Le règne de Louis XIV (partie VII) : du traité des Pyrénées à la mort de Mazarin (1659-1661)
Rappel : Après la Fronde et malgré la guerre extérieure à mener contre l’Espagne, Mazarin, Anne d’Autriche et Louis XIV devaient apaiser la situation interne et rétablir l’absolutisme. Au prix de quelques graissages de pattes et de coups d’éclats, l’autorité fut pleinement rétablie en interne. L’Etat absolu put reprendre son rôle trifonctionnel apparemment contradictoire : fédérer, diviser et niveler. Le pouvoir devait fédérer autour de lui mais diviser pour garder une société stratifiée et équilibrée, sans qu’un ordre ne devienne trop puissant. Enfin, l’Etat se faisait niveleur, en particulier concernant les Grands du royaume, qu’il ne fallait pas laisser devenir trop puissants. Pour autant, après la guerre civile et en plus de la guerre extérieure, un autre danger, celui d’un déchirement religieux, menaçait la France. En 1640, l’Augustinius était publié, relançant une vieille opposition entre augustiniens – notamment les Protestants – encensant la grâce divine et rejetant le libre-arbitre de l’Homme et les pélagiens, estimant le péché évitable par le libre-arbitre et la vertu. Enfin, la misère découlant des guerres poussa dans le royaume des paysans à la révolte dans la seconde partie des années 1650.
La situation interne réglée, il est temps de revenir à la situation internationale. Après la brillante victoire de Turenne sur Condé lors de la bataille des Dunes (juin 1658), l’armée française aurait pu soumettre la totalité du territoire des Pays-Bas espagnols. Mais c’eut été pousser le peuple français à la révolte et se faire deux ennemis : l’Angleterre et la Hollande. Alors, Anne d’Autriche et son frère Philippe IV, roi d’Espagne, ramenèrent sur la table le sujet du mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne pour signer la paix. Des pourparlers furent organisés dès 1656. Pour accélérer les choses, le cardinal Mazarin fit annoncer le mariage de Louis XIV avec Marguerite de Savoie. Louis XIV, lui, vivait une histoire d’amour avec Marie Mancini, l’une des nièces de Mazarin. Pourtant, le roi se fit à l’idée d’épouser Marguerite de Savoie. Or, tout ceci n’était qu’une ruse, afin d’indigner Philippe IV. Ce qui fonctionna : celui-ci s’exclama « Esto no puedo ser y no sera! » (cela ne peut être et ne sera !). Il dépêcha de suite son secrétaire d’Etat, en France.
Sitôt la proposition de paix ferme avec mariage faite par l’Espagne, Mazarin annula le mariage avec Marguerite de Savoie. Celle-ci et sa mère furent outrées et exigèrent qu’on écrive qu’en cas de rupture avec l’infante d’Espagne, le roi épouserait Marguerite de Savoie. Louis XIV, également contrarié, retomba dans les bras de Marie Mancini et en tomba éperdument amoureux tandis que la préparation de la paix et du mariage s’éternisaient. Les négociations du traité des Pyrénées, entre Mazarin pour la France et Luis de Haro pour l’Espagne, se déroulèrent alors, trois mois durant (août-novembre 1659), sur l’île des Faisans, à équidistance des deux pays. L’ile prit alors le nom d’Ile de la Conférence. La délicatesse du travail de Mazarin fut d’entériner la prépondérance française, déjà confirmée par les traités de Westphalie, et la décadence espagnole. Philippe IV était favorable au mariage de sa fille avec Louis XIV, mais répugnait à une alliance forcée dont il craignait, à juste titre, les conséquences. Louis XIV savait que le mariage avait un prix mais répugnait à pardonner Condé, condition imposée par l’Espagne.
Sans compter que l’histoire d’amour entre Louis XIV et Marie Mancini était devenue passionnelle. Louis lui promettait le trône, qu’elle désirait ardemment. Il fallut la lourde insistance de Mazarin et d’Anne d’Autriche pour convaincre le roi qu’il devait épouser l’Espagnole et mettre fin à la guerre. Et encore, celui-ci espérait voir un obstacle se jeter à la traverse. Il écrivait fréquemment à Marie Mancini des lettres très longues. Louis XIV fut proche de ne jamais renoncer à cette femme. Mazarin fut presque contraint de démissionner pour emmener Marie Mancini loin du jeune roi, en Italie. Mais Louis XIV se résigna finalement. Le 7 novembre 1659, le traité des Pyrénées fut signé et la paix fit son retour. Condé fut réhabilité mais seulement lorsque Philippe IV donna Juliers au duc de Neubourg (allié de la France) et Avesnes, Philippeville ainsi que Mariembourg à la France. Philippe IV renonça au Roussillon, à la Cerdagne, les places de Gravelines, Saint-Venant, Bergues, Bourbourg, à l’Artois (excepté Aire et Saint-Omer), Au Quesnoy et à Landrecies en Hainaut ainsi qu’au Luxembourg français (Montmédy, Thionville et Damvillers). En contrepartie, la France devait rendre toutes ses autres conquêtes. Des articles secrets empêchaient également Louis XIV de soutenir le parti républicain de Cromwell ou le roi du Portugal, allié naturel de la France. En échange, l’Espagne reconnut les clauses alsaciennes de la paix de Munster (Westphalie) et obligea la Lorraine de Charles IV à céder à la France le duché de Bar, Clermont en Argonne, Stenay, Moyenvic, Dun et Jametz tandis que Nancy verrait ses défenses démantelées. En cas de refus de Charles IV, la France pouvait occuper le duché.
Ces clauses donnaient aux deux pays des frontières plus claires et faciles à défendre. Mais déjà, la succession espagnole se profilait à l’horizon. Et Philippe IV en était assez inquiet, son fils étant chétif, pour accoler une condition supplémentaire au traité des Pyrénées : il contenait la renonciation par sa fille Marie-Thérèse, promise au roi de France, de tout droit sur sa succession, moyennant une dot de 500 000 écus d’or. La finesse du mot glissée par Hugues de Lionne, « moyennant », allait pourtant ruiner toutes les précautions du roi d’Espagne, car l’Etat de Philippe IV étant ruiné, la dot ne fut jamais versée. On nommait alors la monarchie espagnole le mendiant couché sur un lit d’or, du fait de ses finances misérables alors que l’or affluait de son empire d’Amérique. Ainsi, le mariage entre Louis XIV et Marie-Thérèse, gage de paix durable, ne le fut pas à cause d’un mot. Le cardinal, au zénith, avait également joué les médiateurs pour obtenir les paix d’Oliva (3 mai 1660) et de Copenhague (4 juin 1660), mettant fin à la guerre du Nord entre la Suède d’un côté et la Pologne-Lituanie, le Brandebourg, l’Autriche, le Danemark et les Provinces-Unies de l’autre. Cette « paix du Nord », complétait la paix européenne
La paix extérieure coïncida avec une tendance européenne à la monarchie absolue : en 1660, le Grand Électeur de Brandebourg avait inauguré ses réformes à Berlin ; le 29 mai Charles II, roi d’Angleterre, était rentré à Whitehall, mettant fin au long interrègne de Cromwell et le 8 mai 1661 fut élu le Parlement cavalier, pendant anglais de la chambre introuvable française (chambre d’« ultras » éminemment favorable à Louis XVIII en août 1815, il la nomme « chambre introuvable » car il n’aurait pu rêver plus favorable à son trône) ; à Copenhague la cour (que gérait la reine Sophie-Amélie), le clergé et la bourgeoisie proclamèrent l’hérédité de la couronne danoise (13 octobre 1660) puis affirmèrent le pouvoir absolu du souverain (10 janvier 1661). Les années 1660 et 1661 furent certes un tournant économique, mais surtout un tournant politique.
Le 20 janvier 1660, Condé fut reçu par son cousin le roi Louis XIV à Aix, où il fut officiellement pardonné. Quelques jours plus tard, Gaston d’Orléans décéda à Blois. C’était la fin d’une époque, celle de la Fronde. Marseille étant entrée en rébellion depuis peu, Louis XIV en profita pour châtier la ville. Il occupa la cité avec 6 000 soldats, fit abattre des pans de murs et entra « par la brèche » comme dans les villes vaincues. Le roi afficha un mépris évident et bâtit une citadelle et un fort pour surveiller les Marseillais. Après quoi, les cours française et espagnole se retrouvèrent à Saint-Jean-de-Luz pour y célébrer le mariage tant attendu. Les deux cours rivalisèrent de luxe ostentatoire, malgré le mauvais état de leur finance. Le mercredi 9 juin 1660, le mariage fut prononcé. À leur retour, les jeunes mariés furent accueillis par Paris en liesse. Ils profitèrent de la dernière cérémonie d’« Entrée royale » de l’Ancien régime : tout Paris les accueillis et les fêta pendant toute une journée. Mais cette fête célébrait un roi protecteur de la paix. C’était une invitation à une monarchie tempérée, ce que le règne louis-quatorzien ne serait pas. Du reste, Louis XIV, avec la Fronde, la guerre franco-espagnole, le faux mariage en Savoie, l’opposition de Marseille, le vrai mariage avec une princesse d’Espagne, etc. visita 20 des provinces de son royaume avant son règne personnel. Le dire déconnecté de son peuple serait malvenu, du moins à cette heure. Il sortira moins de son château par la suite, ne visitant que 5 provinces de plus dans sa vie, dont 4 annexions.
Mazarin, ayant ramené la paix en Europe et la paix intérieure en France, gouvernant comme l’aurait fait un roi, était au fait de sa puissance. Il songea à organiser une nouvelle croisade des nations chrétiennes réconciliées contre l’Empire ottoman. Souhaitait-il devenir pape ? Lui qui était fils d’un domestique de Colonna, quelle fin de carrière c’eut été ! Mais le pape Alexandre VII n’eut pas l’élégance de mourir à temps. Plus despote que jamais, président le conseil des ministres dans sa chambre alors qu’on lui taillait la barbe et qu’on l’habillait, laissant le roi faire l’antichambre, traitant la reine mère en époux exécrable, refusant de donner de l’argent à la jeune reine mais donnant à profusion à sa nièce Olympe, le cardinal était cependant grandement malade. Des plaques violettes étaient apparues sur ses jambes maigres, un œdème pulmonaire, une néphrite aiguë et une crise d’urémie qui lui sera fatale s’ajoutaient à l’insomnie continuelle. Le cardinal rédigea son testament, n’oubliant personne dans sa famille et abusa de son statut de mourant pour placer encore quelques nièces. Il décida également de léguer à des couvents, des hôpitaux et aux pauvres. Sa fortune, pourtant, n’était pas vraiment légitime, du fait de nombreux détournements de fonds. Alors, sur la suggestion de Colbert, il fit de Louis XIV son seul héritier. C’était une ruse : le roi ne pouvait accepter un tel leg de l’un de ses sujets. Or, un refus du roi confirmerait implicitement la légitimité de tous ses biens. Louis XIV se permit d’attendre deux jours avant de signer l’acte de restitution. Le cardinal allait laisser 35 millions de livres d’héritage, soit plus que l’encaisse de la banque d’Amsterdam.
Le 5 mars 1661, Mazarin reçut l’honneur inouï de voir toutes les églises de Paris réciter les prières des quarante jours, privilège normalement réservé aux personnes de sang royal. Le 7, il fit appeler ses ministres : Le Tellier, Fouquet et Lionne, pour en faire l’éloge devant le roi. Le 8, il tempéra son éloge à Fouquet. La raison de ce revirement nous est inconnue, mais il semblerait que les autres ministres se soient ligués contre Fouquet, qui ambitionnait de devenir Premier ministre. Le 9 mars, à deux heures du matin, Giulio Mazarini, dit cardinal Mazarin, s’éteignit paisiblement. Il disparaissait juste après avoir ramené la paix et consolidé la place de la France, s’effaçant juste avant que le roi ne soit contraint de le déposer pour gouverner seul.
Si son bilan politique était impressionnant, il laissait cependant le royaume avec des finances misérables, une église divisée par le jansénisme, une noblesse menaçante et une population encline aux révoltes antifiscales. Il ne laissait ni successeur, ni grand dessein. Louis XIV pleura son ministre plus que ne le devait un prince. Il fit exécuter ses derniers conseils et ses dernières volontés, à l’exception de celle de confier au mari de la nièce de feu le cardinal le gouvernement de Bretagne… dont la reine mère avait la charge. Dès la mort de Mazarin, Louis XIV convoqua Le Tellier et Lionne dans son cabinet, à trois heures du matin. Il inaugurait déjà le « conseil étroit » ou « conseil d’en haut », restreint aux seuls ministres d’Etat. Pas même sa mère n’était conviée, ce qui outra cette dernière. Le 10 mars 1661, le roi convoqua le conseil élargi et assura qu’à présent, tout devait passer par lui. Aucune décision ne devait lui échapper. Pourtant, le jeune roi sentait bien que ses ministres pensaient encore que ce n’était qu’une passe et qu’il vaquerait bientôt à d’autres occupations, délaissant le pouvoir. Il fallait une victime pour l’exemple, son nom serait Fouquet.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Mancini (Marie Mancini)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Th%C3%A9r%C3%A8se_d%27Autriche_(1638-1683) (Marie-Thérèse d’Autriche)
https://www.wikiart.org/en/paul-delaroche/cardinal-mazarin-dying (mort de Mazarin)