Le règne de Louis XIV (partie XII) : armée, marine et fortifications.

Le règne de Louis XIV (partie XII) : armée, marine et fortifications.

Rappel : Le règne de Louis XIV fut longuement occupé par la guerre, mais cela était tout à fait commun pour un souverain européen du XVIIe siècle ; ses voisins firent autant, voire plus la guerre que lui. D’ailleurs, la guerre n’était pas encore considérée comme horrible, ni la paix comme autre chose qu’une trêve. Chaque royaume étant le patrimoine du roi, celui-ci faisait la guerre pour gagner quelques terres ou défendre des intérêts. Ce fut justement ce XVIIe siècle qui, avec des armées toujours plus massives et des guerres longues et ruineuses, amorça un changement des mentalités. La main passa alors plus encore à la diplomatie au XVIIIe siècle. Or, celle-ci jouait déjà un rôle clef dans le XVIIe siècle. La diplomatie française de Louis XIV fut supérieure en cela qu’elle profita de la conjoncture : l’Empereur était en retrait, l’Italie divisée, l’Espagne décadente, tout comme la Suède et le Danemark, tandis que la France était riche et prestigieuse, à la démographie forte et disposant d’une clientèle développée. Tellement riche que, jusqu’à Nimègue (1678), Louis XIV jouera des subsides, payant en particulier l’Angleterre, la Suède et des princes allemands. Cela ne déboucha pourtant sur aucune alliance pérenne, notamment parce que Louis XIV était souvent seul à respecter la parole donnée. La diplomatie française fut efficace parce que des ministres talentueux la dirigèrent tout au long du règne et parce que le roi donna à la diplomatie, comme aux autres « domaines réservés » – la guerre, la marine – une attention particulière.

La diplomatie ne fut pas le seul domaine pour lequel la France entreprit un effort de renouvellement. Le Tellier et Louvois furent les créateurs de l’armée moderne tandis que Colbert et Seigneley dotèrent la France d’une puissance maritime exceptionnelle. Et pourtant, l’héritage de Mazarin, en ces deux domaines, n’était pas un cadeau. Après le traité des Pyrénées, l’armée fut démobilisée tandis que la marine avait été laissée à l’abandon pour plaire aux Anglais. La tradition de laisser aux capitaines ou colonels la charge de leurs hommes encourageait ceux-ci à piètrement équiper leur troupe, excepté le jour des « montres », c’est-à-dire de l’inspection du roi. Les capitaines et colonels avaient également tendance à recruter autour de chez eux, si bien que la troupe venait souvent d’un endroit où avait une religion commune. L’intendance n’existait pas, les soldats réquisitionnaient sans vergogne. Seule la cavalerie, arme noble, se portait bien. Les autres armes étaient laissées à l’abandon tandis que le désordre, la désobéissance, la malversation, le vol, l’extorsion ou le pillage étaient monnaie courante. C’est exactement à cela que les Le Tellier s’attaquèrent en priorité. Nombre de charges disparurent, dont celle de connétable. La vénalité ne fut gardée que pour les capitaines et les colonels, les autres grades étaient conférés gratuitement. L’usage des passe-volants (hommes recrutés uniquement pour apparaître lors des revues militaires) fut sanctionné de peines de plus en plus lourdes, jusqu’à la mort. On traita également du point d’honneur : les généraux refusaient de servir sous d’autres du même grade, ou bien deux généraux aux vues différentes dirigeaient la même armée par intermittence, ce qui ruinait totalement l’efficacité du corps. En 1675, une ordonnance inspirée par Louvois institua l’ordre du tableau, qui réglait l’avancement à l’ancienneté, sauf mérites exceptionnels.

En 1635, l’armée royale comptait 25 000 hommes. Lors du traité des Pyrénées en 1659, elle en alignait théoriquement 250 000. Les cardinaux, mais aussi Le Tellier, avaient fait des merveilles. Le Tellier (mort en 1685) puis son fils Louvois (mort en 1691) et son petit-fils Barbezieux (mort en 1701) occupèrent pendant 58 ans la fonction d’administration des armées. L’administration, bien qu’améliorée, buttait toujours sur la vénalité des grades pour les cadres et l’enrôlement forcé pour la troupe. La hiérarchie militaire clarifiée permit de recruter rapidement beaucoup d’hommes sans déstabiliser le système. La noblesse participa activement en s’engageant de manière constante. Seulement, les effectifs des armées explosant, leur proportion chuta : à nombre constant (15 000 à 20 000 jeunes nobles), ils passèrent de 20% de l’armée en 1643 à un peu plus de 10% en 1702. Les effectifs flambèrent dans l’armée française parce que l’Etat français pouvait entretenir plus de troupes – et de meilleure qualité – que n’importe quelle autre nation et ce, même en temps de paix, ce qui était tout à fait nouveau. Pour ses guerres, Louis XIV mobilisa 72 000 hommes en 1667, 120 000 en 1672, 280 000 en 1678 puis 380 000 pendant la guerre de Succession d’Espagne, bien que ces effectifs soient sûrement quelque peu surévalués parce que les unités n’étaient jamais au complet. Les Le Tellier, longtemps réticents à l’usage du fusil, préférèrent finalement sacrifier la mobilité de l’armée au profit de la puissance de feu. À la fin de la guerre de Hollande, le fusil s’était répandu dans les régiments français. En 1678, Vauban inventa la baïonnette à douille. En 1668 fut créé le corps des dragons (infanterie montée) et à partir de 1680, les cavaliers utilisèrent des carabines.

Sébastien le Pestre (1633-1707), marquis de Vauban, ingénieur, architecte militaire, urbaniste, hydraulicien et essayiste français ; gouverneur de Lille (1668-1707), commissaire général des fortifications (1678-1703), fait maréchal de France en 1703.

Au début du règne, les fortifications furent partagées entre Colbert et Louvois. Une rivalité s’installa : Colbert disposait d’une cinquantaine d’ingénieurs dirigés par le chevalier de Clerville, reconnu dans le domaine ; Louvois employait 130 ingénieurs dirigés par Sébastien Le Prestre de Vauban, ancien élève de Clerville. Louvois s’occupait des frontières les plus importantes et, après une courte rivalité, Vauban se révéla supérieur à Clerville. Colbert finit par reconnaître son génie et Vauban fut nommé commissaire général des fortifications en 1678. Vauban créa de nombreuses places fortes cruciales, forma la « ceinture de fer », se rapprocha également du roi et put mener à bien de nombreux sièges. Il imposa l’utilisation des mortiers lanceurs de bombes, le calcul des trajectoires des projectiles et l’angle du ricochet. Il implémenta également la technique turque des tranchées parallèles en 1673, lors du siège de Maastricht, la construction de forteresses à demi enterrées pour faire face aux progrès de l’artillerie, l’allongement des glacis et des chemins couverts, la multiplication des bastions, etc. Tout ceci coûtait cher : de quoi effrayer Colbert. Louvois, lui, fonda l’intendance, créant des magasins aux frontières et passant des accords avec les munitionnaires. Louvois ne traitait qu’avec des civils, non des militaires, ce qui fut sa force. Pourtant, l’armée de Louis XIV ne fut pas parfaite. Le service de santé, lui, ne fonctionna jamais correctement, bien que la création des Invalides en 1670 soit une réussite. Le recrutement frauduleux perdura (on ramassait les vagabonds ou repris de justice, parfois en les enivrant pour qu’ils signent leur enrôlement) ; le pillage ne disparut pas, la désertion non plus.

Richelieu le premier avait consenti l’effort nécessaire pour relever la marine française. Grand maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce à partir de 1626, il donna un commandement global à la marine et jeta les bases qui expliquent le succès de Colbert. Seulement voilà, Mazarin avait laissé la flotte française, la Royale, dans un état déplorable : on comptait, en 1661, 9 vaisseaux de ligne de 3e rang, hors d’usage, trois flûtes et quelques galères qui pourrissaient, faute d’entretien, dans des ports laissés à l’abandon. Les officiers étaient inexpérimentés et le marin français, réputé pour sa robustesse et son efficacité, s’expatriait pour servir. De fait, manquant de marins expérimentés, la France tirait souvent ses officiers de marine de l’armée de terre ; ceux-ci se révélèrent parfois talentueux. Il faut dire que Mazarin avait vu la guerre contre les Habsbourg s’éterniser et eut à fournir plus d’efforts que son devancier : il privilégia donc l’armée de terre et abandonna l’outre-mer et la marine (malgré la brillante victoire à Carthagène de Maillé-Brézé en 1643).

Colbert, lui, décida de relever la marine. Faute d’arsenaux en état, il commanda des navires à des arsenaux hollandais, danois et suédois, importa des canons et des balles. Il fit construire d’importants arsenaux à Dunkerque, Le Havre, Marseille et Toulon, créa des ports à Brest, Lorient et Rochefort, ouvrit des manufactures d’armes et d’ancres, des fabriques de voiles, tira des mâts et du bois de charpente des forêts françaises (d’où sa politique sylvicole) … En dix ans, il dota la France d’une flotte impressionnante, plus nombreuses que les flottes anglaise et hollandaise. En 1671, la France disposait de 119 navires de ligne, 16 de 1er rang, 16 de 2e rang, 33 de 3e rang, 25 de 4e rang, 29 de 5e rang, 22 frégates, 16 brûlots, 37 flûtes. En tout, avec les galères : 194 navires de guerre jaugeant entre 130 000 et 140 000 tonneaux. De 1 000 canons en 1661, la flotte était passée à près de 2 000 canons en 1665 et 6 500 en 1674. Colbert rétablit l’ordre dans les galères, navires dont l’utilité première était de pouvoir naviguer en l’absence de vent ou à contrevent, mais dont l’utilité seconde était de jouer le rôle de pénitenciers. La majorité des rameurs étaient des forçats, condamnés ou déserteurs. Mais on manqua vite de coupables à envoyer aux galères. Aux révoltés du Boulonnais ou du Vivarais succédèrent les huguenots. Les libérations étaient rares et les condamnés faisaient souvent plus que leur temps.

Depuis longtemps, la charge de la conduite de la marine allait de main en main selon l’hérédité. En 1669, le dernier « Grand Maître » périt au siège de Candie et le pouvoir rétablit de manière symbolique la charge d’Amiral de France, disparue depuis 1626 et le comte de Vermandois, 2 ans et fils de Louis XIV, fut nommé. C’était une manière pour le roi et Colbert de récupérer les prérogatives et diriger la marine. Colbert fixa la hiérarchie, un collège de la marine fut fondé à Saint-Malo (on tenta de supprimer la pratique de la « presse » consistant à fermer un port et rafler tous les pêcheurs présents pour les enrôler de force, mais la tradition perdura) et les marins furent divisés en trois classes, ce qui fut mal accepté. La Royale manquait d’expérience, si bien que Colbert préféra voir les Anglais en première ligne pour affronter Tromp et Ruyter sur les flots au début de la guerre de Hollande. Ce ne fut qu’après les éclatants succès de Duquesne et Tourville en mer de Sicile que ce jugement changea. Colbert fut bien aidé par son propre fils, Seigneley, admis à la survivance de sa charge dès 1669, alors qu’il n’avait que 18 ans.

Jean-Baptiste Colbert (1651-1690), marquis de Seigneley, fils du ministre Colbert et secrétaire d’Etat à la Marine à sa suite (1683-1690).

Bourreau de travail, compétent, orgueilleux, autoritaire, très ambitieux, Seigneley donna l’impulsion jusqu’à la plus belle victoire maritime française, celle de Béveziers en 1690. Il est dit que Louis XIV ne s’intéressa jamais à sa flotte, contrairement à son armée, au grand désespoir de Colbert. Pourtant, le roi passa quelque 4 000 heures avec Colbert sur ce sujet. S’il resta plus discret, c’est parce qu’il se savait incompétent. Il n’aurait accepté d’engouffrer autant d’heures et d’argent dans la Marine s’il ne s’y était pas intéressé. Les Colbert (Seigneley prenant la suite de son père) développèrent la flotte avant que Louis de Pontchartrain (1690-1699) et son fils Jérôme (1699-1715) ne poursuivent l’effort. Si au début, Colbert versa dans l’espionnage industriel et attira les ingénieurs hollandais, à la fin du règne, les Anglais venaient en France tenter de voler ses secrets. Pour ne donner qu’un exemple : les Colbert dénichèrent et protégèrent Bernard Renau d’Élissagaray, dit Petit-Renau, qui inventa une machine traçant le gabarit des vaisseaux, puis les galiotes à bombes. Colbert de Terron paya les études du jeune basque, Seignelay l’installa dans les bureaux de la marine.

Marine, armée, fortifications, tout ceci coûtait très cher. Jean Meyer nous en livre les chiffres. En 1683, année de paix armée, sur les 115 millions de livres de dépenses, 65,28 millions allèrent aux dépenses militaires (56,7%) : 45,5 millions à l’armée de terre, 11 millions à la marine et 9 millions pour les fortifications. Le service de la dette était, lui, de 10% des dépenses, les affaires secrètes captaient 3,8%, les pensions 1,21%, l’investissement économique 0,28%… Les dépenses militaires étaient raisonnables en début de conflit, puis enflaient jusqu’à devenir insupportables. En 1690, les dépenses militaires représentèrent 3/4 du budget de l’Etat. Ce fut 80% en 1692, puis 50% en 1697, année de la paix de Ryswick. Avec la guerre de Succession d’Espagne, les dépenses militaires atteignirent 71% dès 1702, puis 72% en 1706. La dette financière passa de 8% en 1694 à 23% en 1695 puis à 76% en 1699. La France de Louis XIV n’était pas encore une monarchie administrative capable de faire face à une guerre longue sans endettement excessif, mais une monarchie militaire qui put survivre grâce aux investissements militaires (construction de la ceinture de fer, de ports, d’une flotte, politique d’armement donnant des emplois, etc.). Pourtant, la monarchie restait une économie agraire, soumise aux caprices de la météo.

L’argent était le nerf de la guerre. Or, nous l’avons dit, la France était le pays le plus riche et peuplé de la chrétienté à l’époque de Louis XIV. Mais le roi, marqué à vie par les troubles fiscaux du royaume durant ses jeunes années de règne, refusa d’augmenter de trop les impôts. Il eut alors recourt aux expédients habituels et dangereux : la vente d’offices, les lettres de change à court terme et l’aliénation des recettes futures de l’Etat. Cette dette court terme coûtait bien plus à l’Etat que de l’argent des impôts qui pouvait, il est vrai, s’accompagner d’un soulèvement. En 1661, le crédit court terme grevait déjà largement les finances royales. La France manquait d’une banque nationale sur laquelle s’appuyer. Les Hollandais avaient fondé la leur en 1609, les Anglais les imitèrent en 1694. Ceux-ci pouvaient contracter des prêts long terme à faible taux bien plus facilement. Mais la banque était contraire à l’idée de l’absolutisme français qui voulait tout contrôler. Il faudra attendre la Révolution et Napoléon pour voir la France se doter d’une banque nationale en 1800. Colbert eut le mérite de mener une réforme qui améliora la situation. Mais ce ne fut pas non plus un miracle : il avait seulement profité d’une décennie de paix. Le plus grand manque à gagner pour l’Etat découlait des privilèges accordés au clergé et à la noblesse. Le manque de moyens financiers contraignit la stratégie française à se battre à l’étranger (épargnant le territoire français et permettant d’entretenir l’armée en effectuant des levées sur les populations ennemies) mais également à choisir la défensive dans certains cas, voire à annuler des campagnes.

L’absolutisme de Louis XIV se jouait avant tout par son monopole sur la direction des affaires étrangères, de la stratégie et de la guerre. De rares conseillers pouvaient l’aider à sa demande mais le roi ne souffrit aucune contradiction majeure sur ces disciplines. Rappelons-le, son autorité dans les autres domaines fut toutefois limitée par la tradition et la nécessité, en tenant compte des privilèges et du pouvoir des élites en place. Les états généraux s’étaient réunis une dernière fois en 1614 et ne se rassemblerait pas avant 1789. Le roi exerça son autorité sur les cours judiciaires souveraines (parlements) et sur son gouvernement. Il choisit par ailleurs de s’entourer d’hommes compétents mais non nobles ou juste anoblis car il voulait garder son ascendant et non partager l’autorité. Turenne, noble et ayant influencé la stratégie militaire de la France dans les années 1660, fut une exception. Le Roi-Soleil mit en place une bureaucratie nécessaire mais une bureaucratie qu’il dirigea, la créant non pas pour qu’elle dirige à sa place mais pour lui permettre de gouverner pleinement.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Images (sources) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9bastien_Le_Prestre_de_Vauban (Vauban)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Colbert_de_Seignelay (Seigneley)

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