Le règne de Louis XIV (partie X) : préludes à la magnificence et propagande

Le règne de Louis XIV (partie X) : préludes à la magnificence et propagande

Rappel : Le règne de Louis XIV s’inscrivit dans la continuité de la monarchie absolue bourbonienne. La monarchia absoluta témoignait cependant bien plus d’une monarchie sans liens que sans limite. Le pouvoir royal était limité par les lois fondamentales du royaume, la peur de la sanction divine si le roi se montrait sacrilège et la responsabilité de tout un peuple. Le souverain pouvait être condamné par ses tribunaux et était le garant d’un équilibre, une fragile hiérarchie que la sanction d’un individu pouvait briser en faisant craindre aux autres individus un sort similaire. L’Etat passait avant le roi, comme le laissait deviner la loi salique pour la succession. Louis XIV voulait régner seul, mais non sans l’aide de ses ministres : il se montra enclin à la collégialité, aux antipodes de nombre de souverains autoritaires. Le Roi-Soleil s’attribua les tâches de lutter contre la misère et d’assurer la gloire de la France tout en protégeant son peuple de la guerre. De fait, il fut moins belliciste que Richelieu et Mazarin. Par-là, il fut un précurseur du « despotisme éclairé » du XVIIIe siècle. Il fut aidé et même influencé par ses principaux ministres, au premier rang desquels se trouvaient Colbert, Le Tellier ou encore son fils, Louvois. Le clan colbertiste était en rivalité avec celui des Le Tellier. Le pouvoir de Colbert devint considérable : il s’occupait des finances, de l’économie, du quart de l’administration générale, d’une bonne partie des affaires de justice, des bâtiments, des manufactures, de la maison du roi, de la cour, de Paris, de la marine, des colonies et de quelques missions spéciales du roi. Les Le Tellier s’emparèrent des non moins importantes prérogatives de la guerre, l’administration militaire et la diplomatie. Ainsi se formèrent deux des grandes dynasties ministérielles. Le pouvoir des parlementaires fut par ailleurs considérablement amoindri et le pouvoir des provinces tout à fait effacé, réduisant le risque de révolte.

Le début du règne personnel de Louis XIV fut surtout l’occasion des « préludes de magnificence ». En 1661, à Londres, l’ambassadeur d’Espagne, le baron de Watteville, prétendit avoir le pas sur son homologue français, le comte d’Estrades. La rivalité commença par l’apparence, l’objectif étant de faire montre de sa puissance, d’étaler sa richesse. L’Espagne l’emporta et l’honneur français bafoué mena à une bataille rangée dans Londres durant laquelle huit Français furent tués. Louis XIV expulsa l’ambassadeur d’Espagne de Paris et exigea des excuses officielles ainsi que la reconnaissance du droit de préséance. Philippe IV s’inclina, reconnut ses torts, rappela Watteville et envoya un marquis présenter ses regrets au roi de France, à Paris. Le 24 mars 1662, au Louvre, en présence du roi et de tous les ambassadeurs se tint « l’audience des excuses de l’Espagne ». Or, à l’époque, si le roi d’Angleterre revendiquait le premier rang des puissances sur mer, l’Espagne revendiquait le premier rang sur terre, tandis que l’Empereur prétendait à la domination universelle et le pape la suprématie spirituelle. Sans prétendre concurrencer l’Empire, Louis XIV estimait avoir sa place au premier rang des monarchies. En bas de l’échelle, les républiques marchandes (Venise, Gênes et les Provinces-Unies) étaient dignes de mépris. Cet accrochage des ambassadeurs à Londres fut le premier des préludes à la magnificence.

Léopold Ier de Habsbourg (1640-1705), roi de Hongrie (1655-1705), roi de Bohême (1656-1705), roi de Croatie (1657-1705) et empereur du Saint Empire romain germanique (1658-1705).

En 1658, Léopold Ier n’avait pas prévenu Louis XIV de son accession au trône impérial uniquement pour ne pas avoir à lui écrire en premier. Mais à ce jeu-là, il trouva plus fort que lui. Le roi de France n’écrivit aucune lettre et les relations franco-autrichiennes en souffrirent. Si bien qu’en 1662, Léopold écrivit le premier, renonçant par la même occasion aux titres de comte de Ferette et de Landgrave d’Alsace, qu’il portait indûment en dépit des traités de Westphalie. Ce fut le second prélude à la magnificence. Un troisième concerna les Anglais. Suivant les juristes Welwood (1615) et Selden (1635), Charles II d’Angleterre étendit la notion de mer côtière aux côtes hollandaises et françaises et exigea que, dans les « mers d’Angleterre », les étrangers soient les premiers à saluer le drapeau anglais. Les Hollandais se plièrent de mauvaise grâce. Le refus hautain du Danemark manqua de dégénérer en guerre et la France refusa avec superbe. Les Anglais se turent jusqu’en 1667.

Charles II Stuart (1630-1685), roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande (1660-1685).

Les préludes à la magnificence ne concernèrent pas que les puissances temporelles. L’un des plus importants opposa le roi de France au Saint-Père. À la mort de Mazarin, les tensions religieuses ne faiblissaient pas. Et pour cause, Louis XIV remit le sujet du jansénisme sur la table en 1661. Les molinistes tentèrent de montrer des accointances entre le jansénisme et la religion réformée. Pourtant, les jansénistes se situaient à l’opposé du protestantisme et du calvinisme. Jansen, auteur de l’Augustinus, Saint-Cyran, directeur de Port-Royal ou encore Arnauld, luttèrent toute leur vie contre la Réforme et firent l’apologie du catholicisme, malgré les persécutions. On pourrait les rapprocher des orthodoxes par leur reconnaissance de la grandeur de Dieu, de la misère de l’homme, de la vénération de la grâce divine et de la grande exigence morale. Les jésuites reprochaient surtout aux jansénistes leur pessimisme. Erreur d’appréciation : l’absence de confiance dans les forces humaines n’avait rien d’un pessimisme, c’était la reconnaissance de ce que Blaise Pascal nomma la « misère de l’homme sans Dieu ».

Antoine Arnauld (1612-1694), dit le Grand Arnauld, prêtre, théologien, philosophe et mathématicien français, l’un des principaux chefs de file des jansénistes.

Mais Louis XIV leur reprocha surtout d’abriter nombre de disgraciés et d’ennemis de la cour, notamment d’anciens frondeurs. Leur influence s’étendant partout, le jansénisme devint un parti inquiétant dont les intérêts n’étaient pas forcément ceux du Roi. C’est pour cela que le Roi-Soleil s’y opposa si obstinément. Une crise entre Louis XIV et le pape Alexandre VII éclata lorsque ce dernier refusa l’extension du concordat de Bologne (1516) aux nouvelles provinces du roi de France gagnées principalement sur l’Espagne en 1659 (Artois, Roussillon, Trois-Évêchés). Le Saint-Siège refusait à Louis XIV les bénéfices consistoriaux : le droit de choisir les titulaires des évêchés et abbayes. Pour cela, il fallait l’indult pontifical. Les relations avec le pape étaient difficiles, notamment du fait du privilège d’extraterritorialité des ambassades dans la Ville éternelle : l’affaire des franchises et immunités romaines, empêchant la police pontificale de faire son travail. Le pape Alexandre VII, francophobe, demanda la suppression de ce droit. Or, Louis XIV avait finalement cédé sur le point des bénéfices consistoriaux, mais sans obtenir la moindre concession. Le roi de France envoya à Rome le rude duc de Créqui qui choqua plus qu’il n’impressionna. Le 20 août 1662, une rixe entre un domestique français et un soldat du pape dégénéra : on tira sur le palais Farnèse, résidence de l’ambassadeur français, qui manqua de mourir. Louis XIV, outré que le pape ne condamne fortement l’acte, exigea des excuses solennelles, le châtiment des coupables, la cassation de la garde corse, la destitution du gouverneur de Rome et du barigel responsable de la police pontificale.

Fabio Chigi (1599-1667), 237e pape sous le nom d’Alexandre VII (1655-1667).

Alexandre VII ne répondit pas. Ce fut l’escalade. En juillet 1663, le parlement de Provence prononça l’annexion d’Avignon et du Comtat. Fin 1663, 16 000 Français prirent la route de l’Italie pour soutenir Parmes et Modène, qui avaient des différends territoriaux avec le pape. Alexandre tenta de monter une sainte ligue, sans succès. Il céda quand Louis XIV menaça d’envoyer de nouveaux renforts. Le traité de Pise, le 12 février 1664, vit le pape céder sur toute la ligne : il déclara la garde corse « incapable de servir » et la « nation corse » exclue à jamais du service pontifical, donna satisfaction à Parmes et Modène et promit d’élever à Rome une pyramide expiatoire. En contrepartie, Louis XIV évacua Avignon et le Comtat, contre la volonté des habitants. Le 29 juillet 1664, pour la première fois dans l’histoire de France, un légat du pape présenta les excuses officielles de Rome.

La mort du pape en 1667 permit aux relations de se réchauffer sous le bref pontificat du successeur d’Alexandre VII, Clément IX (1667-1669). Celui-ci, conciliant, apaisa et clôtura provisoirement la querelle des Cinq Propositions de Arnauld, amenant la « paix clémentine » à l’automne 1668. Louis XIV joua le jeu, accepta la démolition de l’humiliante pyramide à Rome et y gagna l’indult pontifical pour les Trois-Evêchés (finalement promis par Alexandre VII, accordé par Clément IX) en mars 1668, puis trois autres en avril pour l’Artois, le Roussillon mais aussi les Flandres, que Louis XIV venait de conquérir ! L’affaire de la Régale, mêlant le problème janséniste, les questions romaines (ultramontinisme) et l’église gallicane, restait pour le moment apaisé. Turenne se convertit du protestantisme au catholicisme le 23 octobre 1668, la paix régna donc également avec les réformés, que Louis XIV pensait sur l’irrémédiable déclin. La paix de l’Eglise dura une décennie (1668-1679).

Giulio Rospigliosi (1600-1669), 238e pape sous le nom de Clément IX (1667-1669).

Par ailleurs, en 1667, pour mettre fin au différend franco-anglais sur le salut en mer, il fut convenu que les marins « se salueraient en même temps ou ne se salueraient point du tout » ; pour prévenir tout conflit, les marins français et anglais évitèrent de se croiser. Ces préludes de magnificence, ces coups d’éclat, révélaient que le roi mettait un point d’honneur aux étiquettes et au cérémonial, comme bien d’autres souverains de son temps. En vérité, Louis XIV était plus attaché à la reconnaissance des principes qu’à leur application.

Dans le royaume comme à l’extérieur, Louis XIV ne tarda pas à imposer sa « magnificence » par la propagande. Celle-ci, pour le régime, passait en partie par les bâtiments. Paris était la nouvelle Rome. Contrairement à un mythe qui a la vie dure, Louis XIV ne négligea pas sa capitale, même après avoir installé sa cour à Versailles en 1682. Il bâtit les Invalides, fit naître le jardin des Tuileries, apparaître un réseau d’égouts, aménagea les places royales de Louis-le-Grand (Vendôme) et des Victoires, édifia le Pont Royal, l’hôpital général de la Salpêtrière, l’Observatoire et des arcs de triomphe aux portes Saint-Denis et Saint-Martin… La propagande passait également par le mécénat. Après 1661, le mécénat fut surtout porté par le roi, car il ne supportait plus que les Grands rivalisent avec son lustre. Louis XIV se servit des plus grands talents du royaume à des fins de propagande. Il fut plus grand mécène même que François Ier : sa renommée lui survécut et servit de modèle pour l’Europe des Lumières. Le 3 février 1663, Perrault, Jean Chapelain, l’érudit et théologien Amable de Bourzéis et l’abbé Jacques Cassagne (écrivain et prédicateur) furent convoqués en secret chez Colbert. Ils formèrent sur ordre du roi un conseil restreint, qui allait devenir la « petite Académie », se réunissant deux fois par semaine pour sélectionner les inscriptions et devises des monuments royaux, mais également les emblèmes ou légendes ornant les tapisseries et les médailles. Élément essentiel de la propagande du Roi-Soleil, la petite Académie s’assurait de la gloire du souverain. Chaque événement significatif donnait par exemple lieu à la frappe de pièces commémoratives. Les académies se multiplièrent. L’Académie française, fondée par Richelieu, fut protégée par ce dernier puis, après sa mort, par le chancelier Séguier puis, après la mort de celui-ci en 1672, par le roi. L’Académie de peinture et de sculpture fut fondée en 1647, réorganisée par Le Brun à partir de 1663 ; L’Académie royale de danse naquit en 1662, complétée par l’Académie royale de musique, toutes deux chapeautées par Jean-Baptiste Lully, florentin devenu surintendant de la musique en 1661 ; l’Académie des sciences fut fondée en 1666 et fit de Paris la capitale scientifique de l’Europe ; la même année fut créée l’Académie de France à Rome ; l’Académie royale d’Architecture, enfin, fut fondée en 1671.

Jean-Baptiste Lully (1632-1687), compositeur italien naturalisé français en 1661, surintendant de la musique (1661-1687) et maître de musique de la famille royale (1662-1687).

Le Roi-Soleil mit également en place des gratification régulières pour les artistes, gens de lettres, savants et chercheurs, ce qu’aucun pays n’avait fait jusque-là. Les subsides visaient surtout les étrangers pour les attirer en France ou les encourager à encenser le roi de France au-delà de ses frontières, source d’une gloire plus grande encore. Ainsi, des chercheurs dédièrent leur travail au Roi-Soleil, des écrivains chantèrent ses louanges, etc. Restons mesurés cependant : ces pensions atteignirent leur paroxysme en 1667 avec 118 100 livres distribués, soit 0,1% du budget annuel français. À titre de comparaison, cela représentait à peine plus de la moitié de la pension annuelle du prince de Condé. Plus frappant encore, Louis XIV versait 300 000 livres de pension annuelle à sa maîtresse Mlle de la Vallière pour les seules étrennes des enfants naturels du roi (le comte de Vermandois et Mlle de Blois). Ces subsides étaient donnés généreusement mais attendaient tacitement en retour la glorification du roi par les bénéficiaires. Ces gratifications furent réduites à partir de 1674 à cause de la guerre puis supprimées en 1690.

Il faut ici bien différencier la propagande de Louis XIV de celles des régimes autoritaires du XXe siècle. S’il y a des points de similitudes, il n’était pas question d’un réel culte de la personnalité pour le Roi-Soleil. En glorifiant le roi, on cherchait surtout à glorifier la France. Louis XIV fut d’ailleurs parfois dépassé, écrasé par le portrait du souverain guerrier que les pièces de théâtre firent de lui. En matière de spectacle, le carrousel, les 5 et 6 juin 1662, fut un exemple de magnificence avec un message politique sous-jacent. Durant cette grande réception, il n’était plus question de gentilshommes s’affrontant en duel et montrant leur puissance, mais d’un spectacle d’appart durant lequel les nobles se montrèrent dévoués au roi, comme pour annoncer leur déclin.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9opold_Ier_(empereur_du_Saint-Empire) (Léopold Ier)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_II_(roi_d%27Angleterre) (Charles II)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Arnauld_(1612-1694) (Antoine Arnauld)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_VII (Alexandre VII)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%C3%A9ment_IX (Clément IX)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Lully (Lully)

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