La guerre de Sécession (partie XIII) : médecine, conscription, esclavage et guerre à l’Ouest (1862).
Rappel : Durant toute la guerre, les belligérants eurent à faire face au besoin en soldats et en financements. Ces questions se posèrent surtout fin 1861 et début 1862, lorsque Washington et Richmond se rendirent compte que la guerre ne serait pas brève. L’Union se finança avec des emprunts aux banques et un impôt sur le revenu assez efficace tout en parvenant à juguler l’inflation. La Confédération, pour sa part, usa bien plus de la planche à billets et souffrit d’une inflation délirante. Il apparut plus rapidement nécessaire à la Confédération qu’à l’Union de décréter la conscription pour amener les forces vives du pays à servir sous les drapeaux. Cependant, in fine, aucun des deux belligérants n’y échappa. Pendant ce temps, au début de l’été 1862, Lee décida de défier McClellan devant Richmond avec la bataille des Sept-Jours (25 juin – 1er juillet).
Dans le Sud comme dans le Nord, les infirmières s’imposèrent de plus en plus. Pourtant, une « Dame digne de ce nom » ne devait pas voir les horreurs de la guerre selon la société d’alors. D’autres n’acceptaient pas qu’un travail confié à des soldats-médecins soit délégué à des civils. Cette réserve ne résista pas au temps : les infirmières blanches démontrèrent bien plus de talent pour administrer les soins que les soldats. Certaines luttèrent pour être acceptées et finirent par être reconnues à leur juste valeur, puis glorifiées à la fin de la guerre. Ces femmes suivaient quelque peu l’exemple de la Britannique Florence Nightingale qui avait révolutionné les services médicaux britanniques durant la guerre de Crimée (1853-1856) et avait changé l’image de l’infirmière.
Des Américaines confédérées telles que Kate Cumming et Phoebe Pember dirigèrent des hôpitaux militaires avec talent. Toutes ces infirmières affrontèrent l’horreur, les blessés gisants partout où ils pouvaient dans des hôpitaux qui n’avaient pas assez de lits, souffrant le martyre et présentant parfois de terribles blessures. Dans l’Union, Elizabeth Blackwell, première Américaine à devenir docteur en 1849, malgré les railleries des hommes, poussa à la création d’une grande association : la Women’s Central Association for Relief (WCAR) qui devint essentielle à la Commission sanitaire des États-Unis en formant des infirmières. Il fallut convaincre le ministre de la Guerre, alors encore Cameron, et faire ses preuves. Dès le début de 1862, la Commission sanitaire – dont la WCAR formait une branche – devint indispensable et une force politique.
Les militaires restaient dubitatifs de « la sanitaire ». Cela changea avec la désignation par Lincoln du chirurgien-major William Hammond comme nouveau chef du service de santé de la Commission. Avec cet homme, l’entente entre le public et le privé, entre le militaire et le civil, devint bien plus efficace. Des navires à vapeurs furent mit à disposition de la Commission comme navires-hôpitaux et des hôpitaux fleurirent partout où il y en avait besoin. Au début de la guerre, les ambulances, permettant de récupérer les blessés sur le champ de bataille le plus rapidement possible, notamment pendant la bataille, étaient tout à fait insuffisantes. Les brancardiers étaient souvent les soldats qu’on estimait les moins capables de se battre. Brancardiers qui, sans surprise, fuyaient au premier danger. Les soldats abandonnaient de ce fait souvent leur ligne pour ramener un ami blessé à l’arrière car ils savaient que personne d’autre ne le ferait.
Cet état de fait changea lorsque Hammond, le nouveau chef du service de santé, fit de Jonathan K. Letterman le directeur médical de l’armée du Potomac. Letterman créa un corps spécial formé pour sauver les blessés le plus efficacement possible. Les Confédérés copièrent ce corps, tout comme les Européens d’ailleurs. Les ambulanciers du Sud, les « corps d’infirmiers », firent des miracles mais manquaient gravement de moyens et faisaient avec les pénuries. Ceci explique en partie pourquoi on estime que 18% des blessés confédérés succombèrent à leurs blessures contre 14% des Fédéraux.
Et puis, la révolution de la médecine qu’allait permettre la bactériologie n’était pas encore intervenue. Si bien que la médecine de l’époque n’avait pas fait le rapprochement entre les ustensiles non-stérilisés et les infections ; le moustique et la malaria ou la fièvre jaune ; l’eau et la typhoïde … L’asepsie et l’antisepsie pour les opérations chirurgicales n’existaient pas, on ne connaissait que l’amputation comme remède à la gangrène, on ne pouvait lutter contre l’ostéomyélite, la pyohémie ou la péritonite (rendant bien des blessures au ventre fatales). Les médecins utilisaient le chloroforme ou l’éther pour tout anesthésiant … Quand ils en avaient à disposition (ce qui était généralement le cas, malgré des pénuries au Sud). Les médecins, pour traiter les maux, de la constipation à la malaria, usaient de calomel, d’émétique, de quinine, de morphine ou de laudanum. Nombreux furent les soldats finissant drogués aux narcotiques. Devant l’impuissance relative des médecins et leurs traitements, bien des soldats cachèrent leurs blessures, persuadés qu’ils se porteraient mieux hors des hôpitaux que dedans.
Le groupement massif d’hommes de milieux différents au début de la guerre dans des États humides et chauds comme la Virginie fit des ravages. Les ruraux furent massivement atteints d’oreillons, d’angines et de la rougeole qui ne les tuait pas souvent mais les empêchait de combattre. D’autres maladies comme la variole ou l’érésypèle firent des victimes. Plus largement, les deux camps furent terrassés par la diarrhée/dysenterie, la typhoïde, la pneumonie ou la malaria. En tout, on estime que la maladie tua deux fois plus que les balles durant la guerre de Sécession. Un chiffre saisissant aujourd’hui mais finalement bas pour l’époque. Pour les Britanniques, ce ratio était de 8 pour 1 durant les guerres napoléoniennes et de 4 pour 1 pendant la guerre de Crimée. Du reste, la maladie contrecarra nombre de plans de la guerre de Sécession.
Après la bataille des Sept Jours, le moral se dégrada dans l’Union et augmenta dans la Confédération. Lincoln, loin de baisser les bras, voulait continuer la guerre. Mais les bureaux de recrutement avaient été fermés en avril 1862. Seward s’entendit avec les gouverneurs pour que ceux-ci fassent mine de supplier le président de rouvrir les bureaux de recrutement pour terminer la guerre au plus vite. Lincoln accepta, évidemment. Le président appela 300 000 nouveaux volontaires pour 3 ans. Pour les motiver, il accorda une partie des primes dès l’engagement. Mais la population ne répondait pas. Lincoln repoussa les dates butoirs et passa une loi au Congrès le 17 juillet 1862, ordonnant que tout homme valide de 18 à 45 ans soit enrôlé dans la milice. Le président avait le droit d’appeler les miliciens sous les drapeaux quand il le souhaitait. Surtout, le Président était autorisé à instaurer les règlements nécessaires à l’enrôlement de cette milice. Le 4 août, moins d’un mois après l’appel de 300 000 volontaires, le ministère de la Guerre de Stanton mobilisa 300 000 miliciens pour 9 mois. Cependant, pour tout volontaire recruté pour 3 ans en surplus du quota demandé à chaque état, Stanton demandait 4 miliciens de moins. En tout, le gouvernement parvint à recruter 421 000 volontaires pour 3 ans et, ce nombre dépassant ce qui était requis et faisant donc jouer les quotas, 88 000 miliciens pour 9 mois.
Cette quasi-conscription connut une opposition acerbe. Une opposition qui était surtout le fait des démocrates qui s’opposaient au nouvel objectif de guerre accepté par les républicains : l’abolition de l’esclavage. Les démocrates voulaient bien se battre pour rétablir l’ancienne union. Mais les républicains voulaient désormais mener une guerre totale pour détruire la Confédération. Ces mêmes républicains considérèrent cette opposition démocrate comme une opposition à la guerre. Or, Lincoln avait toute latitude à agir afin d’assurer la bonne tenue des recrutements. Stanton n’hésita pas à jeter en prison tous les protestataires – surtout démocrates – qui perturbaient le recrutement. L’opposition fut particulièrement forte chez les Irlandais et les Allemands catholiques ainsi que les habitants du Midwest.
La question de l’esclavage, justement, évolua. Une loi du 13 mars 1862 avait déjà interdit à quiconque de rendre les esclaves à leur maitre. Depuis, des dizaines de milliers d’esclaves passaient la frontière vers le Nord. En mai, le président proposa aux États frontaliers (les plus méridionaux de l’Union) une compensation financière s’ils acceptaient une émancipation progressive de l’esclavage dans leur État. Lincoln voyait la chose ainsi : pourquoi ne pas accepter l’inévitable progressivement et contre de l’argent plutôt que brutalement et sans compensation ? Les États frontaliers firent la sourde oreille et s’opposèrent. Ils pensaient encore que la guerre serait bientôt finie et que la Confédération tomberait sans qu’il faille mettre fin à l’esclavage pour autant. Après la bataille des Sept Jours, cette pensée n’avait plus lieu d’être car la guerre totale était lancée. Elle persista pourtant. En juillet 1862, le Congrès autorisa le Président à utiliser les Noirs libres du mieux qu’il pouvait, notamment dans les armées.
Les soldats nordistes pouvaient désormais confisquer les biens des sudistes, notamment serviles. Durant l’été 1862, Lincoln avait la volonté de faire sentir aux sudistes le poids de la guerre. Les Noirs étaient confisqués pour servir d’aide et d’hommes à tout faire dans les armées fédérales. Les esclaves échappaient à l’esclavage mais restaient au service des Blancs. Les soldats nordistes blancs, par ailleurs, n’était pas tous disposés à accepter les semblants de liberté de la « contrebande ». Certains furent traités avec cruauté, certaines furent violées. On aurait tort d’instaurer, ici comme ailleurs, une vision manichéenne.
Stanton et les républicains désiraient relever McClellan de ses fonctions. Celui-ci, en démocrate, s’opposait d’ailleurs au fait de saisir les biens des sudistes. Mais Lincoln refusa de le limoger : McClellan était un général démocrate idolâtré par son armée. Le limoger aurait démoralisé l’armée du Potomac et déclenché un tollé à l’arrière ; le parti démocrate voulait faire du général son candidat aux prochaines élections présidentielles ! Lincoln, en parallèle, avait commencé à écrire une proclamation d’émancipation des esclaves. Chose qui n’allait pas apaiser les tensions. Seward lui conseilla, avec sagesse, de différer sa proclamation à la prochaine victoire militaire. Comme pour prouver la pertinence de la remarque de Seward, des émeutes et le racisme éclatèrent dans le Nord. Tout ceci était dû à l’approche des élections pour lesquels les démocrates exacerbaient volontairement les tensions en dépeignant la future « invasion noire » que provoquerait l’émancipation. Lincoln tenta la carte de la colonisation (c’est-à-dire envoyer les Noirs libres bâtir leur propre pays), sans succès.
A l’Ouest, on reprochait au général Halleck de ne pas fondre avec ses 110 000 hommes sur Vicksburg depuis Corinth. Halleck avait d’autres priorités. Il devait administrer un territoire conquis – donc hostile -, remettre en état le réseau ferroviaire et le protéger. Avec la chaleur de l’été, c’était indispensable car les voies fluviales s’asséchaient. De plus, si Halleck devait attaquer Vicksburg, dernier bastion confédéré sur le Mississippi, il était surtout pressé par Lincoln de libérer le Tennessee oriental. Halleck envoya Buell, avec 40 000 soldats, vers Chattanooga pour libérer le Tennessee. Mais celui-ci, grand ami de McClellan, en avait des traits semblables : il ne voulait pas faire pression sur la population et ne croyait pas en la guerre des grands affrontements. Il progressa extrêmement lentement car subtilement harcelé par la cavalerie confédérée qui maniait avec talent l’art de la guérilla. L’Union n’avait pas – en 1862 – de cavalerie similaire à lui opposer. Les nordistes découvraient également un ennemi inattendu : l’écartement des rails. Standardisé au Nord, il ne l’était pas au Sud. Dans la Confédération, 113 compagnies ferroviaires contrôlaient le réseau, avec de nombreuses différences d’écartements entre les rails.
Le général confédéré Braxton Bragg (ayant remplacé Beauregard en juin) profita de la lenteur de Buell : il décida d’aller libérer le Kentucky. Il laissa à Vicksburg 32 000 hommes sous les ordres de Price et Van Dorn et partit avec 34 000 hommes pour Chattanooga. Il fit le voyage en train par un circuit compliqué et arriva à destination avant Buell. À Chattanooga, il rejoignit Edmund Kirby Smith et ses 18 000 hommes de l’armée du Tennessee oriental. Bragg comptait s’enfoncer dans le Kentucky et y attirer Buell. Il donna une division à Smith et tous deux partirent vers le nord.
Smith, 21 000 hommes, avança rapidement à partir du 14 août, emportant une force de 6 000 Fédéraux inexpérimentés sur son passage (tuant 1 000 d’entre eux et capturant la majorité des autres au prix de 500 victimes) et occupa Lexington. Bragg, 30 000 hommes, captura une garnison de 4 000 Fédéraux et essaya de convaincre la population de se soulever, en vain. Les pro-Confédérés avaient déjà rejoint les rangs de l’armée sudiste un an plus tôt.
Buell arriva avec ses 60 000 hommes en octobre. Alors que Bragg et Smith tentaient de regrouper leurs forces, le gros de l’armée de Buell attaqua les 16 000 hommes de Polk (Bragg n’était pas là car avec Smith) à Bardstown. Buell avait fait diversion en direction de Smith et Bragg, si bien que ce dernier pensa la force de Polk suffisante pour faire face à ce qu’il pensait être une partie de l’armée adverse. Polk retraita jusqu’à Perryville devant l’agressivité de Sheridan, commandant de division de l’Union. Puis, sur ordre de Bragg qui n’avait toujours pas saisi la situation, attaqua avec deux divisions l’aile droite de l’armée fédérale qui plia par inexpérience. Polk avait eu de la chance. Durant cette campagne, les Fédéraux avaient perdu 4 200 hommes contre 3 400 Confédérés. Les adversaires passèrent le reste du mois d’octobre à manœuvrer sans combattre et Bragg, déçu du manque de soutien de la population, mit le cap vers le sud. Une autre raison le poussait à rentrer : Price venait d’essuyer une défaite dans le Mississippi.
En septembre, Grant avait essayé de prendre Price en tenaille, en vain. Celui-ci attaqua en surnombre les deux divisions de Rosecrans qui, malgré l’infériorité numérique, fit plus de victimes chez les assaillants. Price se replia au sud pour fusionner avec les forces de Van Dorn. Ensemble, avec 22 000 hommes, ils attaquèrent Corinth, tenue par 21 000 Fédéraux. Après avoir repoussé les Fédéraux, la soif, par cette grande chaleur, enraya l’effort des Confédérés, qui échouèrent. Van Dorn et Price échappèrent à nouveau aux Fédéraux. Rosecrans fut promu et remplaça Buell, jugé lent et inefficace.
Source (texte) :
McPherson, James M. (1991). La guerre de Sécession. Paris : Robert Laffont, 1020p.
Sources (images) :
https://en.wikipedia.org/wiki/Kate_Cumming (Kate Cumming)
https://en.wikipedia.org/wiki/Phoebe_Pember (Phoebe Pember)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Blackwell (Elizabeth Blackwell)
https://en.wikipedia.org/wiki/William_A._Hammond (William Hammond)
https://en.wikipedia.org/wiki/Jonathan_Letterman (Jonathan Letterman)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_Carlos_Buell (Don Carlos Buell)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Braxton_Bragg (Braxton Bragg)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edmund_Kirby_Smith (Smith)
https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Starke_Rosecrans (Rosecrans)