Le règne de Louis XIV (partie XVII) : la guerre de Hollande, de l’offensive française à la guerre européenne (1672-1675)
Rappel : dès 1669, c’est-à-dire juste après la fin de la guerre de Dévolution (1667-1668), Louis XIV réfléchissait à remettre le couvert. Sa principale motivation était de châtier les Provinces-Unies, cet allié de longue date l’ayant trahi et restreint lors de la guerre de Dévolution. Pour cela, le Roi-Soleil devait isoler Amsterdam et défaire la Triple Alliance. Charles II d’Angleterre, bridé par sa cour, offrit dès 1669 de s’engager dans une « guerre contre inconnu » avec la France en échange de subsides français. C’est que le roi d’Angleterre voulait maintenir le faste de son niveau de vie et le Parlement lui refusait tout moyen. Enchanté, Louis XIV signa secrètement avec son cousin un accord en 1670. En parallèle, il envoya le seigneur de Pomponne, homme de paix, comme ambassadeur de France aux Provinces-Unies. Une manœuvre qui avait pour but d’endormir la vigilance néerlandaise. Louis XIV noua des traités avec plusieurs Etats allemands en 1669 et 1670 puis, cette même année, s’occupa d’un autre problème : le duc de Lorraine, qui, échaudé par les invasions françaises récentes, n’avait pas démobilisé. Le roi de France occupa alors tout bonnement la Lorraine de 1670 à 1697. La Diète du Saint Empire romain germanique protesta contre pareil coup de force en temps de paix. L’Empereur en fit autant. Mais ni Léopold Ier, ni Louis XIV n’avaient intérêt à aller jusqu’à la rupture ; le premier était menacé par la révolte hongroise et les armées ottomanes, le second ne souhaitait pas voir Vienne aider Amsterdam. Le 1er novembre 1671, Grémonville parvint à signer un accord de neutralité avec l’Empereur à la seule condition que le conflit demeure « hors des cercles et fiefs de l’empire », une habile victoire diplomatique pour la France. La république batave ne parvint pas à déceler tous ces signes avant-coureurs et ne commença à se méfier qu’en janvier 1672. Amsterdam n’ayant pas respecté un accord passé avec la Suède, était en passe de perdre ce dernier appui. Stockholm se tourna vers son vieil allié français le 11 avril 1672. S’en était fini de la Triple Alliance. Il était temps, le 22 mars 1672, Charles II d’Angleterre, pressé de recevoir ses subsides, avait attaqué une soixantaine de navires marchands hollandais et déclaré la guerre le 28. Louis XIV suivit le 6 avril, juste avant de signer avec la Suède.
Les armées françaises étaient dirigées par Turenne et Condé tandis que les sièges l’étaient par Vauban. Le début de l’offensive fut d’une criante simplicité, les places tombèrent sans effort : Orsoy, Wesel, Buderich, le fort de Lippe, Rees, Emmerich puis Rheinberg, la plus forte des places hollandaises, qui se rendit sans combattre. Il en allait autrement sur la mer : la bataille de Sole Bay (7 juin 1672), près de Yarmouth, opposant 81 navires franco-anglais dirigés par York, Duquesne et le médiocre comte d’Estrées aux 71 vaisseaux de Ruyter, resta indécise. Le passage d’un bras du Rhin au gué de Tolhuys le 12 juin fut largement exagéré et célébré en grande victoire en France. La propagande en fit l’une des plus grandes victoires de Louis XIV, ayant sa place dans la galerie des Glaces. Pendant ce temps, le roi de France hésitait à gagner la première ligne ; l’Europe se trouvait en pleine mutation entre deux conceptions : celle, henricienne, invitant le roi à combattre sur le champ de bataille et celle, moderne, invitant le chef d’Etat à ne pas s’exposer pour le bien de la nation. Surtout, Louis XIV aurait dû profiter de ses éclatantes victoires pour marcher sur Amsterdam, comme le lui conseillait Condé. Au lieu de quoi le Roi-Soleil décida de faire durer le plaisir, persuadé qu’il en tirerait plus de gloire. Il eût presque raison. Doesbourg, Zutphen, Arnheim, Nimègue, Bomel et Utrecht tombèrent sans résistance.
Le 20 juin, les Hollandais, par désespoir, ouvrirent les écluses de Zuyderzée, proche de Muyden, bloquant la progression de l’armée royale. Côté français, Luxembourg chercha d’ailleurs également à jouer avec les flots pour noyer le camp de Guillaume d’Orange à Bodegrave, en rompant la digue de Lek, mais ne parvint, ce faisant, qu’à couper ses propres lignes de communication. Ce n’était là qu’un des exemples témoignant de la méconnaissance du terrain des officiers français. Pierre de Groot, pressé par les délégués de plusieurs villes, fit pourtant une offre généreuse à Louis XIV : Maastricht, les places prises sur le Rhin, toutes les terres allant de la Généralité au sud du pays (Brabant et Flandre hollandaise) et une indemnité de 10 millions de livres. Une telle offre dépassait les objectifs de guerre de Louis XIV et condamnaient les Pays-Bas espagnols la saison suivante. La France refusa, avançant des contre-propositions proprement exorbitantes : cession du pays au sud du Lek, de l’île de Walcheren, suppression des taxes sur l’alcool, une indemnité de 24 millions, le libre exercice du catholicisme et admission des catholiques à tous les emplois, le versement d’une réparation à l’Angleterre ainsi qu’aux électeurs de Cologne et Munster et enfin, l’envoie annuel d’une ambassade au roi de France avec une médaille le remerciant de la liberté autrefois acquise grâce à la France. Colbert, lui, envisageait déjà de ruiner les Provinces-Unies et d’annexer son immense empire colonial ou, à minima, d’en faire un État satellite. Ce fut le seul instant du règne où la France envisagea d’outrepasser largement son « pré carré ». Les Néerlandais ne prirent pas même la peine de répondre.
La résistance hollandaise s’en trouva renforcée. Amsterdam était devenue une île. L’occupation française du pays fut implacable. Orchestrée par Luxembourg et Louvois, les exactions mirent du temps à atteindre les oreilles du Roi-Soleil, qui les fit cesser incessamment. C’était là l’un des aspects majeurs du système politique français : l’isolement du pouvoir royal, du aux distances, à la lenteur des communications, à l’autonomie laissée aux autorités sur place et à l’ignorance dans laquelle les secrétaires et ministres laissaient parfois le roi. L’absolutisme était davantage paralysé, impuissant, que despotique. Dans la partie libre des Provinces-Unies s’affrontaient les républicains modérés (les régents, c’est-à-dire l’oligarchie des marchands magistrats ; les riches et les négociants) soutenant le Grand Pensionnaire Jean de Witt et une paix honorable et la « faction démocratique » (le petit peuple fanatisé par des calvinistes) souhaitant la guerre à outrance. Cette dernière suivait Guillaume d’Orange, 22 ans, capitaine général devenu stathouder de la république le 8 juillet 1672. Guillaume d’Orange, très tôt orphelin, chétif, maigre, faisant plus que son âge, constamment malade, était dénué d’émotion mais doté d’un grand courage et d’une force d’âme. Brusque, maladroit, incapable d’affabilité, peu ostentatoire, doté d’une excellente mémoire et d’une intelligence redoutable, il fut un piètre général, tare rattrapée par sa ténacité et son excellent sens politique. Médiocre tacticien desservi par une rare malchance, énergique dans l’échec, il aimait ardemment le pouvoir et la guerre. Or, l’invasion française avait décrédibilisé la politique modérée de Jean de Witt qui, devant l’hostilité générale, démissionna le 4 août 1672. Ce ne fut pas suffisant. Le 20, une émeute éclata à La Haye, durant laquelle Jean et son frère Cornélius furent sauvagement poignardés, traînés dans la rue, pendus, éventrés puis dépecés. De Witt fut remplacé par l’insignifiant Fagel, faisant de Guillaume d’Orange le véritable meneur. Il allait ardemment défendre son territoire.
Pendant ce temps, l’Europe se réveilla. L’Espagne, sans déclarer la guerre, aida les Provinces-Unies en conséquence d’un traité d’aide mutuelle signé fin 1671. Louis XIV ayant occupé quelques places rhénanes appartenant à Frédéric-Guillaume de Hohenzollern, électeur du Brandebourg, celui-ci s’allia aux Provinces-Unies le 6 mai 1672 et signa avec l’Empereur un traité de protection germanique, à Berlin. Vienne s’engagea dans la guerre le 22 juillet. Cologne et Munster demandèrent de l’aide à la France pour faire face aux armées impériale et brandebourgeoise. Louis XIV envoya Turenne. Ainsi, l’agressivité française avait permis aux Provinces-Unies de rallier le Saint Empereur romain, l’Espagne et l’électeur du Brandebourg. Pourtant, au même moment, le roi de France accepta la médiation suédoise pour conclure une paix à laquelle il n’était pas hostile. Ce fut une constante de son règne : Louis XIV fut aussi enclin à commencer qu’à terminer les guerres. Les combats ne cessèrent pas pour autant. Le 12 octobre 1672, le général Luxembourg, inférieur en nombre, fit lever le siège que Guillaume d’Orange avait posé sur Woerden. Aidé des Espagnols, ce dernier assiégea alors Charleroi. L’alarme fut sérieuse pour Louis XIV qui partit en trombe vers le nord, mais la place résista et Guillaume d’Orange leva le siège le 22 décembre 1672.
Quelques jours plus tard, Luxembourg échoua à prendre La Haye par les eaux gelées mais bouscula un détachement hollandais à Swammerdam, qu’il pilla. Ce fut un massacre. Luxembourg y prit du plaisir et réitéra à Bodegrave, pourtant déclarée ville ouverte. Les Provinces-Unies furent consternés et la propagande anti-française exagéra les exactions. Avec le ravage du Palatinat qui adviendra quelques années plus tard, ces événements finiront de former la légende noire de Louis XIV et de crucifier la réputation d’une France protégeant les petits États que s’était échiné à bâtir Mazarin. Après plusieurs marches et contremarches, Turenne fondit sur les Impériaux et les Brandebourgeois, en Westphalie et les repoussa en janvier 1673. Frédéric-Guillaume retourna à Berlin et demanda la paix. Louis XIV la lui accorda en juin 1673, à Vossem. L’électeur sortit de la guerre en échange de 700 000 livres, jamais payés par la France. Au printemps 1673, Louis XIV décida de personnellement diriger une armée, sans l’aide de Turenne ou Condé, et posa puis conduisit, sous les bons conseils de Vauban, le siège de Maastricht. La place tomba en douze jours (29 juin).
En mer, Ruyter, profitant de son faible tirant d’eau, manœuvra en eaux basses de l’île de Walcheren et repoussa une flotte franco-anglaise deux fois plus puissante du prince Rupert (neveu de Charles II d’Angleterre). Il réitéra en serrant la côte, profitant à nouveau de son faible tirant d’eau, pour vaincre, non sans peine, la flotte coalisées dans une bataille entre Texel et Kamperduyn. Ces 91 vaisseaux (61 anglais, 30 français) contenaient une armée de débarquement. Ruyter évita, par sa victoire au Texel (21 août 1673), la création d’un nouveau front. Durant l’été 1673 se forma la grande alliance de La Haye entre l’Empereur, la régente d’Espagne, le duc de Lorraine et le prince d’Orange, proposée par ce dernier. La prise de Maastricht avait inquiété l’Europe qui craignait une hégémonie française. Louis XIV eut beau revoir à la baisse ses prétentions, ses adversaires firent la sourde oreille. L’Empereur alla jusqu’à renvoyer Grémonville le 16 septembre 1673. L’Espagne déclara la guerre à la mi-octobre.
Sur le front, Turenne fit l’erreur de laisser Montecuccoli faire jonction avec Guillaume d’Orange et abandonna Bonn le 12 novembre. Début 1674, l’indécision anglaise frisait la trahison. S’il encaissait l’argent français, Charles II avait nommé Danby, francophobe notoire, comme principal ministre pour plaire à son Parlement. Pressé par les négociants londoniens, Charles II prévint la France qu’il allait faire une paix séparée avec les Provinces-Unies. Ce fut chose faite le 19 février 1674. En mars, le Palatin rejoignit l’Empereur ainsi que les électeurs de Mayence et de Trèves. Léopold fit enlever le représentant de l’électeur de Cologne, au mépris de toute immunité diplomatique, et manqua de l’exécuter. Rome intervint à temps. Mais le coup de pression fut efficace : l’évêque de Munster fit défection de l’alliance française le 22 avril, l’électeur de Cologne le 7 mai. Le 28, au nom du Saint Empire romain, la diète de Ratisbonne déclara la guerre à la France. Le duc de Brunswick-Lunebourg et l’électeur de Brandebourg rejoignirent la coalition (1er juillet 1674). Les nationalismes anglais et germanique naissants limitèrent la politique française. En deux ans, la guerre était clairement devenue européenne et l’armée française se trouvait en infériorité numérique.
Au printemps 1674, le roi ordonna l’invasion de la Franche-Comté. Besançon capitula après 27 jours et Dole tomba à sa suite. En 6 semaines, la vieille province espagnole tomba. Atteint de la goutte, Condé interrompit ses remèdes pour prendre la direction des opérations dans les Pays-Bas espagnols. Le 11 août, à Seneffe, près de Charleroi, il chargea avec 45 000 hommes l’arrière-garde étirée de l’armée de Guillaume d’Orange, forte de 60 000 hommes. Après trois terribles combats acharnés, les coalisés abandonnèrent le terrain. Celui-ci était jonché de 20 000 morts, dont 7 000 Français. Turenne, en Allemagne, dans le Palatinat, attaqua avec 15 000 hommes les Impériaux et les Lorrains puis vécut sur le pays pour priver la cavalerie adverse de fourrage et de subsistance. Une trentaine de villages furent incendiés. Ce fut le premier ravage du Palatinat. Faute de renforts, Turenne repassa le Rhin. Cependant, Montecuccoli fut appelé sur un autre front pour combattre les Ottomans, laissant en face de Turenne le médiocre duc de Bournonville. Celui-ci se rendit toutefois maître de toute l’Alsace tandis que Turenne se repliait sur les Vosges.
Le maréchal de France essuya des critiques sans rien dire. En réalité, il avait sciemment laissé l’ennemi se répandre imprudemment. Le 30 novembre, Turenne entra en Lorraine et entama une marche harassante, contre pluie, vent et neige, par des forêts impénétrables, longeant les Vosges jusqu’à déboucher par surprise à la trouée de Belfort. En une campagne éclair qui fera l’admiration de Napoléon, prit coup sur coup Altkirch, Mulhouse et Turckheim. Les régiments adverses se disloquèrent, se rendirent en masse ou repassèrent le Rhin. Turenne avait compensé par la mobilité et l’audace la faiblesse de ses effectifs. Le roi l’embrassa publiquement (chose rare) pour son triomphe. Le Saint Empire rappela instamment Montecuccoli sur le Rhin. Le 27 juillet 1675, Turenne fut malheureusement emporté par un boulet près de Saltzvach, puis enterré à la basilique St Denis. Lui qui voulait se retirer parce que Louvois imposait désormais la « stratégie de cabinet », sorte d’état-major moderne refusant l’initiative aux généraux sur le terrain (stratégie qui fera le XVIIIe siècle), Turenne n’eut pas le temps de prendre son repos. Son neveu Lorges retraita sans difficulté. Créqui surpris et battu à Consarbrück, s’enferma à Trèves. Une mutinerie (sévèrement réprimée) l’obligea à rendre la place à Charles IV de Lorraine. Condé appelé une dernière fois au service prit la succession de Turenne. D’ordinaire si fougueux, Condé suivit le plan prudent et méthodique de son défunt devancier. Il obligea les Impériaux à repasser le Rhin. Après quoi, Condé prit sa retraite. Montecuccoli également. Ainsi disparaissaient des champs de batailles trois grands généraux en une année. Avec la mort de Turenne et la retraite de Condé en 1675, Louis XIV adopta une stratégie défensive louée par Vauban et Louvois.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Hollande (schéma tactique de l’invasion, détail de l’occupation, représentation des batailles du Texel, de Seneffe et du siège de Maastricht)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Johan_de_Witt (Jean de Witt)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Raimondo_Montecuccoli (Montecuccoli)