (ses plaisirs, ses maîtresses, les dépenses de la cour) et le Parlement le privait de moyens. Pour parvenir à ses fins, le roi d’Angleterre envisageait une conversion au catholicisme afin de recevoir l’aide des États papistes d’Europe et surtout les subsides de la France. Il proposa ainsi directement au roi de France son soutien dans une guerre « contre inconnu » et sa conversion au catholicisme en échange d’importants subsides. Or, si Charles II d’Angleterre s’était porté garant du traité d’Aix-la-Chapelle concernant l’Espagne, il ne tenait pas outre mesure à son alliance de circonstance avec sa principale rivale commerciale : les Provinces-Unies. Louis XIV se jeta sur l’occasion et parvint rapidement à convaincre Turenne et Louvois, plus difficilement le paternel de ce dernier, Le Tellier, puis Lionne. Si Turenne se montra très optimiste, Condé fut plus mesuré, prédisant une guerre longue, difficile et coûteuse. Le roi ne l’écouta pas. Pomponne fut nommé ambassadeur à La Haye pour endormir la méfiance hollandaise dès février 1669. Lui-même n’apprit la véritable ambition du roi qu’en mai 1670.

Si Louis XIV avait signé une alliance de 10 ans avec l’électeur de Brandebourg le 31 décembre 1669 à Cologne-sur-la-Sprée, une alliance (plus durable) avec l’électeur Ferdinand-Marie de Bavière le 16 février 1670, disposait du soutien de l’électeur de Cologne et de l’évêque de Munster, restait à briser la Triple Alliance. Les négociations secrètes avec l’Angleterre furent menées au travers d’Henriette, reine d’Angleterre, française de naissance. Ainsi fut signé le traité secret de Douvres le 1er juin 1670 (suivit d’un accord officiel à Paris en février 1671). Louis XIV s’engageait à verser annuellement 3 millions de livres pour que le roi d’Angleterre s’engage dans la guerre et promettait de nouveaux subsides avec des troupes pour combattre celles que lèveraient son parlement s’il décidait de se convertir. La Suède restait à convaincre.

Charles IV de Lorraine était problématique : il n’avait pas démobilisé. Il faut dire que la France avait déjà par quatre fois envahi le duché. À partir de 1552, la France avait occupé Toul, Metz et Verdun (pour lesquels les traités de Westphalie confirmèrent la souveraineté française). Charles IV de Lorraine avait déjà vu son duché envahi par Louis XIII en 1633 et avait été amené à abdiquer. À peine Charles IV fut-il rétabli dans son duché qu’une quatrième invasion française (1641) suivie d’une occupation du duché pendant vingt ans (1641-1661) priva à nouveau Charles de son duché jusqu’au traité de Vincennes (1661). Qu’importe, en août 1670, Louis XIV s’empara de Nancy et d’autres places de Lorraine, faisant décamper le duc avec 26 000 hommes vers l’Allemagne. Si Louis XIV ne souhaitait pas annexer la Lorraine mais simplement s’assurer d’un passage sûr vers la Hollande tout en sanctionnant des Lorrains ayant choisi l’alliance avec l’Empire, la France occupa de facto la Lorraine de 1670 à 1697. La diète protesta vigoureusement contre cette action menée en temps de paix. Cela fit scandale en Allemagne et jusqu’à la cour de Léopold Ier d’Autriche. Pourtant, ni le Habsbourg ni le Bourbon n’avaient intérêt à rompre : le premier était menacé par la révolte hongroise et les armées ottomanes, le second ne souhaitait pas voir Vienne aider Amsterdam. Le 1er novembre 1671, Grémonville parvint à signer un accord de neutralité avec l’Empereur à la seule condition que le conflit demeure « hors des cercles et fiefs de l’empire », une habile victoire diplomatique pour la France. La république batave ne parvint pas à déceler tous ces signes avant-coureurs.

Charles IV de Vaudémont (1604-1675), duc de Lorraine et de Bar (1625-1634 puis 1634-1675).

Ce ne fut qu’en janvier 1672 que les Provinces-Unies, sentant une menace, renforcèrent leurs défenses. Le Grand Pensionnaire Jean de Witt et le « parti des Etats » se resignèrent même à promouvoir le jeune Guillaume d’Orange capitaine général des armées, renforçant les opposants orangistes. Au XVIIe siècle, les Provinces-Unies, confédération d’Etats provinciaux, disposaient d’un système politique lent, entravé par des intérêts locaux et des rivalités personnelles. Il y avait cinq amirautés, chaque province envoyait un contingent pour l’armée de terre mais avait un droit de regard sur leur utilisation. Rien à voir avec le système français centralisé ; Louis XIV avait par ailleurs différé le début de la guerre d’un an pour finir les travaux de fortification des villes récupérées avec le traité d’Aix-la-Chapelle. Restait la Suède ; les Provinces-Unies leur avait promis l’or espagnol ; comme rien n’était venu, Stockholm se tourna vers son vieil allié français : le 11 avril 1672, un traité fut signé. S’en était fini de la Triple Alliance. Il était temps, le 22 mars 1672, Charles II d’Angleterre, pressé de recevoir ses subsides, avait attaqué une soixantaine de navires marchands hollandais et déclaré la guerre le 28. Louis XIV suivit le 6 avril, juste avant de signer avec Stockholm.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Simon_Arnauld_de_Pomponne (Pomponne)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_IV_de_Lorraine (Charles IV de Lorraine)

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